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Roses et Rouges

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Jacob Hume
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Arpenteur des cauchemars
Jacob Hume
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MessageSujet: Re: Roses et Rouges Roses et Rouges - Page 2 EmptyVen 21 Nov 2014 - 2:10
7/ Entre l’homme et la femme.

Agathe, une fois de plus, arriva la première, directement assise sur un banc de béton, posé au milieu de cette petite rue piétonne illuminée comme une rue commerçante en période de Noël. Ici, il n’y avait pas vraiment de néons, mais des dizaines de petites guirlandes s’ajoutaient aux lampadaires pour former une allée parfaitement éclairée. La voie était pavée et des dizaines de passants s’y pressaient avec enchantement. Les façades des bâtiments rappelaient les plus charmants quartiers historiques des villes européennes. Tous les restaurants présentaient des terrasses bondées et les hôtels eux-mêmes semblaient plus luxueux qu’exotiques. Ils n’avaient pas tous la même taille, ni la même architecture, mais ils semblaient tous répondre à un modèle commun.

Elle se trouvait au centre de cette avenue plutôt riche et animée, juste devant le plus imposant de tous les établissements des environs, le « Majestic ». Elle sourit avec satisfaction en voyant qu’elle était arrivée au bon endroit. Elle savait que, selon toute probabilité, Noah le pacificateur et son insaisissable acolyte Camille se trouvaient à l’intérieur, comme Ahmal le leur avait indiqué.

Suivant une ironie presque comique, c’était pour les piéger qu’ils étaient venus ici. Dès qu’ils avaient commencé à poser des questions sur la jeune femme à travers la ville, avait expliqué le patron des Mille et Une Nuits, Noah avait conclu qu’ils étaient envoyés par le gérant de l’Ellis pour les retrouver, peut-être les capturer ou les tuer. Aussi les deux envoyés du consortium d’hôteliers mécontents avaient changé de stratégie. Puisque les deux voyageurs qui les poursuivaient étaient selon eux employés par Vigorio Ellis, ils devaient savoir certaines choses sur son commerce et ses activités douteuses, et puisqu’ils avaient déjà établis qu’elle cherchait des informations sur celles-ci, il y avait des chances pour que ce duo cherche à des endroits précis. En les pourchassant là où les preuves étaient cachées, ces voyageurs auraient ainsi révélé des informations primordiales sur les activités de leur employeur véreux.

Hélas, cette technique n’avait rien donnée, de fait, Agathe et Jacob ne travaillaient pas pour celui qu’ils croyaient, aussi ne pouvaient-ils simplement pas révéler à leur insu des éléments dont ils ne savaient rien. Face à ce nouvel échec, Noah et Camille avaient décidé de changer à nouveau de tactique et de créer eux-mêmes l’effusion paniquée et révélatrice qu’ils avaient tant espérée. Le géant en avait informé Ahmal quelques heures avant qu’eux-mêmes ne fassent sa rencontre. Dès la nuit suivante, ils se rendraient au Majestic en se couchant tôt et attendraient que leurs poursuivants viennent à eux, comme ils l’avaient fait de façon quelque peu systématique ces dernières nuits. Car cet hôtel était en réalité la toute dernière acquisition de Vigorio Ellis, acheté à peine un mois plus tôt. C’était là, selon eux, qu’on aurait le plus de chances de trouver des traces d’activité louches récentes.

Pour les poursuivants en question, c’était enfin l’opportunité tant rêvée de retrouver la jeune femme et de lui expliquer qui ils étaient, ce qu’ils voulaient. Ils savaient à présent exactement où et quand chercher et ils comptaient saisir cette chance au vol, car elle serait probablement l’une des seules qu’ils auraient jamais. Afin de protéger leur client, ils ne pouvaient pas vraiment passer par Ahmal et Noah. Si la jeune femme avait vent de leur réel objectif avant qu’ils aient pu lui parler, elle pourrait profiter de son avantage sur le rêveur sans qu’ils ne puissent l’en empêcher. C’était aussi pour cette raison que, ce soir, ils ne devraient pas foncer tête baissée et annoncer de but en blanc qui ils étaient et ce qu’ils voulaient. Ils devaient encore établir si la jeune femme méritait l’attention qu’on lui portait. De la même manière, il ne serait pas judicieux d’ajouter, au cœur d’un bâtiment possédé par leur ennemi, qu’ils connaissaient leur employeur actuel, Ahmal. Ils devraient trouver un moyen de les aborder et de leur parler avec subtilité pour leur faire comprendre qu’ils n’étaient pas des agents du gérant de l’hôtel Ellis. Et cela s’annonçait déjà suffisamment compliqué, sans parler du fait que Camille et Noah tenteraient de les tromper d’une manière ou d’une autre, pour ne pas se faire prendre par ce qu’ils croyaient être des employés de leur adversaire.

