Corey était un peu contrarié par sa journée dans le monde réel, bien évidemment, ses tracas n’étaient pas les mêmes que ceux des gens normaux. Le gros point noir de sa journée avait été une heure d’interruption d’internet, la pire chose qui pouvait lui arriver. Toute sa vie et sa capacité à travailler tournait autour de cet élément qui était devenu presque vital pour lui. Bien sûr il avait meublé le temps à jouant en solo sur un bon vieux Warcraft 3 mais rien que le fait de ne pas savoir quand internet allait revenir le rendait grincheux et l’avait empêché de savourer sa partie correctement. Dès qu’il avait vu les voyants du modem se rallumer les uns après les autres, il avait senti un immense soulagement l’envahir, comme un drogué avec une dose après une période de manque.

Il avait donc pu finir son analyse des flux sortants et son rapport concernant le non-cryptage de certains d’entre eux. Pour la plupart il s’agissait de données sans importance, ce qui expliquait que personne n’avait pris la peine de les protéger, mais pour l’un d’entre eux, il contenait tout de même des informations sur les adresses ip internes et pouvaient laisser deviner une partie de l’architecture interne à quelqu’un de malintentionné. Il décida donc d’alerter tout de suite son supérieur afin qu’il fasse arrêter ce service en attendant que sa sécurisation soit mise en place. Satisfait de sa productivité pour la journée il était allé se chercher une bière avant de se vautrer dans le canapé pour regarder l’épisode de son anime favoris, one piece, sortit la veille et enfin traduit en anglais. Il avait commencé à apprendre le japonais pour éviter ce délai d’attente supplémentaire mais ce n’était pas une langue qu’on apprenait d’un claquement de doigts. Il essayait de consacrer au moins deux heures par semaine à cet apprentissage mais il devait avouer que depuis qu’il avait emménagé chez sa sœur il était devenu un peu moins rigoureux. Il se promit de s’y remettre dès que possible. Se rendant compte qu’il procrastinait encore, il se mit au travail des que son épisode fût terminé.

Pour rattraper le temps perdu il ne s’arrêta que lorsque son estomac gargouilla trop fort pour qu’il puisse l’ignorer. Il fit rapidement réchauffer les pâtes à la sauce tomates qu’avait fait Meg en trop à midi, enfin à 14h vu leur rythme de vie complètement décalé. Il mangea devant un reportage à sensation sur les coulisses de la brigade du métro, amusé par l’ingéniosité des pseudos-journaliste pour tenter de rendre intéressant quelque chose qui ne l’était pas. Il fut contraint de nourrir Ezio devant le regard larmoyant que ce dernier lui dardait alors qu’il finissait son assiette. Repus, il s’allongea dans le canapé, se promettant de retourner travailler un peu son Japonais à la prochaine pause publicitaire. Mais rattrapé par la digestion et la sensation d’épuisement quasi-constant qu’il avait depuis qu’il était devenu voyageur, il sombra dans le sommeil.

---Dreamland---

Il prit conscience lentement dans le monde onirique, encore peu habitué à ce changement de plan des qu’il s’endormait. Il lui fallut plusieurs secondes pour réaliser à quel endroit il était, sur un quai de métro assez classique. Il n’en n’avait jamais vu en vrai, car la lumière des néons n’était pas bonne pour lui et donc, même de nuit, il ne pouvait pas l’emprunter, mais en conséquence, ça faisait partie du genre d’endroit qu’il était heureux de découvrir dans Dreamland.

** Mais qu’est-ce que je fais là !? Ah ouais… Le reportage à la con… **

Il prêta donc un peu plus attention aux gens autour de lui, il s’attendait à découvrir des rêveurs, même si il se demandait quel genre de personne pouvait rêver du métro, mais compris qu’il s’agissait surtout de voyageurs. La plupart allaient par groupe de deux à cinq personnes, tous semblaient un peu soucieux et attendaient le métro suivant. Il sentit quelques yeux se poser sur lui, il fallait dire qu’il dénotait un peu avec son air ébahit, ses vêtements dignes d’un asile et sa coupe de cheveux fait-maison. Certains regards qu’il croisa avaient l’air amusés, presque amicaux, devinant probablement qu’il était débutant et arrivé ici par hasard. D’autres par contre étaient durs, voir méchants, comme s’il n’était qu’un insecte insignifiant qu’ils avaient envie de désintégrer d’un simple regard. Il se souvint de voyageurs un peu spéciaux dont sa sœur lui avait parlé et il ne put réprimer un frisson.

