Première manche, troisième partie !

Arène numéro 9

         


Alan Rin Vs Jack Stronger

Dans la vie, il y a des situations plutôt compliquées à appréhender. Par exemple, si l'on est installé dans un grand bus presque vide, on peut s'attendre à ce que les prochaines personnes à monter ne s'assoient pas sur les sièges contigus au nôtre par souci de politesse. Le fait que les hommes s'éparpillent équitablement dans tout lieu public munis de places assises comme le ferait du gaz est presque une règle sociale. Cependant, il arrive parfois qu'un inconnu, par distraction ou simple volonté sadique de réduire l'espace vital d'autrui, s'asseye incompréhensiblement proche de nous alors qu'il y a un infinité de banquettes libres à disposition. Cela est très agaçant. Et si vous pensez ça, vous êtes des petits joueurs.

Si vous trouvez cette situation désagréable, que diriez vous si vous avez vécu ce qui m'est arrivé ? Que diriez vous si, installé dans un lieu vide munis de places assises innombrables, vous étiez encadrés par deux individus qui avaient pourtant très largement la place de s'asseoir ailleurs ? Que diriez vous si ces deux hommes, vêtus de costards et de lunettes noires, menaçaient de vous écarteler au moindre faux geste ?

Cette nuit là, je compris enfin ce qu'était 'une étroite surveillance'. Je me trouvais dans une navette spatiale qui aurait pu transporter une bonne trentaine de personnes sans avoir à les tasser, et pourtant, nous n'y étions que trois. Moi, le monstre à ma gauche et la montagne à ma droite. Derrière ces métaphores peu rassurantes se cachaient les deux agents de sécurité qui étaient censés ''m'escorter'' durant le trajet. En fait de m'escorter, leur mission était probablement de me broyer entre deux doigts au moindre geste suspect. J'avais l'impression d'être un voyageur killer menaçant le royaume par sa simple présence.

La petite musique d’ascenseur qui résonnait dans la pièce, s’évertuant à peine perdue à détendre l'atmosphère, était le seul son audible dans la navette. Il y avait une telle tension dans l'air que je m'étonnais que mes nerfs ne m'aient pas encore lâché. Je tentais un petit coup d’œil à ma droite pour rencontrer le regard menaçant d'un de mes gardiens abrité sous une paire de lunettes noires. Par communication visuelle, mon ''garde du corps'' m'expliqua qu'il pouvait me tuer avec ces dernières de dix-sept manières différentes si j'osais seulement changer la cadence de ma respiration. Ma vision se focalisa de nouveau sur le dos de la banquette qui se trouvait devant moi, et y resta solidement agrippé.



Heureusement pour moi, Hugin était trop occupé à admirer l'extérieur de la navette pour provoquer mes gardiens. Il s'émerveillait de chaque étoile comme un gamin tout en lançant quelques croassements appréciateurs. Munin, lui, restait stoïquement perché sur un dossier de siège un peu plus loin. Au moins, je pouvais m'estimer chanceux d'avoir les deux corbeaux avec moi pour la suite des événements. Ils avaient été traités par les administrateurs du tournoi comme étant des invocations, et je m'étais bien gardé de les contredire. Je n'aurais jamais risqué de me voir dépourvu de leur assistance dans les combats qui allaient suivre, ça aurait été aussi stupide que de jeter ma seule arme à la poubelle. Quand bien même il ne s'agirait que d'un gourdin, la corbeille en aurait moins besoin que moi.

Car je devais combattre seul, paraît-il. Sans mes équipiers. Ceux-ci devaient se battre contre d'autres personnes, dans d'autres arènes. Je me demandais pourquoi, selon l'organisateur de cette mascarade, combattre en équipe signifiait affronter séparément ses adversaires respectifs puis mettre ensuite en commun les victoires et les défaites. Pour couronner le tout, ces équipes étaient formées en tirant ses membres aléatoirement. À croire que le véritable objectif de ce tournoi n'était pas de former des combats entre équipes mais au sein même de ces équipes, en y semant la zizanie. Heureusement pour moi, J'avais eu la chance de tomber sur un groupe agréable, qui souffrait seulement de ''légers'' soucis d'organisation (Si ce texte avait été muni d'une bande son, on aurait entendu quelqu'un tousser). Je connaissais deux des trois membres avec qui j'avais été affilié : Noah, que j'avais rencontré pour la première fois sous une apparence moins... Virile que celle qu'il avait actuellement, ainsi que le fameux Nedru Etol, un personnage mystérieux avec qui j'avais noué une relation d'amitié étrange, qui mêlant notre curiosité respective et nos propres intérêts. En ce qui concernait Lena, que je ne connaissais pas il y a peu, je la trouvais plutôt sympathique bien qu'un peu caractérielle. Mais qu'est-ce qu'on y pouvait, si elle était obligée d'être l'as de cœur ? En dehors d'elle, nous étions tous des hommes, et notre sexualité n'était pas discutable.



