Il prit la feuille entre ses mains et l’examina comme s’il s’agissait d’une encyclopédie alien, perplexe, confus et totalement effrayé par la perspective devoir remplir les blancs qu’on avait laissé à son intention. Une série de questions s’étendait là, sur une petite dizaines de pages et l’on attendait qu’il y réponde avec la plus grande précision. Or, les espaces entre les lignes de pointillés laissés aux endroits indiqués étaient si petit qu’on aurait difficilement put y caser ne serait-ce que des pattes de mouches. Le sujet n’était pas spécifique et on lui demandait autant de résoudre des équations complexes que de disserter sur des points de droit onirique précis et de commenter des textes littéraires excentriques. Il s’arrêta à peine sur les questions concernant l’anatomie des créatures de neige du royaume des glaces et sur la physique inversée du royaume de l’envers. Pourquoi diable voulait-on que quelqu’un réponde à toutes ces interrogations ? Pourquoi insistait-on même pour qu’il le fasse lui, alors même qu’il n’en avait aucune envie ? Et pourtant, tout autour de lui, les autres participants étaient penchés sur leurs pupitres, sérieux et convaincus qu’ils pourraient décrocher la meilleure note. Chacun semblait parvenir à inscrire de minuscules caractères derrière chaque question. Lucien déglutit lorsqu’il remarqua qu’une horloge numérique affichant un compte à rebours impitoyable avait été enclenchée que dessus du tableau. Il ne restait déjà plus qu’une heure et il n’avait pas commencé. Il revint à la première question.

« Expliquez en une vingtaine de lignes le paradoxe temporel qui permet à deux voyageurs s’endormant respectivement à 23h30 et à 9h15 sur un même fuseau de passer leur nuit ensembles autour d’un même événement spécifique tel que la Nuit du Chat Noir ou la Celesta Fiest. (0,2pts) »

Et le compteur total des points indiquait que la note serait sur 1034,7. Comment quiconque pouvait espérer réussir cet examen dans le temps imparti ? Il aurait fallu être davantage qu’un génie pour obtenir la note maximum et d’après ce qu’il lisait sur le tableau vert de la salle, toute note en dessous de 993,9 serait éliminatoire. Comment avait-il pu atterrir ici ? Peut-être cela avait-il à voir avec l’examen de droit auquel il avait fait mine d’aller le matin même. Comme il ne pensait jamais à quelque chose de spécifique en s’endormant, il était bien possible que cela l’ait amené à revivre cet instant peu intéressant de sa journée. Il y était allé par jeu, dans l’espoir de pouvoir mettre n’importe quoi sur sa copie et s’était rendu compte qu’il connaissait l’essentiel des réponses. Il s’était ennuyé à les inscrire sur le papier. Le monde éveillé était à ce point lassant pour lui qu’il en acceptait toutes les règles puériles facilement, se disant que ce n’était qu’une nécessité pour permettre à son corps de poursuivre son existence quelque part, tandis que son esprit s’invitait nuit après nuit dans le véritable monde : Dreamland. Revivre l’expérience dans ses rêves conscient lui parut être parfaitement inconcevable et pourtant lorsqu’il vit le regard sévère du surveillant, il déglutit et plongea à nouveau le nez dans sa copie. Comment allait-il faire pour s’en sortir ? C’était impossible !

Subrepticement, il glissa les yeux vers son voisin, qui partageait sa table avec lui et tenta d’apercevoir les caractères manuscrits qui s’étalaient sur sa copie. Hélas, le voisin en question, repérant son mouvement, se plaça de façon à cacher ce qu’il écrivait et le surveillant, qui avait déjà les yeux braquer sur lui toussota pour lui faire comprendre qu’il ne valait mieux pas tenter de tricher. C’était horrible, il se pencha à nouveau sur sa copie, mais davantage pour se cacher dans sa détresse qu’autre chose. Ne sachant trop ce qu’il raterait en obtenant une note éliminatoire, ou même la façon dont celle-ci serait éliminatoire – avec Dreamland, il fallait s’attendre à tout – il se sentait plus perdu que jamais. Il n’y arriverait jamais ! C’était atroce ! Il chercha parmi ses camarades d’infortune studieux un quelconque soutien et découvrit alors que deux rangs derrière lui, sur sa droite, se trouvait un autre voyageur, apparemment aussi perdu que lui. En fronçant les sourcils, il finit même par le reconnaître. C’était son coéquipier du tournoi ! L’autre membre des Little Fears ! Comment s’appelait-il déjà ? Il ne s’en était jamais soucié. Naturellement, il avait une fois de plus oublié l’épisode du métro et de leur toute première altercation.

« Pssst ! » fit-il pour attirer son attention. « Psst ! Qu’est-ce que tu fous ici ! »

Il chuchotait, bien sûr et personne ne sembla faire attention à son intervention. Mais cela n’était peut-être qu’une impression.

Kaijin était apparu à Dreamland au sein d'un immense bâtiment. Bâtiment, qui ressemblait beaucoup trop à son lycée en version onirique et tellement moins accueillante. Les murs étaient grisâtres, et vide de toute émotions ou quoi que ce soit. Le jeune homme portait un baggie et une veste noire N7, il avait un sac noir Eastpack qu'il tenait dans sa main gauche. Son visage exprimait toute son incompréhension. Ses lèvres étaient légèrement entrouvertes, ses yeux étaient écarquillés et il secouait sa tête dans tout les sens et de tout les côtés.

Un homme s'approcha de lui, avec une sorte de calepin étrange et une pile de paperasse entre les mains. Il s'arrêta devant l'adolescent, les deux personnes se dévisagèrent longuement. Un peu trop longtemps même. Cet homme faisait partit d'une classe sociale assez mal aimée à School Land, il était très grand, frôlant les deux mètres. Il avait une silhouette ultra fine, un visage en forme de losange, des petites lunette et une peau grise à la consistance archaïque.

- Bonjour voyageur. J'ai un service à te demander.
- Et si tu allais te faire foutre ?
- En échange de deux cent Ev's.
- Hum, donc oui, quel est ce service ?
- J'aimerai que tu utilises mes nouvelles expériences pour l'examen.
- L'examen ?
- Tu n'es pas au courant ? C'est un examen pour accéder aux études supérieures de voyageur Killer.
- C'est perché vot' truc.
- Ouais. Je veux que tu test mon prototype lors de l'examen.

L'homme posa ses dossiers au sol et sortit de sa veste une sorte d'appareil cylindrique, pouvant être enfilé autours du doigt sans difficulté. L'homme repris.

- Voilà, passe ça autour de ton doigts lorsque tu seras installé et normalement tu devrais réussir l'examen sans problème. Voici une copie.
- Vous êtes bizarre, monsieur.
- Ce fut un plaisir.

L'homme fit un sourire à Kaijin et repartit, l'adolescent le regarda partir. Il haussa les épaules et regarda la copie, le nom de la salle était "DL 42", comme par hasard. Le morpheur souffla et se mit à marcher. Il regardait les numéros de toutes les salles et ainsi, il put atteindre et rejoindre la salle "DL 42". Il toqua, une vieille femme aigri lui ouvrit la porte et lui cria sèchement d'avancer. La salle était remplie de tables et de chaises quasiment toutes occupées, il ne restait que deux places disponible. La femme toisa de haut l'adolescent qui tourna la tête lentement, il lui lança un regard assez très insolent.

- Pauvre inconscient inutile, vous êtes en retard !

Le voyageur entrouvrit les lèvres mais, la voix sèche de la femme le coupa.

- Allez-vous asseoir !

L'adolescent soupira. Et se traîna jusqu'à une table, la deuxième place libre se trouvait juste devant lui. Il posa son sujet sur la table, prit place et passa le cylindre qu'il avait reçu autour de son doigt, un affreux mal de tête le saisit, aucun son ne réussit à sortir de ses lèvres, son corps était entièrement paralysé. Sa main se mit subitement à écrire un tas de chose sur la copie. Pendant dix minutes, jusqu'à ce qu'il relève brusquement la tête essoufflé. Devant lui, il y avait un nouveau voyageur. Un blond, diantre, Lucien. Kaijin se leva d'un seul coup.

- Putain ! Si je m'attendais à te voir ici ! Comment vas-tu ?

Le jeune homme avait tendu sa main au blond avec un grand sourire, les regards s'étaient tournés vers eux, celui de la harpie venait de les fusiller. Elle s'était levée en prenant une grande inspiration, ceux qui était familier avec cette personne savaient que ça allait chier.