** Si certains d’entre eux sont des Voyageurs Killers je ferais mieux de pas trop attirer leur attention. J’ai vraiment pas envie de crever ici avant d’avoir passé au moins trois mois à me faire dorer au soleil. **

Megan lui avait bien expliqué que s’il se faisait tuer à Dreamland il ne se souviendrait probablement de rien s’y rattachant mais il avait un peu de mal à intégrer cette notion. Au fond de lui-même il pensait qu’il conserverait tous ses souvenirs. Par contre il ne tenait absolument pas à mourir, il aimait beaucoup venir dans ce monde même si il avait bien vu que la vie de ne tenait parfois qu’à un fil. Il s’amusait tellement ici qu’il en était presque déprimé dans le monde réel, mais il n’avait pas le choix il devait continuer d’avancer avec les deux en parallèle.

Il décida donc de s’écarter du quai pour ne pas attirer plus de regards que nécessaire, il prit donc la première rue qui venait et s’enfonça dedans. Il avançait tranquillement, de sa démarche voutée, les mains dans les poches de son pantalon d’intérieur comme le désignait le site sur lequel il l’avait commandé. Oui bon d’accord, il s’agissait tout simplement d’un pyjama avec des poches, mais ça lui convenait très bien. D’après ce que sa sœur lui avait expliqué, il se pourrait que ses vêtements changent dans ce monde, suivant sa mentalité et les choses qu’ils s’y produiraient, mais pour l’instant ils restaient collés à ceux de la réalité. La ruelle était tout de suite moins intéressante pour lui, depuis quelques années il réussissait à nouveau à sortir la nuit et des ruelles obscures et désertes ce n’était pas ce qu’il manquait la nuit.

Il fût tenté de retourner vers le quai lorsque des pas résonnèrent au bout de la rue dans laquelle il était. Il n’eut qu’à attendre quelques secondes pour voir débarquer un type qui fonce tête baissée comme s’il avait la tête baissée. Visiblement il a ses raisons de baisser la tête car quelques secondes plus tard, une sorte de pain de savon lui frôle lui haut du crâne avant de venir s’écraser à quelques mètres de Corey qui assiste à la scène, médusé. Il finit par apercevoir les poursuivants, un grand qui était visiblement le voyageur capable lancer les boulets de savon, et quelques mètres derrière, un plus petit qui soutenait un troisième avec un sérieux problème d’optique. Corey se demanda comment il avait fait pour se faire ça aux yeux puis se dit que c’était peut-être pour ça que le fugitif était poursuivi par la petite bande.

Un sourire béat sur le visage, il se tassa un peu contre le mur pour laisser le passage libre et assister à la scène. Il avait hâte de voir si le type aux savons allait enfin toucher sa cible et si cette dernière serait capable de se relever. S’il en avait l’occasion il demanderait au lanceur de savons si sa phobie avait été l’hygiène, drôle de phobie…

Spoiler:

Corey ne perdait pas une miette du spectacle, c’était la première fois qu’il assistait à un combat de voyageur auquel il n’était pas du tout mêlé. Le fugitif parvint à esquiver quelques projectiles mais il parvint par se faire toucher, assez légèrement par l’un d’entre eux. Corey ne put pas voir s’il y avait du sang sur ses doigts lorsqu’il toucha l’endroit où le bloc de savon l’avait touché. Les deux assaillants commencèrent à s’organiser devant les yeux médusés de leur adversaire pour préparer une sorte d’attaque spéciale. Le type aux savons en créa une version vraiment énorme alors que son coéquipier, qui semblait être une sorte d’homme élastique, se mettait en position pour le propulser. Le nouveau voyageur ne put s’empêcher de critiquer leur technique mentalement.

