Et voici le dernier combat que j'aurais à lancer avant que les finales ne commencent. Je vous avoue, j'ai un peu l'excitation, parce que c'étaient de grosses pontes qui allaient s'affronter maintenant, parfait pour clore les poules du tournoi. Difficile de dire qui était le plus excentrique et le plus dangereux entre les prochains combattants ; j'imaginais qu'on aurait une partie de la réponse après le duel. Allez, à mon micro, j'avais bientôt fini de travailler... jusqu'à la prochaine défaite.

"Et oui, cher public, voici le dernier combat des poules, et ça ne sera pas le moindre ! Bien au contraire, même, quels autres combattants pourraient rivaliser avec eux, je vous le demande ? Ils ont tous deux rapporté que des victoires à leur équipe, il est maintenant temps de les départager ! A ma gauche, Lord Khildar Blacksilver, noble aux manières doucereuses, rongé par ses démons quand ils ne lui donnent pas un petit coup de main, et à ma droite, Lucien Sandman, de la drogue ciselée en homme, de la drogue bien dure, peut-être trop puissante pour son adversaire. La question est maintenant de savoir qui de la plume ou du marteau va l'emporter ! Pour ce duel épique, le terrain restera normal."

L’incompréhension parcourut le public qui ne sut comment réagir face à cette entrée. Si certains espérèrent que le plat serait d’avantage à la hauteur de leurs espérances, d’autres en firent déjà tout un fromage. Cependant, quelques-uns à l’âme charitable et aux réflexes généreux se mirent tout de même en recherche, à tout hasard.
L’indignation gagna des spectateurs avides de sensations fortes et réclamèrent leur dû à coup de sifflets et quolibets. Ils n’étaient pas venus, n’avaient pas bataillé les places, pour regarder deux abrutis dont un exhibitionniste tailler une bavette.
L’indécision occupa toutefois la plupart des témoins de la scène. Les précédents combats avaient eu leurs lots de surprise, il leur fallait donc attendre.

Un sourire s’était étendu jusqu’à hausser les pommettes habituellement effacées à la réaction du jeune homme en tenue d’Adam. Bien entendu, ce sourire était double, puisqu’interprété par les jumeaux, avec une harmonie stupéfiante. Ils se tenaient toujours parfaitement droit, côte à côté, reflet exact de l’autre. Il était nécessaire d’être à leur proximité pour s’apercevoir qu’ils respiraient, brisant l’impression qu’ils n’étaient que deux statues de marbre. D’ailleurs, le parallèle d’avoir deux statues vêtues face à un être dénudé ravirait quelques philosophes grecques.
Finalement, elles affichèrent une mine gênée dans un sourire inversé lorsqu’il parut évident qu’ils ne disposeraient point d’allumettes. Ils s’exprimèrent alors d’une même voix :

"Ce n’est pas grave, nous agirons sans … Nous avons besoin d’aller plus en profondeur …"

Il suivit une offre honnête proposée d’un ton courtois, leur visage reprenant un sourire aimable :

"Vous fumez ?"

Les automates s’activèrent et dans un manège orchestré à la perfection, ils se mirent en quête d’un paquet de consommables, tâtonnant les vêtements, tapotant les poches, glissant une main dans la veste, l’un à droite, l’autre à gauche, tout en avançant d’un pas.
L’un des mains sembla tomber sur l’objet convoité, et un mouvement de la tête invita à une approche.

"Un briquet …"

Etrangement, l’autre ne mima pas la découverte et se contenta de conserver sa main dissimulée par sa veste, tandis que le premier sortait la sienne, refermée de manière à tenir l’objet annoncé.

Allaient ils enflammer le public interloqué ?

Alors que certains se mettaient déjà en tête de les aider – bien peu par rapport à la foule amassée qui réclamait le sang des combattants plutôt que leur nudité ou l’allumage d’une pauvre cigarette – l’autre(s) lança finalement l’idée qu’il avait peut-être déjà du feu sur lui. Lucien leva les yeux au ciel et écarta les bras d’agacement. Sérieusement, si ce gus avait déjà ce dont il avait besoin sur lui, pourquoi diable n’avait-il pas d’abord pensé à fouiller ses poches ? En réalité, il l’exaspérait un peu. Non seulement, il était venu à deux sur le terrain, probablement histoire de montrer qu’il se la pétait un peu pour le combat à venir – bon, il avait peut-être de quoi cela dit. Mais, de plus, ces doubles frigo-rigides ne servaient à rien d’autre qu’à s’imiter l’un l’autre et à parler d’une seule et même voix. Franchement, quel était l’intérêt de venir à deux sur la piste du cirque si c’était pour faire exactement les mêmes choses ? Autant venir tout seul dans ce cas-là. Peut-être était-il incapable de voir la beauté du geste calculé, comme répété des heures pour être aussi parfaitement identiques, cependant, le fait que l’autre lui sorte finalement un briquet de ses poches après l’avoir fait gambader devant la foule le fit croiser les bras avec un air désabusé.

