TAC !

TAC !

TAC !


Le cœur du Gris se serra légèrement au troisième impact tandis qu'il libérait l'air prisonnier de ses poumons. Le dernier et doux claquement ponctuait la fin d'une série de geste minutieux, lents et précis, qu'il était nécessaire d'effectuer à l'identique pour parvenir à un résultat optimal.

Il expira doucement en appréciant son œuvre d'un air satisfait. Qu'il était agréable d'avoir un contrôle total dans la pratique d'une discipline ! Ses pensées commandaient et le corps obéissait, connaissant chaque tension de ses muscles, chaque flexion des tendons, chaque frémissement nerveux. Un résultat sans appel ; les fléchettes étaient soigneusement disposées en un triangle parfait ; triple vingt, triple seize, triple quinze. Ce n'était pas le meilleur score bien sûr, mais c'était exactement ce qu'il avait voulu . Nedru ne savait pas s'il était suffisamment bon pour jouer sous la pression d'un public éméché mais si tel était le cas, il pourrait commencer à disputer quelques titres.

Nedru Etol, champion de lancer de fléchettes ! Le londonien sourit devant la vacuité de cette ambition en retirant les dards plantés dans la cible, avant de les ranger soigneusement dans leur étui. Big Ben venait de sonner vingt heure et il s'amusait maintenant depuis un peu trop longtemps.

Son sourire s'agrandit légèrement lorsqu'il se retourna pour découvrir que son bureau était couvert des cartes avec lesquelles il s'était entraîné à pratiquer de nouveaux tours. Ses passe-temps étaient diamétralement opposés à ce que ses occupations réelles pouvaient laisser penser. Mais qui connaissait ses occupations réelles ? Les quelques dealers qu'il fréquentait n'avaient d'idée précise de la raison pour laquelle il leur portait de l'intérêt. Les sombres personnalités pour lesquelles il fournissait de temps à autre quelques documents le prenaient tout au mieux pour un comique original. Ceux qui faisaient appel à ses occultes services de pseudo-détective ignoraient probablement l'intérêt qu'il portait à ses études et de leur côté, les étudiants qu'il fréquentait le connaissaient surtout pour ses tours de magie, sa collection de fléchettes et ses bons résultats scolaires.

Personne, sinon ses anciens professeurs et les quelques parents éloignés qui avaient gardé depuis sa jeunesse des souvenirs négatifs, ne le prenaient pour un voyou. Ou même pour quelqu'un de mauvais. Aucun individu à sa connaissance n'avait idée de sa réputation dans le monde onirique. Et dans le monde onirique lui même, il se gardait bien de marquer les esprits par des actes déplorables ! Quelques créatures des rêves avaient sans doute connu un sort néfaste à son contact, mais à part ça ? Il faudrait briser trop de murs pour trouver quelqu'un capable de le trouver mauvais.

Nedru s'assit sur son fauteuil roulant à haut dossier (un brin vulgaire mais trop confortable pour qu'il ait le snobisme de s'en passer). Il s'était contenté de s'épargner l'affront de s'asseoir sur du faux cuir, lui préférant un tissage bicolore de qualité. Faisant claquer un doigt sur son clavier afin de réveiller son écran assombri par la veille, il entreprit de trier ses cartes en regardant son ordinateur actualiser sa boite mail du coin de l'oeil.

Une nouvelle routine du jeune homme se mit alors en branle tandis que l'index de Nedru guidait le pointeur de sa souris sur diverses fenêtres dans un ordre qu'il respectait consciencieusement à chacune de ses visites de l'immense toile d'internet. Internet... Cette source inépuisable de distraction, ce bouillon primordial dans lequel les émotions humaines s'enflammaient avec une ardeur primitive ! Une merveille...
Et lucrative avec ça.

L'instant qui nous intéresse fut celui où il plaça son curseur sur une petite fenêtre, au milieu d'une sobre page noire. La routine touchait à sa fin et se complexifiait à mesure ; les mots de passes ne restaient pas enregistrés lorsque l'on visitait ces endroits et il lui fallait les retaper à chaque fois. Ses ongles fins frappèrent doucement le clavier pour donner le sésame voulu.

« Toro Picana ».

Une ancienne légende. L'une des bannières sous laquelle se reconnaissaient les Voyageurs dans le monde réel. N'importe quel nom propre et durable suffisait à différencier ceux là qui parlaient de leur rêve en évoquant vaguement des « champignons gigantesques » et ceux qui affirmaient avoir visité « Champiland ».
Le problème majeur ; la langue. Si dans le monde onirique chacun se comprenait en citant le pays de champignons par son nom propre, Nedru avait connu les plus grandes difficultés à en obtenir la traduction dans les différents alphabets du monde réel. Pour finir, il avait abandonné, laissant à ses semblables étrangers le soin de veiller sur leur partie de la toile. De son côté, il avait l'anglais et cela lui suffisait amplement.

D'autant que les sites « d'initiés » n'étaient pas si nombreux, ni si utiles que l'on pourrait le croire.
D'abord parce que les Voyageurs étaient prudents et que ceux qui osaient en dire trop sur eux étaient bien vite punis par les killers, chez qui le respect du secret de Dreamland était un prétexte au meurtre aussi efficace qu'une religion. Par ailleurs, ceux qui mouraient gardaient parfois une trace de leur vie sur le net, par exemple s'ils avaient noté un mot de passe ou pris des notes. Certains continuaient alors à arpenter les fils de discussion pour le plaisir de n'y rien comprendre, cherchant à rejoindre des conversations dont l'imperméabilité les fascinaient. D'autres encore se contentaient de brouiller les cartes. Pour finir, restaient ceux qui n'étaient pas intéressés par l'idée d'entrer en contact avec d'autres Voyageur via Internet, sans oublier les derniers qui n'avaient absolument pas accès au média.

Nedru de son côté suivait toute cette activité avec l'attention d'une araignée, surveillant les secousse dans la toile autant que sa vie réelle le lui permettait au grès des jours. Aujourd'hui était l'un de ceux là. Le hasard voulu qu'il était de bonne humeur et qu'il ne se contenta pas d'expirer de l'air par le nez d'un air méprisant en lisant l'intitulé du fil de discussion en tête de la page sous ses yeux.

Il s'arrêta sur la phrase ; « Don't you agree ? We can even impact the real world ! ».

Cet optimisme le fit sourire. Un savant fou du monde réel ? Il suivit donc le fil de discussion dans sa longueur, l'oeil parfois éclairé par les idées naïves du Dr Raven. « La gravité est une loi universelle dans Dreamland... Enfin pour la majorité des royaumes ! » Voilà qui le fit rire de bon cœur. Ce Dr Raven n'était pas parfaitement inintéressant ! Un esprit rationnel -ou voulant rationaliser- le monde des rêves, voilà une entreprise qui ne lui était pas parfaitement étrangère. Mais l'idée de l'axiome avait quelque chose d'intéressant. Il y en avait peu, mais il en existait.

A vrai dire, il en existait un qui surpassait tous les autres, bien qu'il n'eut lui même été certain de cela que beaucoup trop tard après avoir obtenu son statut de Voyageur. Une loi liant le monde des rêves et l'esprit des hommes d'une façon beaucoup trop importante pour être ignorée. Un mécanisme que Nedru se savait encore trop immature et faible pour chercher les réponses au milieu de ses rouages. Mais si d'autres voulaient bien s'en charger...