** Ils sont beaucoup trop lents, leur cible va pas se contenter d’attendre qu’ils aient fini, il doit déjà être loin. **

Il tourna la tête, s’attendant à voir l’autre type tourner au coin de la rue, mais il n’en n’était rien, le malheureux était en train de glisser pitoyablement sur les morceaux de savon éparpillés autour de lui. Corey compris alors que les deux autres étaient bien plus malins qu’il ne l’avait cru, le phobique de l’hygiène avait probablement fait exprès de louper son adversaire pour qu’il baisse un peu sa garde et préparer le piège. Une fois la quantité de matière suffisante pour empêcher ou ralentir suffisamment toute esquive ou fuite, ils refermaient la nasse et portaient le coup de grâce.

« Whoa malins … » Du-t-il reconnaître.

Il devait s’avouer qu’il aurait probablement lui aussi fait l’erreur de les sous-estimer et, prit d’empathie il eut envie de sauver celui qui avait fait cette bévue. Mais il ne voyait pas vraiment comment l’aider, si il s’approchait trop, il serait lui aussi pris au piège par les morceaux de savon éparpillés un peu de partout. Alors qu’il réfléchissait à une autre façon de venir en aide au fuyard, les deux autres expédièrent leur monolithe sur le malheureux. Le geek grimaça en s’attendant à le voir se faire littéralement broyé par le projectile, mais il n’en fût rien. Un peu par miracle, un peu par chance et peut être aussi grâce à de sacrés réflexe, la cible du projectile parvint à l’éviter au dernier moment en se collant au sol. Impressionné, Corey voulu applaudir la performance, mais il n’en eut pas le loisir, le mur qui avait encaissé l’impact du bloc de savon semblait ne pas avoir résisté à cet assaut et commençait à céder. Malheureusement ce n’était pas un mur sans importance, il semblait soutenir tout le bâtiment dont il faisait partie.

« Oh merde… » Laissa-t-il échapper tout en s’écartant, à reculons, de l’édifice en train de se déliter.

Son pied, nu comme à son habitude, glissa sur morceau de savon et il battit des bras pendant quelques secondes pour éviter de s’étaler de tout son long. Une sirène se déclenchant et il remarqua que les badauds commençaient à affluer pour voir ce qui avait provoqué l’effondrement de ce bâtiment. Il se dit qu’il valait mieux ne pas trop s’attarder dans le coin, il n’avait aucune envie qu’on croit qu’il avait joué un rôle dans cette histoire. Il ne savait pas trop comment ce genre de choses se passait dans ce monde onirique mais il n’avait pas trop envie de découvrir tout de suite ce qui arrivait à ceux qu’on jugeait coupable de la destruction d’un immeuble. Du coin de l’œil il vit que les assaillants n’avaient pas attendu pour prendre leurs jambes à leur coup et que leur victime était en train d’en faire de même.

« Restes pas là non plus, faut qu'on se casse! »

Il eut envie de lui répondre qu’il n’avait rien à se reprocher mais en voyant la foule qui continuait à affluer, il acquiesça de la tête et lui emboita le pas. Heureusement que depuis qu’il était devenu voyageur il s’était forcé à augmenter son endurance et son agilité, car sinon il n’aurait pas tenu plus de cinq cent mètres. Dans le monde réel il vivait actuellement cloisonné dans un appartement d’une vingtaine de mètres carrés et même si il se forçait à quelques exercices, il était loin d’être aussi en forme que les gens qui vivent normalement. Mais depuis son arrivée à Dreamland il était déjà devenu un peu plus endurant et plus agile, il se forçait à marcher ou à courir dans chacun de ses rêves et se félicita de cette habitude sans laquelle il se serait effondré à bout de souffle. Il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule et vit que quelques personnes avaient commencé à leur courir après, probablement pour leur coller l’effondrement sur le dos. Il accéléra donc de plus belle, et, voyant une sorte de grille qui barrait le début d’une ruelle, il appela son complice d’évasion.

