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Va chercher la baballe !

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Ed Free
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MessageSujet: Va chercher la baballe ! Va chercher la baballe ! EmptyJeu 2 Sep 2010 - 22:51
Ce fut un jour (un soir) où je n’avais rien eu à faire. Le voyage se traînait, et devenait par la suite beaucoup trop inhospitalier. Jacob se proposa d’y aller seul, et de me laisser faire ce dont j’avais envie de faire. Je le rejoindrais plus tard. C’était un plan logique ; je risquais mas vie à chaque instant alors que mon partenaire de toujours était quasiment invincible (je ne dis pas invincible tout court car quelques Voyageurs dont ma délicate personne peuvent lui faire subir quelques dégâts). Tant qu’on ne pouvait frapper comme une brutasse tout en ayant un timing d’assassin, ou qu’on ne pouvait transporter ses coups dans l’espace, rien ne faisait peur à Jacob. C’était pour ça qu’il traverserait le Royaume des marais seuls, et que je piquerais un somme seul quelque part sur une coupole de champignon. Ou bien que je me planterais devant une machine à sous comme ce fut le cas ce soir-là. J’étais à Kazinopolis, dans la Seconde Zone. Ce fut là où quand mes poches remplies criaient consommation immédiate dans les boutiques de mode, je passai devant le tableau des quêtes. Je m’approchai par simple curiosité. Grand mal m’en fit, je dénichai une aventure dangereuse dès le troisième coup d’œil. Un monstre sévissait dans le Royaume de Cristal, un endroit enchanteur où les thermomètres éclataient. Après deux nuits à fumer des joints pittoresques, ou à placer en banque des besaces que je ne retrouverais jamais, l’ennui me gagnait à grande vitesse. Je décidais de rentrer dans la troisième zone afin d’y accomplir le destin de la bête.

Ce fut pour ça qu’après avoir rangé mon studio (comme si aller chasser du monstre était un événement assez spécial pour sortir l’aspirateur décrépi), nourri le chat affamé, regardé mes devoirs en décidant courageusement de ne pas les faire (ça risquerait de me déconcentrer), je sautai sur mon futon, et dépliai la couette sur mon torse nu. Vingt minutes plus tard, sous la chaleur douce, mon esprit s’évapora et se localisa devant le Royaume Cristal.
La poudreuse faisait s’enfoncer mes jambes sous une quinzaine de centimètres gelés. Les flocons tombaient paresseusement et régulièrement, tel un décor de carte postal. Je peux vous le dire, j’avais devant mes yeux un paysage magnifique ! Un plateau de blanc éclatant vêtu, bleutée par la glace et ceinturé par une discrète chaîne de montagne s’étalait devant mes yeux. Les sapins bleus accueillaient tous les flocons qui s’approchaient d’eux (et éternuaient des fois, ce qui fit tomber une avalanche à deux pas de mon ego horrifié). Un vent doux et chaud soufflait sur cette espèce de plateau paradisiaque. Quand je regardais distinctement la neige qui tombait, je remarquais que certains avaient un visage se contorsionner de rire pendant qu’ils dégringolaient jusqu’au au sol. On était bien à Dreamland, j’étais rassuré. Bon dieu, j’adorais ce pays de fous ! Là, je voyais des animaux ressemblant fortement à des piranhas inoffensifs déambuler sous la neige comme si ça avait un ruisseau ; ici, des boules de Noël roulaient sur la neige, y laissant des traces polies. Elles essayaient d’effectuer une descente, et dès qu’elles voyaient un sapin qui leur plaisaient, profitaient de la vitesse engrangée pour donner un coup de rein et s’envoler dans les airs. Elles faisaient passer leur hanse sur une branche, et y restaient suspendues pour soupirer un peu. Et finalement, après une dizaine de minutes de marche, je trouvais la ville que je cherchais, le Royaume Cristal. Moi qui avais marché pendant trois jours, utilisé le métro et sortant du train dès que je vis les premières congères, j’avais cru que je m’étais perdu. Puis finalement, en m’enfonçant dans les terres enneigées, j’ai compris que je m’aventurais plus profondément encore dans le Royaume que je cherchais. Pour finalement arriver où je suis.
C’était qu’il faisait froid ici, mais Dreamland recouvrait les Voyageurs d’une tenue adaptée. J’étais emmitouflé dans un épais manteau bleu tirant sur le violet. Mes moufles étaient de couleur cyan, mes bottes couleur marine me remontaient presque au niveau des genoux. Et j’avais évidemment mes célèbres lunettes de soleil, qui m’offraient un superbe regard épanoui et foncé du monde. J’avais mis une capuche de fourrure qui me couvrait la tête des flocons glacés, et je marchais à l’aide d’un bâton parlant, qui me racontait comment il avait fait fuir un loup des montagnes avec le héros qui le brandissait. Je le coupais :


« Tu penses pas qu’il aurait eu le même résultat s’il avait pris un autre bâton ?
_ T’es complètement ouf mon pote !
s’exclama-t-il comme si je lui avais demandé s’il venait d’un chêne. C’est que je suis solide moi ! Tu sais, j’ai toujours pensé que si un jour, j’ai été séparé de mes yeux par un oiseau roc, c’était parce que j’avais un destin à accomplir en bas.
_ Passionnant.
_ Ouais ! Là, tu vas aller botter le cul à un monstre ? Je pense que t’auras besoin de mon aide. Tu vois, un jour quand j’étais encore une brindille, j’avais observé…