Ce Dr Raven agissait pour la science ? Le Gris avait peut être une ambition plus majestueuse à lui proposer...


Prendre contact avec lui fut aussi facile qu'un envoi de message privé le suggérait. Sous le nom de « Gr.Fox », il lui indiqua l'adresse d'un IRC et le mot de passe lié afin qu'ils puissent discuter et le reste des choses se fit assez naturellement. Dr Raven partageait son fuseau horaire et un socle de culture assez proche pour que Nedru puisse lui donner rendez-vous dans Relouland. Il affirmait n'être guère classé dans les ligues, ce qui ne prouvait rien en soit mais... Il fallait bien une mise pour obtenir des gains.

Puis vint le sommeil !

Relouland... Fallait-il encore que son pouvoir déchiffre aussi précisément ce que ses sens aiguisés par le monde des rêves lui communiquaient ? Poussière, atmosphère sèche, bruit blanc permament ; Relouland. Passons !

Nedru avait réussi à trouver le fameux Voyageur, pourtant perdu au milieu de la foule impressionnante du grand hall. Il portait les vêtements convenus et son corbeau était bien là, aussi l'analyste s'avança-t-il vers le jeune homme en se mêlant à la délicieuse foule, cherchant à en savoir plus sur l'individu avant de se dévoiler.

Sa carrure n'était pas impressionnante et Dr.Raven ne semblait dégager aucune sorte d'agressivité. Ses yeux fouillaient la foule, sans doute en quête du manteau blanc que Nedru avait déclaré avoir l'habitude de porter, mais aucune trace d'impatience ne trahissait ses gestes. Le londonien tenta d'activer son pouvoir sur l'individu, sans succès.

Aussi s'autorisa-t-il un bon quart d'heure d'observation aussi lointaine que discrète avant de se lancer, fendant la foule pour tendre la main vers ce savant fou en puissance. Il l'aborda avec un sourire aimable et l'intonation joyeuse ambiguë qui le caractérisait

-Salut ! ici Gr.Fox. Désolé pour le manteau eeeeeeet sans transition ... Prêt à faire évoluer la science ?

Le Renard sans pour autant quitter des yeux son interlocuteur, tendit un bras en direction d'un ridicule couloir, presque invisible de là où ils étaient tant le grand hall était à la fois immense et bondé.
La première impression est primordiale, aussi Nedru goûtait-il l'instant avec délectation. Déchiffrer les émotions humaines restait son point fort. Le silence est éloquent, la prise d'initiative autant que rester immobile, donner un pseudonyme en dit plus long sur un homme qu'un nom de famille et pour l'heure, ce Voyageur n'avait pas encore eut le temps de réagir.

Alors, qui es-tu Dr Raven ?

Relouland. Un royaume que je ne portais pas particulièrement dans mon cœur, mais qui, paradoxalement, fut la raison pour laquelle j'acceptais ce mystérieux rendez-vous avec ce mystérieux inconnu. Dans l'idée que je me faisais de Dreamland, accepter un rencontre avec un parfait étranger déniché sur internet pouvait s'avérer aussi mortel que de tenir un discours pacifiste à une mitrailleuse automatique. Cependant, le meeting auquel je me préparais avait lieu au royaume de la bureaucratie, ce qui réduisait fortement mes chances d'y perdre un membre. En effet, Relouland était un des royaumes les plus ordonnés qu'il m'aie été donné de visiter par le passé, et abritait une flopée de vigiles chacun plus musclé et efficace que les autres. Il inspirait la sécurité comme les moustiques inspirent nos pulsions sanguinaires, et tout cela avait une raison très simple : Si Dreamland avait autorisé à ce que des génocides, massacres ou même meurtres entre amis prennent place dans un tel endroit, cela aurait contribué à le rendre un petit peu plus fun, ce qui aurait été complètement à l'encontre de l'esprit dudit royaume.



C'était la raison pour laquelle j'avais accepté de rencontrer ce ''Gr Fox'', jugeant notre lieu de rencontre comme un des rares endroits du monde onirique où je me trouverais en relative sécurité. Et me voilà à attendre, désœuvré, l'arrivée de mon futur interlocuteur, en espérant qu'il ne soit pas victime d'une insomnie intempestive. Le royaume des rêves était définitivement un système peu fiable quand il s'agissait assurer la ponctualité des entrevues. Si l'un des participants s'endormait trop tard ou trop tôt, cela pouvait faire tomber la réunion toute entière à l'eau. Pour patienter, je me tint occupé en m'amusant du plan anti-terroriste concocté par Munin.

Quand je lui avait expliqué ce qu'il allait advenir durant cette nuit, il avait rejeté l'idée avec véhémence. Le corbeau m'avait même traité de ''fou'', de ''suicidaire'' et de ''jeunemaîtrejevousenpriesoyezunpeusérieux''. Au final, je n'avais pas pu lui refuser de nous préparer au cas où l'homme voulant me rencontrer veuille ma mort ou celle de mes futurs enfants. Je n'osais l'avouer, mais ce plan B me rassurait moi même un petit peu. C'était la première fois que je rencontrais volontairement un autre voyageur à Dreamland après tout.

Munin envoya Hugin, l'autre corbeau, se poster discrètement quelque part, pour surgir du néant et prendre par surprise un éventuel agresseur. Je mis en doute avec un sourire que la langue française accepte d'associer « Hugin » et « discrètement » en connaissance de cause, mais l'oiseau paranoïaque m'assura que malgré le taux de décibel moyen émis par le général de corbeau avoisinant le double d'une personne normale, celui-ci pouvait agir avec furtivité quand cela s'avérait nécessaire.

Mon conseiller, lui, se posta sur mon épaule et entreprit d'utiliser sa vision de rapace ainsi que ses capacités de maître espion pour déceler parmi la foule un éventuel psychopathe sanguinaire avec la bave aux lèvres et un couteau dans la main, ou, à défaut du premier, une personne m'observant un peu trop fixement. Malheureusement pour lui, presque la moitié des occupants du hall où je me trouvais pouvait se ranger dans cette dernière catégorie. Celui-ci était rempli de longues files d'attente et chacun sait que quand l'on se retrouve piégé dans le corps d'un de ces longs serpents, on cherche une occupation comme on essaie de s'accrocher à une bouée de sauvetage, pour ne pas finir noyé dans son propre ennui.

Et il faut dire que je sortais un peu du lot, avec un corbeau sur l'épaule, c'est pourquoi des dizaines de regards me transperçaient comme d'innombrables flèches, attendant peut être que je fasse quelque chose d'intéressant. Dans cette situation, me gratter les fesses ou me curer le nez étaient choses impensables. Pauvre de moi.



Je laissais donc mon esprit vagabonder pendant vingt bonnes minutes, quand un léger claquement du bec me rappela à la réalité. D'un mouvement de l'appendice, Munin attira mon attention sur un individu s'approchant de moi avec assurance. Celui n'avait pas de bave aux lèvres, ni de couteau dans la main, mais seulement un ton à la limite du condescendant quand il s'adressa à moi :

-Salut ! ici Gr.Fox. Désolé pour le manteau eeeeeeet sans transition ... Prêt à faire évoluer la science ?