« Fais comme moi ! »

Il sauta pour prendre appui sur une sorte de petit vasistas et se propulser pour passer par-dessus l’obstacle, à la façon des pratiquants du parkour. Il était loin d’être un spécialiste en la matière, sa réception fût assez lourde et maladroite, mais depuis son arrivée à Dreamland il aimait bien se déplacer de cette façon pour imiter les vidéos qu’il avait vues. Grâce à ses capacités de voyageurs il parvenait généralement à réussir une partie des mouvements et avec le temps et l’entrainement il deviendrait probablement assez doué. Pour l’heure il se remit à courir après s’être redressé, il ne savait pas si son compagnon avait été impressionné et l’avait imité mais en tous cas il était passé de l’autre côté lui aussi et ce changement de direction leur donnait la chance d’échapper à leurs poursuivants. Ils coururent ainsi un moment jusqu’à arriver à une sorte de carrefour, hors d’haleine, Corey demanda :

« Par où maintenant ? »

Mais avant qu’il n’ait pu avoir de réponse, un bloc de savon projeté à vive allure lui frôla l’épaule, le touchant juste assez pour le faire tomber et lui infliger une douleur cuisante. Le trio les avait rejoints, en décrivant une sorte d’arc de cercle autour de l’attroupement de l’immeuble effondré. Cette fois ils semblaient bien décidés à en finir une fois pour toute avec Dan et ils semblaient désormais mettre Corey dans le même camp. L’aveugle étant toujours hors combat, l’homme élastique le déposa dans un coin et vint au côté du maniaque de l’hygiène, prêt à en découdre. Le contrôleur de soleil se redressant en massant le haut de son bras.

« Je sais pas qui tu es, ce que tu leur as fait et si tu sais te battre, mais j’ai une folle envie de lui faire bouffer ses putains de savons… »

Il se concentra sur son pouvoir, prêt à l’utiliser, il souriait toujours, mais cette fois ce n’était plus un sourire béat de spectateur amusé par une scène, là il s’agissait plus d’un mélange d’excitation et peut être de ce qui pouvait être un peu d’arrogance ou de confiance en soi forcée. Prêt à aveugler ses adversaires, restait à savoir si ce serait pour prendre la fuite à nouveau ou pour se battre aux côtés de son allié de fortune s’il décidait de rester.

La référence à l’un de ses anime préférés fit sourire le geek, mais il resta concentré, son nouvel allié avait raison, si ce voyageur avait les même pouvoir que le héros du manga, ils étaient mal barrés. Etrangement l’idée de se faire battre ne l’inquiétait pas plus que ça, il fallait peut être qu’il soit mis aux portes de la mort pour enfin prendre conscience des dangers de ce monde. Mais pour l’heure il n’avait qu’une envie, en découdre, il ne put empêcher un frisson d’excitation de lui parcourir l’échine en avançant, un pas en retrait de son allié, vers leurs adversaires. Ces derniers ne semblaient pas vraiment inquiets et l’homme élastique commença à provoquer celui qui avait été aveuglé plus tôt dans la soirée et qui se tenait en retrait de ce qui allait vite devenir le champ de bataille. Trop sûr de lui, 210 ne vit pas Dan lui foncer dessus en accélérant soudainement. Corey le laissa à son assaut et se concentra sur le lanceur de savons, qui semblait vouloir aider son camarade. Sans lui laisser le temps de propulser un projectile sur Dan, il l’aveugla grâce à un puissant rayon venu de la paume de sa main.

Il savait qu’il fallait qu’il profite de l’effet de surprise, son adversaire était probablement spécialisé dans le combat à distance et même si lui aussi pouvait se servir de son pouvoir pour ce genre de combat, il n’était pas sûr de pouvoir rivaliser. Il fit donc appel à toute la vitesse à laquelle ses jambes étaient capables de le porter pour foncer vers son adversaire. Celui-ci récupéra la vue juste à temps pour voir Corey, qui espérait en finir en un seul coup, lui décocher une sorte d’uppercut à deux mains dans le creux du ventre. Même si il était loin d’être un costaud, un tel coup ne laissa pas son adversaire intact et ce dernier s’étala en arrière. Le contrôleur de soleil voulu pousser son avantage et l’achever tant qu’il était au sol et lui décocha un grand coup de pied de haut en bas, avec pour but de lui frapper dans le ventre avec le talon. Malheureusement le type au savon réussi à reprendre ses esprits juste à temps pour rouler sur le côté et Corey se fracassa le pied au sol.

« Aiieeee putain ça fait mal! » lâcha t’il involontairement.