Le bâton le plus bavard que j’ai jamais ramassé. Malheureusement, je ne pouvais me résoudre à la jeter. Non seulement il risquait de m’être précieux car il connaissait un peu le coin (surtout la faune et la flore on va dire), et en plus, il m’était moralement impossible de le jeter. Ça restait un être vivant, et ce bout de bois pourrait mal tourner si je l’abandonnais. C’était en partie grâce à ses conseils que j’avais trouvé le village. Et pour un village, c’était un chouette beau village.
Tout y était formé de cristal : les maisons, les arbres, les animaux domestiques, la nourriture, la vaisselle, etc. Presque tout ! Seuls les habitants (aussi disparates que possible) semblaient être épargnés par ce statut étrange. Et j’avais de la chance, j’étais en plein soleil : chaque rayon débordant de vitalité rebondissait sur les parois et le sol afin de donner un éclat lumineux et féérique à l’ensemble. Je remerciais une fois de plus mes lunettes aux verres teintés qui évitaient de m’éblouir et ainsi de me gâcher le spectacle. Le bâton avait continué son monologue et s’était tu pour admirer cette fresque intemporelle. Avant de continuer à causer avec l’insouciance des premiers âges.
Je traversais les rues avec un calme pesant. Mes bottes couinaient dans la neige collante. J’arrivai soudain à la place principale (en tout cas, c’était une grande place). Je ne savais pas à qui m’adresser pour obtenir plus de détails sur la quête. J’avisai rapidement un citoyen (un gnome à longs cils désordonnés) qui m’indiquait d’aller voir Dame Felicia. Il partit précipitamment ; je remarquais soudainement qu’il y avait très peu de monde dehors. Un œil me regardait à travers des volets détruits. Mon nouvel ami Baptiste le Bâton m’indiqua le chemin. Il était déjà venu dans les environs et connaissais la personne que je devais voir. Après une dizaine de minutes de marche où j’avais traversé un pont suspendu (entièrement fait de cristal mais je ne vous surprends pas), je tombais sur une belle bâtisse, ma foi d’assez grande taille. Je donnais quelques coups du bâton sur la porte en cristal. Un curieux son se produisit, puis une voix poussiéreuse fit :


« Entrez ! »

Je poussai la lourde porte de verre, et entrai dans la chaumière. Dedans, une cheminée s’égayait joyeusement, des enfants jouaient sereinement, et une mamie tricotait patiemment. Quand elle comprit que je n’étais pas là pour prendre des biscuits, elle ordonna aux bambins de partir jouer dans leur chambre et de ne pas oublier leur train cristallisé. Elle m’accueillit à table et me servit de thé (j’évitais de laisser une mine dégoûtée apparaître sur mon visage rouge). La doyenne ne dépassait pas le mètre tant qu’on ne comptait pas sa coupe de cheveux. Véritable oignon gris, cette dernière frôlait le plafond. Le visage qui se débattait avec des mèches pendantes n’était couvert que d’un champ de batailles de rides, de canyons et de lèvres édentées. Seule une tour surgissait de cette belle désolation : son nez qui faisait penser à un bec de corbeau était troué par deux narines conséquentes. La mamie était rabougrie et le dos était courbé jusqu’à la limite du possible. Ses oreilles taillées à l’elfique s’agitèrent quand elle reconnut mon compagnon en bois. Nous prononçâmes les salutations, échangèrent les mondanités connues et commencèrent finalement à entrer dans le vif du sujet. Elle eut un regard désolé quand je lui avouais que je voulais les débarrasser du monstre. Elle posa la tasse sur sa coupole (en cristal) avant de remuer la tête :

« Désolé mon petit, mais je ne voudrais pas te mêler à cette affaire. D’autres Voyageurs ont cherché à éliminer ce monstre, mais aucun n’est là pour t’avouer leur défaite. Y aller seul est pure folie. »

Mon ego si raffiné s’écrasait devant tant de vieille sagesse. Mais cette phrase venait de le réveiller. Je répondis que je me sentais parfaitement apte à vaincre un chien. Ses yeux s’arrondirent comme les soucoupes à thé. Elle répliqua si je savais au moins ce que je devais affronter. Bonne question, merde. Il n’y avait pas eu beaucoup de descriptions de la bête. J’allais répondre une phrase sulfureuse vantant mes capacités au combat jusqu’à ce qu’un hurlement se fasse ressentir. La vieille s’activa soudainement, me demanda de me terrer dans la cave. Elle souleva un lourd panneau de verre qui y menait (les enfants entrèrent à l’intérieur sans qu’elle n’en donna l’ordre), et m’y invita à nouveau d’un signe de la main. Baptiste me susurra que c’était peut-être une bonne idée. Je déclinais l’invitation avec un grand sourire. Je remis avec un plaisir stressé mes lunettes, et je dis :

« Souhaitez-moi bonne chance !
_ Pauvre fou.
_ Je vous en prie… »


Je claquais la porte en bois derrière moi. Un autre rugissement se fit entendre, à ma gauche. Comme j’étais sur une position surélevée, je profitais de cet avantage pour y discerner mon bestiau. Un cri surhumain me parvint, et je tournais la tête. Je vis enfin le monstre. Effectivement, il n’avait rien à voir avec un chien.
Le monstre était juché sur quatre pattes trapues (après examen, je vis qu’il ne marchait qu’en fait sur trois, et qu’une était pourvue d’une lame de soixante centimètres). Sa couleur sang séché avec plaques noires jurait avec le paysage blanc. Il faisait bien deux mètres de haut au bas mot, sans compter les épines dorsales tranchantes. Sa petite tête était pourvue de deux imposantes cornes et de grès démesurés. A cette terrifiante description, il ne fallait pas oublier la queue dévastatrice qui allongeait les coups du monstre sans laisser d’angle mort, et les protections dorées sales qu’il portait autour du cou, et sur la tête. Je ne savais pas pourquoi, il me semblait en avoir vu de presque semblable dans le rang des ennemis d’Hellboy. Un frisson qui n’était pas seulement dû au froid me parcourut le corps, et me gela le sang dans les veines. Baptiste me dit qu’il était encore temps de voir s’il faisait moins froid dans la cave de la vieille. Je lui demandai si A) il ne pouvait pas se taire ; et si B) il voulait aller se cacher. A mon grand étonnement, il m’avoua que je ne pourrais jamais me battre contre ce tas de muscles à mains nus. Je lui accordais ce point.
Je passais le pont, subi quelques glissages escarpées et arrivai en bas. Les gens s’étaient tous enfuis vers leur maison. Les rues étaient désertes et silencieuses. Seuls les féroces halètements du monstre, et les pas de course que je produisais en me rapprochant de lui trouvaient un écho. Je le trouvais sur une large rue, en train de pousser un râle tout en esquintant fortement une porte. On était à vingt mètres l’un de l’autre. J’aurais donné cher pour que Jacob soit avec moi, ou bien encore Shana (certainement le membre de notre groupe qui possédait le plus de potentiel en puissance). Mais non, Dame Nature dans son infinie bonté m’avait donné un bâton de marche qui se vantait quand le danger était écarté. Il n’y avait que moi que la chance oubliait… Pour éviter que la porte ne fut déchiré sous l’avant-bras déglingué du « chien », je mis ma bouche en haut-parleur et criai :


