"Mh, j'me sens pas très bien là..", grommela la blonde.

"En même temps, t'as l'air d'avoir sacrément picolé avant de te coucher."

"T'imagines même pas à quel point.
Je ne sais plus exactement ce qu'il s'est passé hier soir..
Y'avait des capsules un peu partout, je crois qu'on s'amusait à les mettre dans notre bouche et à les cracher le plus loin possible. Ou dans la bouche d'un autre. C'était p'têtre des verres en fait.. J'ai pas embrassé un type aussi tiens ? Bwaaaarrgh.."

"Tu sais t'amuser ? Toi ?", fit une Bis fort étonnée.

"Ouaiiiiis !
Pour m'ôter ces nausées, je propose le BAAAAAAAAR !"

Un soupir plus tard, voilà que la jeune femme tituba au premier bar à proximité.
Sa vue se floutant par moment, elle plissa les yeux pour parvenir à lire l'enseigne: "Blablabla". Hé hé hé.. Sérieux ? Bwarf ! Peut-être qu'elle n'arrivait plus à aligner deux mots aussi. Elle voulut ouvrir la porte, mais n'y parvint pas. Mais où qu'elle est cette poignée, j'la vois pas ! Et puis merde. Lithium voulut donner un bon coup dedans, mais elle frappa dans le vide. Beuh, pourquoi ..? Parce que y'a pas de porte, duconne ! Ah oui tiens. Bon, cool ! Alors qu'elle voulut entrer se désaltérer, elle se vit violemment bousculé par une fougère bien odorante. Mais vas-y dégages toi ! Elle hurlait à tout va qu'il y avait un fou dans la ville. Et si toi-même t'étais fou, hein ? Tu dirais quoi ? Une fois que la plante partit en courant, toujours en beuglant, la voyageuse put enfin entrer en ces lieux.
Wouhou, quelle ambiance de folie ! Des gens, pleiiiins de gens ! Des bouches géantes aussi, ouaaah. Pourquoi les gens se battent là-bas ? Aimez-vous les uns les autres ! Et buvez un coup aussi. Elle avança vers le bar, et avant de dire quoi que ce soit, se retrouva avec la main prise par une immense pinte arc-en-ciel. Ouaiiis, merci mec, t'as tout compris ! Elle porta la choppe à ses lèvres et s'abreuva allégrement. Hé, ça va déjà mieux !

"UNE AUTRE, mais à emporter siouplaît !"

Elle récupéra son dû et tourna la tête vers la baston en cours.
Et si elle allait y faire un tour ? Elle but à nouveau une gorgée, attrapa une chaise et la jeta avec la force d'un bourré dans la masse.

"Vous allez vous aimer bordel de merde ?", sourit niaisement la blonde.

Elle eut pour seule réponse, la chaise en retour.
Malgré le fait qu'elle était complètement alcoolisé, ses réflexes restaient plus ou moins en état de fonctionner. Elle se pencha sur la droite pour esquiver le projectile, qui partit s'écraser quelque part elle-ne-savait-où, puis avalant le reste de sa pinte, elle se jeta dans la baston. Wouuuuh ! Ce fut très sympa comme échange. Un pied, un coude, AH, un morceau d'aile non ? Accessoirement, elle brisa son verre sur la tête d'un type, dont elle se servit ensuite comme massue pour en écraser un autre. BASTOOON ! Oui, tu m'as appelé ?

Vous savez, je ne m’en étais peut-être pas rendu compte avant, mais je n’étais pas face à n’importe qui… J’avais couru, j’avais été blasé, les seules justifications pour que je ne fasse pas gaffe à ce pauvre Voyageur jusqu’à ce qu’il me retire la fourchette de mon dos (la douleur resta une information superflue qui était rapidement mise à l’écart par mon cerveau malade), mais après avoir terminé la première bière, wohaoh.