Son opposant profita de sa déconcentration pour se relever et lui envoyer un savon, tentant de le prendre au dépourvu. Il faillit réussir mais par réflexe Corey se baissa juste à temps pour que le pain lui frôle la tête et s’explose contre le mur. Il esquiva encore deux autres projectiles et, se souvenant de ce qui était arrivé à son camarade quelques minutes plus tôt, se déplaça pour éviter que les morceaux de savon s’accumulent au même endroit. Il se mit à couvert derrière une sorte de poubelle métallique et, tout en ignorant le bruit des impacts autour de lui, commença à concentrer son pouvoir dans ses mains. Il plia son annuaire et son auriculaire de la main droite pour mimer un revolver puis se redressa soudainement pour décocher un puissant rayon à son adversaire. Pris au dépourvu le voyageur hygiénique ne put que tenter d’esquiver maladroitement et au lieu de le toucher au centre du torse, le concentré d’énergie solaire lui toucha l’épaule, lui brûlant la peau et une bonne couche de chair. Le coup n’était pas fatal, certes, mais il aurait désormais plus de mal à bouger le bras droit ce qui l’handicaperait probablement pour sa technique. Sans attendre, Corey fit feu à nouveau, mais cette fois son adversaire savait à quoi s’attendre et bondit assez rapidement pour que le rayon passe à quelques dizaines de centimètres de lui. Il commença à rassembler ses mains, grimaçant à cause d’un élancement dans son épaule, et projeta une série de projectile sur le geek qui avait eu le temps de se remettre à couvert. Un duel de tireurs à distance semblait se mettre en place, à moins que l’autre combat ne vienne perturber la dynamique.

Corey commença à se dire qu’il ne sortirait pas indemne de ce combat et que ses chances de gagner si il ne changeait pas le rythme du combat étaient minces. Non seulement les impacts des projectiles de son adversaire n’étaient pas à prendre à la légère, mais en plus il ne semblait pas se fatiguer ni avoir besoin de faire de pause ou de préparer ses tirs. Son adversaire était en train de se déplacer pour pouvoir arriver à l’atteindre malgré son abri métallique, il savait que s’il attendait trop, il finirait par se faire toucher. Il attendit encore quelques instants, tout en en profitant pour jeter un coup d’œil à son allié de fortune qui semblait arriver à se débrouiller. Puis juste après qu’un savon ait percuté le mur à quelques centimètres de sa tête, il sauta hors de son refuge et fonça droit sur son opposant. Il parvint à esquiver deux tirs en faisant des changements brusques de direction dans sa course. Mais alors qu’il allait décocher un coup de poing au contrôleur, ce dernier parvint à tirer un projectile qui le toucha au ventre. Heureusement, comme le savon venait juste de quitter les mains de son créateur il n’avait pas atteint sa pleine vitesse et ne fit que lui couper légèrement la respiration. Malheureusement ça avait laissé le temps à son adversaire de prendre l’avantage et de lui coller une série de coups de poings dont il ne put esquiver qu’une partie.

Un peu sonné il se protégea la tête avec les avants bras et profita d’une faiblesse du bras de son adversaire qu’il avait blessé avec son rayon pour passer à l’attaque. Il lui décocha quelques uppercuts au ventre pour le forcer à baisser sa garde et soudainement, lui envoya un direct qui vint taper précisément sur la brûlure qu’il lui avait infligé quelques minutes plus tôt. Décontenancé par la douleur il ne put rien faire contre la série de crochets au visage qui l’envoya au tapis. Corey recula d’un ou deux pas pour reprendre son souffle, les mains sur les genoux.

« Tiens, ça t’apprendra à me balancer tes savons dessus… » Dit-il entre deux respiration.

