C’était le festival des coups de boules ; à croire qu’aucun des deux combattants ne savaient plus se servir de ses mains. Quand Kala avait envoyé son front sur la tronche de Clem, c’était un bruit d’émail brisée qui avait accueilli le choc. Le coup avait porté en plein sur sa bouche que l’agoraphobe avait stupidement fermé par réflexe. Deux morceaux de dents se baladaient à présent dans sa mâchoire qu’il recracha inconsciemment. Manquerait plus qu’il les bouffe.

Quoi qu’il en soit, le choc de ce dernier coup, conjugué à toute la fatigue accumulée durant le match mit Clem au tapis. Écroulé sur le dos, l’agoraphobe tenta de se relever rapidement. Sans succès. Il ne parvenait tout simplement plus à se mettre debout. Il avait trop exigé de son corps et voyait maintenant ce dernier lui adresser des chèques que son organisme était incapable d’encaisser. Clem était au bout du rouleau. S’il n’était pas déjà en train de dormir il savait qu’il lui aurait fallu une bonne vingtaine d’heure de sommeil ne serait-ce que pour rouvrir les yeux et bouger les bras sans trop crier.

Donc c’était la fin ? The end ? Le bout du rideau ? Normalement à ce moment précis, le héros avait droit à un regain d’endurance du à un cri d’encouragement d’une personne du public, chère à son cœur la personne du public, si possible. Ou alors un petit flash-back de sa chérie pour lui redonner la volonté de se battre.

Ce fut presque ça... Au dernier moment avant de jeter l’éponge, Clem se rappela la promesse de son seigneur. Celle de l’accompagner pendant tous ses jours de congés si son équipe ne parvenait pas en haut du podium. Cette pensée à elle seule pourrait déjà donner des forces à un cadavre mais Héliée avait également promis une sanction exemplaire s’il foirait ce combat en particulier. Et dans la bouche d’Héliée, “exemplaire” voulait signifier “Terriblement Mortel”.

Toujours allongé sur le dos, Clem lança sa jambe en direction du tibia de son adversaire. Comme si son pied était mû par un ressort. Il tenta de calculer l’angle du coup pour frapper l’os sur le côté et obliger ainsi Kala à se coucher. Si la tactique portait, il grimperait sur son torse à califourchon avant de lui rosser la gueule. Gauche droite, gauche droite. Jusqu’à ce que l’hydrophobe arrête de bouger.

N’importe quel marathonien ayant essayé de courir une centaine de kilomètre lors d’une course (n’importe quel con de marathonien) le savent, quand un organisme a épuisé toutes ses ressources pour faire face à une difficulté physique, il claque en roue libre le temps de voir si la situation est vraiment urgente. S’il remarque que son corps, complètement épuisé depuis quelques minutes, bouge encore, alors c’est qu’elle l’est, et des mesures drastiques sont prises. Ces mesures, c’est ce que l’on appelle communément le second souffle. Un cocktail de vitamine et d’adrénaline qui circule pour la dernière fois dans le réseau sanguin avant de claquer définitivement le propriétaire dudit réseau. Une insensibilité à la douleur couplée à une énergie renouvelée. Théoriquement, n’importe quel corps pouvait délivrer un second souffle. Dans les faits, il fallait s’accrocher pour avoir le sien. La durée d’un second souffle dépend à la fois des individus et de l’activité qu’ils sont en train d’exercer. Si c’est Haruki Murakami qui finit son ultrafond, ça peut suffire. Si c’est Clem Free qui finit son combat, faut voir… le souci d’un second souffle, c’est qu’une fois qu’il est épuisé, le corps est mort, presque littéralement. Bouger un orteil après un second souffle était plus un exploit biblique qu’une réalité physique.

Et là, si Clem n’était pas en train d’avoir un second souffle, alors ça y ressemblait foutrement bien. S’il était sur le point de jeter l’éponge auparavant, là il faudrait lui rouler dessus avec un train de marchandise pour le forcer à arrêter de bouger. Kala avait stoppé ses deux poings avec ses paumes et le poussait maintenant à une épreuve de force pour savoir lequel allait repousser l’autre. Seulement Clem se tenait au dessus de lui et bénéficiait donc d’un énorme avantage : s’il n’avait besoin que de se laisser tomber sur l’hydrophobe, ce dernier devait repousser toute la masse de son adversaire avec seulement ses deux bras.

Afin d’être sûr de s’en débarrasser une bonne fois pour toute, Clem réajusta sa position sur le corps de Kala et déplaça sa jambe de manière à écraser le cou de l’hydrophobe avec son genou. Il n’avait plus qu’à exercer maintenant une pression assez forte pour l’envoyer dans les pommes. Seulement en bougeant, il s’était légèrement déséquilibré et la pression qu’il exerçait sur les bras de Kala s’en était ressentie. Avec de la chance, il serait trop épuisé pour en profiter.