Pourtant, Agathe n’était pas apparue à proximité de l’un ou l’autre des voyageurs. Elle avait l’intuition qu’ils sentaient lorsqu’elle ou Jacob approchait et qu’ils s’empressaient alors de se cacher. Cela tenait peut-être aux pouvoirs secrets du Pacificateur, qui avait choisi son moment pour apparaître lors de leur précédente rencontre. Néanmoins, l’intouchable l’avait fait remarquer, ils avaient un avantage cette fois-ci, puisqu’ils connaissaient le lieu où les deux autres voyageurs se cachaient. Il suffisait qu’ils s’endorment en pensant au Majestic et ils apparaîtraient non loin d’eux. Peut-être même créeraient-ils cette fois la surprise nécessaire pour débusquer leurs proies. Voilà pourquoi la jeune femme était arrivée assise sur ce banc et observait à présent la devanture élégante de l’hôtel avec un petit sourire.

Elle était confiante, cette nuit, toute cette affaire se dénouerait et ils pourraient alors être fiers d’avoir accompli une mission aussi subtile, Ann les féliciterait sans aucun doute pour la façon dont ils avaient mené l’affaire.

Elle se releva et entreprit de réajuster sa tenue. Cette nuit-là, elle était vêtue de façon beaucoup plus commode que lors de ses précédentes incursions dans la ville. Peut-être son inconscient avait-il senti qu’elle avait davantage besoin de confort que de paraître pour cette rencontre, qu’il fallait se tenir prêt à courir en cas de besoin. Un jean assez serré lui entravait donc les jambes et ses pieds se trouvaient simplement engoncées dans de petites bottines à lacet, certes élégantes, mais qui ne l’empêchaient pas de s’élancer dans une course poursuivre au besoin. Elle portait aussi un haut noir moulant à manches courtes, avec un décolleté en V assez peu profond, présentant une pièce de puzzle dans son dos, dont les contours étaient dessinés en blanc. Une ceinture à paillette marron créait néanmoins quelque fantaisie appréciable. Comme à son habitude, elle attacha son épaisse chevelure ébène au niveau de la nuque.

Jacob, qui avait été retenu par son colocataire pour une intense soirée de jeux-vidéos – du moins étaient-ce l’excuse qu’il lui avait donnée lorsqu’elle lui avait demandé l’heure à laquelle il comptait se coucher – arriva une vingtaine de minutes plus tard, invariablement vêtu d’une chemise et d’un pantalon coupe droite. Lui aussi avait l’air confiant et sans qu’un mot ne soit prononcé ou écrit, ils hochèrent la tête pour se lancer. Ensemble, ils gravirent les quelques marches qui menaient à la somptueuse porte de verre de l’hôtel et entrèrent comme un seul homme à l’intérieur de l’établissement.

Tout le hall était recouvert d’un tapis rouge et le comptoir d’accueil semblait avoir été travaillé par un maître sculpteur vénitien. Il y avait de nombreuses personnes ici, le passage était important. Des créatures des rêves en uniforme prenaient les bagages ou accueillaient les clients. Les rêveurs se montraient comme de riches clients satisfaits et exigeants, se parant de tenues plus qu’ostentatoires. Une série de lampes en forme de fleurs étaient alignés sur les murs et au plafond, éclairant l’ensemble à la manière de l’antichambre d’une salle de spectacle. Il semblait d’ailleurs que si un thème habitait l’hôtel, c’était bien de ressemblait à un théâtre à l’ancienne dans son atmosphère. C’est là, à peine entrés qu’ils trouvèrent l’un de ceux qu’ils cherchaient.

Il était peu probable de manquer l’imposante stature du Pacificateur dans cette situation. Il se trouvait à ce qui semblait être la caisse, peut-être en train de réserver une chambre, de les attendre ou de demander des informations. Il fut impossible de déterminer ce qu’il faisait lorsqu’ils entrèrent, car il les avait déjà repéré avant eux et les regardait. Bien qu’il affichât alors une expression des plus neutres, Agathe fut presque certaine d’y voir une petite part de surprise. Ne pas penser à eux pour s’endormir semblait avoir fonctionné, il n’avait pu les empêcher de le voir.

