La situation dérivait complètement. Dans un sens, les membres du groupe terroristo-musical s’étaient tous rassemblés sur la scène principale, guidés par leur mystérieux leader qui, tout en prenant de haut son interlocuteur, ce voyageur culotté qui avait osé le défier, se contenta de lui répondre que sa proposition ne faisait que concorder avec le plan qu’il avait orchestré. La dernière bataille allait commencer, dans une ambiance musicale. Riku doutait malgré tout que les vigiles laissent les classicos jouer à leur guise et dans un sens il ne désapprouvait pas cette envie certes barbare de leur casser la gueule un bon coup pour leur faire comprendre, mais l’ambiance du festival en serait gâchée… Il valait mieux faire croire à une mise en scène de Discoland qui aurait engagé cette troupe pour rajouter du piment à l’Oniric Tour. Mais pour cela, cette « battle » était la meilleure des options. Les ridiculiser sur scène serait tellement difficile à encaisser pour ces ambitieux musiciens qu’ils ne s’en remettraient pas. Ils accepteraient leur échec et iraient tenter leur chance ailleurs. Trop de réflexion… Riku commençait à ne plus trop savoir où il en était sur les différentes pistes à envisager pour empêcher ces types de mettre à mal la plus grande fête de Dreamland, pour protéger tout le monde et leur offrir un spectacle de qualité en attendant l’arrivée des stars de ce premier jour. Les shk pnk viendraient faire leur prestation devant un public galvanisé par cette longue première partie, où tous les genres de musique, deux époques différentes se seraient affrontés. Il fallait l’emporter… A tout prix. Ils détruiraient tout le festival s’ils prenaient le pouvoir. Tout allait se jouer dans les vingt minutes suivantes. Et comme un signal de départ, la mélodie d’un violon se mit à résonner dans les enceintes magiques du parc. Aussitôt, les vigiles présents sur la scène tentèrent d’intercepter le criminel pour stopper sa musique, mais ce dernier fit montre d’une incroyable rapidité, évitant sans problème le moindre assaut qui tentait de le mettre à terre. Il fut rejoint progressivement par tous ses camarades qui dévoilèrent leur pouvoir tour à tour – l’un capable de créer des constructions avec des notes de musique, l’autre de changer ses membres pour ceux d’un cafard… Sans avoir l’air particulièrement redoutables – il y avait certainement des voyageurs bien plus puissants dans l’assemblée – ils étaient en tout cas un groupe uni. Et alors que tous se mirent à jouer de leurs instruments, Riku ne put que constater le regard empli de colère de Nezumi, qui observait avec insistance les instruments des musicos. Ils les avaient certainement « emprunté » pour la bonne marche de leur plan… Mais là, le temps des constats était dépassé depuis longtemps. L’invocateur courut à toute vitesse vers la scène, non sans avoir laissé des instructions à Lianna, qu’il savait être la seule capable de cette mission. Hikari était réticente à utiliser l’admiration pour eux de la jeune femme pour qu’elle accepte de faire tout pour eux, mais elle accepta lorsque son petit ami lui assura que le plan ne lui ferait courir aucun danger particulier. Après tout, elle allait s’éloigner de l’épicentre de l’action.