Je ne savais pas comment il s’appelait, je ne savais pas quelle était sa véritable phobie, je ne savais pas non plus ce qu’il trafiquait, mais je le trouvais séduisant… Je ne disais pas ça sexuellement, mais plutôt attractif, comme si… si mes pensées convergeaient vers lui, comme si le swag de cet homme, devenant une entité massive, soumettait à la gravitation la moindre de mes réflexions. Il était tout simplement devenu la personne la plus intéressante de l’univers. Il ne resplendissait pas, il semblait… présent en quatre dimensions plutôt qu’en trois, il était d’un naturel tellement terrifiant qu’il en devenait divin. Très simple, la bagarre qui sévissait à-côté, emportant dans un raz-de-marée de plus en plus de participants ne fut qu’une anecdote soigneusement rangée aux archives alors qu’elle n’était même pas terminée, tandis que tout mon esprit, tout mon être, tout mon MOI si vous voulez, attendait un écho avec cette entité irrésistible qu’était la personne en-face de moi.

Il s’appelait Flavien. Maintenant qu’il le disait, je me sentais stupide de ne pas l’avoir trouvé de suite, car le prénom était aussi parfait que lui. Bien équilibré, peu courant mais pourtant touchant à l’oreille, ce prénom s’accordait même la divine magnanimité pour accorder une lettre rare, le « v » en son milieu parfait. Flavien. Pas une seule lettre au-dessus de l’autre, le travail était bien réparti entre les consonnes et les voyelles. Je fus si estomaqué que je ne pus me résoudre à lui répondre, honteux de mon propre patronyme, ce « Ed » rapidement dit, rapidement fait, rapidement oublié, cette sorte d’accent dans le silence, désagréable à cause de la mocheté du E, un simple « è » ainsi que de la mauvaise volonté du D qui terminait mon nom sur une note trop rapide. En fait, je restais immobile, tout à fait, le regardant, la bouche un peu entrouverte, tant la contemplation de cette personne était au-dessus de tous les mots et de toutes les réactions. Ce fut pour ça que je n’entendis pas la serveuse arriver et lui dire :

« Vous fatiguez pas, il a pas bu la bonne bière, ça lui a détruit le cerveau. » Elle emporta les pintes et continua en mâchant sa cigarette (oui oui, en la mâchant) : « Maintenant, vous pouvez lui demander tout ce que vous voulez, il vous obéira au doigt et à l’œil. »

Je n’aimais pas le ton qu’elle prenait, on dirait qu’elle ne comprenait pas qu’elle parlait à une telle supériorité qu’on n’avait pas inventé de mot pour lui rendre hommage, cette sorte de présence si puissante qu’elle absorbait toutes les mœurs, toutes les croyances, afin qu’il ne reste plus que lui.

Quand on regagne le bar la moitié des gars se tapent dessus avec tout ce qu'ils trouvent. Et vas-y que je te tire les cheveux. Et vas-y que je te casse un verre sur la tête. Il est en train de se passer un truc monstre juste en dehors et ces gars-là n'en ont aucune idée. Je n'irais pas non plus jusqu'à dire que je comprend ce qui se passe mais une chute de renault espace familial sur la gueule n'a jamais fait de bien à personne. Et ces rayons qui perçaient le ciel. Quelqu'un dehors est en train de reconfigurer la ville et quelqu'un capable de reconfigurer un royaume n'est pas quelqu'un que je souhaite rencontrer. Il faudrait que je prévienne tous ses types dans le bar mais ils ont l'air de tellement s'amuser et moi je déteste gâcher les surprises. J'attrape l'épaule de Marv qui s'est arrêté à la vue de la bagarre mais il se retourne et son pote Jack le poing furax me rougit les narines. Marv se précipite dans le chaos de coups et d'ivresse, glissant, trébuchant, se faisant bousculer de toute part. Le truc quand vous rentrez dans une bagarre c'est de garder son calme.