Lucien resta là, planté devant l’autre, à le fixer comme on aurait fixé un attardé mental. Super, le voilà maintenant muni d’un briquet ! Et après ? Il allait fait son petit numéro d’automate, c’était ainsi qu’il comptait l’emporter ? Le contrôleur du chaos était déjà certain d’avoir davantage marqué les esprits avec son entrée en matière plutôt crue que l’autre avec son histoire d’allumette. Néanmoins, il ne fit pas le moindre geste. Une part de lui-même restait terriblement curieuse de savoir ce qui allait suivre. Allait-ce être impressionnant ? Dangereux ? Absolument ennuyeux ? Il fallait admettre que l’autre avait attiré son attention et qu’il avait tout de même envie de savoir si le spectacle allait valoir l’attente. Son marteau était toujours dans sa main, à se balancer impatiemment. Certes, il allait laisser l’autre faire son numéro, mais si cela prenait trop longtemps, il commencerait les hostilités.

« Non, non, je fume pas… » répondit-il, sans aller jusqu’à faire le commentaire sarcastique qui lui venait à l’esprit sur la qualité de ce que fumait l’autre.

Il manquait un roulement de tambour quelque part.

Et la supercherie disparue d’un coup de poing dans la figure. La surprise frappa avec fracas le faciès approché de l’impertinent en tenue d’Adam. Point de briquet présent, mais bien le besoin d’en découdre. L’approche à pas mesurée avait permis d’assurer une prise de contact rapide. Pendant que l’un appâtait Lucien d’un prétexte attisant l’appétence, l’autre le prenait à revers dans le but d’entraver toute possible retraite.

A partir de ce brusque mouvement, plusieurs chemins se présentaient.
Il était envisageable que le visé voit le coup venir et qu’il chercherait à esquiver. Alors le reflet le cueillerait au collet, ou plus précisément au bras pour l’entraîner dans une ronde qui s’achèverait à terre, les jambes en travers du corps, l’une sur la gorge alors que les mains gantées tordraient le bras cueilli. Naturellement, la prise pouvait se perdre mais l’intention aurait porté ses fruits : ralentir l’esquive et ainsi permettre le coup premier d’atteindre sa cible, non pas à la tête comme initié, mais au torse, et avec le pied, non le poing.

Le coup pouvait aussi porter, le poing s’écrasant dans un revers cinglant dans la mâchoire peu portée à la cigarette. Alors la suite verrait le balayage des jambes de Lucien par le reflet accompagné d’un mouvement pour lui attraper le bras et le mener contre le genou, avec la ferme intention de rompre. Mais la rapidité était du côté de l’initiateur au briquet envolé. Ainsi, dans le cas où le balayage échouerait, du revers s’ensuivrait une suite de coups, d’abord de poing vers le foie, puis de pied vers l’entrejambe offerte à l’air libre.

Dans l’hypothèse où l’adversaire se soustrayait à l’étreinte des deux identiques, ces derniers l’accompagneraient avec ferveur, cherchant à tout prix la proximité.

Un sourire carnassier éclairait les deux visages, et une phrase fut soufflée entre des dents voraces :

"Ici, nous sommes au terminus …"

Une vague de satisfaction souleva le public. Enfin, ça commençait !