La scène principale se distinguait de tout ce qu’il était possible d’observer dans le festival. Si en avançant vers le centre, les estrades étaient de plus en plus grandes, les groupes de plus en plus connus, l’immense dôme que les habitants de Discoland avaient construit pour accueillir les principaux évènements du festival n’avait rien de comparable. On aurait dit le stade de France au milieu de baraquements construits à la va-vite ; les murs, d’une matière blanchâtre semblable à du béton au toucher, avait été taillé d’une manière identique à celle du Colisée à Rome. Plusieurs alcôves permettaient aux spectateurs déjà en place de prendre un peu l’air et de regarder ce qu’il se passait aux abords de la scène où les passants se massaient déjà pour tenter de prendre la place des autres, espérant voir ne serait-ce qu’un bout de la chaussette du chanteur. Passer au milieu de cette foule déchaînée était un véritable défi, d’autant que nombre d’entre eux ne les connaissaient pas, et ne se laisseraient donc pas faire. Heureusement, il n’y avait pas l’air d’avoir trop de voyageurs. Dans les faits, le couple était capable de se défendre contre un rêveur peu enclin à les aider. Sans hésiter, ils s’élancèrent dans la marée, poussant, grimpant sur les passants qui essayaient d’atteindre la billetterie tant bien que mal, se frayant un passage au milieu des coups et des hurlements. Certains insistaient même pour être là et voir l’arrestation de ces saint phoniques. Mon dieu quel nom de merde ! Ils pouvaient pas prendre plus mauvais comme jeu de mot ? Le necromancer soupira, et écarta deux types de son chemin qui tentèrent de résister tant bien que mal, mais furent rapidement repoussés par sa force de voyageur et les griffes d’Hikari. Jusqu’à ce qu’enfin le passage s’ouvre, dévoilant alors le centre de l’arène, sur laquelle les terroristes, galvanisés par la réussite de leur plan, jouaient sans discontinuer. Il fallait trouver rapidement le moyen de les mettre à mal. La première phase serait le moment où Nezumi arriverait. L’applaudimètre serait mis en place, on mesurerait le succès de leur performance, et on passerait à la deuxième phase, dont la réussite dépendait entièrement de l’action de Lianna, la seule en dehors des vigiles et de Nezumi à disposer du moyen d’accès à la console de commande des enceintes. Si ils arrivaient à prendre le contrôle des enceintes, ils pourraient perturber leur concert improvisé, amener le public à pencher en leur faveur quelles que soient les circonstances. Après tout, eux usaient bien des pouvoirs de leurs instruments pour influencer sur le jugement de la foule, les contraindre, alors pourquoi de leur côté ne pourraient-il pas user d’artifices similaires ? Enfin apparemment, certains avaient décidé que la baston serait plus intéressante que la chanson, et c’est une blonde bien connue du necromancer qui lança les hostilités avec un tonneau jeté en plein sur les classicos, suivi d’un spectateur choisi au hasard. Le tout eut plus pour effet de faire rire la foule et même les artistes qui se contentèrent d’éviter les projectiles, sans cesser leur prestation endiablée, sous le regard désabusé des spectateurs qui subissaient les effets magiques des instruments. Riku lui-même commençait à ressentir un sentiment de nostalgie qui venait lui pincer le cœur. Il fallait agir au plus vite. Et ce fut Ed qui fut le plus prompt. Il sembla prendre contact avec quelqu’un –probablement son supérieur – et alors que le concerto se poursuivait, les vigiles semblèrent commencer à se rassembler, ordonnant à la foule de leur libérer le passage ; Nezumi arrivait. Lianna dépêches-toi…

« DOOOONG DOOOOOOONG DOOOOOOOOOONG »

Le son avait été tellement soudain que le necromancer avait manqué de tomber à la renverse sous le coup de la surprise. Tous autour furent tout aussi sonnés, et alors que les musicos au centre prenaient conscience que leur concerto n’était plus diffusé sur les enceintes, une voix familière et stridente résonna dans tout le festival :

« RIKUUUUUUUU HIKARIIIIIII C’EST MOI LIANNA, J’AI TOUT FAIT COMME VOUS M’AVEZ DIT, MAINTENANT ON NE LES ENTEND PLUS JOUER ! C’ETAIT QUOI LE MESSAGE DEJA ??? AH OUIIIII QUE TOUS LES GROUPES REJOIGNENT HIKARIKU A LA SCENE PRINCIPALE !! ON DOIT FAIRE DU BR… HEEEEE LACHEZ MOI COMMENT CA J’AI PAS LE DROIT JE SUIS LA FILLE DE NEZUMI CRETINS !!!! »
Un grand silence s’ensuivit. Quelques cliquetis, et on entendit de nouveau le concerto qui repartait de plus belle, les classicos probablement pas franchement contents d’avoir été interrompus aussi brusquement. Bon. Est-ce que l’action de la fan hystérique allait avoir l’effet escompté, Riku l’ignorait, mais il n’avait pas le temps de s’attarder sur ce genre de détails. Nezumi n’allait pas tarder, tout allait se jouer sur sa prochaine action. Hikari voulait un moyen de faire cesser leur horrible musique –il fallait avouer que tout aussi ardents défenseurs de la musique classique qu’ils étaient, ils n’en étaient pas moins de vulgaires roturiers qui s’arrêtaient à la connaissance de la partition sans en dévoiler l’émotion intrinsèque, une chaîne hi-fi n’aurait pas fait mieux – il allait lui donner. Sans hésiter, il se fraya un passage, fit un signe à Lithium qu’il avait reconnue en plaignant la victime à venir de sa colère, et se stoppa devant les terroristes. Il sourit, et se mit à chanter. Aussi fort qu’il le pouvait, sans même se soucier de savoir si on l’entendait ou pas, il se mit à chanter, se tournant vers la foule derrière lui. Tous devaient contribuer. L’un après l’autre, les spectateurs et les voyageurs suivirent la chanson. Quand ils ne connaissaient pas les paroles, ils suivaient simplement la mélodie, levant les bras pour se joindre à cette alliance, pour montrer à ces types que seuls les artistes qui s’imposaient par leur charisme et leur envie de chanter, de transmettre des émotions pouvaient gagner la foule, peu importe leur style initial de musique.