[HPR : Gaffe au code Kaijin, ça pique les yeux ^^' /HRP]

Kaijin, voilà c’était son nom. De quelle culture venait-il déjà ? Le détail lui échappa lorsque l’intéressé lui répondit avec la même surprise. L’un comme l’autre, apparemment, ne s’attendaient à pas se retrouver ici. En même temps, à part les gros malades mentaux qui s’escrimaient tout autour de lui à trouver les réponses à ces questions idiotes, personne ne se serait attendu à débarquer ici un jour, n’est-ce pas ? Lucien ravala cette évidence lorsqu’il remarqua que Kaijin venait de remplir la dernière page de l’examen avec une réponse parfaitement rédigée en patte de mouches et qui faisait très exactement les cinq lignes demandées. D’ici, il ne pouvait pas lire ce qu’il avait marqué, mais le contrôleur du chaos avait l’impression nette qu’il s’agissait de a bonne réponse ou au moins d’une réponse correcte. Son ancien équipier était-il réellement là pour le plaisir ? Mais à qui avait-il à faire exactement. Il s’apprêta à le lui demander lorsqu’un pressentiment des plus sombres lui intima qu’on observait sa nuque avec insistance. Très lentement et avec un sourire innocent et gêné à la fois, il se tourna vers l’imposante silhouette féminine qui s’était avancé jusqu’à eux et qui les toisait avec le regard le plus noir qu’il ait jamais vu. Aussitôt, Lucien voulut être petit, tout petit, minuscule même. Il rentra sa tête dans les épaules, incapable de résister à cet assaut flagrant d’autorité. Quel piètre idéaliste du chaos et du n’importe quoi faisait-il à se plier ainsi devant le simple regard d’une surveillante !

« On ne parle pas pendant l’examen… » persiffla la créature des rêves avec une haine palpable dans sa façon de serrer les dents.

« Désolé m’dame… » répondit Lucien par réflexe.

« QU’EST-CE QUE JE VIENS DE DIRE ?!! » beugla-t-elle soudain, sans même perturber la concentration du reste de la classe, trop habitué à sa voix peut-être. « VOUS DEUX AVEC MOI, CHEZ LE PROVISEUR !! NATHALIANNOPOULESTATICH ! VOUS SURVEILLEZ LA CLASSE ! »

Et sans autre préambule, elle s’empara de leurs deux copies et les saisit tous les deux avec violence par le bras avant de les traîner par la force jusqu’à la sortie de la salle. Lucien et Kaijin furent bien forcés de suivre le mouvement tant ils avaient été pris par surprise, et aussi parce qu’elle était si grande et si forte qu’elle les soulevait tous les deux sans peine et qu’ils ne touchaient même plus le sol. Ses enjambées étaient si grandes que les couloirs défilèrent à la manière d’un paysage vu depuis la fenêtre d’un TGV lancé pleine belle sur les rails. Le contrôleur n’osa même pas faire le moindre geste ou la moindre remarque et se laissa ainsi balloter tandis que les talons de la créature résonnaient à chaque fois qu’ils rencontraient le sol. Plus vite qu’il ne l’aurait cru possible, ils se retrouvèrent tous deux devant une porte qui contenait la mention « Proviseur » et on les poussa à l’intérieur. Une autre créature des rêves, masculine cette fois, empâtée et avec une apparence âgée de professeur expérimenté, dans un costume parfaitement ringard les regarda entrer sans broncher. La surveillante déposa leurs copies sur le bureau et les força à s’asseoir sur deux chaises inconfortables, en face du maître des lieux.

« Monsieur le proviseur, » commença alors celle qui les avait pris en flagrant délit de bavardage, « ces deux voyageurs ont osé perturbé l’examen final de théorie onirique avancée en discutant. »

Aussitôt, les yeux du proviseur s’écarquillèrent, choqués.

« Non ! » s’exclama-t-il comme si c’était le pire crime au monde. « Vous n’avez pas fait ÇA ? »

La question était réelle et Lucien n’osa pas y répondre. Au lieu de ça, il envoya un regard vers son camarade, espérant qu’il aurait une parade secrète pour ce genre de situation. Après tout, n’avait-il pas l’âge d’être en classe quelque part ? Et puis, il avait l’air d’avoir été volontaire pour cette folie d’examen… Si quelqu’un devait les sortir d’affaire, c’était bien lui !

La surveillante, s'était glissée derrière Lucien, Kaijin leva un sourcil en la regardant, son visage se décomposa. Les veines de cette vieille créature semblaient prêtes à exploser, elle était l'incarnation de la colère. Avec toute la gentillesse du monde, elle leur demanda de la fermer, mais, Lucien eut le malheur de s'excuser, la femme explosa de colère. Son visage vira au rouge, mais au vrai rouge. Une réplique même de Satan. Ses poignets usés et sec attrapèrent les copies et les poignets des deux voyageurs.

Kaijin tenta de résister, sans grand succès j'en ai peur. Il fut littéralement emporté, mais ce n'était pas fini, une fois en dehors de la classe, la créature inspira puis expira. Les pieds de Kaijin traînés au sol, alors qu'il essayait tant bien que mal de se relever, la dame se mit à courir à une vitesse hallucinante. Le corps de Kaijin dégringola, ce fut son fessier et ses pieds qui furent traînés à une vitesse folle. Et ça faisait mal, très mal. La vitesse lui fit fermer les yeux, il avait envie de vomir. C'était trop, lorsque Lucien et lui furent lancés dans le bureau du proviseur, Kaijin se jeta jusqu'à la fenêtre qui se brisa au contact violent de son crâne, il passa sa tête par dessus la fenêtre et le contenu de son ventre accompagné de quelques gouttes de sang chuta. Kaijin se retourna et tituba jusqu'à une chaise.

Le proviseur et la surveillante attendirent patiemment qu'il les regarde avec son regard vide. Une fois qu'ils eurent obtenu une pseudo attention des deux voyageurs, la surveillante résuma la situation au proviseur. La réaction de ce dernier ressemblait à celle qu'il aurait eu si on lui avait annoncé que son établissement avait explosé alors qu'il n'avait pas encore rendu la garantie du local à Germaine. Il demanda confirmation aux deux voyageurs. Ce qui était une question rhétorique, il ne doutait absolument pas de la parole de sa plus compétente surveillante.

Lorsque Kaijin croisa le regard de Lucien, il comprit que le blond voulait qu'il les sorte de là. Le voyageur du surnaturel était un habitué de la manière forte. Il aurait put se lever et sauter sur la table, en arrachant le scalpe de cette vieille peau et en séparant la tête et le corps du proviseur comme on décapsule une bière ou une bouteille de coca en verre. Mais il ne pouvait le faire pour deux raisons. La première c'était qu'il avait un peu peur de cette femme quand même, de plus ses vêtements, en plus d'être déchirés, était détrempés de sang ce qui l'empêcher de sauter sur la table pour l'instant. Bon c'est vrai, humainement parlant même à Dreamland, c'était pas possible de décapsuler un homme, du moins avec le niveau de Kaijin. Mais c'était quand même classe. Kaijin regarda ses mains, dans la droite, il y avait le petit appareil qu'on lui avait donné. Il haussa les épaules puis se leva.

- Avant de nous condamner à mort, j'aimerais pouvoir vous expliquer notre travail. Mon camarade et moi sommes des ennemis de la tricherie. Il se trouve que récemment, nous avons été informés de l'existence d'un appareil, dédié à la tricherie.

Kaijin lança le petit dispositif sur la table, les deux personnes le toisèrent.

- Or le trafic, a lieu ici. Pendant que vous essayez de nous punir pour avoir joué notre rôle. Actuellement tous vos élèves trichent.

Le proviseur se sentit profondément insulté, quant à la femme, elle était ébahis par cette révélation, elle sortit de la salle de crainte qu'on triche dans sa salle. Le proviseur ne remarqua même pas qu'elle était partit, il serra les poings.

- Comment osez-vous m'insultez de la sorte ?

Contrairement à sa collègue, il ne faisait pas aussi peur. Kaijin bomba le torse.

- Voulez une preuve venant de Relouland ? Nous pouvons appelé notre employeur sur le champ si vous le désirez.

L'homme serra les dents et grommela.

- Une dernière chose, l'infirmerie, c'est par où ?
- Rez-de-Chaussé, à gauche.
- Trop aimable.

Il se tourna vers Lucien.

- Allons-y.

Puis il tourna les talons vers la sortie, dès qu'ils auraient passés la porte, ils seraient sauvés.