Je ne pu réprimer un sourire amusé. Me prenait il vraiment au sérieux ou voulait-il seulement utiliser ce rendez vous comme prétexte pour se moquer de moi ? Ou alors, peut être que cette attitude n'était qu'une technique d'approche comme une autre ? Mon sourire s'élargit à cette pensée. Briser la glace était un art dangereux que le commun des mortels n'était pas souvent en mesure de maîtriser. Parfois  l'on y parvenait avec succès, mais parfois l'on se retrouvait piégé au milieu des éclats de verre. Quoi qu'il en soit, cette intonation mi-moqueuse , mi théâtrale que ce ''Gr Fox'' adoptait avait un je-ne-sais-quoi de désarmant.

Le jeune homme, qui avait à peu près mon age, m'indiqua l'emplacement d'un couloir sombre jurant avec le reste du hall. Hey ! Cette artère doit être la seule de tout Relouland à ne pas être filmée par les caméras ! Dans le genre ''ruelle suspicieuse'', on peut difficilement faire mieux. Tu ne penses tout de même pas que je vais m'aventurer dans ce genre d'endroit exigu sans m'inquiéter ! Je ne te connais pas, mec, je ne vais pas me hasarder à entrer la dedans en premier. Ne serait-ce que pour garder une voie d'échappatoire au cas où tu serais le fameux psychopathe que la narration semble vouloir à tout prix mettre sur ma route.



Je reluquais le renfoncement et d'un claquement de langue, appelai Hugin à la rescousse. Celui-ci me rejoignit à tire d'ailes, faisant basculer -probablement sciemment- sur son passage une énorme pile de dossiers en équilibre dans les bras d'une créature des rêves bougonneuse, qui grommela à l'encontre de l'oiseau quand celui-ci atterrit sur mon épaule. Je remarquai une fois de plus l'impressionnante délicatesse avec laquelle les deux corbeaux avaient tendance à se percher sur celles-ci, puis reporta mon attention sur mon interlocuteur.

Un demi-sourire calqué sur le visage, je lui indiquait le couloir d'un hochement de tête, et lui répondis simplement.

« je te suis.»

Pour ce qu'il pouvait en juger, l'individu n'était pas hostile. Deux corbeaux nichaient désormais sur ses épaules mais le fait que son interlocuteur ait décidé de rappeler le deuxième volatile était sans doute l'équivalent d'une marque de confiance. Les renforts ne restaient pas postés, prêts à agir en embuscade, c'était un début.

Le Renard prit ainsi la tête des opérations, guidant « son hôte » vers un lieu plus calme en commentant la visite ;

- Tu n'as rien à craindre de ma part, sois sans crainte. Les questions que tu te posent m'intéressent aussi, dans un sens, et je n'ai trouvé aucune réponse réellement exploitable pour l'instant. Mais nous pouvons toujours mettre nos connaissances en commun.

Le petit couloir  les mena bientôt à une salle d'attente bondée. Nedru la traversa pour ouvrir une porte par laquelle tous les rêveurs sur place espéraient voir débarquer l'individu de leur choix ; médecin, patron, livreur... Cette porte ne menait en réalité que sur une pièce vide, peuplée de meubles épars, et l'analyste referma la porte derrière son compagnon sous le regard envieux des pauvres ères à l'imagination si triste.

S'asseyant sur une armoire renversée, il demanda d'un air enjoué ;

-Alors, discutons ! Quelles sont tes hypothèses ? Poses moi tes questions et j'y répondrai dans la limite de mes connaissances. A propos, je m'appelle Nedru.

Il n'avança pas la main pour serrer celle de son interlocuteur, mais bigre ! Il était de bonne humeur cette nuit. [/i]

Le jeune homme me guida dans le petit couloir et je l'y suivis, ma méfiance s'étant évaporée pour laisser place à ma curiosité. Ce qu'il avait à me dire m'intéressait, tout comme sa personnalité et l'endroit où il me menait. Sur le chemin, il me rassura sur le potentiel danger qu'il représentait et m'expliqua très brièvement qu'il avait lui aussi cherché des réponses à certaines questions que je m'étais posé, sans toutefois me donner plus de précisions. Je lui répondit d'un hochement de tête qu'il ne put évidemment pas voir. Pauvre de moi, je suis si stupide...

Après avoir traversé une salle d'attente remplie de pauvres hères aussi désœuvrées que des pompiers un jour de pluie, nous parvinrent dans un une salle déserte, à l'exception de plusieurs éléments du mobilier éparpillés ici et là. Pendant que j'admirais le mode de répartition très avant-garde des meubles, mon nouvel ami s'installa sans scrupule sur une pauvre armoire sans défenses. M'asseyant à mon tour sur un siège improvisé, je contemplais d'un œil Hugin se percher sur une petite table avant que le mystérieux internaute ne prenne la parole.

"-Alors, discutons ! Quelles sont tes hypothèses ? Poses moi tes questions et j'y répondrai dans la limite de mes connaissances. A propos, je m'appelle Nedru. 
-Et moi Alan !"

Je lui tendis une main qu'il serra. Dans d'autres circonstances, j'y aurais réfléchi à deux fois avant d'entrer en contact avec un parfait inconnu, voyageur de surcroît, mais pour une raison que j'ignorais, j'appréciais ce personnage. De toute manière, sa main chaude me révéla bien vite qu'il ne possédait pas le pouvoir du contact mortel.

''D'habitude, c'est celui qui invites l'autre qui pose les première questions." répliquais-je avec un sourire. Puis je repris :
« Premièrement, depuis combien de temps es tu voyageur ? Deuxièmement, pourquoi les cabines téléphoniques sont rouges par chez vous ? Et troisièmement...»

Je changeais légèrement ma position. Le meuble sur lequel j'avais posé mon postérieur n'était pas le plus solide, et je commençais à m'enfoncer dangereusement.

« En ce qui concerne mes théories, je ne vois pas par où commencer. Je te laisses le choix du thème de départ. La relation entre les deux mondes ? L'origine du pouvoir des voyageurs ? Edenia ? Les règles de Dreamland ? Autre chose, peut être ? »

Je laissais planer la question en observant mon interlocuteur avec curiosité. Je me demandais quel était le sujet qui l'intéressais le plus. Ça m'aiderait peut être à mieux cerner le personnage.

Nedru observa un instant les volatiles de son invité avant de répondre à ses question d'un air aimable. Il avait soulevé les points les plus intéressants, c'était une excellente chose ! Mais il était encore trop tôt pour se parler à cœur ouvert.

- Je suis Voyageur depuis bientôt sept ans. Nedru fit une pause pour sourire et apprécier la réaction du dénommé Alan avant de poursuivre ; -Commençons par le commencement ; la relation entre les deux mondes. Je te donne mon point de vue et tu me corrigeras quand j'aurais terminé, si cela ne t'ennuie pas. Le Gris avait toujours autant horreur d'être interrompu.

Il est plus ou moins certain que c'est la psyché humaine qui modifie Dreamland et non l'inverse. Des Royaumes entiers apparaissent en même temps que des hoax et la plupart des personnages de fictions célèbres deviennent « réels » dans le monde des rêves une fois inventés par un artiste. Et ce serait insulter l'intelligence humaine que de considérer qu'il faut avoir vu cette créature en rêve pour pouvoir la coucher sur le papier ; nous sommes même capable d'inventer même dans Dreamland.

On sait aussi que certains animaux rêvent et influent à leur façon sur le monde onirique.

Mais ! L'effet « pervers », c'est que les créatures oniriques ont une conscience et, selon moi, cherchent à tirer profit de leur existence dans l'inconscient des choses capables de rêver. Ainsi, les Royaumes Cauchemar tentent d'accroître leur influence dans le monde des rêves afin de se développer dans un plus grand nombre d'esprits, lesquels en rêvant qu'ils craignent le feu par exemple, augmenteront le pouvoir dudit Royaume. Un cercle vertueux ou vicieux à la base de la perpétuelle guerre entre le camp des « Rêves » et celui des « Cauchemars ».