Je suis Marv en marchant perdant en vitesse ce qu'il gagne en emmerdes. Je me baisse sur mes appuis pour éviter les tabourets trop prévisibles, j'enjambe les corps évanouis qui jonchent le plancher imbibé d'alcool et réceptionne même le bras d'une blonde enragé qui gigote en tout sens dangereusement pour l'accompagner dans son geste dans un tour de salsa. Ça baigne. Devant y'a Marv qui se prend pour une balle de flipper et qui rebondit, rebondit, rebondit encore sur chaque créature qu'il croise. Mais quel andouille. Deux types viennent se percuter devant moi, tête contre tête dans un combat de bélier et m'empêchent de voir ce con de Marv. Quand j'arrive enfin à passer, y'a Marv qui me fais face à quelque mètres un air triomphant sur le visage. A côté de lui le vigile me toise de deux têtes et d'un sourire niet. Mauvais joueur. Ce type là, on dirait l'homonculus de penfield. Vous savez ce gros machin qu'on croirait en chewing-gum avec ses paluches immenses et ses lèvres comme des canapés en cuir italiens. Ce type là, je lui fonce dessus en imitant les deux derniers crétins mais c'est comme pousser une montagne, c'est une perte de temps. Ni une ni deux qu'il me choppe et m'envoie valser sur le brun que même sa blondasse de pote bave devant. Messieurs, que je leur dit en me relevant. Puis je retourne face au goliath. Impossible de l'atteindre et ses amples mouvements de bras m'obligent à reculer vers un des murs du bar. Avant qu'il ne m'y accole complètement, je profite d'une baffe trop puissante qui l’entraîne par sa force pour me jeter dans son dos. Là j'appelle la cavalerie. Le cochon apparaît et expulse en un « bouing » l'homonculus, l'explosant dans la façade.

- Nom de code ?! Qu'il hurle avant même de chercher à comprendre ce qu'il se passe.

- Berlioz et Toulouse.

- Mais c'est même pas un duo ! Ça n'a pas de sens sans la petite chatte blanche !

- Le truc avec toi Toulouse c'est que tu en veux toujours trop.

- Et qu'est-ce qu'on fait là Berlioz ? Rétorque t-il boudeur.

Je lui pointe Marv du doigt. Voilà ce qu'on fait là.

"Je crois que je vais vomir..", balbutia Lithium.

"Ah non, te béger pas dessus !
Ravales, RAVALES !", s'affola Bis.

Ses nausées grandissaient à mesure qu'elle gesticulait dans la bagarre.
Elle crut même danser quelques secondes, mais n'y prêta aucunement attention.
La voyageuse était bien trop occupée à ralentir le plus longtemps possible la fin de sa dignité. Alors qu'elle était au bord de l'explosion gastrique, un hurlement se fit entendre et des ronces apparurent à nouveau. Encore ? Mais il crache des plantes dès qu'il se mouche ou quoi ?! Sérieux mec, prend du Fervex ! La demoiselle se piqua le doigt en voulant s'extirper de ces dangereux feuillages, et crut un instant qu'elle allait défaillir. Je m'endors pas ? Bon, tant mieux. C'est bon, c'est redescendu ? Te vomis pas dessus hein ! Beuaaah, t'es crade ! Mais non, ça a l'air d'aller. La jeune femme sortit non sans mal de ce nœud végétal, remit ses capsules en place et sautilla à nouveau vers le bar pour une nouvelle boisson. Elle commanda un faible mojito pour se remettre d'aplomb et se rafraîchir les idées.