La réaction de Kaijin fut un peu plus remarquable que la sienne. Notamment parce qu’il alla vomir à la fenêtre, n’ayant apparemment pas apprécié être trimbalé ainsi dans tous les sens, et ce de manière exagéré. Pourquoi n’avait-il pas ouvert la fenêtre au lieu de la briser avec son crâne et ainsi d’écoper de plusieurs blessures ? Mais aussi parce qu’il prit leur défense de façon totalement inattendue. Il inventa une petite histoire qui paraissait parfaitement plausible, concernant un gang anti-tricherie. Et quand bien même faire partie d’une telle organisation contredisait tout ce en quoi Lucien croyait, il hocha vigoureusement la tête pour montrer qu’il était d’accord avec son camarade et que c’était effectivement inadmissible qu’on les ait ainsi interrompu dans leur travail. Sérieusement, s’il y avait eu un moyen de tricher et de passer outre les règles qui entourait cet examen, Lucien aurait préféré faire partie du réseau de triche. Néanmoins, dans la situation actuelle, son instinct lui dictait de se taire et d’appuyer les mensonges de son camarade. Il n’avait pas la moindre envie de subir l’ire du proviseur ou de la surveillante qui les avait traînés ici comme deux malpropres. C’était une bonne stratégie que d’accuser l’autre lorsqu’on était soi-même accusé. S’il réagissait mal, il chercherait à se défendre plutôt qu’à continuer à les harceler. Et ce fut le cas, puisque la surveillante partit en trombe afin de s’assurer qu’on ne trichait pas dans la salle. Le proviseur, lui, fut un peu plus sceptique, mais il tenta tout de même de répondre à l’accusation plutôt que de chercher à continuer à leur reprocher quelque chose. Kaijin insista donc en invoquant les plus hautes instances administratives de Dreamland. Là, ce fut au tour de Lucien de manquer de vomir. Employé par Relouland ? Et puis quoi encore ? Mais, encore une fois, il ne chercha pas à protester, l’histoire l’amènerait hors de ce bureau et des ennuis, c’était tout ce qui comptait dans son esprit.

Et en effet, sans que le proviseur ne cherche vraiment à les retenir, ils purent se lever en prenant des airs offensés et quittèrent le bureau la tête haute. Ils fermèrent la porte derrière eux et purent enfin soufflé. Ils avaient échappé au pire et Lucien, trop heureux, voulut accorder un « High Five » à son partenaire en présentant sa paume levée. Puis, ils s’éloignèrent un peu, cherchant l’infirmerie, par laquelle ils avaient vaguement besoin de passer tous deux. En chemin, le contrôleur du chaos essaya cependant de faire valoir son opinion sur le mensonge.

« Bien joué Kaijin ! » félicita-t-il. « C’était vraiment une bonne idée. Mais bon, tu aurais pu trouver mieux. Je veux dire, travailler pour des gens de Relouland afin de dénoncer des tricheurs ? Pouah ! Plutôt mourir ! »

Naturellement, il l’avait fait lui-même quelques mois plus tôt, lorsqu’il était allé protéger le classement de la ligue F. Cependant, il estimait tout cela très différent, vu l’ambiance déjantée qui avait régné cette nuit-là et le fait qu’il avait fait tout cela pour truquer ledit classement au final et permettre à son idole – le Major – de prendre la tête à la place de Spike – qui lui en voulait encore, mais qui était bien trop con pour partir sérieusement à sa poursuite. Il avait donc eu des excuses et ne pouvait être taxé d’hypocrisie dans le cas présent. Ils se retrouvèrent devant l’infirmerie bien plus vite qu’ils ne l’auraient imaginé. Il fallait dire, le bâtiment n’était pas gigantesque non plus. Habité par une petite aversion passagère des hôpitaux à cause d’une aventure relativement ressente impliquant une prise d’otage et un chauve bardé de couteaux, Lucien dit à Kaijin d’aller seul à l’intérieur profiter des quelques soins dont il aurait besoin, lui attendrait à l’extérieur. Ce qu’ils allaient faire ensuite ? Il ne savait pas et s’en fichait. C’était ça qu’il y avait de bien à propos de cette nuit, ils pouvaient faire tout un tas de choses qu’aucune école sur terre n’aurait jamais permis. Peut-être serait-il temps de profiter un peu du décor pour profiter de vieux fantasmes.

Alors qu’il attendait dans le couloir, une bande d’élèves fit son apparition. Il réfléchissait aux différentes conneries dont on lui avait toujours parlé à l’école, ces choses un peu folles qu’il n’aurait jamais osé faire avant qu’il ne devienne voyageur, lorsqu’il se rendit compte que le groupe l’avait repéré et se dirigeait vers lui avec des intentions peu claires. Il se redressa et les toisa sans trop comprendre ce qu’on lui voulait. Mais la horde d’élève était en colère et il finit par les reconnaître : c’était ceux qui  avaient été avec eux dans la salle quelques instants plus tôt. Il reconnaissait son voisin récalcitrant à la copie, ou encore l’élève modèle Nathaliannopoulestatich, qui était d’ailleurs à la tête du groupe. Lucien ne comprenait pas l’animosité qui les animait, mais se tint néanmoins sur ses gardes. Il avait un mauvais pressentiment, comme si ces étudiants n’étaient pas venus pour leur proposer de venir faire une partie de foot pendant la pause. Et dès qu’ils s’arrêtèrent à deux mètres de lui, il sut qu’il avait raison.

« Hey, regardez, c’est l’un des deux types qui nous a dénoncé. » lança Nathaliannopoulestatich à ses camarades.

Un rire s’éleva dans les rangs du groupe, un rire nerveux et pas content du tout. C’est à cet instant que Kaijin reparut.

« Et voilà l’autre ! » continua la meneuse des élèves. « Alors, comme ça, vous faites partie d’un trust anti-triche ? Comme c’est intéressant… »

Un grand sourire sadique se dessina sur les lèvres de toute la classe.

« Je crois qu’une petite séance de bizutage s’impose pour les deux nouveaux… »

Et merde.

Lorsqu'ils sortirent, les deux voyageurs fêtèrent leur réussite en tapant dans la main de l'autre. Pour Kaijin, la nuit prenait une sympathique dimension en compagnie de ce joyeux luron. Il aimait bien ce personnage, si on mettait à part leur petite mésaaventure au métro, ils étaient plutôt en bon termes. Ils formaient aussi un duo peu sympathique, pour lurs victimes. Leur amour pour le meurtre et les atrocités en tout genre était assez prononcé, bien que, Lucien était de loin le plus dérangé mentalement. Kaijin était juste le couillon du duo. 

Alors qu'ils s'étaient éloignés de quelques mètres et allaient quitter le couloir, Lucien donna son avis sur la prestation de Kaijin. Tout d'abord il le félicita, tout en soulignant qu'il aurait préféré décédé plutôt que de devenir un employé de Relouland. Il avait raison, mais Kaijin avait balancé ça au feeling, le coeur battant comme si il allait fuir de sa poitrine. 

- Ouais, c'est vrai que ça craint, manquerait plus que les hautes sphères de Relouland apprennent ça. Je pense quand même que ça valait mieux que de dire la vérité, on sait pas de quoi ils sont capables. 

Ils traversèrent l'établissement, qui était assez petit enfaîte. Ils traversèrent le hall principal pour rejoindre le couloir menant à l'infirmerie. L'entrée était constituée de deux portes peintes en bleu. Du cyan dégoûtant. Le voyageur poussa la porte laissant Lucien patientait devant. Une fois les portes passées, Kaijin se retrouva dans une salle d'attente, un mur longée le côté gauche de cette salle, de l'autre il y avait des vitres recouvertes d'affiche de prévention. Prévention à la con. C'était à peu près ce que pensait le boulet, avec un peu plus de vulgarité, peut être.

Il se tourna vers les vitres, une porte s'ouvrit, une grande femme l'invita à entrer, elle n'était pas vraiment belle, plutôt rassurante. Elle avait une silhouette très imposante, sa voix était douce et posée. Le voyageur rentra, il lui fit l'inventaire de ses blessures lui donna son faux statut ce qui sembla l'intéresser. Elle ne lui posa de question trop technique, il réussit à s'en sortir. Dès qu'une question était un peu trop complexe il disait que c'était top secret. La dame essuya le sang qui s'écoulait de son front, puis, elle plaça une compresse sur la plaie qu'elle fit tenir avec une bande qui entourait le crâne de l'adolescent. Elle désinfecta également les plaies de ses jambes puis les recouvra de bandage. Il s'étira remercia la femme et sortie de la salle, puis de l'infirmerie.

Devant lui se dressait un groupe d'élèves, qui avait été présent dans leur salle d'examen. Au milieu il y avait la binoclarde au nom imprononçable. Putain, quel cheveux de merde sérieux. Ils étaient châtain et elle en avait fait des couettes de chaque côté mais, ils paraissaient sec et poussiéreux. Lorsque Kaijin ésortit de l'infirmerie, ils ricanèrent, puis parlèrent des fausses identités des deux voyageurs. Mais, toutes les personnes de cet établissement étaient-elles débiles ?