Ceci ne reste qu'une théorie... Je doute que, même si l'ensemble de Dreamland était plongé dans les flammes, un nouveau né tenu à l'écart de toute forme de feu soit capable de concevoir et de rêver de cet élément primaire. Si tel était le cas, alors Dreamland serait réellement « autonome », mais j'ai de gros doutes à ce sujet. Et le monde subit lui aussi ses propres désastres, lesquels influent sur la pensée humaine bien plus rapidement qu'un vague conflit inconscient.

Enfin, si brûler tout Dreamland pour tester la chose est impossible, on sait par contre que les aveugles qui deviennent Voyageur sont capable de voir dans le monde réel. Dreamland peut donc se manifester de façon concrète et objective, ce n'est pas un simple média dans lequel on entre et que l'on appréhende avec des perceptions propres. Mais pour cela, il faut devenir un Voyageur.

L'analyste s'arrêta pour prendre son souffle et tourner ses phrases correctement, pause durant laquelle il contempla ses mains et fit sonner ses deux bagues en claquant ses mains l'une contre l'autre avant de se lever pour parler en marchant, appuyant ses phrases de gestes d'emphase un brin humoristique.

Ceci nous amène à ta seconde question ; le pouvoir des Voyageurs.

Soyons franc ; ils restent un mystère. Voilà ce que je sais sur la question ; vaincre une phobie permet de s'approprier un pouvoir lié à cette dernière. A mon avis, ce pouvoir est.. directement puisé dans la réserve « d'inconscient » du Royaume. Ce qui expliquerait que certains Seigneurs refusent que des Voyageurs portent leurs pouvoirs... Mais ce n'est peut être que de l'orgueil, puisque porter ses pouvoirs signifie aussi « ne pas les craindre, eux et tout ce qu'ils incarnent »... Passons !

Toujours est-il que vivre de façon lucide dans le monde des rêves est nettement plus intéressant que de devenir une sorte de magicien puisque, comme je l'ai déjà dit, il permet de puiser dans l'inconscient collectif et de découvrir des choses parfaitement nouvelles, en dehors des conceptions issue de notre vécu et notre environnement.

Ceci est un peu plus complexe... Je suppose que lorsque l'on obtient le pouvoir d'un Royaume, l'on devient à part entière l'un des éléments qui le compose. Imaginons que très peu de personnes craignent les draps, ou rêvent de draps. Le Royaume des draps disposerait d'un « stock d'inconscient » de 10 unités, par exemple. En devenant Voyageur du Royaume des draps, un être humain puise dans le stock d'inconscient de 10 du Royaume. Selon sa puissance, il prendra 1, 2 ou 3 unités par exemple. Le seigneur des draps pourra donc vouloir tuer ce Voyageur s'il estime que cela nuit à son Royaume. Mais le Voyageur pourra aussi répandre l'amour ou la peur des draps par des hauts faits, ce qui augmenterait à mesure le stock d'inconscient du Royaume.

C'est ainsi que la renommée semble avoir tendance à offrir de la puissance aux Voyageurs... Le statut de Voyageur nous hisse au rang de « part de l'inconscient collectif du monde réel ». Un rang bien prestigieux, si tu veux mon avis !

Il se rassit souplement sur le meuble qu'il avait quitté plus tôt, avant de poser ses paumes contre le meuble, derrière son dos, pour adopter une position confortable.

- Voilà pour peindre la situation dans les grandes lignes. A mon tour de te poser des questions. Que veux tu faire en cherchant mêler les deux mondes ? Tu évoquais des expériences ? Et puisque tu en parlais... Que sais-tu d'Edenia ?

Le Gris observa Alan, l'écoutant d'un air aimable, son attention se détachant par instants pour se porter sur ses corbeaux. Il n'avait répondu à aucune de ses questions, se contentant de vulgariser sa pensée d'une bien médiocre façon. Son interlocuteur ne semblait pas tout à fait comprendre, mais comment le lui reprocher ? S'il avait un esprit scientifique, cette application de la science dans le raisonnement ne pouvait que l'induire en erreur. En parlant d'erreur ;

- Un aveugle qui devient Voyageur est capable de voir , uniquement dans Dreamland, pardonne moi si ma langue fourché. L'idée que ceci tend à prouver est que l'on appréhende pas uniquement le monde des rêves de façon subjective. Il fit une pause pour chercher un signe d'acquiescement, avant de continuer

- Pour en revenir à ce cher Marcel ;
Son pouvoir vient, peut être ? de l'inconscient stagnant. Ce n'est pas le fruit d'une quelconque énergie. Les Rêveurs ne créent pas d'énergie. Ils pensent et rêvent. Ils n'émettent rien d'autre qui soit convoité par les créatures, et c'est déjà suffisant ! Ce monde n'est pas comme le dessin animé de la société des monstres à mon avis. Simplement, laisser une trace dans leur esprit permet au Royaume des draps de continuer d'exister. Et petit à petit, peut être, d'influencer suffisamment les humains pour se développer.  L'extinction quotidienne des Royaumes en est la meilleure preuve selon moi, et celle du Royaume 21/12/12 il y a un an est un bon exemple. Il y avait des créatures dans ces Royaumes. Et elles ne sont plus là. Migrées ? Volatilisées ? Retournée dans le flot d'inconscient collectif ? Bonne question, je n'ai pas de réponse catégoriques, même si je suis capable d'en parler pendant des heures.

Nedru examinait le perchoir vivant avec attention, afin d'être certain qu'il écoutait, et qu'il acceptait la supériorité de ses arguments. Le Gris n'avait rien contre l'idée de changer d'avis, mais pour cela il fallait lui apporter faits et preuves ; ce qu'Alan était venu chercher et dont il ne disposait, de ce fait, aucunement.

Certains Royaumes veulent tuer leurs Voyageurs. Parce qu'ils sont incontrôlables, peut être, mais encore ? Seuls les Royaumes vertueux se soucient d'empêcher un être puissant et incontrôlable de s'ébattre dans la nature. Or les faits démontrent que ce sont plutôt les Royaumes peu vertueux qui tuent leurs Voyageurs ; je ne peux donc pas croire que ce soit l'unique raison.

Et puis en ce moment, les Royaumes veulent tuer tous les Voyageurs, de toute façon. C'est plus une manière de se protéger contre des monstres sur pattes que par racisme, si tu veux mon avis... Et puis si l'idée du stock d'inconscient est conservée dans le raisonnement, tuer ceux qui puisent dans vos ressources prend un certain sens. Il ajouta, plutôt pour lui même que pour Alan, car cette pensée lui avait traversé l'esprit avec un peu de retard par rapport à la parole ; -Peut être un brin de racisme cela dit, étant donné qu'il est impossible pour un humain de partager totalement le monde de pensée d'une créature des rêves...

Comme un somnambule qui se réveille, Nedru releva brutalement la tête pour se positionner face à Alan.

-Passons ! Tu as mon avis sur la question et j'ai le tiens, le reste n'est que spéculations et interprétations. Soyons plus concret !
Alors ? Quelles expériences ? Pourquoi mêler les deux mondes ?