« ALLEZ TOUT LE MONDE !!! ON CHANTE !!!! »

Lianna était revenue, essoufflée, un mégaphone dans les mains. Sautillant de travée en travée, elle haranguait la foule, l’encourageait à se joindre à la lutte. Non ce festival ne cèderait pas à la force. La fête, le partage, les émotions qui avaient conquis la foule… Cette dernière allait remercier le festival à sa manière, par ses applaudissements.




[hrp la chanson chantée : https://www.youtube.com/watch?v=0307a7K2uY8 ]

"ASSEZ !!!"

le cri résonna sur la scène et se propagea dans le festival entier grâce aux capacités exceptionnelles de celle qui venait de s'exprimer. Le silence s'opéra.
La Reine de DiscoLand, l'organisatrice de l'Oniric Tour, reprit avec la même verve :

"Comment osez vous ? Votre comportement est inacceptable ! "

Puis, peinée :

"Je suis déçue …"

Nezumi apparut sur la scène principale. Les Saints Phoniques la regardaient, hésitant. Le chef ayant orchestré l'opération apparut à son tour et se posa aux côtés de Nezumi, face au public. Son visage impassible contrastait avec la mine furieuse de la Reine du Son.

Le temps qu'ils parviennent à la scène principale, où tout se jouait, le désordre s'était installé. De simples spectateurs avaient fait preuve d'une rare violence. Des artistes avaient été vindicatifs. Même sa propre fille avait participé à briser l'harmonie. Au delà de la colère affichée, c'était bien la déception qui habitait l'initiatrice de cet événement.
Le temps était suspendu et la suite était attendu. Elle arriva d'une voix ferme et impérieuse :

"Ces artistes ne demandaient qu'à être écouté. Oui, leur démarche a été écrite d'une manière cavalière. Ils n'ont pas respecté le rythme requis. Mais est ce que ça justifie une telle insulte ? Répondre à la violence par la violence ?"

Les Saints Phoniques, qui avaient baissé la tête en respect, la relevaient désormais. Ils savaient que leur méthode était cavalière, car ils ne pouvaient composer autrement. Rejetés du Royaume, jamais ils n'auraient pu s'offrir un stand au sein du Festival. Emportés par la chanson de la vengeance et désireux de faire entendre raison, qu'importe le moyen, ils avaient tenté l'audace et la provocation.
Toutefois, maintenant qu'ils semblaient avoir l'aval de la Reine Nezumi, ils défiaient ce public ingrat et ignare du regard. Pour aussitôt le baisser devant la nouvelle envolée :

"Je ne cautionne pas leurs actes … terroristes, qui ont nuit à l'ambiance du festival. Mais je cautionne encore moins la réponse faite contre eux. Tant d'intolérance … Ce Festival … L'Oniric Tour … Il apporte le bonheur de se retrouver, de partager, d'échanger, dans une atmosphère musicale et chantante. Ne venez pas avec vos fausses notes gâcher le plaisir d'écouter la joie des artistes."

Elle se tourna vers les Saints Phoniques qui se courbèrent encore plus, serrant leur instrument. Leur chef les avait rejoint et abondait dans le sens de leur Reine. Bien qu'ils appartenaient à d'autres royaumes par leur phobie, ils la considéraient comme leur véritable Reine par leur passion musicale. La sentence tonna :

"Vous, pour votre impertinence, je vous condamne à convaincre le public de la grandeur de la Musique Classique, en tant que première avant le concert du groupe Shk Pnk."

Elle se tourna ensuite vers le public :

"et vous, pour vous faire pardonner, je vous encourage à les écouter !"