« Oh compagnooooons !!! »

La réaction fut immédiate ; le monstre tourna sa tête, et ses yeux jaunes vers moi. Il changea de cible, et de la fumée sortit de sa gueule garnie. Il hurla une nouvelle fois, répondant à sa façon au défi que je venais de lui lancer. Puis d’un coup, avec une vitesse que je ne crus possible d’une masse aussi musclée, il se rua vers moi tout en soufflant. Un bruit de tonnerre sonnait à chacun de ses pas, les pavés enneigés se fissuraient devant tant de bestialité démoniaque. Il poussa un grand cri quand il fut proche de moi sans que je ne puisse rien faire. Je fis une roulade sur le côté pour lui échapper (du côté droit, afin d’éviter l’énorme lame). Malheureusement, il devait être habitué à ce qu’un humain réagisse de telle sorte à sa charge. Il continua de foncer tout droit, mais sa queue fouetta derrière son passage. Je me la recueillis en plein dans l’abdomen. Je m’écrasais douloureusement sur un tas de neige. Du sang coula de ma joue : une profonde éraflure due à un des pics qui surgissait de la queue. L’instant d’après, je sentis la douleur sur la joue et sur mes côtes, comme marquées au fer rouge. Je grimaçais, tout en voyant l’énorme bête faire demi-tour en un éclair, se jouant de la synergie. De la neige tombait des toits à cause de la masse mouvante. Complètement au sol, chargé par une créature dantesque, je décidais d’activer mon pouvoir.
Premier portail : sous le tas de neige sur lequel j’ai été négligemment jeté.
Second portail : sur l’endroit où les protections du monstre arriveraient, sur les cornes.
Effet provoqué : au lieu de me faire embrocher comme une saucisse un jour d’été, je tombais avec de la neige juste sur la bestiole gargantuesque. Je remerciais mon sens du timing.
Ne sachant plus trop ce que je devais faire, je frappai la joue du monstre avec Baptiste (un endroit que sa carapace d’acier ne protégeait pas). Hélas, la peau était solide. J’entendis un claquement, et mon nouvel ami se rompu en deux avec un beuglement de douleur. La tête (disons l’endroit d’où la voix de Baptiste semblait sortir) pendait sur le sol, minable. J’avais l’autre moitié du bout de bois en moi et le regardais avec indécision. Puis une ruade calculée m’envoya valdinguer contre un mur. Cette fois-ci, ce fut ma tête qui cogna avec violence contre le cristal. Du sang coula de mes cheveux. Une lame s’abattit sur moi à la vitesse de l’éclair. Je créais trois paires de portail à la suite afin d’éviter les coups qu’on m’envoyait. J’avais jeté le reste de Baptiste par terre. Sur le dernier coup, j’activais une nouvelle fois mon portail, et la griffe du monstre arracha une partie de sa joue gauche. Il hurla à s’en tordre le coup, et j’en profitais pour m’enfuir du mur. Je cherchais une position plus confortable qu’être acculé. Ses yeux étaient devenus rouges, et me fixaient avec une lueur malsaine. Il chargea une nouvelle fois ; j’activai mon pouvoir une nouvelle fois.
Premier portail : devant le monstre, assez loin pour lui laisser prendre de l’élan.
Second portail : Coller contre les pavés, à une dizaine de mètres de là.
Effet provoqué : Lorsque le dadais se rua vers moi en espérant me terminer, il rencontra soudainement le sol qui explosa à son contact. Je vis celui-ci se désagréger à dix mètres devant moi, projetant des pavés de cristal n’importe où. Je me cachai les yeux pour éviter de recevoir un éclat.
Quand enfin, je crus en avoir terminé, la carcasse lancinée sur le sol, je fus terriblement déçu. Le monstre tout droit sorti des Enfers se releva en se rabrouant. Certes, son nez était cassé, du sang jaillissait de sa mâchoire, et une des canines était tordue. Mais sinon, on avait l’impression qu’il allait complètement bien, et pas qu’il venait de recevoir un mur –ou le sol en pleine tronche. Il changea évidemment de stratégie. Au lieu de courir, il s’approcha au contraire doucement vers moi, presque en trottant. J’étais à court d’idées, et les gémissements de Baptiste ne m’aidaient pas du tout. Puis sans que je comprenne, il accéléra de nouveau et me percuta en plein dans l’estomac. Une de ses dents me déchiqueta le haut de l’aine, et je tombais comme une poupée de chiffon quelque part, je ne savais où, je ne m’en préoccupais plus. La douleur m’avait tellement envahie que je la supportais sans problème. Mes lunettes avaient valdingué quelque part, probablement très loin de moi. Et je ne voyais rien. Un chaos blanc et rouge. Puis je sentis un énorme poids sur moi. Etait-ce une des pattes du monstre qui appuyaient sur mon torse ?
Quand enfin je comprenais ce que mon cerveau essayait de m’envoyer, je vis mon chat Burrito me miauler dessus pour avoir sa pitance du matin. Je me relevais en sursaut et en sueur. Oh mon dieu, j’étais réveillé ! Je récoltais quelques griffures au passage. La douleur qui m’avait frappé dans Dreamland ainsi que la peur m’empêchaient de pousser un soupir de soulagement. J’étais en vie, mais j’avais failli la perde. Un seul cheveu, un minuscule et… Je crois qu’une larme coula de mon œil à ce moment-là… J’avais échappé au pire mais je n’étais pas plus heureux pour autant. Je remerciais la chance tandis que je remplissais la gamelle du félin ; j’étais encore sous le choc…