Mais déjà son adversaire se relevait, pas encore assez sonné pour abandonner, lui aussi avait besoin de reprendre ses esprits. Comme d’un commun accord, ils tournèrent la tête vers le combat qui se déroulait à côté d’eux. Ce qu’ils virent alors leur glaça le sang, son allié d’un jour, était en train de s’acharner sur le malheureux homme élastique, il semblait comme emporté par une rage meurtrière. Corey cru qu’il hallucinait en voyant son corps couvet de flammes mais vu l’expression sur le visage du lanceur de savon c’était bien réel. Il vit que ce dernier allait tirer sur son pseudo-allié mais il n’eut pas envie de l’arrêter. Le savon partit et percuta Dan à l’épaule mettant fin à sa folie furieuse, sa malheureuse victime avait le visage réduit en bouillie et semblait aux portes de la mort. Sans qu’il s’en soit rendu compte, Corey s’était approché du contrôleur qui venait de faire feu. Il mima à nouveau un pistolet avec sa main et lui posa le canon fictif sur la tempe, pouce levé comme un percuteur.

« Pas de gestes brusques… » dit-il en chargeant son pouvoir au cas où. « Je crois que tu devrais ramasser tes potes et les emmener loin de nous. »

Comprenant que l’échappatoire qui lui était offerte serait probablement la dernière, le voyageur déglutit péniblement avant d’acquiescer de la tête. Toujours pendant que Corey le tenait en joue, il s’approcha de 210 pour le ramasser, restait à savoir si le voyageur aux flammes allait le laisser faire.

Son pseudo-allié semblait s’être calmé alors que le voyageur aux pains de savon était en train de passer le bras de son camarade élastique autour de ses épaules. La chose ne semblait pas être aisée car le bras en question ne cessait de se détendre, mais il finit par réussir et ils tournèrent les talons en récupérant au passage leur camarade aveugle. Corey les regarda partir, attendit qu’ils tournent au coin de la rue et relâcha toute emprise sur son pouvoir. Avec l’adrénaline qui s’estompait, il sentit soudain le contrecoup du combat qu’il venait de mener. Il n’avait pas de blessures majeures mais il avait reçu quelques bons coups de de poing et un pain de savon en plein dans la cage thoracique. Vu la douleur qu’il ressentait, il avait probablement une côte fêlée, mais heureusement, d’après ce que Megan lui avait dit la nuit suivante il n’aurait plus rien. Par réflexe il se recroquevilla lui-même, comme si ça pouvait atténuer la douleur. Il était presque accroupi, mais déjà il se sentait mieux, il en profita pour réfléchir au comportement du voyageur à côté de lui qui s’inquiétait d’éventuels poursuivants.

Il l’avait d’abord pris pour une victime innocente, un mec qui s’était trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Il avait pensé qu’il n’avait pas eu de chance et que le trio d’agresseurs l’avait pris en chasse sans réelle raison mais maintenant il s’apercevait qu’il ne s’agissait que d’hypothèses sans réel fondement. Tout ce qu’il savait c’était que trois voyageurs, dont un atrocement mutilé en poursuivaient un autre. Les raisons pouvaient être multiples, il se pouvait que les deux hommes soient tombés sur quelqu’un en train d’agresser ou de torturer leur ami et qu’ils l’avaient pris en chasse. Pour ce qu’il en savait il venait peut être d’aider un sadique à échapper à une juste correction. Il se pouvait même que ce taré se retourne contre lui pour lui crever les yeux à son tour. Par réflexe il s’écarta du voyageur et lui fit face, toujours dans sa position étrange, presque accroupi. Il ignora totalement les paroles de son interlocuteur et le questionna, bien décidé à faire la lumière sur cette histoire. Il avait beaucoup de questions, il ne savait pas trop par où commencer.

« C’est toi qui a crevé les yeux de leur pote ? Pourquoi… ? »

Il avait deviné que c’était probablement l’évènement déclencheur de cette histoire mais il ne pouvait pas retenir ses questions.

« Si je n’avais pas laissé le voyageur aux savons t’arrêter, tu aurais tué le type élastique ? » Puis, poursuivant son train de pensée. « T’es une sorte de voyageur killer ou quoi ? »

Sur ses gardes, il attendit la réponse de son allié de circonstances, il n’avait aucune envie d’en venir aux mains mais il ne savait pas du tout à quoi s’attendre. Il se pouvait très bien que le gars lui saute dessus pour lui crever les yeux.