La dernière question de tout à l'heure venait d'être omise intentionnellement. Après tout, ce sujet nécessitait d'être d'accord sur beaucoup d'autre au préalable.
[/i]

Après quelques spéculations, Nedru émit l'envie de laisser les théories de côté et de parler de quelque chose de plus concret. Après un léger instant d'étonnement, je hochais la tête. Avec nos connaissances(ou du moins les miennes) de Dreamland, nous aurions pu soliloquer pendant des heures que nous n'aurions pas pu établir la moindre conclusion. Tout ce dont nous disposions n'étaient que quelques vagues théories, quelques axiomes incertains, et suffisamment d'orgueil pour se penser capable de traduire le monde des rêves entier par des formules mathématiques. Oui, de l'orgueil. Je doute que même un voyageur aguerri ayant baroudé plusieurs dizaines d'années dans le monde des rêves puisse affirmer avec certitude maîtriser son sujet. Bref, rien ne nous empêchait de débattre, mais rien ne nous permettait de conclure. Alors si mon interlocuteur ne voulait pas se satisfaire d'une simple discussion, autant rentrer dans le vif du sujet. Et tant pis pour cet histoire d'aveugle retrouvant la vue qui me restait en travers de la gorge.



Alors ? Quelles expériences ? Pourquoi mêler les deux mondes ? 

Eh ? Que suis-je censé répondre à cela ? Quelles expériences ? Rien qui ne soit possible dans l'état actuel de mes connaissances ou de mes capacités. Pourquoi mêler les deux mondes ? Parce que j'ai le minimum syndical d'ouverture d'esprit et de curiosité intellectuelle. Si un voyageur ne se pose pas de questions sur la relation entre Dreamland et notre planète, c'est probablement quelqu'un d'aussi ennuyeux qu'une pierre. Alors pourquoi me poser une question à la réponse si évidente ?

J'en vînt à me demander ce que mon interlocuteur attendait de moi. Quand il m'avait proposé une rencontre pour discuter de mes idées, je l'avais pris soit pour un blagueur, soit au contraire pour quelqu'un de réellement intéressé par la théorie onirique. Maintenant qu'il se trouvait devant moi, je ne parvenais à le classer dans aucune de ces deux catégories. Il avait de trop bons raisonnements scientifiques pour n'être qu'un plaisantin venu s'amuser à mes dépends, mais son attitude à mon égard n'était pas celle d'un passionné de science partageant ses opinions sur un sujet à controverse. En fait, j'avais l'étrange impression qu'il me testait. Son humeur changeante, ses questions étranges, le fait qu'il m'aie contacté de lui même sans raison plus poussée qu'une petite discussion entre voyageurs... Que me voulait-il, au final ? Que pouvait il bien attendre d'un étudiant paumé, fraîchement débarqué à Dreamland, ayant créé par caprice un topic scientifique dans le simple but de tromper son ennui ? Bon, il était vrai que j'avais pas mal déconné. Je m'étais amusé à jouer le rôle du savant fou dans une bonne partie de mes réponses aux internautes, et à sous-entendre que j'avais les capacités de changer le monde des rêves. Si il y avait un responsable de cette situation, c'était indubitablement moi. Encore une fois, je ne pouvais ne m'en prendre qu'à moi même. Et je ne savais toujours pas quoi dire à mon interlocuteur.



J'avais rapidement éludé sa deuxième question en prétextant la curiosité scientifique, ce qui en soi n'était pas une réponse fausse, mais certainement pas satisfaisante. En revanche, je n'avais pas encore répondu à la première, et je faisais semblant d'y réfléchir. Le souci, c'était quoi répondre. Je pouvais imaginer des dizaines d'expérimentations intéressantes et ambitieuses, mais leurs mises en place étaient largement hors de ma portée. Ce n'était pas un voyageur débutant comme moi qui allait pouvoir réunir les prérequis pour procéder à une expérience de grande envergure. Sans budget, on ne va nulle part, comme dans la vie réelle. Les quelques maigres idées que je pouvais exploiter étaient bien loin d'avoir la capacité de changer la face de Dreamland. Si le mystérieux Nedru attendait de moi que je devienne l’icône d'une révolution industrielle, il allait tomber des nues.

Mais que dire alors ? Mentir ? Rester honnête et passer pour un guignol ? Prétexter une soudaine envie de pisser pour s'enfuir ? J'optais pour la voie du guignol. Ce n'était pas comme si un cercle de mensonges allait m'emmener quelque part. Et tant pis si mon interlocuteur avait jusqu'à maintenant vu en moi le nouveau Messie de la science. Je souris intérieurement en essayant de deviner sa future réaction.



« J'ai bien une petite idée d'expérience à mener. Quelque chose de relativement simple. Et utile, potentiellement. »

Je n'étais pas resté les bras croisés avant que le message de Nedru ne me parvienne, j'avais mené dans mon coin mes propres petits tests, et avait pensé à de nombreuses utilisations du monde onirique. Rien de bien concluant cependant, il ne s'agissait généralement que d'observations faites ici et là, et les expérimentations concrètes étaient peu nombreuses. Il y avait bien les mesures que j'avais prise en cas de décès à Dreamland afin de récupérer ma mémoire, mais j'espérais à avoir mettre la théorie en pratique le plus tard possible. En revanche, j'avais une idée qui me trottait dans la tête depuis un moment, et j'étais à l'endroit parfait pour la tester.

« J'ai un... Examen dans une semaine, et j'ai deux trois trucs bricoles de prévues qui m'empêcheront de réviser. Non, en fait, c'est juste de la flemme. »

Ça y est. Je n'arrive plus à m'empêcher de sourire.

« Les professeurs et les élèves ont du penser, voire même rêver, à ces sujets d'examens. Vu que Dreamland est issu de nos esprits... »

Mon oreille surprit un croassement agacé qui ne fit qu'accroître mon rictus.

« ...Vu que Dreamland est issu de nos esprits, des répliques, plus ou moins exactes, de ces sujets d'examens devraient se trouver quelque part dans le monde des rêves. À mon avis, elles devraient se trouver dans ce royaume même. »

T'attendais tu à des expériences grandioses sur la nature du monde onirique, Nedru Etol ? Te sens-tu floué ? Trompé ? Trahi ? Va tu sortir de cette pièce, écumant de rage et maudissant la perte de temps engendrée ?

« Il y a des grandes chances que les copies reflètent plus ce que les élèves attendent de la feuille d'examen que celle rédigée par les professeurs, mais ça ne coûte rien d'essayer. Scientifiquement parlant, ce petit test manque peut être de percutant, mais il faut bien commencer quelque part, non ? »

Je me redressais sur mon siège factice qui émit un craquement suppliant, et finis mon monologue d'une voix éloquente.

« C'est un petit pas pour la science, mais un potentiel grand bond pour mon carnet de notes ! »

...

Je me demande si je n'en ai pas un peu trop fait.

Le moins que l'on puisse dire est que la réponse du corbeau ne sonna aux oreilles du Gris qu'avec une mollesse décevante. Nedru posa ses coudes sur ses cuisses en joignant les doigts afin de s'offrir un appui satisfaisant pour son menton sans prendre la peine de dissimuler l'ennui que lui inspirait la tirade d'Alan. Comme ce dernier se relevait en s'exclamant d'un air théâtral, Nedru se releva d'un bond et applaudit d'un air enjoué;

-Bravo, bis ! Quel talent !

Il cessa d'applaudir pour mimer lui même la bouffonnerie, accompagnant de gestes amples ses enjambées en plaquant sur son visage son habituel rictus qui lui donnait l'air aimable et bienveillant, mais supérieur et donc prétentieux à la fois.