Elle prit un tabouret et s'assit entre deux créatures plumés et moustachues.
Pendant qu'elle sirotait allègrement sa boisson, elle sentit un léger courant d'air.
Mh tiens, que fait ce type sur le bar là ? Hé salut ça va ? Je crois que t'écrases un peu l'autre type ici présent. C'est peut-être un signe d'affection.. La jeune fille haussa les épaules et continua à boire. Puis elle vit un cochon surgir de nulle part. Non mais ça suffit d'agiter de la nourriture sous son nez oui ?! Il a l'air appétissant tout de même.. Argh, voilà qu'elle avait le ventre qui gargouillait à présent ! Il fallait qu'elle grignote un bout. Et pourquoi pas tailler un bout de gras dans le lard de ce porc grassouillet qui gesticule à côté du type chelou ? Ouaiiiiis ! Soudainement affamée, la blonde se leva de son tabouret, enjamba une ronce et avança lentement vers le cochonnet tout en se léchant les babines. MAAAAANGER !
Prête à se jeter sur la bête à et planter ses crocs, une toute nouvelle proie captiva son attention. Un rouquin venait de débouler dans le bar, hurlant à tout va que la réglisse avait envahi la ville. De la réglisse ? MAIS J'ADORE LA REGLISSE ?!! Se détournant complètement du porcinet, elle se jeta à l'extérieur du bâtiment pour découvrir le paradis sur terre. Hormis que ça manquait de Turiens par ici, il y avait de la réglisse partout, le bonheur total.

Ni une, ni deux, la voyageuse se jeta sur une maison et en arracha une fenêtre.
Elle la dévora sans somation, puis dégoupilla une porte de ses gonds avant de l'engloutir dans la foulée. Une fois digéré, elle s'agrippa au toit et se hissa sur celui-ci en une élégante pirouette, atterrissant sur les tuiles. Elle en fit sauter une du pied et l'avala sec. Elle courut ensuite vers la cheminée, découvrant une réglisse fourrée. Hé hé hé ! Profitant de sa hauteur, elle découvrit des poissons volants réglisses salés. Oh oui, les mêmes qu'aux Pays-Bas ! Elle en pêcha un et lui arracha la tête de ses dents. La dessinatrice se laissa glisser du toit, atterrit sur ses deux pattes et se mit à courir dans les rues à la recherche de davantage variétés de réglisse. Oh, ceux au miel ! Et ceux en forme de pièces, les nounours aussi (hyper durs) ! La plus belle nuit de sa vie.. Après avoir englouti plusieurs kilos de réglisse, elle finit par s'effondrer en plein milieu de la rue, repue. C'était comme à la maison.

"J'avoue que les pièces sont épiques..", rota Bis.

"T'as vu ? Un jour, je t'emmènerai.", gazouilla Lithium.

  La bagarre pouvait tapager à quelques mètres, FlaVien restait imperturbable, comme si les efforts des gens se passaient à plusieurs dimensions d’ici, et moi, trop occupé à boire de sa présence, je n’y faisais pas attention tout simplement, même quand un couteau à viande tourna devant nous avant de se planter dans un bruit mat au mur, tremblant encore de la violence du geste. Non, pas besoin, ils pouvaient y avoir des Voyageurs, des règlements de compte, des hurlements de goret, pas besoin de détourner mon attention pour les observer. Une serveuse, d’une gentillesse rare, nous donna de nouvelles pintes mais il fallait bien avouer que mon palais ne demandait pas à boire, ni même mon cerveau, je n’avais besoin que de Flavien.

  D’ailleurs, celui-ci, ennuyé (non, ennuyer n’était pas un bon verbe, cela soutenait que ce monde-ci avait des répercussions sur l’humeur de l’être divin, trouvons-mieux…)… ne semblait pas tolérer dans son plan cosmique la violence superflue des gens d’à côté, et après s’être levé, il demanda un silence d’un voix tellement pure que moi-même dans mon coin, je me fis tout-petit, encore plus silencieux que je ne l’étais déjà, m’interdisant presque de respirer pour ne pas froisser ses tympans d’outre-monde avec le son d’un léger souffle ou bien du bruissement de mes poumons qui s’enflaient. Je me sentis absolument désolé d’exister et essaya de me ratatiner pour être le moins gênant.

