Ça pouvait sembler bizarre, mais c'était le cas.
On pense souvent que ce genre de situation n'arrive jamais, persuadé de la véracité absolue des œuvres majeures telles celles de Michael Bay et autres super-productions étasuniennes. Ce genre de chose n'arrive jamais, personne ne réagirait ainsi, c'est évident !
Pourtant, après avoir fuit son pays, sa vie, sa famille, le gang avec qui il avait grandi, traversé l'Atlantique de part en part, s'être endormi et retrouvé dans un univers onirique du nom de Dreamland où lui était, en une seule nuit, arrivé quantité d'évènements inexplicables, il le fit.

Victor Sven alla chez le coiffeur.

Cela faisait déjà une heure qu'il se baladait en ville sur sa moto. Il retrouvait le plaisir de conduire et un semblant de contrôle alors que sa vie et même ses rêves lui échappaient. La première se transformait en début de thriller du regretté Tony Scott scénarisé par Luc Besson, les seconds devenaient des délires fantaisistes dignes des mangas japonais irréalistes et souvent abusif d'effets spéciaux. Il avait immédiatement ressenti le besoin de contrôle que seul la conduite pouvait lui procurer et s'était jeté dessus à peine sorti du bateau.
Mais après une bonne virée, Victor voulait trouver un coin peinard et peut-être rencontrer des gens. Mais d'abord, comme on dit : new life, new cut ! Et il n'allait pas faire exception.

Après avoir tourné un moment dans le port, il se gara finalement à l'arraché (ou plutôt, à la motard) sur un trottoir, et entra dans un salon de coiffure. L'endroit n'était guère très grand, mais suffisamment bondé pour laisser comprendre qu'il s'agissait là d'un coin à la mode. Une coiffeuse jeune et mal colorée vint lui demander ce qu'il voulait. Les lignes colorisées et l'assemblage de fils qui s'accumulait sur sa tête semblaient confirmer le fait que si les cordonniers sont souvent les plus mal chaussés, les coiffeurs étaient souvent les plus mal coiffés...

« J'aimerais garder le volume et juste un peu plus court derrière je vous prie, merci. » lui répondit-il avec un sourire.
Il constata avec plaisir que son français restait des plus efficaces, et la jeune fille le guida alors vers une place avant de repartir chercher son attirail. Et c'est là que son premier contact en France s'effectua brusquement de la part de son voisin temporaire :

« Vous avez bien de la chance de voir votre reflet, je comprends maintenant ce que ressentent les vampires tel que Nosferatu et l'autre pédale de Pattinson, d'ailleurs il a pas mal de cheveux LUI. Vous croyez que je suis fou ? pas loin quand on est accompagné d'une folle à lier et d'un coiffeur qui suit le moindre de ses fantasmes créatifs ! Priez pour nous, enfin surtout pour moi pour que ce soir et pour les jours à venir que je puisse continuer à vouloir me regarder dans le miroir s'il vous plaît ! »

Victor fut pris au dépourvu et l'autre était loin de parler lentement. Il lui fallut toute sa concentration et son attention pour récupérer le fil des pensées du jeune homme. Après un court silence, il répliqua avec son léger accent anglophone et un sourire amusé :
« Je pourrai prier pour vous ce soir, si vous y tenez tant que ça. Mais si vous pouviez parler un peu moins vite, cela me permettrait sans doute de mieux comprendre pourquoi... » Il fit une courte pause, toisa les cheveux de son interlocuteur, puis ajouta : « Et si c'est pour la coiffure, je vous rassure : ça ne vous va pas si mal malgré le fait que ce ne soit qu'à moitié fini pour l'instant. Enfin, je pense... Je comprends votre stress ceci dit, les cheveux des gens qui s'occupent des nôtres ne sont pas des plus esthétiques et ça n'a rien de rassurant... »

Au même instant, la coiffeuse revint guillerette avec son matériel sous le sourire engageant de Victor Sven.