-Quelle plaisanterie amusante ! Je ne doute pas que vos professeurs aient l'esprit assez étriqué pour rêver du sujet qu'ils ont rédigé, nuit après nuit ! Le problème vient, n'est ce pas ? du fait que tous les professeurs ont probablement l'esprit aussi étriqué. Aussi allons-nous nous retrouver avec plusieurs dizaines de centaines de milliers de sujets d'examens, pour chaque classe de chaque établissement, de chaque ville, de chaque pays du monde réel... Sans compter que certaines créatures locales passent aussi des tests -et plus que de raison ! J'aime beaucoup l'idée de passer toute une vie onirique à chercher les sujets d'un examen dans cette masse infinie.

Comme son ton était monté crescendo avec l'exposé de l'absurdité, il se mit à rire de son rire aigu qui aurait pu être ridicule si des accents de folies ne le rendaient effrayant. Il expira en se tenant les côtes ;  

Oh, et ce serait oublier... que les copies sont peut être à School land. Ou à Delirum City, qu'en savons nous ? Les professeurs ont parfois de ces drôles de lubies...

Après une nouvelle exclamation, il s'essuya les larmes qui parlaient à ses yeux et tourna un visage métamorphosé par le calme en direction de son interlocuteur. Ses yeux froids suggéraient qu'il mette fin à la plaisanterie.

-Soyons sérieux. Si vous voulez ce genre d'information, allez la puiser directement auprès des professeurs en question. Les probabilités pour qu'ils parlent et donnent le bon énoncé, limpide, sont assez faible. Mais elles existent. Les plus zélés des membres des services spéciaux tentent d'utiliser ce biais, régulièrement, tout comme moi. Mais le corps enseignant ne cauchemarde de Relouland qu'aux alentours des diverses rentrées, d'après ce que j'ai constaté. Il étudia un instant la physionomie d'Alan avant de poursuivre;

Marchons un peu.

Il ouvrit la porte pour se retrouver face à une multitude de visages implorants ; les rêveurs pensaient encore qu'allait sortir de cette salle un médecin, un policier, ou n'importe quelle sorte d'individu qu'il fallait attendre dans une salle d'attente. Ne leur portant pas la moindre attention, le Gris les dépassa pour passer un autre seuil et retourner sur le petit couloir. Une fois certain qu'Alan suivait, il se mit à marcher dans la longueur, attendant que le corbeau s'explique;

-Bravo, bis ! Quel talent ! 

Devant ce succès inattendu, je haussais brièvement un sourcil avant d'effectuer une petite courbette d'usage, un sourire aux lèvres. Je me rassis ensuite sur ce qui me servait de siège et les applaudissements se turent. Alors, Nedru s'avança théâtralement et entama une tirade spectaculaire. Il ponctuait ses paroles de mouvements de bras démesurés et affichait un air clairement condescendant. Il devait se moquer de moi à sa façon, j'imagine.

Il entreprit de me prouver à quel point ce que je disais était stupide en mettant en avant la non-fiabilité de mon plan. (Non, sérieusement ? Et dire que j'étais persuadé qu'un plan basé sur les rêves des gens -science exacte s'il en est- serait infaillible !) Il appuyait son discours par des arguments auxquels j'avais déjà pensé, une bonne maîtrise du sophisme et des piques à peine dissimulées. Un vrai politique ! Comme si cela ne suffisait pas, il avait soudainement cessé de me tutoyer, comme pour me montrer que mon attitude déplorable et mes idées navrantes ne méritaient plus cette considération. Merde, Je baissais dans son estime maintenant ?

Quand il eut fini de déployer toute sa contre-argumentation, il éclata d'un rire de dérangé avant que son visage ne reprenne une expression impassible, comme pour me dire :''tes petites blagues ne me font pas rire, mon bon rin, et pour te le prouver j'imite un héros machiavélique en surjouant comme un acteur japonais.''. Je me surpris à me demander si son attitude bizarre était un genre qu'il se donnait ou s'il s'agissait de sa véritable personnalité. Était-il également comme ça dans la ''vraie vie'' ? Dreamland pouvait-il à ce point transformer les gens ?



Après m'avoir parcouru du regard(elles ont quoi mes fringues?) mon interlocuteur m'invita à marcher. Tout simplement. Peut être jugea-t'il qu'un changement de milieu serait plus opportun a une meilleure conversation, ou peut être remarqua-t'il que ma chaise improvisée était sur le point de rendre l'âme. Quoi qu'il en soit, j'acceptais sa proposition d'un hochement de tête reconnaissant : J'avais moi aussi envie de me dégourdir les pattes.

D'un claquement de langue, j'invitais les deux oiseaux à me suivre, puis j'emboîtais le pas de mon collègue scientifique. Nous traversâmes dans le sens inverse la salle où les quelques personnes désœuvrées nous jetèrent des regards de chatons abandonnés, puis nous nous retrouvèrent de nouveau à un endroit un peu plus peuplé.



Nedru gardait le silence, comme s'il voulait que je reprenne la parole le premier. J'étudiais son profil du coin de l’œil, et me remémorais notre échange de messages sur le forum. À la base, il m'avait simplement proposé une rencontre afin qu'il puisse mettre ses huit ans de Dreamland à profit pour répondre à mes questions. Il était peut être enfin temps que j'abuse de cette courtoisie. Mais avant cela, il fallait que je mette ma situation au clair avec lui, afin d'éviter de futurs malentendus.

« Je ne suis voyageur que depuis quelques mois. »

Il s'immobilisa et se retourna vers moi. Il avait tronqué son masque méprisant pour une expression surprise.

« Je n'ai pas de pouvoir spectaculaire, pas de connexions avec de puissantes créatures des rêves, et je ne pourrais même pas m'acheter un sandwich au thon avec le peu que j'ai d'essence de vie. »

De toute façon,  les sandwichs au thon, c'est pas bon.

« Je suis dénué de moyens et de ressources. Tout ce que j'ai pour moi, c'est ma curiosité intellectuelle. Je ne sais pas si tu attends quelque chose de moi, mais si c'est le cas, sache que je ne peux pas t'offrir beaucoup. »

Je haussais négligemment les épaules, puis soupirais.

« Je suis réellement intéressé par le monde onirique, mais dans l'état actuel des choses, je ne peux rien espérer accomplir de fameux. Si j'ai créé le thread, c'était parce que je ne pouvais pas faire grand chose de plus pour assouvir ma curiosité. Ça me fait mal de l'admettre, mais à Dreamland, je suis impuissant. »

Je donnais mon doigt à mordiller à Hugin.

« Voilà pour l'émouvante histoire de ma vie. » finis-je avec un demi-sourire.

Nedru affichait une expression impénétrable. J'espérais ne pas l'avoir trop déçu ou ennuyé, mais ces quelques révélations étaient nécessaires. Je me forçais suffisamment à mentir dans la ''vraie vie'' pour me permettre d'être un peu honnête dans mes rêves.



Je repris une expression sérieuse et repris parole.

« En fait, non. Il y a quelque chose que même un voyageur démuni tel que moi peut faire : Fouiner pour trouver d'anciens documents. »

Je me grattais l'arrière de la tête puis tentais de m'expliquer.