Un jour de repos complet, j’avais la journée de libre pour moi. Toute une journée d’hésitation ; devais-je revenir dans ce village pour y affronter le monstre une nouvelle fois ? Il semblait indestructible, et j’avais sorti ce que je pensais être la meilleure attaque dans ces conditions. Ce fut la première fois que je doutais autant de moi. Car aujourd’hui, j’avais le choix de fuir ou de revenir me battre contre l’animal domestique de la Faucheuse. Si la fortune ne m’avait pas serré dans mes bras au dernier moment, je serais redevenu un simple Rêveur. Et comment aurais-je pu expliquer ma mort à Jacob ? Lui qui avait l’intention de me protéger, et moi qui cherchais des ennuis encore plus terrifiants ! Je n’étais seulement responsable de moi, mais aussi de mon équipe entière. Je ne pouvais pas affronter le risque de les priver de moi. Nous n’étions que trois, et perdre un des membres des Private Jokes pourrait être fatal à l’équipe. Pendant quinze heures, je n’eus cesse de me tourmenter. Car je parlais de responsabilité, alors que je fuyais. Comment pouvais-je parler de responsabilités alors que j’abandonnais un village à son triste sort ? Combien de temps avant qu’un héros vienne les secourir et vaincre ce monstre ? J’étais leur unique chance pour le moment. Alors que je dînais, j’avais pris ma décision. J’allais revenir et prouver aux contrées infinies de Dreamland que j’étais Ed Free, le tout puissant ! Et que je n’étais pas le compagnon de Jacob, mais que c’était lui qui me suivait ! Ce monstre, c’était un combat contre mon identité et mon partenaire. Voilà la solution à cette équation : si je ne peux surpasser mon compagnon de toujours par les moyens classiques, il suffisait que je bosse deux fois plus que lui. Monstros, je vais t’arracher les canines ce soir. D’un commun d’accord, je soudoyai mon chat pour qu’il me laissa dormir cette nuit : je lui remplis deux fois sa gamelle. Disons aussi que je le remerciais. Sans lui, je n’aurais pas survécu…



J’avais pensé à Baptiste cette fois-là. Je me retrouvai dans la même maison de cristal que la dernière fois. Dans la pièce, il n’y avait que Dame Felicia qui arrêta un instant de tricoter pour me considérer. Je crus voir sur ses lèvres un soupir de soulagement, comme si elle avait pensé que j’avais fini ratatiner par le monstre. Quant à mon bâton fétiche, un énorme sparadrap reliait ses deux parties brisées. J’eus de la peine pour lui. C’était de ma faute s’il s’était brisé contre la peau épaisse du monstre.


« Te revoilà Voyageur.
_ Hello mamie. Salut Baptiste, ça va ? Je m’excuse vraiment pour ce que je t’ai fait. Je pensais pas que l’adversaire serait aussi résistant tu vois. »


La vieille leva ses yeux en l’air comme si ce fut une évidence. Baptiste me répondit :

« Tu sais Ed, c’est moi qui ait été trop faible. Les bouts de bois ont une règle d’honneur : ne jamais considérer notre porteur comme le coupable de nos blessures. C’est ma faute, j’ai été trop impétueux. »

J’allais lui répondre que c’était étrange vu qu’un bout de bois ne pouvait modifier sa constitution mais me ravisai au jamais moment. On ne savait jamais. J’annonçai que je partais à la recherche du monstre, et demandait à la Dame si elle savait où il nichait. Elle tenta de me dissuader d’abord avant de me répondre. Elle abdiqua finalement et me donna une carte tout en me conseillant de ne pas trop forcer ma chance. Baptiste me dit qu’il était partant pour cette mission. On m’expliqua que le monstre n’attaquait que tous les quatre jours. Felicia nous accompagna jusqu’au seuil de la porte. Elle nous demanda de patienter et fit le tour de sa maison de cristal. Quand elle revint, ce fut accompagné d’un bonhomme de neige. Ce dernier se présenta sans que je sois trop surpris. Tout ce qui dans le monde réel ne parlait pas, pouvait très bien causer physique quantique ici.

« Bonjour, je suis Bonnie le Bonhomme de Neige.
_ Salut Bonnie
, dis-je avec un manque de conviction dans la voix (parler face à une carotte était déconcertant). Tu es là pour… ?
_ Pour vous accompagner évidemment ! En fait, j’en ai marre de ma condition de bonhomme de neige, et cherche à tout prix à mourir de la manière la plus héroïque possible. Je suis toujours partant pour une mission suicide.
_ Ouah, super cool…»