Minable ! Pathétique ! Vraiment très drôle ! Le sens du spectacle, ça ? Une diversion puérile et sans la moindre subtilité pour lui filer un coup de poing sonnant droit dans le faciès ! C’était donc tout ce que sa magie pouvait faire ? Pas d’explosion, pas de feux d’artifices, pas de mise en scène spectaculaire, même pas de briquet à allumer ? N’empêche, il avait mis les pieds dans la supercherie sans se douter une seule seconde de ce qui allait suivre et méritait bien ce qui lui arriva à cet instant. Un coup pris en pleine poire, suivi de tentatives d’immobilisations qui auraient pu mettre un terme à ce combat avant même qu’il ait commencé. S’il avait observé la scène, il aurait poussé un soupir et aurait secoué la scène de pure déception. Tant par le manque de spectaculaire de cette mise en bouche avait suggéré que par l’absence de réaction de Lucien face à un piège aussi grossier. Néanmoins, n’étant pas l’un des visiteurs de l’arène venu prendre plaisir à voir des voyageurs se mettre sur la gueule, il ne fit rien de tout cela. Tout ce qui lui passa par la tête, en dehors de cette main douloureuse, fut l’idée qu’on cherchait à le faire tomber et que la meilleure stratégie à adopter pour y répondre était de couper l’herbe sous le pied de ses adversaires. De fait, en chutant de son propre chef, il esquivait toutes les autres tentatives de l’attraper et d’user de clés de bras ou encore de le frapper à des endroits où il n’était plus. Face à l’injustice totale qui faisait de lui un être seul et nu lancé contre deux adversaire identiques et habillés, il accepta de recevoir l’impact du sol sur ses fesses que le vent baptisait jusqu’à lors de baiser rafraichissants. Le coup au coccyx fit remonter en lui une boule dans la gorge, qu’il laissa s’exprimer en larme sans même y prendre garde. Sur le moment, un pied se dirigeait vers lui et il estima qu’il devait plutôt ce soucier de ce phénomène.

Il attrapa le membre qu’on cherchait à lui envoyer et le cala sous son aisselle, quitte à y récolter un bleu. De là, il planta le manche de son marteau dans le sol, visa avec la tête de métal l’entrejambe du second larron – celui qui avait encore ses deux jambes libres – et agrandit subitement son manche. Un instant, le marteau avait un taille normale. Le suivant, il faisait six mètres de long et venait de repousser d’autant l’un des deux adversaires selon un angle d’environ 45° et en le frappant dans un endroit sensible. Pas le temps, hélas de vérifier l’étendue des dégâts obtenus, le marteau de trouva sa taille normale et il se tourna vers celui dont il avait capturé la jambe.

« Je l’ai, je la garde. » commenta-t-il entre ses dents pour lutter contre la douleur du coup de poing initial.

Puis, s’agrippant toujours à la jambe de son agresseur, il leva son marteau de sa main libre pour frapper le membre capturé, avec toute sa force et avec un poids monstrueusement accentué. De quoi briser des os. Que l’autre essaie seulement de l’arrêter et il aurait une mauvaise surprise.

Il aurait pu faire une pirouette en arrière et retourner la jambe de son adversaire. Il aurait pu se lever et mettre la tête de son adversaire à l’envers. Il aurait aussi pu se mettre à chanter l’intégrale des Beatles, mais l’utilité d’une telle stratégie restait à déterminer. Cependant, il n’avait rien fait de cela. Il avait levé son marteau et s’était apprêté à frapper la jambe avec son marteau, histoire de la briser. C’était une tentative qui venait avant tout de la colère. Il avait envie de frapper quelque chose et de le frapper le plus fort possible afin de le fracasser. L’idée même de victoire l’avait quitté à cet instant, si son coup la lui apportait, probablement ne s’en serait-il rendu compte qu’après du résultat. Mais, naturellement, il ne parvint pas à toucher avec une attaque aussi primaire. L’autre réagit assez vite pour dévier son arme afin qu’elle lui retombe dessus et l’immobilise probablement. Cependant, si l’attaque fut déviée, le contre espéré ne fut pas au rendez-vous. Lucien n’allait pas laisser ce marteau l’écraser, son instinct avait l’habitude de se protéger de ses propres attaques lorsqu’elles menaçaient de le toucher. Immédiatement, le poids disparu et lorsque l’arme se retrouva en travers de lui, elle se déposa sur le contrôleur sans faire le moindre mal.

Il n’avait pas lâché la jambe et ce fut naturellement ce qui provoqua une autre tentative de la part de son adversaire : celle d’approcher pour mordre. Les spectateurs, à cet instant, devaient hausser des sourcils étranges. Les deux adversaires étaient au sol, collés l’un à l’autre et prêt à se donner des coups à bout portant. Pour un combat de voyageurs plus ou moins expérimenté, ça manquait clairement de spectaculaire. On aurait dit deux enfant se rouant de coups et attendant qu’un maître ou une maîtresse ne vienne les séparer. Mais cela n’importait pas pour Lucien, tout ce qu’il voyait c’était qu’on essayait de l’étouffer et de le mordre. Une solution se présenta immédiatement à lui, l’une des attaques reposait sur une arme qu’il contrôlait. L’autre approchait dangereusement un autre point sensible de la portée du fou dénudé. Alors, il ne restait plus qu’à frapper. Encore une fois, l’ouverture était là, il suffisait de la saisir. C’était déjà, son pouvoir à l’autre ?