- Je crois qu’une petite séance de bizutage s’impose pour les deux nouveaux…

Il y avait un tas de chose à ne pas énoncer devant Kaijin si on tenait à sa vie onirique. Le mot ''bizutage'' en faisait partie. Le visage de l'adolescent se déforma. Sa joue gauche était crispée, elle emportait avec elle les lèvres du voyageur. Les sourcils de ce dernier étaient froncés. Ce groupe d'infâmes enfoirés avait réveillé en Kaijin les souvenirs de son entrée au lycée. Il avais subit un bizutage et n'avait put se venger, Dreamland lui offrait l'opportunité de réparer son erreur. Ses cheveux avaient été transformés en recette de cuisine douteuse. Oeuf, farine, soda en tout genre. Il avait eu tout un frigo dans les cheveux. Les dents de Kaijin grincèrent. Il s'avança, la respiration haletante et frappa le nez de la demoiselle. Si fort qu'elle en recula et s'écroula, les mains plaquées contre son nez. L'un des élèves tenta de frapper au visage l'agresseur qui attrapa le bras et attira son adversaire vers lui, il lui planta avec force son index dans l'oeil, ajoutons à cela l'attraction de ce jeune homme, autant vous dire que le sang et les cris n'étaient pas sans raisons. Le voyageur aurait continué si on ne l'avait pas attrapé et immobilisé. Nathaliannopoulestatich venait de se relever, elle regarda Lucien et Kaijin avec une animosité peu commune.

Lucien inspira à fond pour faire entrer l’air dans ses poumons, sachant pertinemment que bientôt, on chercherait à le replonger dans le miasme aqueux qui lui servait de baignoire. Haletant, il observa les visages alentours, tous mauvais et déterminés à rire de son sort misérable. En tête de cette petite séance de torture, le nez brisé de Nathaliannopoulestatich quémandait une vengeance des plus mesquines.

« D’accord, d’accord, je vais tout vous dire ! » lança-t-il, même si cela ne répondait pas vraiment à l’interrogation qu’ils avaient. « On est pas des inspecteurs anti-triche, on a juste dit ça pour pas se faire chopper ! On est même pas inscrit à l’examen ! On est des voyageurs ! »

« Ah ouais ? » répondit la déléguée avec un sadisme grandissant. « Quand tu es dans la panade face aux profs, tu dénonces tes camarades toi ? C’est ce que j’appelle un coup bas, ça mérite un autre bain. Qu’est-ce que vous en dite les gars ? »

« Ouais, et un long même. » renchérit un autre.

« Non, non, non ! » supplia Lucien. « S’il vous plaît ! Faites pas ça ! C’était pas mon idée, c’était la sienne ! Je vous le jure ! C’était pas moi, c’était lui ! »

Mais trop tard, on le laissait déjà retomber dans cette immense marmite et dans la substance écoeurante qui en formait le contenu. Alors que sa tête sombrait à nouveau sur la surface et qu’il fermait désespérément la bouche pour ne rien avaler qui le fasse vomir ou ne l’étouffe, il se reprit à admirer l’ingéniosité du stratagème employé par ses tortionnaires. Il était pendu par les pieds, avec les mains ligotées dans son dos, au niveau des hanches. Il avait beau se débattre rien ne semblait pouvoir défaire ces nœuds, il était bel et bien à leur merci, maintenu la tête en bas, juste au-dessus d’une marmite pleine de ce liquide infâme. De l’autre côté de la corde, après deux poulies disposées de manière adéquat, se trouvait Kaijin, dans une position similaire. Leurs corps faisaient contrepoids et lorsque l’un plongeait dans sa marmite l’autre remontait à la surface et se trouvait à nouveau à l’air libre pour quelques temps. Ils ne les maintenaient immergés jamais assez longtemps pour les noyers, mais suffisamment pour discuter un peu plus avec eux à chaque fois. Et comme l’un était immergé quand l’autre parlait, il était impossible pour eux d’entendre ce qu’ils racontaient à leurs tortionnaires. Ils ne pouvaient pas faire concorder leurs versions des faits ou même savoir si l’autre les avait lâchement vendus.

Lucien se demandait si Kaijin aussi avait craqué et leur avait tout balancé. Lui-même avait tenté de résister, mais en vain. La technique était bien trop efficace et ils étaient bien trop experts en la matière pour se laisser avoir par un bleu dans son genre. La première et la seconde fois qu’on l’avait ressorti du bassin, il avait hurlé une série d’insultes bien senties. La troisième fois, il s’était contenté de se taire et on l’avait puni d’un coup de poing dans le ventre. La quatrième fois, il avait eu la bonne idée d’essayer d’attraper dans sa bouche une partie du liquide pour le recracher sur ses ennemis dès qu’on le ressortirait. Vu le goût atroce du miasme, il avait amèrement regretté ce choix et son attitude lui avait valu de nouveaux coups – pire, il avait manqué sa cible lamentablement. La cinquième fois, il avait tout avoué, incapable de résister plus longtemps.

Les choses s’étaient passées très vites. Dès que le groupe était arrivé pour les menacer d’un bizutage en règle, ils avaient tenté de se défendre. Kaijin, avec plus de véhémence que Lucien, était parvenu à mettre quelques coups. Le contrôleur du chaos avait suivi en tirant son marteau de sa poche, venant à la rescousse de son camarade déjà en difficulté. Mais le nombre était une valeur trop sûre pour emporter la victoire. A quarante contre deux, ils n’avaient eu aucune chance, on avait pris son marteau à Lucien et on l’avait laissé dans le couloir, on les avait immobilisé, puis on les avait trainés jusqu’à une salle de classe abandonné des sous-sols où la séance de bizutage avait commencé. Apparemment, ce n’était pas la première fois qu’ils faisaient subir ce supplice à des nouveaux. Combien de temps tout cela allait-il durer ? Il n’en savait rien. Mais d’après ce qu’il avait cru entendre, ce n’était que la première étape. Il espérait sincèrement que la seconde serait plus sympa.

Les élèves détachèrent Kaijin et le jetèrent, avec Lucien, au fond de la pièce. Pièce qui ne pouvait appartenir qu'à une école onirique. Ou, une école spécialisée dans l'apprentissage de choses glauques, comme le dépeçage de chat en Sibérie ou le sadomasochisme.
La pièce était peu éclairée, évidemment, elle se trouvait au sous-sol d'un des bâtiments de Scool-Land, les murs étaient faits de briques mal entretenues. Le sol était assez rocailleux, on ne l'avait pas urbanisé. Les vêtements et les corps trempés des voyageurs furent recouverts de terre en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire de poussière, terre, tout ce que vous voulez.

La mafia d'élève les encercla, Kaijin éjectait ses boyaux à quatre pattes suite à une quinte de toux un peu trop forte. Sa main droite sur son thorax. Son épaule droite vacilla vers le sol, il s'écrasa, le dos heurtant les roches couvertes de terre lui arrachèrent une grimace. Il avait avalé de ce liquide infâme par mégarde, ce qui avait provoqué une irritation en sa gorge, raison pour laquelle il avait crachoté ses boyaux, qu'il en avait quasiment vomis, pendant presque une minute. La meneuse au nom imprononçable ricanait dans son coin. Un pansement recouvrait son nez. Elle inspira et prit la parole.

- Aaaaaah. Qu'elles sont mignonnes ces balances. Alors les gars, on pourrait leur faire quoi ?

Pendant que plusieurs des élèves tentaient des propositions toute plus ridiculement bêtes que les autres, le voyageur du surnaturel releva la tête, une expression interloquée sur son visage.

- Vous y croyez sérieusement ?

L'adolescent venait de brusquement de leur couper la parole. Les tortionnaires regardèrent leurs victimes. Lucien avait donc dit vrai. Ils étaient franchement surpris par ce qu'ils venaient d'entendre. Il y eut un moment de silence, où les créatures se consultèrent par un regard. Nathalianoujenesaiquoi inspira une nouvelle fois.

- Que vous disiez vrai ou non, on est quand même recalé.

Son regard avait changé, cet examen était sûrement insignifiant, mais à Scool-Land, la seule motivation des habitants était de réussir les mêmes examens inlassablement. Ses comparses baissèrent les yeux tandis qu'elle, se mordillait la lèvre inférieure. Le voyageur du surnaturel ... Éclata de rire. Un rire rauque et sonore à s'en étouffer, il bascula se retrouvant une fois de plus sur le dos. Il n'arrivait plus à s'arrêter, les élèves étaient très gênés par ce comportement et ne savaient que faire. Kaijin essaya plusieurs fois de se relever sans réussir. La meneuse s'énerva, son visage se déforma sous la colère. Elle se jeta sur Kaijin et plongea son index et son majeur dans les narines du voyageur accompagnant cela par un cri de rage. Elle ordonna à deux élèves de la suivre et aux autres de s'occuper de Lucien.

Elle faisait traîner le corps de Kaijin en l'enguirlandant, ce dernier se débattait, il faut dire que la douleur était atroce. Il y a quelques instants, il versait des larmes suite à son fou rire, là, c'était à cause de la douleur. Ses pieds frappaient frénétiquement les marches de l'établissement, ils venaient de quitter la cave glauque. L'escalier n'était pas du tout en accord avec cette dernière. Il était bien propre, gris et par-dessus tout : neuf. Mais passons ces moments ennuyants.