En revanche, Camille ne semblait être nulle part à côté de lui. Peut-être était-elle déjà dans une chambre d’hôtel, ou peut-être n’était-elle pas encore arrivée. Elle n’était pas avec lui et cela contraria un peu l’agoraphobe. Quitte à surprendre le Pacificateur, elle aurait préféré qu’il soit déjà accompagné, tout aurait été simplifié. A présent, il pourrait peut-être, d’une manière inconnue, prévenir son acolyte de rester dans l’ombre. Elle crut qu’ils allaient devoir l’interroger seul et lui parler à nouveau, malgré la stérilité de leur dernière rencontre et la désagréable impression d’impuissance qu’elle avait eue alors, lorsque Jacob lui donna un petit coup de coude et pointa la personne qui se trouvait juste à côté du pacificateur, en train de récupérer une clé auprès du maître d’hôtel.

Ce n’était pas une jeune femme au maquillage étonnant et au dynamisme si rafraîchissant. C’était un homme, qui ne devait pas avoir loin du même âge et qui arborait une tignasse courte et désordonnée de cheveux châtains. Il portait un t-shirt noir vantant les mérites d’un groupe de rock bien connu, ainsi qu’un jean et… des converses noires. Elle revint à son visage et se rendit compte qu’elle avait déjà croisé ce personnage, à deux reprises déjà, lorsqu’elle était arrivée dans cette fête surprise et dans la rue devant l’hôtel miniature. Elle n’y avait pas fait attention, mais à chaque fois qu’elle était apparue à Dreamland en pensant à Camille, il avait été là, non loin. Elle écarquilla les yeux alors qu’une série d’hypothèses de présentèrent dans son esprit.

Une chose était sûre, Jacob l’avait vu lui aussi, sans quoi, il n’aurait pas mentionné sa présence. De plus, les traits du jeune homme semblaient faire écho à ceux de la jeune femme qu’ils traquaient. Il aurait pu être son frère ou son cousin, et peut-être était-ce le cas. D’autres théories étaient envisageables, car à Dreamland, tout était possible, néanmoins, elle préféra se contenter d’admettre le fait que ce n’était pas une coïncidence et que, qui que soit cet homme, il était avec le Pacificateur.

Ce dernier posa d’ailleurs sa main sur l’épaule du voyageur et celui-ci se tourna vers lui, avant de pivoter dans leur direction. Leurs quatre regards se croisèrent un instant, puis sans qu’un mot ne soit prononcé, Noah et son étrange compagnon se séparèrent. Le géant noir se dirigea immédiatement vers les étages en empruntant les escaliers, tandis que l’autre alla se présenter à la porte du bar de l’hôtel. Aucun n’avait cherché à courir, ils s’étaient contentés de marcher sous les regards incrédules de leurs poursuivants de la SDC.


« On se sépare ? » proposa Agathe.

Jacob hocha la tête avant que sa plume ne fasse un commentaire :
« Je prends Noah. »

« Aucun problème. » sourit la jeune femme.

Pour plusieurs raisons, ce choix était logique. Le Pacificateur était le plus dangereux et Jacob était, des deux, le plus à même de faire face au danger. De plus, l’énigme du jeune inconnu lui plaisait. Elle avait l’impression qu’il était la réponse à toutes les questions, alors qu’il ne faisait qu’en créer de nouvelles. Enfin, il était plutôt mignon. Il y avait quelque chose dans son regard, dans son expression, dans sa façon de se tenir et de posséder la salle par son assurance, un détail qui lui plaisait. Elle sentait qu’elle aurait davantage d’affinité avec celui-ci qu’avec le mystérieux et oppressant Pacificateur. Un tête à tête avec lui n’était pas de refus.

Compatissante pour son ami muet, elle tira le micro de son oreille et le tendit à Jacob. Il fit non de la tête et sa plume expliqua son geste.


« Garde-le branché. En cas de problème, appelle-moi. »

Ce petit excès de prudence lui sembla tout à fait approprié et elle glissa l’engin dans sa poche. Puis, ils se séparèrent à leur tour, chacun ayant une cible à retrouver.