  Ayant eu un peu de calme suite à l’utilisation de ses ronces venues d’un monde magique que je ne pouvais appréhender, il reporta son attention (vous vous rendez compte ?) sur le vermisseau que j’étais et me posa des questions qui se gravèrent dans mon cerveau telles des écritures dans du marbre. Je me sentais vraiment ennuyé d’avoir à dévoiler mon prénom, mais il était inutile de mentir car il le CONNAISSAIT déjà, je le savais, ce n’était qu’une sorte de test, et il était si inconcevable de ne rien lui dire que cette idée n’arriva jamais à mon esprit. Je regardai vers le bas quand il fit attention à moi en me proposant un rafraîchissement, c’était bien trop. Je répondis d’une voix faible, faisant tout pour que des syllabes ne tressautent pas devant la fierté qu’il me donnait :

« Je m’appelle Ed. Et non merci. »

  Cependant, rapidement, un détail arriva à mon cerveau : la bagarre ne s’était pas véritablement stoppée, les gens ivres ne s’arrêtaient pas aussi facilement surtout qu’ils avaient de la place pour se combattre, mais si avant, je m’en fichais, Flavien avait cependant édicté un commandement qui les concernait tous et qu’aucun ne respecta. Comment… Mais comment osaient-ils, cette bande de pleutres, d’athées idiots ! Pourquoi n’arrêtaient-ils pas ? C’était tout bonnement inconcevable dans mon esprit, ça ne devait pas. On ne pouvait pas briser la règle qu’il avait instauré, l’ordre qu’il avait donné, non, c’était impossible.

  Une colère sainte bouilla en moi, une colonne de lave en fusion qui m’emplir le corps, le charbon étant cette indifférence. Ils allaient se taire de suite. Mais de suite, cette bande d’idiots ! DE SUITE, PAS UNE SEULE SECONDE DE PLUS !!!

« FLAAAAVIIIEN A DIIIT… » Je m’étais levé avec une vitesse inconcevable et m’étais emparé d’une main de la table la plus proche (six places), et je l’envoyai au milieu de la mêlée : « SIIIIIIIIIILEEEEEEEEEEEEEEEENCE !!!!! »

  La table traversa le centre de la cohue avec l’efficacité d’un tir à portant d’un fusil à pompe sur une motte de beurre à moitié fondue : la table ainsi que tous ceux qui étaient happés par le projectile traversèrent littéralement le mur en pierre et semblèrent vomis par le bâtiment en plein dans la rue. La table en bois avait été pulvérisé tandis que ceux touchés étaient couchés au milieu de la rue sous le choc. Pour me faire comprendre une nouvelle fois, je posais mon index à travers ma bouche pour leur répéter ce que Flavien avait décrété, mais seulement par le plus silencieux des gestes.

Lithium dormait tranquillement en plein milieu de la rue, n'ayant cure de ce qui se produisait autour d'elle. Il y aurait pu avoir un tremblement de terre, une éruption volcanique, elle n'aurait absolument pas réagi. Si vous désiriez la sortir de son sommeil, il aurait fallu lui apporter un Garrus intégralement nu pour la voir se jeter sur celui-ci. Sinon, nope, pas la peine de tenter le coup. La jeune femme se dorait littéralement la pilule, lorsqu'elle entendit des cris hurlant à tout va: "LE PSYCHOPATHE EST LAAAAAA, FUYEZ, FUYEEEEEEZ !"

Mh, c'est cool.
Puis un type lui marcha dessus, écrasant promptement son estomac avant de fuir.
La demoiselle cracha ses poumons, s'étouffa légèrement sur le sol et explosa en une quinte de toux, avant de se relever d'un bond. Non mais ça va pas ?! Faut regarder où vous marchez sérieusement ! Grognon, la blonde se frotta douloureusement le bidon et regarda autour d'elle. Y'a plus de réglisse.. Pourquoi ? Et pourquoi avait-elle soudainement mal au ventre ? Par curiosité, elle jeta un œil au bâtiment dont elle avait mangé la cheminée et une tuile. Oh. Non mais en fait, vous ne voulez pas savoir ce qu'elle a dévoré.. Mon dieu qu'elle se sentait mal ! Fallait qu'elle gerbe ! La voyageuse courut dans la première ruelle à proximité, déboucha un tonneau et y lâcha toutes ses tripes. Une fois vidée de tout ce qui n'était pas comestible, elle récupéra une bouteille qui traînait dans le coin, renifla son contenu -du rhum- et en haussant les épaules, s'alcoolisa de nouveau. Elle était bien trop joyeuse pour ne pas continuer à se retourner le crâne. Elle entendit soudainement un grommellement rageur.