Le Kaijin fut projeté dans une salle de classe vide, il renversa plusieurs tables et chaises causant un tonnerre de décibels. De ses narines, deux épais flots de sang coulaient. Il roula sur le même et posa sa tête contre le sol laissant son sang salir le carrelage froid. Il fut soulevé par la demoiselle, cette fois pas par les narines, mais, par la capuche de sa veste noire. Elle le traîna jusqu'au fond de la salle, fit descendre une chaise au sol et ancra le Kaijin dessus. Ce dernier était clairement ailleurs, en même temps, faîtes vous écraser le fond des narines par une demoiselle aux ongles pointues pendant près de deux minutes, on verra comment vous vous sentez après.

Donc, Kaijin fixait ses pieds comme s'ils étaient la réponse à l'Univers, la Vie et le Reste. Le bruit d'une pile de papier atteignant les cinquante centimètres s'écrasant sur sa table le fit sursauter. Il se cloua sur sa chaise, effrayé devant tant de papier.

- Puisque tu as l'air d'aimer la paperasse, tu vas en bouffer, d'accord ?

Elle sortit et fit rentrer les deux élèves qui vinrent se mettre chacun d'un côté de la pile, face à Kaijin.

- Héhé ... Vous plaisantez hein ?

Le regard des deux jeunes était dur et autoritaire, celui de droite posa sèchement un couteau et une fourchette sur la pile. Apparemment, Scool-Land était adepte du premier degré.

Suivre docilement le groupe et surtout, ne pas faire d’émules. Kaijin et Lucien étaient à présent les jouets de ce groupe d’élèves et ça commençait à en devenir agaçant. Non seulement le contrôleur n’avait aucune envie de subir des sévices toute la nuit, mais, de plus, on lui avait pris son marteau quelque part – il ne se souvenait même plus quand. Bref, désarmé et à la merci d’un groupe d’individu bien déterminé à les tenir en respect pour le restant de la nuit – heureusement qu’ils n’avaient pas de tatoueur pour enfermer les gens dans un cycle de réapparition systématique… En tout cas, il espérait de tout cœur que personne n’avait été assez fou dans ce royaume ou même dans tout dreamland pour leur procurer un autre – il était contraint de les suivre sans rien dire. Or, s’il y avait bien une chose que Lucien détestait, c’était d’être contraint d’une manière ou d’une autre. Là, il se laissait trimballer d’une salle à une autre, d’un étage à l’autre sans rien dire, pour la simple et bonne raison que quand son camarade avait explosé de rire pour une raison inconnue, ou peut-être par nervosité, celui-ci avait été emporté « par les trous de nez » jusqu’à la prochaine salle de torture. Faisant un calcul parfaitement rationnel sans s’en rendre compte, Lucien avait décidé qu’il n’était pas utile d’ajouter à son malheur entre chaque nouvelle idée pour le faire souffrir et l’humilier. Néanmoins, ses méninges apeurées ne cessaient de fonctionner à plein régime pour trouver une solution à son problème principal, à savoir renverser cette situation d’une manière ou d’une autre et ne plus être le jouet de ces étudiants en colère.

La solution lui vint alors qu’il marchait dans le sillage de Kaijin – qui, lui, était bringuebalé plus qu’autre chose. Il se rendait compte que malgré l’absurdité totale de leur réaction – à savoir se mettre dans un état pareil pour un examen aussi ridicule –, celle-ci était parfaitement légitime de leur point de vue. Attention, cela ne rendez pas leur point de vue légitime pour autant. Quoi qu’il en soit, ils voulaient passer leurs nerfs sur quelqu’un et il se trouvait qu’une solution facile s’était présentée à eux en la personne de ces deux voyageurs aux tendances délationnistes. Si on faisait un tout petit effort de compréhension, on parvenait à comprendre pourquoi cette situation allait probablement dégénérer à mesure que la nuit avancerait. Et ce phénomène était irréversible car jamais Lucien et Kaijin ne pourraient revenir en arrière pour effacer la faute pour laquelle ils étaient condamnés. Plusieurs solutions s’offraient donc à eux. La première, bien entendu, était de fermer les yeux en attendant que ça passe. Une autre consistait à les provoquer et à chercher une erreur dans leur plan vengeur pour s’échapper à la première occasion, probablement en abandonnant un camarade dans le besoin dans la foulée. Néanmoins, une troisième solution lui apparut alors qu’il grimpait ces marches, gentiment poussés par ses accompagnateurs désignés afin de trébucher une fois sur quatre. Ils étaient en colère oui, et la solution allait dégénérer. Mais la question primordiale était de savoir dans quel sens allait aller le schmilblick. Car naturellement, aucune loi n’imposait à ces élèves de s’en prendre à eux spécifiquement, non ?

Mais avant que Lucien ne puisse intervenir, les deux voyageurs furent séparés. On emmena Kaijin dans une salle de classe et Lucien dans celle qui se trouvait juste à côté. Le problème c’était justement que si le morpheur était à présent dans ce qui ressemblait à une salle de classe, Lucien, lui, avait plutôt droit au laboratoire de chimie. On le poussa à nouveau et il s’étala sur le sol carrelé de l’endroit.

« Exercice pratique. » commenta l’élève qui avait été désigné pour le torturer – au moins avait-il la satisfaction de ne pas avoir à faire à l’autre pimbêche. « Tu vas nous créer un petit produit et le tester. »

Ils lui balancèrent un livre à la gueule, qui s’ouvrit miraculeusement à la bonne page. Il lut rapidement, en diagonale, de quoi il s’agissait. Naturellement, l’expérience n’avait rien de facile et plus encore, traitait avec des produits hautement dangereux. Il fallait même ajouter que les utilisations du produit final risquaient d’être tout aussi dangereuses, dans le genre petit explosion asphyxiante, apparemment on ne faisait pas mieux. Bref, l’idée était de le forcer à manipuler des machins qui pouvaient exploser, le brûler, l’étouffer, tout en s’assurant qu’à la fin, il teste sur lui-même les effets néfastes de la mixture. Et il ne doutait pas, en voyant leurs regards, qu’ils allaient tout faire pour le déconcentrer dans les moments les plus rudes. Heureusement, il avait une autre solution en poche, un échapatoire.

« Quel gâchis… » se lamenta-t-il en se relevant et en faisant mine de vouloir commencer l’exercice. « Et dire que vous pourriez tout de même réussir l’examen… »

« Arrête ton char, sale traître, on marche pas dans tes combines. »

« C’est con pour vous alors. » expliqua-t-il. « Parce que si vous avez de quoi créer des produits pareils, je vois pas pourquoi vous êtes encore là à pleurnicher sur moi et mon pote. Vous pourriez déjà avoir forcé le directeur à vous mettre les meilleures notes possibles. »

Les autres se moquèrent.

« T’as rien compris pauvre tâche. » lui répondit-on. « Déjà, on est très heureux de s’amuser un peu avec vous. Ensuite, le but, c’est pas d’avoir une bonne note à l’examen, c’est de le réussir. »

« Bon, alors vous auriez pu le forcer à vous le faire repasser ! » s’emporta un peu Lucien. « Et puis sérieusement, si vous aimez torturer les gens, autant le faire sur les bonnes personnes plutôt que sur des crétins qui peuvent rien vous apporter. Là, je vous propose de vous amuser ET de réussir l’examen. Vous êtes cons ou quoi ? »

Bon, l’insulte était peut-être de trop. Mais il avait néanmoins réussi à les faire froncer les sourcils. Ils se retournèrent les uns vers les autres et se concertèrent dans un conciliabule improvisé, fait de messes basses et de regards en biais dans sa direction. Une minute plus tard, ils revinrent vers lui en croisant les bras avec un air sérieux.

« Bon, qu’est-ce que tu proposes exactement ? »

Sandman eut un sourire immense, jusqu’au oreille. Ce soir, il allait finalement pouvoir instaurer le chaos dans cette école.

« On va faire ce produit en grande quantité et on va avoir besoin de papier, de beaucoup de papier… »

Kaijin regarda un long moment les couverts posés sur la pile de feuilles. Le couteau, la fourchette, la pile de feuilles. Il leva vers les yeux vers un de ses tortionnaires, qui le fusilla d'un regard mauvais. Plein de haine. Les yeux du voyageur se tournèrent vers l'autre personne présente dans la pièce, le même regard le fusilla. Il baissa la tête, intimidé par ces deux personnes, ce n'était pas dans ses habitudes, mais ces tortionnaires l'avaient bien effrayé. Il attrapa le couteau et la fourchette et commença à couper le papier.