J’allais lui répliquer que ce n’était pas une mission suicide, mais me retint là aussi au dernier moment. Je pensais que parler à un bonhomme de neige me grillerait des neurones. Il avait des glands à la place des yeux, une carotte bien orange à la place du nez, trois boutons sur ce qui semblait être l’abdomen, sa bouche en brindilles se tordait de manière désordonnée quand il parlait, et il était composé de trois énormes boules de neige, la plus grosse étant dessous, la plus petite représentant la tête ; il mesurait bien un mètre soixante. Il possédait deux bouts de bois qui étaient censés représenter des bras. Il ne marchait ou ne se dandinait pas. Il se servait de la neige pour avancer et ne laissait ainsi pas de trace à terre. Je pensais qu’il devait se décomposer en avançant là où il n’y avait plus de flocons.
Nous partîmes tous les trois sans faire trop de vagues. A peine si deux citoyens nous regardaient partir. Nous étions simplement guidés par une carte qui prenait la neige, et des conseils de Baptiste. Bonnie m’avoua qu’il n’avait jamais quitté le village, car il craignait de tomber sur des terres qu’il ne pourrait pas supporter. Quelle fine équipe nous faisions.
Je peux toucher quelques mots de notre escapade. Tout se déroula plutôt paisiblement. Après avoir traversés une plaine immaculée, nous tentions de grimper un col étroit. Là où Bonnie semblait particulièrement à l’aise (
« Tant qu’il y a de la neige, y a de l’espoir »), je ne cessais de glisser sur ces incessantes glaces. Je plantai Baptiste sur Bonnie (il était très heureux d’avoir trois bras), et me collai à la paroi. Lentement, je parvins à monter en haut du col. Nous continuons ainsi aux-côtés d’un lac entièrement gelé, dont la splendeur n’avait nul égal. Je me plaisais à contempler tel chef d’œuvre, tandis que je marchais en silence. Les deux autres s’entendaient très bien, surtout depuis qu’ils étaient collés l’un à l’autre. Ils n’arrêtaient pas de rire, de faire des blagues et autres stupidités étranges. Jacob avait finalement de la chance de ne pas pouvoir entendre de telles bêtises. Les deux étaient de véritables moulins à paroles ; Bonnie qui semblait voir sa longévité fondre comme neige au soleil (faudrait que je la lui sorte celle-là) devenait plus bavard qu’une pie. Pour le reste, nous nous trouvions bientôt sur un énorme pont de glace. Je me demandais comment tel miracle a pu être formé. On me répondit que les Voyageurs de glace se servaient de telles constructions pour avancer rapidement entre deux falaises. C’était pas con du tout. Le pont faisait bien cinquante mètres de longueur, et quinze de largeur. Bonnie paniqua un peu en le traversant, il perdait de plus en plus en neige au fur et à mesure qu’il glissait. Je dû lui fournir de la poudreuse pour éviter qu’il ne s’inquiète. Sitôt passé de l’autre côté du pont, il regagna ses quinze centimètres qu’il avait perdu. Puis une immense pente à cinquante degrés s’offrit à nous. A ce que je comprenais, il ne fallait pas la monter. Il suffisait de la longer, elle et le précipice qui s’étalait à nos pieds. Le bonhomme de neige en expert, nous chuchota qu’il faudrait ne pas faire de bruit, car la neige ne tenait pas beaucoup dans ces contrées. Je déglutis, et nous avançâmes dans le plus grand silence. Un kilomètre plus loin, nous rentrions sur un autre plateau où nous attendait une forêt de sapins. Baptiste était à son comble et commença à parler aux brindilles que nous croisions, sans que ces dernières lui jettent un regard. Je lui intimais de se taire, il ne fallait pas pousser. Il prit assez mal cette dernière phrase, je ne compris pas de suite pourquoi. Mais ce fut lui qui nous guida dans cette foule de pins. Je le repris entre mes mains, car mes jambes commençaient à peser. C’était très dur d’avancer dans cette neige, et je fatiguais. Nous fîmes une demi-heure de pause, car le grand combat serait pour bientôt. A moins de dix minutes vivaient le monstre que nous devions vaincre. Je cherchais à établir une stratégie avec les alliés que j’avais à disposition, mais mes pensées étaient comme gelées. Je n’avais pas pour habitude de batailler avec un bout de bois et un bonhomme de neige à la carotte coulante.
Quand enfin je sentis mes forces revenir, nous reprîmes la marche. Il paraît que la bestiole couchait dans une petite caverne, et n’y sortait que pour tyranniser le village de ses crocs destructeurs. Plus on avançait, et plus les arbres se raréfiaient. A la lisière du bois, quelques cailloux ressortaient de sous la neige, dans une ébauche grotesque de dents en pierre. Le froid m’engourdit rapidement, soufflé par un vent glacial. Les flocons eux, étaient toujours aussi nombreux et joviaux. Ils étaient complètement inconscients du combat qui allait se dérouler.
Nous arrivâmes enfin devant la grotte. Nous restâmes pétrifiés pendant quelques instants. Ce qui était sûr, c’était que notre proie reposait à l’intérieur : des ronflements du diable ricochaient sur les murs. De plus Bonnie, ne pourrait pas nous accompagner dans cet environnement aussi inhospitalier. Pendant cinq minutes, nous ne faisions que parler et méditer à voix basse. Aucune idée ne nous venait en tête. Puis dans ces ténèbres de pensées, une ampoule s’éclaira au-dessus de ma tête :


« Les gars, je crois que j’ai eu une idée de génie. »

Après leur avoir expliqué ce qui me trottait dans la tête, ils me regardèrent comme si j’étais fou. Le bonhomme de neige eut même l’audace de critiquer : « Une aventure de kamikaze, j’ai bien fait de venir ! ». Après m’être assuré qu’ils étaient d’accord en peaufinant le plan, je pus commencer. Bonnie était déjà parti au loin avec Baptiste. J’étais seul avec le gros tas de viande qui ronflait quelque part devant. Puis je me mis à crier, ma main porte-voix :

« Oh Compagnoooooons !!!!! »