"Mais putain, ils me font chier ces voyageurs !
'peuvent pas gerber sur le sol ? BAH NON ! Non, faut qu'ils vomissent dans la bouche de Bibi, toujours la même ! Jm'en vais te reporter ça à Statu Quo bordel.."

Et il tourna les talons tout en s'éloignant en sautillant, du vomi coulant sur le bord.
Mh, intéressant. Lithium oublia bien vite ce léger interlude et s'en alla avec sa bouteille.
On aurait dit une pochtronne. Une bien jolie pochtronne alors. OUAIIIIS ! .. Mais arrêtes de dire des conneries toi ! Regardes plutôt autour de nous; tout est.. normal. Gris, blanc, en briques véritables. Plus de maisons volantes, en réglisse ou vomissant ses clients. Et puis, c'est trop calme, j'aime pas trop beaucoup ça. Je préfère quand c'est un petit peu trop plus moins calme. Mais parles français ! Non sérieusement, c'est trop bizarre ! La demoiselle osa se promener quelques instants, remarqua un quartier banlieue, puis des villas et des maisons plus modestes. Ouais en gros, c'était juste une petite ville qui venait de poper comme ça, de nulle part. Dreamland me diriez-vous, mais personne à Délirium n'a le délire de rêver à.. ça ! La voyageuse était légèrement perdue dans toute cette absurde normalité. Elle fut encore plus étonnée de voir que tout cela n'était que l'œuvre d'un type déguisé en costume avec une bien drôle arme à lasers.
Mais il fallait l'en empêcher ! Sauf que aux dernières nouvelles, elle était encore bien alcoolisée, une véritable amphore romaine. Alors, au lieu d'aller lui casser les dents, elle risquait fort de se retrouver fort bien apprêtée, récitant des poèmes de Baudelaire.. Mh c'est bien Baudelaire ! Une idée, vite une idée. En attendant, elle resta cachée dans cette rue digne de Wisteria Lane, réfléchissant autant que son cerveau vaseux lui permettait. Puis elle vit passer derrière elle le tonneau dans lequel elle avait déversé le contenu de son estomac. Hé hé hé.. C'est dégueulasse mais.. VAS-Y !! Sans attendre, elle l'attrapa, n'eut cure de ses plaintes rageuses, et le jeta à travers champs en plein sur l'homme bien habillé et son laser, puis se cacha à nouveau et s'éloigna dans sa ruelle. Elle aurait bien vérifié son état pour rigoler, mais lorsque t'es bourrée, te fais pas choper !

Flavien avait dit que j’étais très fort ; même si je savais pertinemment que sa propre force ne résidait pas plutôt dans le physique, mais plutôt dans un terrain bien au-delà de mes capacités, dans la transcendance des trois dimensions, j’essayais de prendre le compliment le plus pour moi possible. Flavien avait dit que j’étais très fort, et il ne parlait jamais au hasard, nan, c’était donc qu’il voulait signifier que j’étais apte, apte à quoi, impossible de le savoir, apte peut-être à être aussi proche de lui sans faire sourciller son aura de bienséance pure, apte à être comme il pensait que je l’étais, comme s’il m’avait imaginé. Il me demanda depuis combien de temps j’étais sur Dreamland, je me redressais soudainement quitte à me péter des vertèbres, et je répondis le plus rapidement et le plus cérémonieusement possible :

« Je suis sur Dreamland depuis cinq ans, Flavien. » J’avais terminé la phrase en disant Flavien comme si j’avais sorti Monseigneur.