Il engouffra une bouchée dans sa bouche et mâcha en faisant une grimace. Il regardait les deux personnes pendant sa grimace, leurs visages avaient changé, ils ricanaient en regardant Kaijin de manière mauvaise. Quant à lui, il avala péniblement la bouillie qu'avaient été les bouts de papier. Il déglutit bruyamment et fut prix d'une quinte de toux juste après. Alors qu'il crachait ses poumons, les deux autres éclataient de rire, ils vacillaient tant leur fou rire était puissant. Kaijin frappa son thorax plusieurs fois pour calmer sa toux.

Il se remit face à la table, il avait presque chuté de sa chaise. Les deux élèves avaient du mal à s'en remettre. Les yeux de Kaijin toisèrent tous les éléments importants. Passant d'un élément à un autre très rapidement. Le premier élève, l'autre, la pile, la fourchette, une tâche de gras, la porte, le couteau, la table, la pile, un élève, l'autre, fourchette, la porte. Porte, élève, table, pile, fourchette, élève, couteau, table. Table.

Kaijin se leva d'un seul coup, frappant la table avec son genou. Cette dernière s'éleva en l'air. La musique de Beethoven entendu dans le film Orange Mécanique rythma les mouvements du voyageur. Un des élèves tomba à terre, l'autre se colla contre le mur les bras devant les yeux, la pile de feuilles virevolta dans les airs. Le corps de Kaijin tourna, il attrapa sa chaise et la lança sur l'adolescent encore debout, ce dernier s'écrasa au sol. Le voyageur sauta au-dessus de la table, se pencha pour attraper une poignée de feuilles. Ces feuilles seraient destinées à la bouche de celle qui avait orchestré tout ça. Mais pour l'heure, il fallait qu'il sorte et échappe aux élèves présents dans la salle.

Kaijin sortit de la pièce et se mit à courir dans le couloir, changeant de direction le plus souvent possible pour semer ses poursuivants. Qui étaient restés au sol assez longtemps pour ne plus pouvoir rattraper le voyageur. Sauf, que ce débile, il avait couru pendant cinq minutes, convaincu qu'on était en train de le poursuivre. Lorsque plusieurs points de côté lui tiraillèrent les côtes, que ses jambes réclamèrent du répit, il s'arrêta, fit quelques pas en avant de poser son bras contre le mur, il haleta, releva la tête, et faillit mourir de peur. Nathaliannopoulestatich était devant lui, elle serra son gobelet qu'elle avait dans la main et le laissa tomber. Kaijin se redressa. Il se mit à sourire. Puis à tousser, violemment, la demoiselle avança vers lui. Il se redressa toujours souriant, il savait qu'il n'avait aucune chance dans un affrontement ''basique''. Il avait un plan. Risqué, mais se retourner lui demandait un effort impossible.

Il s'élança vers la déléguée de classe. Elle accéléra aussi, serrant son poing et criant comme un personnage de shonen l'aurait fait, elle avait en elle le pouvoir de la détermination, du travail bien fait, de la justice. Tandis que Kaijin se jeta au sol. Comme ça. La tête en avant, droit comme un piquet. Il s'écrasa littéralement le visage contre le sol. Sa joue droite s'écorcha contre le sol. Mais le bas de son corps fut projeté en l'air, défiant les divines forces de la gravité, ses deux pieds s'écrasèrent contre la figure de Nathaliannopoulestatich. Pour qu'ensuite, ils soient rattrapés par la gravité, ses chevilles s'écrasèrent au sol, il resta un instant sur le sol et peina à se redresser. Son visage était rouge vif, son corps encore endolori. Il se retourna assez lentement pour ne pas trop souffrir et se remit à courir, ses jambes allaient lui en vouloir, comme sa joue, mais au moins il avait gagné du temps.

Alors qu'il empruntait de nouveaux couloirs, la leadeuse avait finit par rattraper. Elle était très endurante et sa détermination lui offrait une condition physique à toute épreuve. Kaijin surgit dans un autre couloir, une multitude de portes donnant sur des salles de cours se trouvait face à lui. Il allait pouvoir se cacher, ou du moins brouiller les pistes, il entendit des pas, il décida de glisser ses feuilles sous une porte, faisant en sorte qu'elles soient également visibles du couloir. S'il avait eu la bonne idée d'enfoncer la porte, il aurait trouvé Lucien. Au lien de ça, il avait fusé à travers le couloir, effrayé par l'arrivée de celle qui le poursuivait.

Et c’est à cet instant q’une volée de feuille débarqua dans la pièce en volant par-dessous la porte. Lucien se dit que Dreamland était quand même bien fait. Voilà qu’il commençait à fomenter une révolution étudiante afin de s’épargner moult sévices, redirigeant la colère qui habitait ses ennemis contre un éventuel rectorat ou plus précisément contre ceux qui tenaient les rennes de ce concours, et que soudain, une pile de matériel débarquait pour les tracts. En voilà une nouvelle ! Il eut un grand sourire et les autres s’étonnèrent de cette apparition quelque peu divine. L’un d’eux se pencha pour ramasser une feuille et remarqua que l’un des bouts avait été coupé, phénomène intriguant. Lucien décida de reprendre la parole.

« Très bien ! » s’exclama-t-il. « Voilà qui est fait ! Et maintenant, on va… »

Mais il n’eut pas le temps de terminer, la porte s’ouvrit en coup de vent et Nathaliannopoulestatich apparue, très en colère et légèrement amochée par on ne savait quoi. Elle toisa la pièce, cherchant visiblement quelque chose qui ne s’y trouvait pas. Lucien se demanda cependant si elle était au courant de sa machination et si elle était venue le trouver pour l’arrêter. Quelque chose lui disait que si l’idée ne venait pas d’elle, elle aurait probablement tout refusé en bloc. Mais les deux autres, ses tortionnaires attitrés, avaient été convaincus et ils décidèrent de lui faire part de la proposition.

« Oh, Nathaliannopoulestatich ! » fit l’un d’eux. « On a eu une idée pour pouvoir réussir l’examen quand même ! »

Naturellement, elle ne les écouta pas. D’un « La ferme ! », elle s’enfonça dans la pièce pour vérifier que personne ne se trouvait caché sous les tables. Les deux autres la suivirent, assurant que ce qu’ils avaient à dire était très important. Et Lucien se retrouva soudain seul, face à une porte ouverte, avec pour seul obstacle notable la table du parfait petit chimiste. Il lança un regard aux élèves qui semblaient concentrés sur autre chose. La déléguée risquait de ne pas être d’accord du tout à présent, elle était déjà bien énervée pour une autre raison. Son plan tombait quelque peu à l’eau. Il fallait donc qu’il trouve une autre solution à son problème et étrangement, cette porte ouverte s’annonçait comme un signe de bonne fortune. Sans attendre plus longtemps, il sauta par-dessus la table et se mit à courir, courir aussi vite et aussi loin qu’il le pouvait. Il entendit alors l’énervement de Nathaliannopoulestatich derrière lui qui réprimandait déjà ses camarades pour l’avoir laissé s’échapper, mais ne chercha pas à comprendre le sens de ces mots hargneux. Tout ce qu’il comprit, c’est qu’on se lançait à sa poursuite.

Il fila aussi vite qu’il le put, dans le sens le plus bordélique possible. Trouver une sortie aurait pu être une priorité pour lui et ça l’était d’ailleurs. Mais suivre un tracé logique en vue de cet objectif était tout autre chose. Il courait dans tous les sens en entendant des pas, toujours plus nombreux à mesure que l’on rameutait d’autres membres de cette classe follement dangereuse pour le suivre. Jusqu’à ce, qu’au détour d’un couloir, il rentre dans quelqu’un et chute avec cette autre personne. Et cette personne, ce fut Kaijin, lui aussi échappé par miracle. Ravi, l’esprit retors de Lucien se mit immédiatement en mouvement et ne laissa pas à son ami le temps de réagir proprement.

« Vite ! Il faut qu’on sorte d’ici ! » lança-t-il avec une détermination étonnante.

Puis, il attrapa l’autre membre des Little Fears, le souleva et l’entraîna avec lui. Alors, il se mit à courir vers la fenêtre la plus proche, espérant la briser, passer au travers et retomber sur le sol. Ils étaient au premier étage.

Les jambes du voyageur lui crièrent de s'arrêter un moment, ce qu'il fit, réduisant peu à peu sa course, il avait bien mérité une petite pause après tout. Il soufflait bruyamment, on aurait dit un buffle. Il déboucha sur un énième couloir, prenant à gauche pour une fois, l'adolescent marchait tranquillement à présent. Il fallait bien laisser ses jambes se reconstituer un tant sois peu. Kaijin avait le droit à de belles courbatures et bientôt, il allait devoir refaire travailler ses jambes, d'une manière encore plus douloureuse.

Il entendit une conversation entre deux élèves, il ne put voir leurs visages, mais ils parlaient d'un blond et d'un mec moche aux cheveux bleus. L'adolescent fit la moue. Il n'était pas moche, c'était indéniable, il se faisait cette réflexion pour flatter son ego tout en rentrant dans une classe sombre. S'il avait fait plus attention, il aurait pu voir que les deux élèves étaient ceux qui l'avaient retenu et forcé à manger du papier.

