"Eh bien ..."

Quel Royaume ... insolite (pour rester poli).
Des fruits, des arbres fruitiers, des fruits géants, des arbres fruitiers géants, des fruits à gauche, des fruits à droite, des fruits partout ! des pommes, des poires, des pêches, des ananas, des mangues, des goyaves, des litchis, des mûres, des framboises, des fraises, des abricots, des noix, des bananes, des citrons, des oranges, des myrtilles, des prunes, des pomélos, des kiwis, des aronias, des jujubes, des cerises, des papayes, plein de fruits, disproportionnés ou pas, des fruits inconnus et étranges... trop de fruits.
Il existe un royaume des fruits ?! Un royaume dédié à ça ?!

"Apparemment ..."

De nombreuses odeurs s'entremêlent dans l'air tiède autour de moi, formant de fugaces cocktails de senteurs, plongeant ce lieu dans une atmosphère exquise et changeante. La fraise languissante se marie au piquant du citron, la douceur bananière s'acoquine avec la sécheresse des noix, l'onctuosité de l'abricot, et l'acidité du pamplemousse, la cerise, mutine, se fond dans la sauvage myrtille, fusionne avec le velouté de la mangue ... Il y a de quoi se perdre dans ces odeurs.
Je me ressaisis. Je ne vais pas me complaire dans ce doux et insistant torrent olfactif. Ce que je veux, c'est un endroit calme pour perfectionner ma maîtrise de l'amante de mes nuits, mon aura. Si je veux décoller en temps que Voyageur, je dois pouvoir être plus à même d'exploiter le potentiel qu'elle m'offre. Seul la pratique, et le temps, peut m'aider. Ce n'est pas en me roulant dans les saveurs fruités que je deviendrai plus fort !
Mais, mais ? Un fruit géant constituerai un bon sac de frappe, non ?

"Une seule façon de le savoir."

L'aura, avec le crépitement devenu familier, jaillit autour de moi. Il me semble la sentir plus vivifiante que jamais. Elle aussi aspire à m’entraîner, pour mieux me comprendre, et affiner notre synergie. D'une impulsion, je décolle, face à une pêche grande comme un maison.  Je m'élance, lui décoche un mawashi geri de la jambe droite, esquive un coup imaginaire d'un basculement du buste, enchaîne dans le même mouvement un direct du gauche, recule d'un pas dans l'air, pousse un Kiaï rauque, lance un atémi sauvage, tournoie, enfonce mon talon dans la chair de la pêche alors que j’emboutis la trachée-artère de mon adversaire factice. Je me recule,   respire profondément alors que j'inspecte les dégâts occasionnés par mes coups. La douce peau du fruit est enfoncée à de multiples points, déchiré même là où mon mawashi a porté. Si un humain s'était tenu là, il aurait de sérieuses contusions, voir même un os fendu. Enfin, s'il n'avait pas bougé.
De tels dégâts sont néanmoins impressionnants; bien que j'ai remarquer que, depuis que je suis Voyageur, mes capacités dans le monde onirique ont augmenté de manière surprenante, mon aura ajoute encore de la puissance, de la vitesse et du tonus à mon corps. Et je n'ai même pas utilisé sa capacité à me "pousser" lors de mes mouvements, comme quand je cours ou je vole. Non, J'ai simplement frappé.

"Et si je me booste ?"

Je me concentre un peu plus. Plus précisément, je me focalise sur mon bras gauche. Quand je sens la légère modification de présence qui caractérise cet état d'accélération que me donne mon aura, je raidis mes doigts en "griffe de pierre", kiaï et lance un coup direct.

*Flatch*

Je suis si surpris que j'en oublie la douleur dans mes doigts. La chair, pourtant presque aussi ferme que la mienne, s'est fendue sous mon attaque.Le trou, de la taille de mes deux poings, bée, alors que ma main est enfoncée dans la pulpe dégoulinante. Je la retire. Du sang coule de mes phalanges; la peau s'est fendu, légèrement mais, que diable ! Je me suis blessé.
La vitesse du coup est trop importante pour la résistance de ma propre chair ...

"Technique à éviter, donc ..."