Il me demanda ensuite si je pouvais l’entraîner. La responsabilité qu’il me proposait était tellement absurde, tellement énorme, que je ne sus même pas quoi répondre aux premiers abords, restant coi devant la demande, jouant avec mes doigts, mes cheveux. Evidemment, la première réflexion qui me frappait, ou plutôt qui était toujours en moi et qui m’aidait à me décider était que je ne pouvais aucunement refuser ses envies, SURTOUT pas à cause d’une modestie mal placée. Devant mon silence, il dit gentiment, en tout cas, pour ceux qui lisaient entre les lignes, que ce n’était pas parce qu’il était tout-puissant, ailleurs et ici, dans des mondes où les corps sont inutiles, que j’étais forcément obligé de me plier au moindre de ses caprices. Une telle bonté d’âme était tellement pure que je n’arrivais plus à le regarder droit dans les yeux. Et m’aida de suite à prendre ma décision :

« Oui ! Bien sûr, Flavien, ça serait un immense honneur, je suis énormément touché ! »

Un événement extérieur plus important que les autres eut soudainement lieu dans le bar. Premièrement, même si je ne faisais pas attention à la baston générale, je notai le changement aussi soudain qu’un bar miteux jusqu’à une enseigne parfaitement moderne, avec certes quelques folies, mais le tout ressemblait maintenant à un bar chic, presque à thème, un genre de nid de hipster. Je ne m’affolais pas tant, Flavien, même s’il présentait quelque côté faible après avoir bu sa boisson, restait toujours aussi lui, toujours aussi présent. Pas d’inquiétude quand Flavien était là.

Juste après, un homme rentra, dont le sérieux était tout à son honneur ; sa face constipée, ses rides lisses (oui), et l’étrange pistolet qu’il tenait. Cette apparition d’ailleurs semblait parfaitement aller avec le nouveau cadre de la boisson, on sentait direct le lien qu’il y avait entre cet individu et la transformation physique des lieux… Bah, comme si c’était intéressant. Même quand un tonneau rempli d’alcool percuta la tête du mec et répandit sur son costume trois pièces le contenu vaseux. Même quand celui-ci, très embêté, se tira un coup dans la tempe et soudainement, redevint aussi normal et ennuyeux qu’il était, le flingue l’ayant débarrassé de tout le ridicule qui suintait sur sa peau et ses habits. Impressionnant. Enfin, si on ne le jugeait pas à l’aune de Flavien, qui d’ailleurs ne supportait pas son verre. Les gens tout autour semblaient regarder le nouvel arrivant avec un mélange de terreur et d’effroi, ce qui revenait pour ainsi dire au même. Le type au flingue en tout cas dit d’une voix monocorde :

« Veuillez ne pas bouger s’il vous plaît. »

Et là, il tira sur tout ce qui bougeait. Les verres d’alcool devenaient des verres d’eau ou de vin, les créatures touchées se tenaient droites, et je comprenais que si un des rayons touchait Flavien, celui-ci perdrait son aura incroyable. Ce fut ainsi que je sautais pour servir de bouclier à mon seigneur, un rayon me frappa sur le poitrail au lieu de toucher Flavien. Le massacre continuait dans le bar et je me relevais, sans mal, me sentant parfaitement…
Clair.

Moi et Toulouse, les pupilles alignés sur le même plan scalaire, y'a nos interrogations qui gravitent entre nos regards comme si une passerelle cosmique reliait nos esprits. Quelqu'un a tué Garv et si on admet qu'il y a deux groupes alors on peut envisager deux scénarios. Soit Garv s'est fait descendre par le groupe par lequel il a été embauché pour que je puisse pas remonter jusqu'à eux, soit il a été tué par l'autre groupe pour une raison y. Ce qu'il faut se demander c'est quel groupe a pu embauché Garv et si chacun de ses groupes est au courant de l'existence de l'autre. Le truc avec les morts, c'est que pour les renseignements, c'est pas fiable. Alors que je dissèque la nouvelle information sous les insultes de Marv, y'a une sorte de lumière qui auréole derrière Toulouse et d'un coup comme s'il avait été frappé par le halo je le vois rétrécir jusqu'à taille raisonnable et rosir uniformément.