Les ronflements s’arrêtèrent. Dix secondes de silence avant que le message ne parvienne à la bête. Puis la fureur se réveilla. Un hurlement qui demandait vengeance et destruction. De ceux qui paralysent les futures victimes. Tiens comme moi à cet instant. Alors que j’entendis les crocs se rapprocher, mes jambes refusèrent de me porter plus loin. Avouez qu’on fait de drôles de trucs des fois : s’immobiliser devant la mort, c’était pas le meilleur de nos instincts de survie. Et enfin, mes jambes lâchèrent la bride. Je courus comme je n’avais jamais couru, dans cette neige infatigable. Je revins dans les bois en trois minutes. Je tournais la tête derrière mes épaules, et je vis le chien démoniaque qui reniflait mes pas juste avant de lancer l’assaut. Entre lui et moi question vitesse, il m’écrasait à plate couture. Il pouvait n’avoir que trois pattes, ces muscles étaient assez puissants pour tenir un sprint à haute altitude. Je l’entendis gronder à plusieurs reprises derrière moi, mais je doutais qu’il m’ait vu. Les sapins étaient bien trop nombreux pour permettre de trouver quelqu’un qui se mouvait à plus d’une cinquantaine de mètres de là. Les traces de mes pas s’effaçaient rapidement car je prenais les chemins les plus protégés des branches ; à un moment, je me fatiguais sur de la terre ferme et non sur de la neige. Puis j’entendis un cri lointain : « Oh Compagnooons !!! ». Le monstre arrêta de me poursuivre sans vraiment savoir où j’étais, pour se mettre à la poursuite du cri, qui reprit quelques instants plus tard. Je reconnus la voix de Baptiste, qui m’assurait un merveilleux répit. Le plan était simple : amener le monstre sur le pont de glace. Pour être certain qu’il me suive sans me déchiqueter, j’avais besoin d’une diversion. Le bâton était parfait pour ce rôle : Bonnie l’avait collé sur un tronc avec de la neige qu’il avait solidifié. Maintenant, Baptiste était invisible et pouvait crier à tue-tête. Je pris quelques bonnes longueurs d’avance avant de me mettre à crier à mon tour ce même signal. Le monstre repartit à ma poursuite, sans avoir trouvé qui que ce soit là-bas (Baptiste étant un expert du camouflage). Il y avait bien cinq minutes entre moi et lui ; mais quand j’arrivais devant la falaise que je devais longer, je compris que j’avais oublié à quel point le chemin était long. Je me mis à sprinter de toutes mes forces en essayant de respirer le moins fort possible (je savais pourtant qu’il en fallait bien plus que ça pour réveiller des avalanches). Des bouts de glace s’envolèrent sous mes semelles cloutées pendant que je craignais pour la longueur de la distance à parcourir. Jamais un bout de sentier ne fut aussi long, et aussi pénible à traverser. J’ai trébuché plusieurs fois. Quand je jetai un coup d’œil en arrière, j’avais fait presque la moitié du chemin mais le monstre m’avait trouvé. Il ne hurla pas cette fois-ci, il devait connaître ce coin dangereux. Il se mit à ma poursuite avec un rictus animal. Je repris ma course et croisai un Bonnie immobile au milieu du sentier. Il me fit un sourire et m’avoua qu’on avait mésestimé la distance et l’intelligence de la créature. Il était là bien trop tôt. Bonnie me posa une question que j’acquiesçais à peine. Quand le monstre fut à cinquante mètres de Bonnie, ce dernier se mit soudainement à beugler, et ce de plus en plus fort :

« Cours Ed Free, cours ! Et toi énorme félin ! Voici la dernière phrase de Bonnie, le plus légendaire des bonhommes de neige ! Conçu par les mains de Dame Félicia, de ses trois enfants Alixouille, Bouillabaise et Crolou, ainsi que par le vieux Enda !! Mes boutons ont été portés par Bonno, le bonhomme de neige aphrodisiaque, ma carotte a été achetée au marché le plus frais du Royaume Cristal !! Mes mains ont été arrachées des plus grands des sapins qui peuplent ces terres !! Et je vais enfin pouvoir mourir pour une cause juste, au lieu de me décongeler sous le soleil !!! Je ne l’aurais jamais assez répété !!! Tant qu’il y a de la neige, il y a de l’espoir !!! Et je peux te dire abominable abomination, il y a beaucoup, beaucoup de neiges !!! »

La neige finit de se fissurer à sa dernière phrase, comme si elle avait attendu la fin du discours de Bonnie. Le tout craquela à une vitesse incroyable, puis les premières boules tombèrent. Elles furent d’abord petites, puis brusquement elles prirent de l’ampleur tandis qu’elles décrochaient d’énormes plaques blanches qui tombèrent à la renverse. Bientôt, toute la ligne d’un kilomètre de long se détacha du sommet. Puis enfin, on put appeler ça une avalanche. On aurait cru que la montagne s’était disloquée ; ce fut tout un pan immaculé qui se déversa sur nous. Le grondement commença sans interruption ; il ressemblait à celui d’un tremblement de terre en ébullition qui avançait à grande vitesse. Les plus grandes pierres furent submergées, les arbres se plièrent sous la main du dieu de la falaise. Je n’avais pas fait les trois cinquièmes du chemin, je dû activer mon pouvoir. Mes yeux s’assombrirent derrière mes verres, mes cheveux se dressaient sur ma tête, et je libérai l’énergie.
Premier portail : A cinq mètres au-dessous de moi, dans la roche même. Je n’avais jamais essayé de visualiser mes portails dans une matière, ce serait un inédit.
Second portail : Sous mes pieds, collé au sol. Puis je levai ce portail avec mon esprit, en me concentrant suffisamment.
Effet provoqué : Normalement, j’aurais dû tomber à travers mon portail, et me glisser dans le premier. Mais comme j’avais justement mis ce premier sur de la roche même, ce fut comme si j’avais un sol pour moi. Et comme je déplaçais le second portail dans les airs, je me déplaçais avec lui. En gros, c’est comme si je m’étais construit ma propre plate-forme afin d’éviter le danger. Mes pieds étaient posés contre de la roche souterraine quoi.
De ce point de vue, je vis le monstre s’avancer vers les impressionnants éboulis, ses pattes s’enfonçant dans la neige. Puis il se mit à creuser frénétiquement, très très profondément. Il voulait ainsi enterré éviter l’avalanche. Il devait avoir de l’expérience en la matière. Je regardais ensuite Bonnie qui rigola d’un rire machiavélique, très fier de lui. Il fut englouti en une seconde par l’avalanche, dans lequel il se confondit en une ultime étreinte. Je ne me voyais pas pleurer cet idiot de héros, mais il avait du panache et mon cœur s’attrista. Bonnie restait un type bien, et je ne l’oublierais pas de sitôt. Quand l’avalanche se perdit dans le ravin, je sautai de mon perchoir (la hauteur n’était plus si dangereuse que ça), et je fonçai tout droit. La neige ne m’opposait aucune résistance particulière bien que mes pieds s’enfonçaient assez profonds, et je pus courir sans problème. Je savais que le gros monstre n’était pas défait. D’ailleurs, dix minutes plus tard, il sortit de son trou, particulièrement colérique. Il hurla, hurla et tourna sa masse vers moi. Il sortit de son igloo et fonça me rejoindre. Je repris ma course. Si vous saviez à quel point j’étais fatigué ! J’avais trop couru, et utiliser mon pouvoir ne m’avait pas aidé. Le terrain était défavorable pour la course à pieds, et il fallait en plus que je garde de l’énergie pour le combat à venir. Mon plan sous bien des aspects comportait des failles.
Puis j’arrivais enfin au pont de glace. Le monstre était à ce moment sur mes talons. Il n’hésita pas une seule seconde à poser sa patte dessus. Ce pont avait l’air bancal mais était surtout très solide. Nous étions en position de duel, occupant notre moitié de pont chacun. Il se mit alors à s’approcher doucement en montrant les dents. Je fis de même, et sortit de ma poche l’autre bout de Baptiste. On avait coupé le bâton pour qu’il puisse servir d’appât et d’arme en même temps. Et le comble, c’était qu’il pouvait parler des deux côtés. J’avais une arme de cinquante centimètres, et pointue. Et qui tapait la discute.