J'ai déjà essayé, je ne peux pas faire prendre à mon aura deux états à la fois. Impossible de protéger ma main en la lançant aussi vite. Peut-être, avec le temps, pourrais-je passer de l'un à l'autre assez rapidement ? Hum ... Autant m'y entraîner dès maintenant, alors.
je m'éloigne, toujours en l'air, de la pêche massacrée. Ma main est poisseuse de mon sang et du jus du fruit. Je prend un peu d'altitude, à la recherche d'eau, ou quelque chose pour me laver. Plus loin, au delà d'un bananier sous stéroïde et d'un bosquet d'airelles, j'aperçois une flaque d'eau limpide, non loin d'une fraise de la taille d'une caravane. Je m'y dirige, repère au passage un Voyageur en train de déguster une pomme d'un rose insolent sous les feuilles d'un prunier démesuré, l'air de ne rien foutre et d'en être content. Ce royaume est un paradis pour les sacs dans son genre, tranquille, abondant et sécurisé.
J’atterris, secoue ma main pour en chasser les gouttes, m'approche de l'eau. Elle est si claire que tout s'y reflète comme dans un miroir poli.

Avant de troubler la pureté de cet étendue calme, je me détaille.
Je n'ai pas encore eu l'occasion de me voir ainsi dans Dreamland. Je suis le même que le jour. Grand, maigre, les cheveux longs, châtains aux nuances d'un blond-roux ambigu, qui descendent jusqu'à mes lombaires, ma tresse à la tempe gauche, indolente, pend jusqu'en dessous de ma clavicule. Y est accroché, je le remarque, une perle métallique terne, avec de petits symboles gravés. Les mêmes perles sont accrochés aux tresses de mon bouc, toujours presque roux. Mon œil droit est aussi injecté de sang, voir même plus, si la chose est possible. Mes vêtements, quant à eux, sont aussi les mêmes que d'habitude; la même veste longue et bleu sombre, une chemise à lacets brune, une ceinture fine de cuir brun sombre retenant un pantalon lâche, resserré aux chevilles, de couleur gris sombre. Mes pieds, je l'avais bien vu, sont nus. Mais je peux détailler plus en détail le gantelet et l'épaulière que j'avais déjà remarqué. D'un cuir semblable à celui de ma ceinture, l'épaulière est simple, au coté droit, attachée par un baudrier de légères sangles de cuir,qui passent sous mon bras, dans mon dos, et se croisent sur mon plexus. Le gantelet est lui constitué de quatre bandes de cuir cousues et d'une mitaine de cuir, le tout attaché par deux lanières à boucles.

Un mouvement dans l'écran de la flaque m'interpelle. Quelqu'un est derrière la fraise. Je plonge ma main dans l'eau, secoue rapidement mes doigts, fait volte-face. Après la rencontre avec Psycho, je me méfie. J'en ai réchappé par chance, autant ne pas la tenter plus. Je convoque mon aura, me met en position de combat, le buste de trois-quart, les mains ouvertes; prêt.

"Qui que tu sois, montre toi !"

Une silhouette émerge lentement ...

[HRP : Voici ^^ J'ai planté le décor, je te laisse le soin de conter notre rencontre. MP moi au moindre souci : HRP]

La poupée avait eu plus de réflexe que son invocatrice. Elle se prit une fourche en protégeant Shana, en pleine poitrine, son corps de porcelaine se brisant sous l'impact, et disparut. Je l'avoue, j'éprouvais un brin de satisfaction à voir cette insolente se faire disloquer sous mes yeux. D'un autre coté, je plaignais cette courageuse créature. Mon coté plus pragmatique déplorait d'un potentiel allié. Point de mauvais sentiments, que diable ! Elle a tout fait pour sa maîtresse, elle mérite mon respect.
Shana invoqua quelque chose, qui s’avéra être une autre poupée (elle était phobique des poupées ? J'avais des doutes, mais maintenant ... Je lui demanderai plus tard); celle ci portait une robe aux douces couleurs orangées, d'un style très américain du début du XIXe siècle, des cheveux verts formant deux anglaises sur ses épaules, avec une barrette/broche en forme de cœur à dentelles sur la tête. Moins snobinarde que la dernière, mais plus bon-enfant, presque trop, vu que l'invocation sauta au coup de Shana sans manières. Elle reçut quelques ordres de sa maîtresse (enfin, se fit crier dessus), et une corpuscule lumineuse, qui voletait autour d'elle et que je n'avais pas remarqué, se changea dans ses mains de porcelaine en un violon et un archet.