« Je veux dire... Ce n'est pas possible que j'ai été le premier a aborder Dreamland scientifiquement, n'est-ce pas ? Il y a forcément d'autres gens qui se sont intéressé au sujet. Où sont-ils ? Reste t'il une trace de ce qu'ils ont fait ? »

Je m'arrêtais quelques secondes pour essayer de trouver mes mots. Ce n'était pas facile.

« Que ce soit le produit de la réflexion de voyageurs ou de créatures des rêves, qu'importe ! En plusieurs siècles, on ne me fera pas croire qu'il n'y a eu aucune recherche scientifique à ce sujet ! Enfin... Je crois... Tu en as... Euh... Entendu parler ? »



Le jour ou quelqu'un inventera une machine capable de tirer du cerveau des gens leurs idées puis de les reformuler par des phrases bien construites sera un grand jour pour l'humanité.

Le brun écouta la réponse de son interlocuteur au corbeaux avec une sympathie relative. « Je n'ai rien à offrir », voilà bien des suites de phrases qui l'amusaient, malgré ce besoin de s'apitoyer qui y perçait souvent que méprisait le jeune homme. Heureusement, cet Alan ignorait qu'il passait un entretien d'embauche, aussi pouvait-il se permettre ce jeu de la rhétorique.

Comme son discours allait en s'allongeant (mais après tout, Nedru lui même avait beaucoup parlé précédemment ) le jeune homme se prit à sourire à nouveau de son rictus désagréablement condescendant. Cette soirée était agréable. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas pris le temps de ne rien faire d'autre que discuter.

Bien qu'il eut une idée derrière la tête pas tout à fait innocente. Il attendit le bon moment puis s'adossa à un mur pour répondre.

Oui et non... Il est par exemple avéré que Freud était un Voyageur, libre à toi de te replonger dans son héritage... Mais les gens comme toi et moi ne sont pas légions ici. Ceux qui cherchent à exaucer leurs rêves dans le monde qui leur donne vie ne sont pas plus fous que nous. Quant à chercher une logique scientifique dans ce monde...  Il manqua se tapoter la tempe mais se ravisa, estimant que ce serait donner trop d'indices sur la teneur de son pouvoir. C'est une tâche des plus ingrates.

Nedru laissa un silence ponctuer sa phrase. Depuis le début de cette conversation, son pouvoir le gênait. Il ne lui avait demandé de se focaliser sur aucune donnée en particulier, rendant éprouvant le moindre déplacement d'air. En se perfectionnant, sa capacité devenait moins aisée à supporter. Par dépit et pour se reposer les neurones, il activa son pouvoir sur la tapisserie du mur, délaissant ce qui lui soufflait que les fibres violette étaient acryliques pour se concentrer sur des préoccupations plus immédiates. Espérant que peu de temps s'était écoulé depuis sa pause, il reprit ;

Pour en revenir à ton idée de fouiner et au fait que tu sois dénué de ressources... Tu pourrais te consacrer à cette hum... Noble entreprise ? J'ai justement quelque chose d'intéressant à te soumettre dans l'immédiat !

Il semblerait qu'au fond de Relouland se cache un très grand nombre de documents. Ce sont des sortes … d'archives. Mais je n'ai aucun souvenir de toutes les nuits où je m'y suis rendu. J'ai fini par comprendre que j'y suis allé un grand nombre de fois. C'est le point commun de la plupart des rêves dont je ne me souviens pas et je ne pense pas que ce soit un lieu dangereux. On peut l'approcher facilement ; je me suis réveillé en cours de route et ce n'était rien de plus que profondément ennuyeux. La nuit où j'ai voulu poursuivre en revanche, je me suis éveillé avec un trou de mémoire... Identique à chaque tentatives.

Pourquoi ne pas y envoyer un corbeau rapidement ? Qu'il y jette un œil et revienne nous dire ce qu'il en pense ?

Gonfler les rangs de ses sources et espions n'était jamais une mauvaise chose. Nedru sourit d'un air aimable en attendant sa réponse.

« Pourquoi ne pas y envoyer un corbeau rapidement ? Qu'il y jette un œil et revienne nous dire ce qu'il en pense ? 
-Oh ! Quel culot !
-Oh, Quel crétin... »

Munin remarqua mon regard appuyé et se recroquevilla comme il put, comme pour moins s'exposer au rayonnement mauvais que mes iris lui projetaient.

« Si Munin à le droit de parler maintenant, ça veut dire que je peux parler aussi ?
- …
- Ça veut dire oui ? »

Je restais silencieux quelques secondes, puis lâchais un soupir de résignation en me massant la tempe droite. Je repris rapidement contenance et me tournais vers Nedru.

« Envoyer un corbeau, tu dis ? Faut voir... » lachais-je.

Envoyer un corbeau... Quel bizarre façon de le dire. Apparemment, mon interlocuteur ne voyait les volatiles que comme des unités d'espionnage sous mon contrôle que je pouvais envoyer dans le camp adverse d'un clic. Ou peut être des ninjas à plumes fidèles et dignes de confiance. Haha, digne de confiance. Haha... Mouais.

« Avant toute décision, j'aimerais bien voir la gueule du truc, si ça te dérange pas. »

...Et confirmer son éventuel potentiel mortel. On ne rigole pas avec Dreamland, je l'avais appris à mes dépends. Envoyer mes amis emplumés fouiner un bâtiment suspect sans les avoir sous les yeux ne me disait rien qui vaille. Surtout après avoir appris qu'un voyageur ayant plusieurs années à son actif s'y était cassé les dents plusieurs fois. Il n'avait peut être pas trouvé la mort, mais quand même... On ne lui avait pas offert du chocolat non plus.

Et puis rappelons-le, les corbeaux ne sont pas des oiseaux d'intérieur. Comme aucun oiseau, d'ailleurs. Je n'avais pas besoin de posséder une paire d'ailes et des os creux pour me rendre compte que l'on vole beaucoup moins bien entre quatre murs. Munin m'avait plusieurs fois prouvé qu'il est un redoutable espion depuis les hauteurs, mais à l'intérieur même d'un bâtiment ? Non, décidément, ce plan était plus fumeux que le Vulcano.

Si je n'avais pas rejeté l'idée d'office, c'est pour le lieu en lui même. Si Nedru disait vrai, celui-ci était une sorte de salle des archives. Bref, un lieu ou il y avait des informations. Et pas n'importe lequel : Probablement celui qui en possédait le plus de tout Dreamland. Et c'est vachement important, ça, les informations. C'est terriblement flagrant quand on a plus l'accès à Google.

« Allons-y, à ton truc. On avisera quand on sera devant. »

Alors ces corbeaux parlent effectivement...  Une extrapolation de ce qui se fait de mieux dans Dreamland ET de l'image qu'a le corbeau dans l'inconscient collectif. Les emplumés avaient vendu la mèche avant leur maître. Nedru sourit devant l'attitude désolée du Voyageur, compatissant. Avoir des cartes qui se dévoilent toutes seules n'est pas un cadeau facile.

Toujours est-il que les cartes en question n'en plaisaient pas moins au jeune londonien. Cette phobie ne manquait pas d'élégance. Le brun avait une nette préférence pour les voyageurs qui savaient s'entourer d'alliés.

Quant à la réponse qui ne tarda pas à suivre, c'était toujours mieux qu'un refus mais cela impliquait qu'ils allaient devoir se mettre sérieusement au travail. Nedru n'avait pas réellement envisagé cette idée en s'éveillant ici cette nuit, aussi un souffle d'appréhension s'insinua-t-il légèrement en lui. Montrer ce secret ? Et dévoiler l'emplacement de son bureau à un étranger ? C'était toujours une source d'inquiétude, même si les mot de passe restent une invention pratique dans laquelle il continuait de croire, presque naïvement.