- Toulouse ?

- Gruik, gruik !

Horreur ! Toulouse est devenu un vrai petit cochon. Il se met à courir en rond comme un chien, la tête inclinée pour tenter de voir ce qui lui est arrivé. Au fond de la ruelle j'aperçois ce type en costard qui tire sur tout ce qui bouge et les rayons de son flingue ont la même gueule que ceux qui transperçaient les nuages ivres de toute à l'heure. Plus vif que moi, Marv, libéré de l'emprise de Toulouse, se relève et me plaque contre un mur. Moi je me tord le cou pour suivre des yeux le type au flingue tandis que Marv me secoue en pleur. Je vois le type entré dans le bar qui a lui aussi subi la sentence du revolver et Marv me secoue, me secoue, me secoue encore en m'agrippant par le marcel et il pleure, il pleure, il pleure encore de colère en maudissant mes générations à venir, en geignant, et mon frère n'avait rien fait de mal, et il ne méritait pas ça, et que moi je suis vraiment un mec horrible et horrible et bla bla bla. Je voulais juste tabasser Marv et voilà qu'il se passe trop de trucs d'un coup et ça en devient fatiguant. Je choppe Marv par le cou jusqu'à ce qu'il me lâche et le laisse retomber au sol.

- Ton frère, qu'est-ce qu'il t'as dit à propos de moi ? ... Que j'aille me faire foutre ? Je lui balance un coup de pied dans le bide histoire de le rendre plus coopératif. Ton frère Marv, qu'est-ce qu'il foutait dans cet hôtel ? Qui l'a employé ?

Marv n'a absolument pas peur pour sa vie, il continue à vociférer ses abominations. Je me dirige vers la renault espace garé pas loin et les clés sont sur le contact. J'ouvre le coffre et j'en sors les clubs de golf et les gilets de sécurité. Derrière y'a Marv qui essaye de ramper vers une bouche d'égout bien trop petite. Je lui choppe une jambe et le traîne jusqu'au coffre. Je vous dis pas l'emmerde que c'est de foutre un asticot comme lui qui gigote dans tout les sens avec une seule main dans un coffre de voiture. Je lui fracasse la tête contre une portière et l'installe à l'intérieur avant de refermer. J'ouvre la porte avant pour Toulouse et il s'installe inconscient à la place du mort. Je m'installe à mon tour et je tripote la radio, je sais exactement ce qu'il me faut.




Le truc c'est que je peux pas prendre le risque de juste me casser d'ici. Imaginez que Toulouse ne redevienne jamais lui-même. Non vraiment, imaginez. Le truc c'est que j'ai l'impression que tout commence à m'échapper. Que je réalise qu'ici, dans l'autre monde, je suis ridiculement petit. Le truc c'est que tout ça commence à m'énerver. Je met la ceinture à Toulouse puis la mienne et je met le contact. Ouais, ouais, je sens que ça vient. Oh ouais, je monte le son à fond pour couvrir le bruit moteur. Dans la voiture y'a Toulouse qui balance sa tête sur le rythme de la musique et moi qui commence à chanter aussi fort que je peux en bougeant des épaules. Oh ouais, restez cool. Je reste cool. Je maîtrise. Tout est sous contrôle. Tout vos soucis sont oubliés. Tout vos péchés sont pardonnés. Amen. J'écrase l'accélérateur et en calant le volant avec mes genoux le temps que je passe les vitesses j'hurle les paroles de la chanson. Derrière la terrasse du café, je vois le type au flingue à travers les dévitrés. Quand la voiture débarque furieuse et explose les vitres, je me sens renaître.