"J-B, bouches toi les oreilles !"

Je m'exécutais sans discuter (ce qui n'est pas mon genre, vous l'aurez compris), et plantais mes doigts dans mes orifices auditifs aussi vite que je le pus. Un affreux bruit retentit, alors que la poupée donnait un énergique coup d'archet. Le son était si puissant qu'il résonna dans les os de ma mâchoire, vrillant mes tympans en s'infiltrant dans ma pauvre boîte crânienne. Bien que bref, le son était d'une rare violence (violonce ? jeu de mots ?)
L'onde de choc retentissante passée, je tentais de reprendre mes esprits. Mon aura s'était évaporé, je la convoquais donc à nouveau, tout en voyant l'effet de la note ravageuse. Des fruits, au alentours, avaient éclatés, et ceux qui nous combattaient avec hargne étaient sonné, sur le sol, leur arme loin de leur mains.

"Tout va bien ? Je pense qu'on peut essayer de partir, qu'est-ce que tu en penses ?"

Shana ne semblait pas plus ébranlé que ça. L'habitude de son invocation, peut-être ? En tout cas, elle facilitais les choses d'une manière plutôt commode. Je fis flamboyer mon aura, me déliant les membres,tout en m'approchant d'elle. Elle était trempée, je le remarquais seulement. Décidément, cette fille semble tomber et se mettre dans des situations embarrassantes à longueur de nuits. Ses vêtements sont d'ailleurs vraiment légers. Hem ... Pas de reluquage, ce n'est pas mon genre, mais rien que la regarder me gêne pour elle.
Bref.

"Hum ? Oui, ils ont l'air K.O pour un moment. Bien joué à toi, poupée dont je n'ai pas entendu le nom. Je pars en reconnaissance aérienne,si tu permet."

Je bondis derechef, dans la direction opposée au bananier d'où était tombée celle dont je partageais l’infortune (bon gré, mal gré ?). La voie semblait libre de ce coté là, mais difficile à pieds, à cause d'une flopée de myrtilliers qui formaient un enchevêtrement tout sauf pratique. Je n'eus qu'à me retourner pour me décider : nous allions devoir passer par là. D'où venait Shana était surement rempli de ces fruits belliqueux, et derrière le bananier, un peu plus loin, en rangs d'oignons, clopinaient un contingent à noyaux et à pépins. Bon ...
Je redescendais illico près de Shana, remarquant avec une pointe d'angoisse qu'un fruit étendu avait tressauté.

"D'autres arrivent de ce coté, nous n'avons pas le choix, je crois. On va devoir couper par là, mais les myrtilliers géants vont poser problème si nous restons au sol. Aussi, pardonne mes manières cavalières mais..."

Je l'attrapais prestement, la portant dans mes bras, prenant la poupée sur mes épaules, et poussais de toute la force de mes jambes et de ma volonté. Je m'élevais tant bien que mal, trop lentement à mon goût. Je rasais les feuilles de mes orteils, alors que mon œil droit se mettait à couler, doucement. Il choisit toujours bien son moment pour faire des siennes, même à Dreamland ....
J'eus à peine la force de retenir notre chute, de déposer mes deux passagères avant de tomber à genoux sur le sol. J'avais l'impression que ma tête allais exploser, et tous mes membres tressaillaient. Je repris vite maîtrise de moi même, enfin en apparence, et me relevais en essuyant ma joue droite. Je le retiendrais : trop forcer avec mon pouvoir dangereux, très dangereux. Le léger mais prégnant goût métallique dans ma bouche l'atteste.
J'ai au moins, en me retournant, la satisfaction de voir que mon effort n'était pas vain : impossible de traverser au sol cette zone, à moins d'être un spaghetti.
Je me retourne vers Shana et sa poupée. J'étais si concentré que je n'ai pas du tout fait attention à elles. Ont-elles compris mon geste ? Elle aurait pu me coller un pain sans que je le sente, tant le transport ma coûté ...
A sa place, je l'aurais fait, je lui ai ,après tout, un peu forcé la main (mais à sa place je ne serais probablement pas trempée et à moitié nue tant mes vêtements sont peu couvrants. Enfin ...). Même motivée par de nobles intentions, cela passe moyen, à mes yeux.