-Parfait ! S'y rendre sera compliqué mais j'ai noté la trajectoire quelque part... Allons y ?

La localisation des archives était l'exemple parfait de la préciosité d'une information ; il avait mis un temps incalculable à conserver cette donnée, à la fois banale et bien gardée. Et au potentiel énorme. Si ce n'avait été pour convaincre un Voyageur de sa bonne foi et -peut être- s'en faire un allié, il l'aurait marchandé assez cher.

Délaissant la tapisserie en acrylique violette et fibres composites, Nedru entra dans une cage d'ascenseur qu'il pensait fiable, tout en posant diverses questions à son invité, telles que «  Qu'à tu déjà visité, comme Royaumes ? D'où viennent tes corbeaux ? Des alliés ? Des ennemis ?  ». Les turpitudes de Relouland froissèrent son orgueil une ou deux fois, alors que des travaux et pannes diverses les empêchaient de prendre la trajectoire désirée, les obligeant à rebrousser chemin pour trouver d'autres moyens d'accéder au bureau du Gris, qui se lassa bien vite de s'excuser au nom de tout le Royaume.


Puis, selon une partie de son cerveau parasitée par son pouvoir, il ne leur fallut pas moins de 37 minutes pour atteindre  un lieu à peine espacé de dix étages et une centaine de mètres à l'horizontale. La porte en bois couverte d'une peinture grise vernie uniforme lui donnant l'apparence d'un gros morceau de plastique n'était même pas fermée. Si un voleur avait eu la patience de fouiller les milliers de bureaux identiques qui peuplaient le bâtiment, il aurait probablement été plus intéressé par un bureau fermé que par ses homologues qui restaient ouverts en permanence.

Nedru proposa une chaise en alluminium noir rustique à Alan tandis qu'il s'installait derrière son bureau et allumait en deux gestes habitués à la fois le moniteur de son ordinateur et l'écran de sa télévision. Il faudrait plus de 4 minutes pour que son ordinateur soit apte à ouvrir le moindre document. Le brun tuait le temps en zappant rapidement, chaînes après chaînes, méthodiquement. Sans quitter des yeux la boite carrée, il demanda pour faire la conversation ;

Tu as déjà regardé la télévision dans Dreamland ?

Tout en pressant le bouton de son poste, Nedru ne parvint pas à s'empêcher de sourire. Il se sentait comme un professeur devant un elève attentif, impatient de découvrir une nouvelle leçon et, ici, une nouvelle curiosité.

La télévision dans Dreamland ; un objet étrangement rare dans les salons, quand on considérait la somme astronomique de programmes qui se déroulaient dans le petit écran. De l'info, de la véridique, se mêlait à toute sorte d'émitions qui n'existaient dans aucune autre réalité que le petit écran plat. Avec un nombre de chaine défiant l'imagination, des programmes faisant passer une publicité japonaise pour un discours du Parlement, le télespectateur onirique était généralement l'apologie de la larve décérébrée humaine que le petit écran produit dans le monde réel.

A condition, bien sûr, d'avoir toutes les chaînes.

Ce qui n'était évidemment – et presque malheureusement- pas le cas de Nedru. Celui-ci se contentait donc des flux d'informations purement reloulandiens ; dix chaînes (dont une qui était généralement criptée) qui semblaient crées pour passer des programmes dans un mauvais noir et blanc, des séries passant en boucle un cycle de 3 épisodes, quand elles ne listaient pas tout simplement un amas de choses sans intérêt, tels que des comptes rendus insipides de rapporteurs publics ou encore les discours recyclés d'une certaine Marine Le Stylo.
Parfois, les informations étaient tout simplement utiles, mais le jeune brun espérait secrètement parvenir à retrouver l'intégralité des chaînes pour retrouver celle de « L'Oeil », qui se proposait de zapper, toutes les vingt minutes, d'un royaume à l'autre en énonçant ce qu'il s'y déroulait.

Pour l'heure, la télévision avait décidé qu'elle n'apporterait plus le son, ce qui rendait presque comiques les gestes des petits hommes en costumes du petit écran.

Tu devrais essayer dans un autre Royaume ! Lança finalement un Nedru de plus en plus irritable à mesure que Relouland le tournait en ridicule. Fort heureusement, son ordinateur était désormais presque allumé et il pourrait dévoiler l'étendue de son potenti...

TOC TOC TOC !

Entr ?.. Trop tard ; il était déjà là. Nedru crispa les doigts sur sa chaise. Une créature des rêves à l'air stupide et poupon s'avança dans le bureau, jetant son regard à la fois absent et jovial sur les deux Voyageurs qui s'y trouvaient, un sourire idiot plaqué sur les lèvres. C'était une sorte de complot contre lui, forcément. Nedru n'avait pas d'autre explication.

-Coucou.

Demeuré ! La créature avait levé la main dans un signe amical, débile. Son comportement n'avait pas de sens, pas plus que sa présence ici, ni cette façon de se présenter ni.. Rien. Bordel ! L'analyste força un sourire sur ses lèvres en demandant calmement ;

-Et que puis-je faire pour vous ?

Mais il n'aurait jamais la réponse.

Deux armoires à glace, cheveux rasés, lunettes de soleil, costume noir et oreillettes entortillées filant sous le col d'une chemise blanche venaient de s'introduire dans le bureau en hurlant ;

Tu ne bouge p.. ! Vous ne bougez pas ! Vous êtes en état d'arrestation !

La sécurité de Relouland. Inutile de résister. Nedru leva les mains en vue en demendant d'un air sincèrement conc(st)erné ; Qu'est ce que c'est que ce cirque ?

Il n'obtint pas de réponse. Forcément. Les vigiles du coin n'étaient pas très fonctionnels pour ce qui s'agissait de parler, en règle générale. A la vue du jeu de menotte que l'on sortait, Nedru tenta bien de s'innocenter mais, ne sachant pas lequel de ses crimes lui valait de tels égards, il fit son possible pour ne paraître rien de plus que profondément choqué (ce qu'il était de toute façon). Comment l'avaient-ils trouvés ? Pourquoi ?

Une menotte fut passée à son poignet gauche, tandis que sa jumelle était passée à celle du Voyageur aux corbeaux, les enchaînant littéralement l'un à l'autre. Mais comble de l'horreur ! Une seconde paire vint le lier au débile profond qui était entré dans son bureau dix secondes avant. Si cette relation de proximité dégoûta profondément Nedru l'espace d'un instant, les implication de ce geste avaient le mérite calmer ses appréhensions. Ils n'étaient concernés par aucune de ses affaires.

Tous les trois ? De quoi sommes nous accusés ? Le colosse noir qui le poussait dans le dos lui répondit d'un air lugubre, lourd de sous entendus morbides ;
De zèle...

Nedru adressa une moue interrogative et vaguement blasée à Alan, se voulant rassurante.

On ne lui laissa pas éteindre son ordinateur et s'est à peine si l'on referma la porte de son bureau. Comme si, pour les vigiles de Relouland, tout devait toujours fonctionner à merveille (n'est ce pas foncièrement relou ?) ils s'enfonçèrent dans un ascenseur fonctionnel, qui les attendait sur le palier et les mena en une poignée de seconde à l'étage suivant.

Où ils s'arrétèrent.
Déjà ?