Vu ce qu'on a fait

C'est certain, pourtant Garry ne l'admettra pas devant le dénommé Calvin. Pourquoi ? Parce qu'il se sent honteux, comme toujours, et gêné de revenir sur les détails qu'il a déjà enfoui dans sa mémoire, bien cachés, afin qu'ils ne développent pas de nouvelles phobies. Comme celle d'avoir « peur des grand blond torse nu », ou bien celle de « se faire frapper par une chaude journée d'été », ou encore de « se faire fouetter par du sang », quoi que la dernière soit la plus improbable. Du coup, il s'était contenté d'esquisser un léger, très léger, presque faux, sourire.

Tel un canidé bien élevé, il avait suivit l'humain et son ami pour rejoindre d'autres « elfes » dévêtus. Il ne se sentait pas à sa place ici, entouré de tout ces gens, dont certains avaient le regard suspicieux, d'autres riaient aux éclats, et d'autres encore, les ignoraient, concentrés sur leurs affaires, ou absorbés par leur discussion. Garry se sentait de trop, et assez mal à l'aise au milieu de tant de testostérone.

Il s'était habitué à sa solitude, si bien qu'il en avait oublié de dire au revoir au champignon, à Mak, planté dans le mur. Peut-être irait il lui rendre visite, s'il repassait par là. Pour l'heure, il ne voulait pas voir ses nouveaux compagnons de nuit se méprendre encore, et se remettre à le rouer de coup. Surtout que leur nombre avait augmenté, et qu'il ignorait si les autres avaient eu vent de leur altercation...

Soucieux, il regardait les autres membres du groupe qu'il venait de rejoindre, un à un, pour vérifier qu'aucun d'eux ne lui voulait de mal. Paranoïaque ? Oui, sans doute. Mais peut-être avait il raison de craindre le pire. Le blondinet semblait quelque peu dérangé, un schizophrène peut-être, ou bipolaire, il n'en restait pas moins dangereux.

Cédant à la tentation, il bu à grande gorgée. Le stress et la chaleur avaient eût raison de sa salive, et il se déshydratait à vue d’œil.L'eau fraîche se déversait agréablement dans sa gorge lorsqu'il se mit à la recracher involontairement.

-Je peux voir tes dessins ? Tu gardes ton carnet d’une nuit sur l’autre, t’as fait beaucoup de choses ? J’imagine que ça doit être cool ce monde, pour un artiste ? Tu comptes faire ça toutes les nuits ?

Il avait été surprit, et avait but de travers. Il mit un moment à se reprendre et se redressa, toussotant pour extraire les quelques gouttes d'eau coincées dans sa gorge.

-Kof... Euh, Oui, Euh, bien sûr.

Beaucoup trop de questions d'un coup, était-ce un interrogatoire ? Y avait-il des mauvaises réponses ? De la sueur perlait sur son front, et lui même n'aurait su dire si c'était dû au stress ou à la chaleur, peut-être bien les deux. Nerveux, il essuya son gant humide sur son tee-shirt trempé et sortit d'une main tremblante son carnet de la poche arrière de son jean. Il le tendit au blond intimidant, hésitant. Il ne voulait pas voir ses œuvres durement accumulées tomber entre de mauvaises mains.

-Je... Oui, tous les croquis depuis que je suis devenu Voyageur sont dans ce calepin. Alors... Faites y attention...

Il lui céda afin que ce dernier puisse le consulter. Dedans, il y avait tous les sujets intéressants qu'il avait rencontré, cette jeune rousse aux lèvres pulpeuses du Metro, ce jeune couple de Voyageur qui avaient décidé de se marier à Dreamland. Il y avait aussi les scènes insolites auxquelles il avait assisté, comme ces immeubles capables de se déplacer seuls, ou toutes ces créatures étranges qui se déplaçaient en arrière. Il avait dessiné de mémoire les vestiges de son passé en temps que Voyageur, lorsqu'il n'était encore qu'un enfant. Il avait visité tellement de Royaumes aujourd'hui éteins. Il avait rencontré tellement de gens, bons, et mauvais. Tous ses souvenirs les plus précis avaient étés retranscrits dans ce calepin. Il représentait en quelque sorte, sa raison d'être à Dreamland, sa raison d'y rester.

-Si je compte faire ça toutes les nuits... Il se détendit en souriant, pensif. On peut dire que oui.

Penser à tout ce qu'il avait vécu jusqu'à présent fit retomber la barrière qu'il avait érigé. Garry ne s'était pas rendu compte à quel point ce petit carnet représentait tout pour lui, ses aventures d’antan, ses rencontres, ses coups de cœur. Même s'il n'en avait pas eu conscience, ce Calvin venait de grimper dans l'estime de l'écrivain en s'intéressant à ses dessins.