Ainsi s'acheva l'intervention. Les Saints Phoniques la remercièrent avec un respect immense. Ils avaient enfin ce qu'ils étaient venus chercher : l'opportunité de jouer les louanges de la Musique Classique. Ils entamèrent leur morceau avec une énergie incroyable.

Le pétarade était terminée avant même de réellement commencer ; quand je repassai à la scène principale après avoir été floué quelques temps par ce sale type véhicule de musique classique, Nezumi était déjà intervenue avant que Riku ne leur rende la monnaie de leur pièce à ces terroristes à flûte que j’enfoncerais bien dans le naseau pour les remercier d’avoir rendu ma nuit un poil insupportable (et idem, un boss insupportable qui allait demander des comptes plus tard dans la nuit). Heureusement, La Reine de la Musique avait une sacrée force qui faisait que tout le monde l’écoutait, même ceux qui s’étaient dressés contre elle, attendant son verdict.

Evidemment, elle était contre les agissements de Riku et d’Hikari qui avaient tenté de répondre au défi envoyé par les fous furieux de musique classique, mais elle n’avait pas tant blâmé que ça ces derniers ; bon, je supposais qu’à part quelques dépressifs dont le cœur avait été alourdi par les effets secondaires de la musique, on n’avait pas eu tant de victimes humaines (par contre, parlons pas du bilan concernant le matos, mais à Dreamland, les amplis étaient capables de pousser dans les arbres). Etrange choix, peut-être même trop niveau princesse ; j’espérais pour la Nezumi que ce n’était pas elle qui les avait écartés de la programmation car sinon, elle était montée à plusieurs cieux d’hypocrisie. C’était tout de même l’organisatrice la plus connue de l’Oniric Tour, elle devait forcément jeter un œil sur les artistes qui passaient et ceux qui ne passaient pas ; était-ce pour autant sa faute que celle des Rêveurs qui oubliaient peu à peu la musique classique et la reléguaient à une écoute privée ? Que ne savais-je plus sur Dreamland… Pas assez pour l’accuser avec assez de preuves, même si l’envie s’en faisait cruellement sentir.

Dès qu’elle eut terminé les remontrances, Riku se fendit d’excuses sincères, et je supposais que la faute devait pas retomber entièrement sur lui ; c’était pas finaud son coup, mais c’était plutôt dans la logique des choses, de la justice un peu grossière mais de la justice tout de même ; que penser de ce foutoir un peu innocent ? Que les Saints Phoniques étaient un poil des ordures dans le lot, et Riku, un poil pas fautif, et Nezumi, un poil hypocrite sur les bords. Mais bon, je partais du principe qu’elle ne pouvait pas être aussi innocente et hypocrite en même temps, elle avait pas dû trop toucher à la progra ; en tout cas, si je me rendais compte du contraire, je me dépêcherais de la rejoindre à Discoland pour lui dire deux mots.

En attendant, voilà que la tirade était terminée, que Riku s’était inclinée et qu’il cherchait une morale à dire, et maintenant et toute la tension s’était tassée et que les Saints Phoniques allaient bientôt jouer, mon patron de trois nuits qui me surprit à rester inutile se dépêcha de me jeter un regard qui voulait dire beaucoup, et je me dépêchai d’être professionnel en incitant les spectateurs à s’asseoir, et à dire cette fameuse phrase qu’il n’y avait rien à voir (mais bientôt tout à entendre), allez les bons amis, tout le monde pose son cul, on va croire qu’il s’était passé quelque chose d’important. Plus vite vous serez en position normale et plus vite la situation le sera.

Derrière déjà résonnaient les premières notes des Saints Phoniques, notes que je me dépêchais d’ignorer superbement tant elles ne me touchèrent pas, et je me mis rapidement à me dire que c’était bien loin tout ça et que Mozart et compagnie auraient dû prévoir des musiques de trente secondes, ça aurait été beaucoup plus percutant et ça aurait été moins long à subir ; mais nan, voilà qu’on te fait bouffer de la symphonie jusqu’à ce que t’en crèves et que tu te sentes capable de piquer du nez sur ton siège comme un vioque au cinéma. La seule consolation, ce fut que toute cette nuit se passa tout de même sans trop de drame au final. J’étais désolé pour Riku, pas sa soirée au final mais il se ressaisira, ces cons se ressaisissent toujours. En attendant, j’attendais toujours le concert. Pourquoi les premières parties qui ouvrent le bal sont-elles toujours aussi chiantes ?