Toujours sur ses gardes il écouta la justification de la tête brulée, il crut d’abord que l’autre se moquait de lui avec ses histoires de trou de balle et de ventouses. Qui aurait pu croire qu’une menace aussi improbable avait été proférée, personne de sain d’esprit en tous cas. Mais il finit par comprendre que c’était vraiment sa version officielle de l’histoire. Corey n’avait jamais été très bon pour juger les gens, à cause de son isolement, il avait du mal à appréhender certains comportements humains. Bien sûr il avait vu des menteurs, des tueurs et des sadiques à la télé ou dans les films mais il n’y avait jamais été confronté pour du vrai. Du coup il ne savait pas vraiment quoi penser de l’histoire qui lui était proposée.

Le connaissant bien, Megan l’avait mis en garde contre les gens qu’il rencontrerait à Dreamland, elle l’avait prévenu que certains tenteraient de profiter de sa naïveté mais au fond de lui-même il avait du mal à comprendre de quoi elle voulait parler. Il lui avait promis de faire attention mais alors qu’il était confronté à une situation délicate son côté candide refaisait le dessus et lui soufflait que si son interlocuteur l’affirmait c’était que c’était vrai.

« C’est vrai que c’était pas super sympa de sa part, y’a vraiment des types super bizarre ici… Ventouser un sphincter… Aucun intérêt… »

Il ne put retenir une moue dégoutée en imaginant la scène.

« Il y a vraiment des pratiques qui me dépassent… »

Il secoua la tête pour cesser de penser à cette chose répugnante et se força à se redresser un peu, ignorant le lancinement douloureux dans ses côtes. Sa question suivante sembla encore plus perturber son interlocuteur qui eut d’abord l’air tout à fait contrarié puis éclata de rire. Corey se demanda s’il ne souffrait pas d’une des maladies mentales qui faisaient souvent apparition dans les scenarios des films et des séries qu’il aimait tant. Un schizophrène peut être, s’il se mettait à se parler à lui-même on serait fixé. Peut-être plus un trouble bipolaire ou quelque chose du genre, enfin en tous cas une fois la crise de rire passée, il reprit un peu son sérieux pour s’expliquer. Il prétendait ne pas être un tueur, enfin il disait qu’il ne tuait que par nécessité et que dans Dreamland c’était quelque chose de nécessaire. Que des actions aussi radicales que de crever des yeux à un voyageur étaient la seule façon efficace de faire rentrer du plomb dans la cervelle de ces derniers.

« Voyageurs de l’extrême ? » Il médita un peu l’appellation. « C’est vrai que ça sonne plutôt bien même si je ne pense pas être très extrême comme voyageur. Je suis plutôt du genre à éviter les ennuis inutiles, mais ne va pas croire que je me laisse marcher sur les pieds. Tu as bien vu que je laisse pas quelqu’un m’envoyer un savon dessus et s’en tirer sans encombre. » Puis après un moment de silence. « Mais j’avoue que j’irais pas jusqu’à crever les yeux d’un mec… Enfin si il venait de me menacer de me fourrer quoique ce soit dans le fion je sais pas comment j’aurais réagi mais bon… »

Il ne savait pas trop quoi dire, au final il ne pouvait pas vraiment savoir comment il aurait réagi confronté à une telle situation. Il commença à bouger tout en discutant avec sa nouvelle rencontre, présumant qu’il marcherait à ses côtés.

« Moi c’est Corey ça ne fait pas très longtemps que je suis devenu voyageur. »

Il espérait que son nouveau camarade lui réponde, un allié, dans ce monde, ça pouvait se révéler extrêmement utile.

Corey fut un peu soulagé lorsque son camarade lui expliqua qu’il n’avait pas fait ça par plaisir, être en compagnie d’un type qui prenait plaisir à ainsi énucléer des gens ne l’aurait certainement pas mis à l’aise. Il doutait sérieusement que ça ait été la solution la plus simple mais si son nouveau camarade l’affirmait, il avait peut-être raison. Mais Corey était persuadé que lui-même n’aurait jamais eu ce type de réflexe, il aurait peut être frappé aux jambes ou au visage mais certainement pas aux yeux. Il devait cependant avouer que pour handicaper quelqu’un rapidement c’était une solution assez efficace. Il avait l’habitude d’éblouir les gens avec son pouvoir pendant les combats et c’était vrai que pour déstabiliser un adversaire, s’en prendre à sa vue était une bonne solution.