Il rapetissa son marteau d’un seul coup, se libérant de l’étranglement et libérant celui-ci des mains adverses. D’une torsion de poignet et la tête de métal se retrouva tournée vers les dents qui menaçaient son autre main. Un agrandissement de plus et le coup porta, droit dans le nez adverse, pour le sonner un peu. Puis, il se jeta sur Khildar, corps et âme. Inutile de tergiverser plus longtemps. Il renversa la situation en se jetant pour se placer au-dessus, à califourchon sur le torse de l’ennemi. La position idéale pour frapper au visage son adversaire et ainsi espérer le faire perdre connaissance… ou répandre sa cervelle par terre. Il avait rapetissé son marteau pour le laisser au creux de son poing. Il était temps de frapper les dents adverses, à répétition.

« Mange plutôt tes dents… » grogna-t-il.

Il marqua comme une pause.

« Et laisse mes parents en dehors de tout ça. »

Ses parents ? Comment ça ses parents ? Mais qu’avait-il donc avec ses parents ? Pourquoi insistait-il sur ce fait un peu étrange et voulait-il absolument lui dire quelque chose à ce sujet, c’était… étrange. Néanmoins, cela troubla suffisamment Lucien qui se mit à penser à eux, pour la simple raison absurde qu’on les mentionnait dans une situation qui ne s’y prêtait pas du tout. Le fait qu’on lui demande s’il s’était assuré de leur sécurité était probablement le plus bizarre dans cette affaire. De façon très sérieuse, ce n’était pas à lui de s’assurer qu’ils aillent bien, ils étaient assez grands pour se débrouiller tout seul. De plus, l’éducation de Lucien avait été plutôt froide, stricte et distante, ce qui avait notamment produit chez lui la déficience psychologique qui l’avait ensuite conduit à sa folie dreamlandienne. Le respect des règles qu’il ne fallait jamais briser, l’isolement dans lequel ils le contraignaient l’avait poussé à se réfugier dans ce monde de limites fixes et absurdes. Puis, plus tard, à vaincre sa peur du chaos qui résulterait de la moindre infraction auxdites règles. Son esprit déjà dérangé et en dehors des réalités en était venu à toutes ces autres conclusions qui faisaient de lui le dangereux individu qu’il était. Mais aujourd’hui qu’il se considérait libre de toute contrainte, celle que représentait ses parents naturellement avait été rejetée, purement et simplement. Il en savait à présent plus qu’eux puisqu’il était devenu voyageur et cela en faisait des êtres sans intérêt pour lui. Malgré leurs tentatives répétées pour revendiquer leur parenté, il les ignorait tout simplement. Ce qu’il avait répondu tout à l’heure était une manière de dire « arrête de dire n’importe quoi », et non une façon de montrer l’importance qu’ils avaient pour lui. Veiller à leur sécurité ? Et puis quoi encore ? Ce n’était qu’une absurdité destinée à le déconcentrer…

Et qui du coup, fonctionna à merveille. A force de ce dire que l’autre ne tournait pas rond – alors que lui-même, franchement… - il avait laissé à celui-ci le temps de réagir proprement, sans le frapper. Une coup de hanche le fit presque valdinguer et en serrant ses propres cuisse il ne parvint même pas à se maintenir réellement en place. Il fut envoyé un peu plus vers l’avant et mis un temps avant de réaliser qu’il était au moins parvenu à rester en place. Une main attrapa son bras droit pour lui faire subir une torsion douloureuse et l'écarter, il résista de toute sa force pour tenter de la maintenir en place. Un coup s’envola vers son flanc gauche et il cala son autre bras contre celui-ci pour l’intercepter, ce qui fit largement souffrir son membre, assez pour le mettre hors jeu quelques instants. Il fut content de ne pas avoir reçu cela dans les côtes où ailleurs, ce qui l’aurait probablement désarçonné complètement. Puis, il réalisa, l’instant suivant, qu’il aurait peut-être mieux valu. Car à présent, son appendice masculin se trouvait à portée d’une dentition qu’il n’avait même pas eu le loisir d’entamer. Il vit, comme au ralenti, la bouche de son adversaire s’ouvrir et toute la stupidité d’apparaître nu dans l’arène lui remonta dans la gorge. Puis, il y eut comme un déclic dans son esprit, malgré sa position désavantageuse, il avait toujours une arme dans la main que l'autre essayait d'écarter, si petite soit-elle. Et il suffisait d'une inclinaison du poignet ou de ses doigts pour la guider dans la bonne direction. Sans réfléchir, il agit et agrandit son marteau, non pas pour frapper, mais pour s’introduire dans la bouche et ainsi opposer une résistance entre les deux sections de dents de son adversaire, un instant avant que la mâchoire ne se referme et ne provoque en lui la pire des douleurs.