« C’est ZE final Eddy ! T’as pas intérêt à la louper.
_ Ferme-la. »


Quand nous fûmes à quatre mètres de la bête, elle poussa un rugissement et attaqua avec sa patte griffue. J’esquivai sans problème d’un bond en arrière et riposta d’un coup d’estoc, qui ne rencontra que le vide. Je repartis en arrière, essoufflé, et retenta une attaque. Sans résultat. S’en suivit un combat où je mesurais la puissance de mon adversaire comme celui-ci en faisait de même avec moi. On n’en était encore à se menacer des yeux, et à tester la défense de l’autre. Je lui donnais quelques coups de bâton bien placé, qui ne lui firent cependant pas grand mal. A son tour, il m’envoyait quelques taillades inutiles, qu’un pas arrière me permettait de ne pas être inquiété. Puis sans comprendre ce qu’ils nous arrivaient, nous nous jetions l’un sur l’autre.
Je baissai la tête pour éviter sa patte monstrueuse et lui balancer une frappe dans le cou. Il grogna à peine et chercha à m’embrocher sur ses canines. Un ruisseau de sang apparut sur mon bras, mais l’adrénaline étouffait la douleur avec une efficacité redoutable. Je tentais un coup qui siffla sur sa joue, et il m’offrit sa patte à la griffe gargantuesque. J’effectuais un bond en avant, juste devant son imposante mâchoire. Je fus frappé seulement par la peau rouge sombre, et non par la lame. Surpris de ce courage insensé, il ne réagit pas de suite quand je plaquai sa patte levée sous mon aisselle gauche. Abandonnant l’attaque au bâton habituelle, voyant qu’il me dardait d’une langue fourchue et noire, je lui collai un uppercut de la main droite. Ses dents sectionnèrent sa langue comme du beurre fondu, et son cou émit un drôle de craquement. Il ne devait vraiment pas s’attendre à ce qu’on lui porte un coup à mains nues. En retour, j’entendis deux ou trois de mes phalanges se briser et je fis un drôle de rictus. Les doigts touchés par les cassures viraient au rouge. Je m’éloignais en quelques bonds, évitant un claquement de dents. Sa gueule était remplie de sang, qui se confondait avec la bave. Le tout tombait en cascade à divers endroits de ses lèvres. Je n’étais pas le seul à être mort de fatigue. Il tenta une ruade mortelle à courte portée. La précision n’était pas le fort de cette technique-là : en quelques pas, j’étais hors de portée de ses crocs. Du sang coula sur une de mes bottes. Je donnais un coup d’estoc sur les flancs du monstre. Il eut un soubresaut et sa queue répondit immédiatement. Je me mis hors de portée du dangereux appendice, et donna un nouveau coup avec mon ami arme. Baptiste entrait sans problème dans la peau épaisse, à peine écailleuse. Quand il en sortait avec un grand cri de joie, son bout était poisseux et gluant d’un liquide bordeaux sombre.
Mon adversaire se retourna vers moi et lança sa griffe d’ébène qui déchira ma combinaison. Il plongea sur moi afin de me dépecer avec ses canines. Je réussis à éviter les mâchoires titanesques mais je reçus directement un coup de boule. Pendant que j’étais abasourdi et que le sang noyait mon sourcil, je fis quelques pas en arrière et je compris avec horreur que mes talons voisinaient avec le vide. L’autre se retourna et fouetta l’air avec sa queue, que je reçus en plein dans le bras droit. J’eus un réflexe : tout en étant projeté dans le vide par ce coup horizontal, j’attrapai la queue dans un effort surhumain. Je m’envolai au-dessus du vide mais tint bon sur une trajectoire en arc de cercle. Avec un timing que je ne me connaissais pas, je lâchai ce fouet fou furieux quand il repassa au-dessus du pont, et glissa sur la glace devant le monstre. Sa canine griffa mon épaule, et je me remis debout, exténué. Nous échangions quelques coups mais il était évident que mes membres devenaient bien trop lourds. Le monstre en profita pour se jeter sur moi. En un éclair, j’avais une longue estafilade sur le ventre. Je fus déstabilisé, et une autre taillade cette fois plus profonde me fit cracher un filet de sang. Hémorragie interne direct. Je le contournai, profitant de son élan. Il m’avait trop repoussé, et je voulais que le combat se déroula sur ce pont. Sa queue me cueillit avec brutalité dans les côtes. Je fus balancé aux limites de la construction glacée, mais parvins à me rétablir. Il se retourna massivement. J’utilisais une autre paire de portails afin de le toucher plus précisément. Dès le premier coup, Baptiste rentra dans son trou de nez avec inélégance, et fit saigner l’imposante bête. Celui-ci gémit, et voulut utiliser le portail que j’avais installé devant lui pour me toucher. En un éclair de concentration, le portail pivota, et au lieu d’être à la verticale, il fut posé à l’horizontale dans les airs. La bestiole loupa son coup, perdit l’équilibre en avant. Je retournais le portail une nouvelle fois pour le placer dans position d’origine, et remit un coup d’estoc. Le bâton se planta cette fois-ci en plein dans l’œil minuscule, qu’il creva. Baptiste cria un
« Oh Yeah Baby ! Tu fais un joli arbre ! ». La bête perdit son calme guerrier et décida de me charger pour en finir. J’activai mes portails afin de lui refaire le même coup qu’avant. C’était évidemment dans le plan : faire perdre le contrôle à la bête pour qu’elle me charge une nouvelle fois. Au lieu de me toucher, le monstre rencontra le pont de glace grâce à mon pouvoir. J’aurais pu tout bonnement l’envoyer dix mètres plus loin au lieu de lui faire faire la bise à la glace, mais je n’avais plus assez de forces pour ça. Sous mes pieds, le pont se fendit. Comme si la magie avait disparu, la glace se détruisit en un éclair. J’étais trop crevé pour sprinter ; de toute façon, j’étais bien trop loin, bien trop loin. Comme un bruit de verres brisés, le pont se cassa, et je tombais à la renverse avec le monstre.
La chute fut interminable. Mon esprit était tellement concentré qu’il frappait chaque seconde d’un sceau de terreur. J’avais crié, Monstros aussi. Mon cerveau se déconnecta et tout devint noir. Quand il se ralluma, j’étais à dix mètres du fond de l’abysse. Par pur instinct de survie (un vrai cette fois-ci), j’activais mon pouvoir (il m’en restait même pas deux utilisations).
Premier portail : juste devant moi, afin de ne pas perdre trop d’élan.
Second portail : sur le sol, tourné vers le haut.
Effet provoqué : au lieu de tomber à la renverse sur la neige dure, je fus transporté huit mètres avant sur le sol en question, mais vers le haut. L’élan que j’avais pris me fit défier la gravité sur bien dix mètres, avant de refaire une chute dans le vrai sens. J’étais descendu, remonté grâce à mon pouvoir et finalement retombé quand l’élan que j’avais emmagasiné s’était évaporé. Autre trou noir temporel, autre ellipse.
Deux secondes plus tard, je compris que je n’étais pas devenu aveugle, mais que mon visage était coincé dans la neige. Je repris connaissance, mais j’avais quelques fractures, quelques os cassés même. Je saignais à tout va. J’essayais de marcher mais mes jambes se révoltèrent et firent tomber l’ensemble dans la congère. Je crois que ma face saignait de partout. Je crois. Puis je vis le corps du monstre à trois mètres de là. Cette crevure bougeait encore. La patte tranchante se convulsait peu à peu. Puis le monstre revint à lui. Il tenta tant bien que mal de se lever. Il me vit soudainement impuissant. Baptiste était toujours intact et était resté coincé dans l’œil gauche. La bêbête s’approcha de moi à pas feutrés, hésitants. Mes yeux tournés vers le ciel virent l’immense bloc de glace tomber. Certainement qu’il était resté accroché à la paroi, qu’il n’avait pas commencé la chute, et qu’il s’était finalement décidé à rejoindre ses congénères trente secondes plus tard. J’usais de mes dernières gouttes de pouvoir afin de décaler cet iceberg volant à deux mètres à droite. Un portail pour le réceptionner, et un autre pour le diriger au-dessus de la tête du monstre. Les deux portails étaient à peu près à la même hauteur. Le bruit que fit la glace avec la tête et dos du monstre fut épouvantable. Un bruit de succion, de chair écrasée, et de fenêtres cassées. Je repris mon souffle difficilement. Là, il était bel et bien mort. La moitié de son corps était arraché. Je me laissais tomber à terre avec un soupir de douleur. Je pensais pas que j’allais crever, mais j’avais envie de vomir à cause de mes blessures et de la fatigue. Une voix me fit sursauter. C’était celle de Baptiste :