[ HRP : effectivement, surtout au vu du pouvoir d'une de tes invoc, je t'ai forcé la main ^^ J-B ne peut cependant pas le savoir ... : HRP ]

Joie et félicité, elle accepte !
J'évitais d'exprimer trop cette émotion, l'écoutant poliment, mais j'exultai.
Mais mon contentement fut tempéré par son ton; cela sonnait plus comme une reddition que comme un acte de bon cœur. Je  n'eus cependant pas le temps d'en dire un mot, puisqu'elle disparut au milieu d'une phrase.
Oh, elle venait de se réveiller ...
Mais qu'importe, le rendez-vous était pris. Quelle roublardise de ma part, tout de même, de profiter d'une Voyageuse un peu trop gentille ... Elle ne semblait pas enchantée de ma demande, loin de là, et contraindre autrui, surtout une fille aussi sympa (et jolie), n'était pas dans mes habitudes. Pourquoi l'avoir fait ?

Parce que même dans un endroit aussi paisible que celui-ci, il était possible de se faire attaquer, et tuer sans autre formes  de procès. Les Voyageurs killer rôdaient même dans les Plaines, aussi la faiblesse était un luxe que je ne pouvais me payer. Shana, malgré son apparente désinvolture, possédait bien des atouts pour se sortir de mauvaises situations, avec ses invocations. Au vu de son comportement, elle se mettait souvent dans le pétrin, et s'en sortait. Pouvais-je en faire autant ? Sans doute, mais prudence est mère de sûreté. Je ne risquerai pas mon statut de Voyageur sur un excès de confiance, une fois m'a suffit.

"Demain, même endroit, hum ?"

Un détail m'interroge; si elle a disparu, c'est qu'elle vient de se réveiller. Mais la nuit, chez elle, n'est-elle pas complètement décalé par rapport à la Belgique ? Elle n'était certes pas de type asiatique ou africain, mais si elle est américaine, australienne, que sais-je encore ? Comment pourrais-je alors la rejoindre dès le début de la nuit ? Et




J'émerge brutalement de Dreamland, alors que mon jeune chat, intraitable, miaule de  plus belle, dardant sur moi un regard lourd de reproche.

"Ah, toi aussi tu veux de l'attention ?"

J'ouvres ma couette, et il y bondit sans plus de cérémonie, se lovant contre moi, ronronnant de contentement.

"Oui, oui, moi aussi ..."

Particularité de ce chat : il veut qu'on lui parle quand on le caresse, et semble même apprécier plus les paroles que les gestes.
Mais tout en le papouillant doucement, je rumine mes inquiétudes. Retrouverais-je Shana ?
Je me réprimande : si je doute trop, rien n'arrivera comme je le veux.
Ce qui arrivera arrivera.
Dreamland, la nuit, mais c'est le jour à présent.
J'ai mon café à préparer.



"Bon, retrouver Shana à la clairière de myrtilliers, retrouver Shana à la clairière de myrtilliers, retrouver Shana à la clairière de myrtilliers ..."

Dans le doute, je sature mon esprit de cette information, pour être sur de ne pas me retrouver ailleurs.
Je sens déjà le sommeil me guetter ...




Bon, je suis au bon endroit, c'est un bon début, non ?
Autour de moi, les arbustes sous stéroïdes n'ont pas changés, et les odeurs sont toujours aussi enivrantes, si ce n'est plus.
Mais pas de trace de Shana ...

"Elle ne tardera pas ..."

Auto-persuasion, une technique aussi bête qu'efficace.
Je me vautre dans les tourbillons olfactifs en attendant, savourant les si subtiles ou au contraire brutales associations des parfums fruités.
Je suis si transporté par les odeurs que je manque presque de réagir quand elle apparaît devant moi.
Je m'avance vers elle, un sourire mi amusé mi gêné aux lèvres.

"Bonne nuit, Shana, et merci d'être venue. On commence quand tu veux."