Lorsqu’il réalisa que les dents s’étaient refermées sur la tête de métal, il fit un bref mouvement du bassin pour retirer son sexe de la zone de danger imminent. Puis, il réalisa qu’il avait réussi à placer son marteau dans la bouche de l’adversaire. Il agrandit le manche de façon à ce que la tête entre parfaitement entre les rangées blanches, au niveau du palais. Et là, comme une fleur, il augmenta les proportions de la tête pour qu’elle écarte progressivement le haut du bas. Il mit une seconde de plus à réaliser qu’il avait son marteau dans la gueule du loup et qu’il lui suffisait d’une pensée pour l’agrandir drastiquement et déchiqueter le crâne de son adversaire. Probablement que lui aussi en était conscient. D'un geste brusque, Lucien dégagea son poignet de l'emprise adverse et agrippa sa seconde main au manche afin de s’assurer qu’on ne chasse pas son arme de là. Il aurait pu l’étouffer aussi, mais il ne le fit pas. Il maintint simplement son marteau là, dans cette position et à cette taille, dans la bouche adverse et fixa avec fureur celui qui avait voulu l’amputer de ce bout trop précieux.

« Un mouvement et j’agrandis mon arme. » gronda-t-il. « Un mouvement et j’explose ta petite caboche. »

Naturellement, il ne déconnait pas. Les règles du tournoi, ça allait bien cinq minutes, mais il restait un fou sanguinaire et son cœur battait encore trop sous l’effet de la peur et de l’excitation pour qu’on ne puisse pas se dire qu’il était au moins un peu trop nerveux pour réfléchir posément. Il avait déjà tué des voyageurs, cela ne le dérangeait pas outre mesure de recommencer. Il lui suffisait d’une pensée pour vaincre et celle-ci signifiait la mort. Mais l’autre irait-il défier cette menace en croyant que le contrôleur du chaos respecterait les règles ?

Le public retint son souffle.

Une poitrine poussa sur le torse de son adversaire et, d’une manière ou d’une autre, Lucien analysa cela comme un mouvement, de la même veine que l’approche de l’étrange double qu’il avait mis au sol quelque temps plus tôt. C’était donc que l’autre ne se pliait pas à sa volonté de victoire et avait choisi la mort plutôt que la vie. Sandman était donc prêt à respecter le choix de son adversaire et à mettre un terme à son existence onirique pour avoir tenté de lui mordre les parties. Alors même que la transformation n’était pas complète et juste avant que l’autre ne commence à essayer de sucer son arme, d’une simple pensée préparée à l’avance, le contrôleur du chaos fit mouche. Il agrandit brutalement son arme de façon à ce que la tête de métal ait une taille de fois supérieure à la caboche de sa victime. Une gerbe de sang et de cervelle remplaça le crâne déchiqueté de… la démone ? Quel était donc ce maléfice et ce tour du sort ! Voilà que le voyageur s’était transformé en son invocation et qu’elle avait pris le coup à sa place ? Cela enragea Lucien qui croyait bien avoir achevé la bataille à cet instant. Ce mauvais tour lui laissa un petit goût amer dans la bouche, il avait beau avoir tué l’une des créatures de son adversaire, il était à nouveau obligé de se battre et avec un bras complètement engourdi de surcroit. Ce n’était vraiment pas juste !

Il faillit faire une réclamation à l’arbitre, persuadé qu’il aurait déjà gagné, lorsque l’arrivée de deux autres individus sur ses côtés l’alerta qu’on essayait de lui faire mal. Lequel était l’invocation, lequel était l’invocateur, il était bien incapable de le dire. Tout ce qu’il savait était que le danger venait des deux côtés et qu’il n’aurait aucune chance s’il restait là. De sa main valide, il abaissa le manche vers lui, rapetissant la tête. Puis, s’accrochant du mieux qu’il put, il agrandi brutalement la partie boisée du marteau. En un instant, il fut projeté de six-mètres vers l’arrière et échappa de justesse à la pluie de coups qu’on lui destinait. Le marteau, bien incapable de supporter un tel poids à l’une de ses extrémités, alla pour retomber mollement sur le sol et Lucien se reçu maladroitement sur les fesses. Un coup qu’il aurait préféré éviter, mais qui était tout à fait raisonnable comparé à la perspective d’être pris en étau. Son marteau regagna sa taille normale et d’une roulade il se releva en grommelant. Il avait été à ça ! à ça ! de tenir son adversaire et d’emporter la victoire. Evidemment, l’autre ne se laisserait plus prendre au jeu de la mâchoire à présent.