D'un tapotement sur l'épaule léger mais implacable, mon gardien de gauche me fit signe que nous étions arrivés. Je me levais sans assurance et me fit escorter en dehors du vaisseau. Mes chiens de garde m'accompagnèrent jusqu'à l'entrée des artistes du Colisée spatial : Deux impressionnantes portes automatiques qui s'ouvrèrent sur mon passage, libérant une vague sonore qui m'aurait fait fuir si cela n'avait pas donné un prétexte aux deux vigiles pour tester leur nouvelle technique de massage. Les portes coulissantes se refermèrent derrière moi avec le bruit que font mes espoirs quand ils sont broyés, me laissant seul avec l'immensité de... De tout, en fait.

Immensité de l'arène, immensité des gradins, immensité du nombre de spectateurs, immensité de la vitre qui servait de plafond laissant apercevoir l'immensité de l'espace, ainsi que mon immense envie de devenir une simple partie de toute cette immensité, plutôt que d'être le point focal sur laquelle celle-ci se concentrait. Putain, j'ai le trac.

Tout ceci est ridicule. Déjà, pourquoi l'arène est aussi grande ? Pensent-ils vraiment que les combattants vont faire quelque chose de cet espace inutilement vaste ? Nous sommes des êtres humains, pas des dragons, s'ils ne savaient pas quoi faire de toute cette étendue, ils auraient pu essayer d'y cultiver des pommes de terre !

Quoique... Je grattais le sol du bout du pied, essayant d'analyser sa composition. C'était un genre de sable trop condensé pour le projeter dans les yeux de l'adversaire, et si on voulait parler en termes de cultivabilité, même une femme en train d'accoucher aurait refusée d'y pousser. Le genre de parterre qui n'avait pour seul objectif que d'être du parterre, et d'être suffisamment solide pour supporter le poids des différents combattants, même celui des plus gros. Je relevais la tête pour observer celui qui allait avoir la chance d'être mon adversaire pour ce match. Il portait des vêtements normaux à l'exception d'un masque étrange qui ressemblait légèrement à une tête de corbeau. Je souriais à l'ironie de la situation puis m'interrogeais. Ce déguisement qui semblait être la ''marque de fabrique'' de la team adverse n'était il pas un inconvénient plus qu'autre chose ? Comment arrivaient ils à voir correctement avec ça ? De plus, rien ne me serait plus facile que de saisir ce long bec puis de le remonter pour aveugler mon adversaire. C'était débile de la part de cette équipe que de se désavantager avec un handicap de ce genre. Il était heureux pour eux que nous ne soyons pas le genre de team qui en profiterait.



J'aspirais un grand coup avant de rentrer dans la peau du personnage que je m'étais créé. Je m'avançais avec assurance vers mon futur rival en saluant le public avec de grands gestes de la main. Une fois suffisamment proche de celui que j'allais affronter, j'affichais un sourire sarcastique avant de prendre la parole.

''Salut copain ! Ça te dit un petit jeu ?''

Je fis un nouveau pas en avant et j'écartais les bras.

''Tu trouves pas que le terrain soit chiant ? Et les règles du combat ? Et si nous changions un peu tout ça ?''

Je fis un haussement d'épaule méprisant puis pointait du doigt mon adversaire en fermant un de mes yeux, puis continuait avec une voix forte dans un demi-sourire.

''Voilà ce que je te proposes : Je dispose par une heureuse coïncidence de deux volatiles obéissants comme deux petites marionnettes.
-Je ne suis pas une petite marionne-
-Tu as déjà porté une pierre à bout de bras jusqu'à ce que tu n'en puisses plus ? Le petit jeu que je viens d'improviser fonctionne de la même manière.''

Je tendis le bras en avant, puis lançais un regard équivoque à Munin qui vint s'y percher. Je repris la parole.

''Voilà, c'est la position dans laquelle nous devront rester immobiles jusqu'à ce que l'un de nous deux flanche. Et le premier qui flanche devra abandonner dignement le combat. Les deux oiseaux ont le même poids. Si tu ne me crois pas, tu n'as qu'à choisir celui qui se perchera sur ton bras.''

Le corbeau qui se tenait sur le mien le quitta et j'adoptais une posture plus naturelle. Je continuais d'une voix amusée.

''Ce petit jeu nous évitera de finir la gueule en sang, et amusera sûrement le public. Il faut prendre soin de nos spectateurs n'est-ce pas ? Si tu n'es pas intéressé, proposes toi même ton propre défi si tu penses qu'il est meilleur que le mien. Alors, mon cher...''

Je fis un nouveau pas en avant et fis une courbette provocatrice. Je relevais la tête et terminais par le credo de mon équipe.

''Voulez vous jouer ?''