« Woh ! Je suis toujours vivant !
_ Oh punaise, t’as survécu ?!
_ Viens me tirer de là au lieu de t’extasier. »


Je rampais péniblement, m’entaillai sur un bout de cristal, et vit le bâton qui tenait encore position dans la pupille éteinte du cadavre. Je le retirai d’un bon coup de poignet. Nous avions gagné ! Comme quoi, un bonhomme de neige et un bâton pouvaient se révéler héroïque quand il le fallait.

La nuit suivante, je revins voir le village pour leur annoncer la mort du monstre. Comme preuve de ma bonne foi, je leur montrais l’anneau qui était accroché à son nez. J’en profitais aussi pour reprendre Baptiste. On fit une fête au village où on me remerciait chaleureusement. J’eus droit à un bisou de Dame Félicia et de ses petits-enfants. Une fois le dîner englouti, je repartis avec Baptiste. J’avais décidé de garder l’anneau sous les conseils avisés de la grand-mère. Le bout de bois me demanda de le lâcher là, à cinq cent mètres du village au milieu de nulle part.


« Je suis un bâton solitaire, bien loin de mon foyer. Mon destin est de me faire ramasser par un autre individu en ces lieux où j’ai grandi. Je te souhaite bonne chance pour la suite Ed Free.
_ Et moi de même !
lui souriais-je. T’es vraiment un bon gars Baptiste, j’espère qu’on se reverra."

Puis je me réveillai. Je n’en revenais toujours pas de cette aventure ! Quand Jacob saurait ça !
Puis un affreux doute me parvint : ok, j'avais donné mon nom à Baptiste et à Bonnie. Mais est-ce que je l'avais donné aux villagaois ? Je me frappai contre le mur une bonne dizaine de fois pour me punir de ce terrible oubli. Comment leur faire chanter mes louanges s'il ne connaissait pas mon nom ? Bordel bordel...
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Va chercher la baballe !

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