Pour l'instant, il s'enfonçait dans la salle sombre à pas feutrer. Pour garder une once de discrétion. Il commença à fouiller les tables, les bureaux, récoltant divers crayons de couleur et stylos, qu'il fourra dans ses poches. Un bruit suspect lui fit dresser la tête à une vitesse assez hallucinante, ce qui donna un effet assez rigolo, on aurait dit un lapin qui relevait la tête en ayant entendu un renard. Pour le coup, il y avait deux renards. Qui se demandaient pourquoi la porte était ouverte.

Kaijin disparut presque instantanément sous le bureau qu'il fouillait. Il put voir les semelles de ces deux tortionnaires, à deux rangées de lui. Il rampa discrètement jusqu'au mur tout en s'arrêtant régulièrement et en guettant l'activité des deux personnes. Il se plaqua contre le mur, se calant difficilement sous un radiateur. Qui fonctionnait un peu trop à son goût, du sang coula de ses lèvres, il se répétait que c'était pour se concentrer. Au fond de la salle, il y avait une porte, il espérait de tout son être qu'elle était ouverte.

Il roula sur lui-même pour quitter son radiateur, et, les genoux pliés, la respiration lente et silencieuse, il progressa. Les deux hommes s'étaient séparés, l'un arrivait vers Kaijin qui se cacha sous un bureau. L'avantage de ces derniers résidait dans le fait que des planches fermaient le bureau, ce qui obligeait les élèves à ne pas battre des pieds sous peine d'être repéré et moqué. Kaijin se concentra de nouveau sur sa situation lorsqu'il vu une paire de semelles passer devant lui et regarder sous le bureau juste à côté du siens. Quelle saloperie de chance.

Dès que les pas s'éloignèrent, Kaijin sortit de sa cachette et regarda vers la porte. Que quelques mètres. Prenant son courage à deux mains, il bondit au-dessus du bureau, courant vers la porte à toute allure, les deux élèves crièrent et se lancèrent à sa poursuite. Il s'arrêta, ouvrit la porte et projeta son pied en arrière, un de ses poursuivants s'écrasa contre ce dernier. Kaijin passa par la porte qu'il referma aussi vite, gagner du temps était non négligeable. Il était à présent dans une autre salle, il se précipita vers la sortie, revigoré par l'adrénaline. Sa course dans les couloirs reprit. Avec deux personnes derrière lui qui criaient de vives voix. Il tourna pour arriver dans un autre couloir, où il croisa la déléguée, sans réfléchir, il fonça et la bouscula. La course s'intensifia, l'adolescent ne se souvenait même plus que ses deux précédents tortionnaires existaient encore et de toute façon, ils étaient déjà trop loin pour le rattraper, par contre la demoiselle ...

Kaijin regarda derrière lui au détour d'un couloir, pas de demoiselle au nom imprononçable, mais ses pas raisonnaient toujours. Il tourna la tête pour regarder droit devant lui. Ses yeux s'écarquillèrent, il se demanda ce qui s'était passé pendant qu'il chutait. Ce n'est qu'avec les fesses au sol qu'il put voir qui l'avait bousculé. Il aurait pu sourire, mais là, il avait peur, tentant de parler, Lucien lui coupa la parole puis l'attrapa et courut avec.

Le cerveau de Kaijin avait du mal à traiter toutes ces informations, cependant, il fit agir son corps rapidement lorsque Nathaliannopoulestatich apparut dans son champ de vision. La main de Kaijin plongea dans sa poche et lança les stylos au sol ce qui déséquilibra et ralentit la demoiselle. Il était assez fier de lui, jusqu'à ce que sa fierté laisse place à l'incompréhension, puis à la peur et enfin, à la douleur. Lucien et lui venaient de passer à travers une fenêtre et de s'écraser au sol.

Cette chute aurait été handicapante dans le monde réel, à Dreamland, ce n'était rien de plus que quelques douleurs et quelques articulations à faire craquer. Le zombie se redressa en geignant. Il fit faire des ronds à ses bras. Tout en faisant les cent pas. Il sautilla, son bras droit était un peu engourdi, mais rien de vraiment handicapant. Il se tourna vers son compagnon de nuit.

- Hé, on l'a échappé belle ! Mais on fait quoi maintenant ?

Il regarda autour de lui, des murs blancs déprimants et le ciel. Il toisa le premier étage d'où ils étaient tombés. Puis Lucien.

- Y a pas trop de sorties, mais j'en ai un peu ma claque de fuir ces cons. Puis j'ai faim. On les mange ?

Suite à ces paroles, il fit basculer sa tête de côté, un grand sourire aux lèvres. Il aurait pu proposer à Lucien d'aller récupérer son marteau, mais il ne pensait qu'à déchaîner sa haine et son pouvoir.

Ils étaient arrivés à l’extérieur et s’étaient plantés au milieu du parc qui encadrait l’école. Il leur avait fallu percuter violemment une vitre pour la briser et passer au travers du même coup, mais ils s’étaient enfin échappés. Lucien était plus qu’heureux face à cette nouvelle situation qui était la sienne. Il s’était fait terriblement mal en sautant et les bouts de verre sur lesquels il reposait à présent n’étaient pas pour aider. Il n’avait plus son marteau non plus, mais il s’en fichait. Les coupures et les bleus, tout cela n’était rien comparé à la satisfaction d’avoir enfin échappé à cette garce de Nataliannopoulestatich. Et de fait, elle était là, arrivée à la fenêtre qu’ils venaient de briser, à les regarder avec colère. Elle n’aurait jamais le cran de sauter pour venir les rejoindre et leur faire payer leurs affronts. En fait, elle avait été dépassée par la folie et l’absurde de Lucien et malgré toute sa haine, elle ne pouvait s’empêcher de les regarder avec un certain étonnement. Elle avait dû s’attendre à beaucoup de choses, mais pas à ça. Par dépit, elle finit par s’éclipser et retourner dans l’ombre des couloirs du bâtiment. A cet instant précis, Lucien se sentait bien, il se sentait victorieux et lire. Il avait l’impression qu’il pourrait ressentir un tel plaisir toute sa vie. Mais bien vite, Kaijin proposa autre chose.

Lucien ouvrit grand ses oreilles. A présent qu’ils étaient à nouveau libre et plus vraiment sous le coup d’un quelconque bizutage onirique, ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient. La logique aurait probablement été de sauter au-dessus de l’un de ces murs blancs qui les entouraient et de passer une nuit agréable de ballade dans ce royaume qu’ils ne connaissaient pas. Mais la logique, eux, ce qu’ils en faisaient… Kaijin avait eu une idée brillante, mais alors vraiment brillante. Maintenant qu’ils pouvaient faire exactement ce qu’ils voulaient, pourquoi, précisément, ne pas y retourner ? Mais pas pour subir les malices de ces gamins mal dans leur peau. Non, pas pour être leur victime à nouveau. Etre une victime, ce n’était pas drôle. L’idée était à présent de renverser la balance et de faire d’eux, ces mécréants, leurs victimes. N’étaient-ils pas les Little Fears après tout ? N’étaient-ils pas des cauchemars ? Allaient-ils sérieusement se laisser marcher sur les pieds par une bande d’écoliers surdoués ? Non, sûrement pas. Et alors, quitte à s’en prendre à eux. Pourquoi ne pas les… manger ?

Lucien réfléchit sérieusement à cette dernière question. Aussi fou et délirant qu’il pouvait être, il demeurait humain et certaines limites s’étaient glissées dans son esprit sans qu’il n’y prenne garde. Manger quelqu’un ne faisait pas partie des choses qu’il avait naturellement envie de faire ou qui lui passaient par l’esprit. Le meurtre, les agressions, les vols et autres destructions violentes, il n’avait aucun problème avec cela. Mais… manger ? C’était une idée si nouvelle pour lui qu’il se demanda si elle était bonne. Il ne l’avait jamais fait et après avoir passé quelques temps dans une cuve immonde, lui n’avait sûrement pas faim. S’il avait voulu manger quelque chose, il se serait plutôt rabattu sur des friandises. Mais, après tout, quel goût pouvait bien avoir une créature des rêves comme Nataliannopoulestatich ? Et que se passait-il lorsqu’on laissait le sang couler dans sa bouche ? Oui vraiment, en fait, il était curieux. Il était aussi persuadé qu’il allait se rendre malade à en vomir, mais cela n’avait pas la moindre importance. Au pire, il était un voyageur et il serait à nouveau en pleine forme dès le lendemain.

« Clair ! » lança-t-il en se relevant en se montrant très enthousiaste à l’idée d’aller dévorer des êtres oniriques.