Victor ne s'était pas aperçu de l'absence du miroir face à son voisin avant qu'on lui en remette un. Il comprit alors l'état de stress avancé de ce dernier, déduisant que la fille qui se collait à lui était la folle sus-nommée, mais une nouvelle ninterogation le sortit de ses pensées :

« Alors ? avis sincère svp .... »

Et voici un inconnu complet qui lui demandait, la mine effrayée et affolée, un avis sincère sur sa toute nouvelle coupe. Il dût donc contorsionner sa nuque pour à la fois laisser le champ libre à sa coiffeuse et regarder l’œuvre voisine. La demande était sincère et autant polie que possible. Il fallait maintenant réussir à trouver des mots rassurants, pas faux-culs, et en même temps très généraux puisque Sven n'avait absolument aucune idée de qui était face à lui Il profita donc du temps de jugement de la coiffure non pas tant pour se faire une idée esthétique, mais plutôt pour trouver des expressions.

« Eh bien... Le rendu est plutôt bien, finit-il par dire avec un sourire rassurant. Je vois beaucoup de cheveux par terre donc je suppose que vous êtes surpris, il faudra vous y habituer. » Il marqua une pause en se regardant dans le miroir. « Le changement fait toujours bizarre, et il est souvent suivi d'autres changements. Voyez-moi, par exemple : je quitte juste mon pays pour la France et j'accompagne cette nouvelle vie d'une nouvelle coupe. C'est de rigueur par chez moi : new life, new cut ! Bien que je n'ai pas votre courage de changer du tout au tout ou l'originalité de faire un blindtest. » termina-t-il en se tournant vers la fille semblant accompagner son interlocuteur.

« Allez mon gars, maintenant au tour de la touche ROCK AND ROLL ! Direction le salon de tatouage/piercing RED-SHAFT pour te donner un air de bad boy branché ! On verra bien sur place ce que tu voudras mais crois moi que j'ai déjà pas mal de projet pour toi ! D'ailleurs faut absolument que je termine le tattoo de mon épaule droite car le prochain risque d'être "so crazy", tu vois ce que je veux dire pas vrai le british ? »

Victor ne sut quoi répondre à ce mélange d'argot français et d'anglais mal prononcé. Ce qui, de toute façon, n'eut aucun impact sur les évènements puisque la fille entraîna son compagnon sans aucun ménagement ne laissant pas le temps à l'étasunien de réfléchir à une réponse.

Seul dans le salon de coiffure, Victor prit le temps de réfléchir un peu à sa situation. Une nouvelle vie, oui. Une nouvelle coupe, pourquoi pas. Mais tout cela, il en était conscient, n'était que pour oublier le plus gros problème : il n'avait finalement aucun endroit où aller... Bien sûr, il pourrait toujours dormir dans un hôtel pas trop cher quelque temps, mais il lui faudrait rapidement trouver travail et logement sans quoi il serait dans une mouise des plus profonde.
Il décida alors, une fois sa coupe terminée et payée (plutôt une réussite d'ailleurs... Comme quoi il n'y avait pas lieu de s'inquiéter !), de vaquer un peu en ville pour tout d'abord trouver une chambre. Ensuite il récupérerait sa moto et chercherait un lieu de travail. Avec un peu de chance, il trouverait rapidement un garage qui l'engagerait au moins pour un temps.

C'est donc en se baladant tranquillement que Victor arriva sans s'en rendre compte au point de rendez-vous du couple supposé : le RED-SHAFT. Alors qu'il marchait tranquillement en regardant à droite à gauche dans l'espoir de trouver une annonce quelconque, un bruit soudain retentit dans l'établissement rapidement suivi par la sortie en trombe d'un type à moitié nu dont l'expression à mi-chemin entre la frayeur et l’effarement était tout aussi ridicule que la posture figée en pleine course tel un discobole ayant subitement éternué.
Face la surprise et à la cocasserie de la situation, il y eut tout d'abord une seconde de blanc qui parut durer une heure, puis un ricanement amusé retenu de la part de Sven qui finit par laisser échapper un rire silencieux avant de s'en excuser.

« Je suis désolé, vraiment... C'est la surprise, vous comprenez ? » tenta-t-il d'expliquer d'un air à la fois amusé et confus tout en tentant désespérément de contrôler les spasmes de son corps. Il le toisa rapidement puis lui dit : « Dans un style destroy, c'est plutôt réussi. »