« Crétin… » grogna-t-il pour lui-même, se soulageant un peu à l’idée d’insulter son adversaire.

Bon, la situation ne se présentait plus aussi bien. Il n’était pas encore fatigué, mais les quelques coups qu’il avait reçu restait comme des douleurs persistantes désagréables. Son bras gauche n’était plus vraiment en état de se battre, alors que l’adversaire était plus ou moins en bonne forme, doublement d’ailleurs. Cette injustice lui pesa un instant, il pourrait encore se battre, bien sûr, mais il n’aurait certainement plus d’occasion comme celle-ci. Et de combien d’invocations l’autre disposait-il ? En avoir détruit une n’était pas nécessairement un gage de réussite. Lucien détestait les invocateurs. Il décida de le manifester.

Il tira la langue à l’intention du lord et y ajouta un doigt d’honneur bien senti.

Il n’attaqua cependant pas, préférant rester aux aguets et se préparer à recevoir un nouvel assaut. Il avait au moins compris deux choses : son adversaire pouvait se transformer en invocation, et lui et son double encaissaient les mêmes coups. Il n’avait qu’à frapper l’un pour toucher l’autre. A voir ce qu’on lui opposerait cependant.

L’autre commençait à l’agacer, ouvertement. Il avait l’air de ne pas vouloir spécialement réagir et de faire chanter le public plutôt que de s’intéresser au combat. Certes, Lucien lui avait laissé l’initiative, mais ce n’était que par goût du jeu, pas spécialement pour mettre un terme à leur altercation et décréter un statut quo. Comme l’autre n’avait pas spécialement cherché à l’attaquer et s’était contenté de garder ses distances, le contrôleur du chaos avait décidé de lui apprendre à rester ainsi loin de lui. Il avait lancé son marteau vers l’avant, cherchant à toucher l’ennemi pour le faire tomber et lui rappeler ses devoirs d’adversaire. La tentative avait purement et simplement échoué et son marteau s’était arrêté à quelques centimètres de l’un des clones, avant de retomber mollement dans la poussière, inutile. Lucien ne l’avait rembobiné que deux secondes plus tard, surpris. Il y avait une limite à ses compétences ? Il n’avait jamais remarqué. Jusqu’à présent, il avait toujours évalué les distances et s’était toujours débrouillé pour toucher ses cibles. Maintenant qu’il y pensait, aucune cible n’avait jamais été aussi loin. C’était peut-être pour cela. Il s’était donc avancé de deux pas vers l’avant, pour recommencer l’action avec plus de succès cette fois. Il n’était pas allé jusqu’au bout, l’autre s’était reculé et un mouvement derrière lui l’avait alerté.

Le double avait chargé. Lucien, ravi, s’était plutôt envolé de ce côté, avec la ferme intention d’en découdre. Tout cela pour découvrir qu’on l’esquivait à nouveau et qu’on cherchait à nouveau à le prendre à revers ? Mais quelle était donc cette tactique qui visait à le faire tourner en bourrique ? Il grogna, trouvant cette situation ridicule et énervante. Ce n’était pas l’idée qu’il se faisait d’un bon combat et si l’autre voulait l’épuiser c’était rappé. Malgré ses douleurs persistantes, il reprenait son souffle depuis tout à l’heure et ne bougeait pas encore assez vite pour se fatiguer davantage. Il avisa le premier, puis, le second de ses ennemis. Il finit par pousser un long et puissant soupir. Puis, sans attendre davantage, il décida de prendre les choses en main, afin de montrer le ridicule de la stratégie adverse selon sa propre opinion. Il se mit subitement à courir. Mais non pas vers l’un ou l’autre, simplement vers les limites de l’arène, qu’il atteignit sans difficultés. Là, il se cala dos à la paroi et toisa ses deux adversaires. Voilà, qu’ils essaient de le prendre à revers à partir de maintenant.

« Bien, quand tu seras décidé à te battre un peu, tu me feras signe ! » lança-t-il à l’attention de l’autre.