Puis, il montra une entrée à Kaijin et ils se dirigèrent ensemble, d’un pas nonchalant – parce qu’ils s’en foutaient, ils étaient libres après tout vu qu’ils venaient de s’échapper. Lucien ouvrit, sûr que les élèves ne s’attendraient pas à ce qu’ils reviennent et encore moins à ce qu’ils essaient de les manger. Il y avait en cela beaucoup d’incohérence, de surprise et de n’importe quoi, cette idée était vraiment géniale ! Une fois à l’intérieur, ils choisirent une direction au hasard et se mirent en quête de leur prochain casse-croûte. Sandman trouva un interrupteur d’alarme incendie. Joueur, il la déclencha et la sonnerie stridente retentit aussitôt dans tout le bâtiment, semant la panique pour tous ces occupants.

« C’est plus classe comme ça. » expliqua-t-il. « Et puis, j’ai toujours rêvé de le faire. »

La proposition de Kaijin avait semé le trouble chez Lucien. En même temps, l'absurdité de la question cumulée à celle de l'interlocuteur, pas étonnant qu'il hésite, pèse le pour et le contre. Quitte à y passer un long moment. Kaijin regardait son compagnon restant dans la même position, ne bougeant que ses pupilles montrant qu'il était quand même en vie. Il devint plus vivant et enthousiasme en entendant la réponse de Lucien, réponse tonique et joyeuse.

School-Land était dans de beaux draps. Deux personnes aussi malsaines et folles que Lucien et Kaijin avec la même idée morbide de dévorer des êtres vivants, ce n'était pas bon. Pas du tout. Sauf pour les concernés qui avaient l'air vraiment heureux. Kaijin avait sauté de joie à l'entente de la réponse de Lucien, on ne trouvait pas souvent des gens adeptes de la chair humaine. Souvent, on ignorait sa question ou on le regardait mal. Parfois, les deux.

L'adolescent aimait beaucoup Lucien, cette nuit allait être sanglante et vraiment marrante en sa compagnie. Ils se dirigèrent vers une entrée montrée par le blond, la tête pleine de leurs futurs actes meurtriers justifiés par la liberté. Lorsqu'ils furent dans l'établissement, Lucien déclencha l'alarme incendie, entraînant un son strident dans tout le bâtiment.

- C'est plus classe comme ça. Et puis, j'ai toujours rêvé de le faire.

C'est vrai que c'était classe, un grand sourire fendit le visage de Kaijin.

- On est comme les méchants dans les films d'horreur ! Mais en plus cool ! Et dangereux ! En avant !

Suite à ces paroles le jeune homme sauta dans le vide en criant sa joie. Il entreprit de grimper les escaliers se dressant face à lui, il fit signe à Lucien qu'il était là et qu'il montait. Lucien était grand et capable de le rattraper rapidement. Puis de toute façon, ils se retrouveraient bien vite s'ils se perdaient.
Kaijin arriva au premier étage, endroit où il avait commencé la nuit et c'était fait agresser. Il réfléchit un moment. Il ne savait plus où il avait été réellement poursuivi. Dans le doute, il allait fouiller cet étage. Le voyageur avança en regardant derrière lui, pour voir si Lucien arrivait, juste avant de se faire percuter par un jeune homme qui s'engouffra dans l'escalier, un deuxième arriva. Kaijin, frustré de ne pas avoir eu le premier, faucha les jambes du deuxième.

Ce dernier avait une corpulence un peu plus développée que son homologue, qui risquait de se faire cueillir par Lucien. L'étudiant gémit et commença à jurer en disant que ce n'était pas le moment. Gémir, il le fit encore plus quand Kaijin frappa sa mâchoire avec son pied. Il s'acharna ensuite à lui frapper les côtes et le ventre pour lui faire comprendre qui était le chef ici. Après une dizaine de coups, il le mit sur le dos et prit place sur sa cage thoracique, pieds sur les bras.

- Alors, pour commencer, tu vas me dire où est Nathabidulemescouilles ?
- Qui ça ?

Le talon du voyageur heurta le front de la créature.

- La pisseuse obsédée par l'examen. Votre déléguée, j'crois.
- Mais je la connais même pas !

L'incompréhension put se lire sur le visage de Kaijin. Il n'avait pas prévu ça. Si Lucien entrait dans son champ de vision, il lèverait la tête vers lui et lui demanderait une information pratique pour la suite des événements.

- Est-ce qu'on mange ceux qui nous ont rien faits aussi ? Ou on les tue juste ?

Le jeune étudiant venait de se faire dessus à l'annonce de sa mort imminente.

L’alarme déclenchée, il ne restait plus qu’à s’amuser et Kaijin, parfaitement d’accord avec sa manière de faire, pris les devants. Inutile de se séparer, les choses seraient bien plus drôles s’ils passaient un peu de temps à deux, à continuer à se donner des idées atroces et à se lancer des défis. De plus, ils risquaient accessoirement d’être plus vulnérables en se séparant, car les sbires de Nataliannopoulestatich avaient déjà réussis à les capturer une fois : ils pourraient très bien recommencer. Mais Sandman avait le sentiment qu’à présent qu’ils avaient emmené à le jeu jusqu’à un autre niveau, beaucoup plus sanglant, les réactions de leurs ennemis seraient bien différentes. C’était comme s’ils avaient gentiment joué à chat jusqu’à présent et que, soudain, l’un des participants sortait une arme à feu et dégommait le « chat » pour ne pas se faire attraper.

Ils arrivèrent donc au niveau d’un escalier, tandis que la sonnerie continuait de battre à leurs oreilles. Dans le couloir où ils s’étaient trouvés, le déclenchement de l’alarme ne semblait pas avoir provoqué la moindre réaction. Peut-être parce qu’il ne menait que sur des salles vides ou quelque chose comme ça. Quoi qu’il en soit, dans l’escalier, deux élèves se précipitèrent vers les étages inférieurs. Le premier percuta Kaijin un peu rudement et passa, en se demandant quel abruti pouvait être occupé, en pareille circonstance, à grimper vers les étages plutôt qu’à évacuer au plus vite. Il tourna d’ailleurs la tête vers celui qu’il avait percuté, pour l’observer et tenter de comprendre ses intentions. Peut-être était-ce un pompier. Cela permit à Lucien de l’attraper par le poignet et de le lui tordre, puis de profité de ce terrain accidenté qu’était l’escalier pour le faire se ramasser par terre aussi durement que possible. L’adolescent fit de même avec le second élève qui descendait. Une fois leurs victimes maîtrisées, Kaijin commença l’interrogatoire. Où était la diabolique déléguée qui avait tenté de leur faire subir un bizutage ? Eh bien, apparemment, l’énergumène capturé était bien incapable de répondre à la question. Lucien fut déçu, il aurait effectivement aimé savourer sa vengeance au plus tôt. Kaijin lui posa alors une question cruciale, qui fit glapir leurs deux captifs.

« Mmh, je pense qu’on devrait se contenter de les tuer. » dit Lucien sur un ton on ne peut plus sérieux. « Tu imagines, on risque d’en croiser beaucoup des crétins comme ça. Si on les mange tous, on risque de ne plus avoir faim avant d’arriver à l’autre salope. »

Puis, joignant le geste à la parole, il s’empara du visage de l’élève à ses pieds et lui brisa sauvagement la nuque. Ceci étant fait, il se redressa et pris un peu les devant pour atteindre le premier étage. En arrivant dans ce nouveau couloir, il put remarquer que l’agitation de l’évacuation avait effectivement commencé. Toutes les portes des classes étaient à présent ouverte et plusieurs dizaines d’élèves commençaient à les quitter dans un calme habitué et relatif. Personne n’était encore paniqué et tous se dirigeaient vers un autre escalier. Il plaça ses mains en rond autour de sa bouche et commença à héler ce groupe.

« Nathaliannobellatsointsoin ! » lança-t-il à tout va. « Est-ce que quelqu’un peut me dire où se trouve Nathaliannobellatsointsoin ? »

Plus haut, dans le bureau du directeur de l’établissement, le gardien entra, l’air tout à fait sérieux.

« Monsieur le directeur, » dit-il, « l’alarme incendie a été déclenchée. »

« Vraiment ? » demanda l’autre, qui avait depuis longtemps perdu l’audition des exactes tonalité qu’utilisait cette sonnerie. « Où est-ce que l’incendie s’est déclaré ? »

« Justement monsieur, il n’y a pas d’incendie. »

« Quoi ? Mais, c’est inadmissible ! Les pompiers vont arriver, ils vont vouloir éteindre un incendie et s’il n’y en a pas… mon dieu mais… c’est horrible ! Vite ! Rendez-vous dans le labo de chimie et mettez-y le feu, il n’y a pas de temps à perdre, je veux voir des flammes et de la fumée avant d’entendre les sirènes, c’est bien compris ? »

« Mais, monsieur, vous ne pouvez pas entendre les sirènes… »

« Là n’est pas la question ! Faites ce que je vous dis ! »