Il lui révéla ensuite qu’il s’appelait Dan, il ne sut pas trop si il s’agissait du diminutif de Daniel ou d’un prénom un peu américain. Il se dit qu’il aurait bien le temps d’en apprendre de plus à ce sujet, d’autant plus que la question suivante, sur la nuit où il était devenu un voyageur l’attira vers des souvenirs vivaces. Il du bien rester silencieux pendant presque une minute, revivant ce cauchemar qui s’était transformé en une sorte de rêve, puis se souvenant que son camarade attendait une réponse il se força à lui expliquer.

« Si il y a bien une nuit que je pense que j’oublierais jamais c’est bien celle-là ! C’était à la fois la plus belle nuit que j’ai passée depuis des mois et en même temps la pire. Tu veux dire par là que tu ne te souviens pas du tout de la nuit où tu es devenu voyageur ? Sérieusement ? »

Pour l’Héliophobe c’était assez difficile à croire, il parvenait à se souvenir de presque chaque instant de ce rêve étrange où il avait presque cru mourir tant la douleur lui avait paru réelle. Il se rappelait l’expression d’effroi qui était apparu sur le visage des créatures de cauchemar lorsqu’il avait commencé à affronter sa peur au lieu de la laisser le dominer. Le souvenir de la brûlure atroce du soleil sur sa peau le hantait encore, non, il n’oublierait pas cette nuit de sitôt.

« Ma sœur m’a expliqué qu’en général on devenait voyageur lorsqu’on parvenait à vaincre sa peur. En tous cas c’est ce qui s’est passé pour moi. C’est pas ce qui t’est arrivé ? Il me semblait qu’elle m’avait dit que les gens qui découvrent Dreamland d’eux même existent mais qu’ils sont assez rares. »

Il n’insista pas plus car après tout rien ne lui disait que son camarade ne se souvenait plus de la nuit où il était devenu voyageur. Il avait peut être compris sa question de travers. Corey se mit alors à étudier, lui aussi, le carrefour auquel ils étaient arrivés. Il n’avait pas vraiment d’opinion sur la direction à prendre mais l’idée de retourner vers la foule ne l’enthousiasmait pas vraiment. Il n’avait pas vraiment la notion du temps dans ce monde mais il leur restait probablement encore quelques heures devant eux. Son intérêt pour le chemin manquant sur le plan n’éveillait pas autant son intérêt que celui de son camarade apparemment.

** Je commence à comprendre pourquoi il se retrouve dans le genre de galère de tout à l’heure. **

L’instinct de Corey lui soufflait, enfin lui hurlait, que ce n’était vraiment pas une bonne idée de s’engager sur ce chemin que visiblement quelqu’un ne voulait pas qu’ils empruntent. Mais, un peu par fierté et un peu par curiosité, il ne voulait pas refuser l’idée de l’explorer.

« Pourquoi pas, au pire si il n’y a vraiment rien là-bas on ne risque pas grand-chose. »

Il devança Dan sur cette matière étrange que même pieds nus il n’arrivait pas vraiment à reconnaître, probablement quelque chose de propre à ce monde onirique. Un pressentiment ne cessait de le tarauder, quelque chose clochait avec cet endroit, il n’aurait pas su mettre de mots dessus mais il s’assura de pouvoir faire appel à son pouvoir, en cas de besoin. Il fit tout pour masquer son appréhension mais laissa peut être percevoir une certaine nervosité qu’il tenta de masquer par un bavardage un peu inutile.

« J’espère qu’on va pas tomber sur une nouvelle bande cinglés ! »

Mais comme pour lui donner tort à peine ces paroles prononcées, une sorte de rumeur sourde leur parvint. Les bruits qui composaient ce brouhaha étaient difficiles à identifier, mais on comprenait qu’il s’agissait d’une foule. Par réflexe, Corey se recroquevilla sur lui-même et s’accroupi, avant de s’immobiliser pour écouter. Une partie de lui avait envie de faire demi-tour, l’autre avait envie de savoir qui étaient les personnes à l’origine de ce bruit. Il interrogea Dan du regard, pour voir si ce dernier avait envie de tenter le coup ou pas.