Agathe passa les portes du bar et fut un peu surprise de trouver un escalier descendant en pierres, comme un colimaçon de château qu’on aurait laissé malgré les reconstructions du petit palais. D’en bas provenait les effluves d’une activité à la fois dense et agréable, pleine de rire, de musique et de boissons fraîches. Elle descendit et découvrit une salle assez grande, piégée sous une série de colonnes de pierre lourdes et anciennes. Des dizaines de tables étaient éparpillées et recevaient un grand nombre de rêveurs et d’autres créatures qui s’amusaient apparemment beaucoup. D’un côté, entre deux imposantes colonnes éloignées se trouvait le bar, tout aussi splendide que le reste du mobilier. Au centre de la pièce, une large scène de planches polies accueillait déjà une dizaine de couples qui dansaient sur les rythmes proposés par un petit orchestre assez moderne, occupant son propre coin de la salle. Un peu plus loin, la salle s’ouvrait sur une terrasse organisée, non pas sur la rue pavée, mais dans une cour privée de l’hôtel lui-même.

Le jeune homme était là, accoudé au comptoir de bois. Il la regardait avec une petit sourire amusé et malicieux qu’elle ne sut pas interpréter correctement. Etait-ce une invitation ? Un défi ? Une provocation ? Tout cela à la fois ? Peu importait, deux verres remplis étaient déjà disposés à côté de lui et il n’attendait plus qu’elle pour commencer sa soirée. C’était un piège et ils le savaient tous deux. Néanmoins, c’était précisément ce qu’Agathe avait espéré. Sans attendre plus longtemps, elle lui renvoya son sourire et traversa la salle pour le rejoindre.


---

Ben était dans sa chambre, installé sur son lit à feuilleter un livre écrit par une créature des rêves de la ville et qui adorait raconter des récits policiers sur la cité. Le héros était un vieux briscard sous les ordres de Miraz et il était accompagné d’un voyageur sans expérience mais volontaire. Et l’étrange duo résolvait des affaires tirées par les cheveux de concurrence un peu trop intense entre les différents hôtels de la ville. L’auteur avait eu un certain succès auparavant, mais n’était plus aujourd’hui suivit que par des puristes comme le manieur aux cigarettes. Il fallait bien avouer qu’avec cette série de problèmes qui avaient frappé la ville et la discorde croissante entre créatures des rêves et voyageurs, l’heure n’était plus à de tels récits. Même si certains critiques auraient pu y voir un brillant pamphlet des dérives de la ville ou un appel à la réconciliation, le public n’était plus au rendez-vous.

Il avait passé un petit moment dans le restaurant de l’Ellis et avait fait quelques rondes. Mais la soirée paraissait calme, aussi avait-il laissé ses deux subordonnés se charger de rester surveiller les choses en bas et était allé lire un peu. Il reviendrait un peu plus tard les relever. Du moins en avait-il l’intention jusqu’à ce que l’on vienne frapper à sa porte.


« Oui ? »

Maxime entra et jeta un œil un peu inquiet à la pièce. La dernière fois qu’il était entré ici, son supérieur n’était pas exactement dans le même état.

« Il y a un problème ? »

« Nan, nan ! » se défendit l’employé. « Il y a un coup de fil pour toi, du Majestic. »

Ben haussa un sourcil surpris. Bien que l’Ellis soit le seul des hôtels de son supérieur à disposer de voyageurs pour sa sécurité, il leur arrivait d’être appelés là-bas pour régler des problèmes spéciaux. Tous étaient dans le même quartier et assez facilement accessibles à pied. Peut-être avaient-ils quelques difficultés en matière de sécurité.

« J’arrive. »

Et il reposa son livre, puis suivit Maxime jusqu’au téléphone de service de l’hôtel. C’était un vieil appareil, de ceux où l’on devait tenir le micro devant soi et porter l’écouteur à son oreille, le tout relié par fil à une grosse boite noire fixée au mur. On lui tendit l’objet et il s’en empara, toujours avec la même pointe d’inconfort face à cette technologie trop ancienne à son goût.

« Oui ? » demanda-t-il.

« Ben ? » fit la voix de l’autre côté. « C’est Verito ! »

Verito était la créature des rêves chargée de la sécurité au Majestic, fraîchement débarqué à ce poste lorsque leur patron avait effectué l’achat de l’établissement.

« Qu’est-ce qu’il se passe, un problème ? » s’enquit immédiatement Ben.

« Non, pas exactement. » expliqua l’autre et le voyageur eut la désagréable impression qu’il jubilait d’en savoir plus que lui et de le faire attendre. « Mais tu avais demandé à être prévenu si un certain duo de voyageurs venait de notre côté. »

C’était vrai, Ben l’avait fait. Après avoir été interrogé par Agathe et son étrange compagnon muet dont il n’avait pas retenu le nom, il avait eu une intuition. Ces deux personnages étaient visiblement à la recherche de la même jeune femme que lui. On lui avait interdit de chercher vengeance en se lançant inutilement à sa poursuite, néanmoins il savait que tôt ou tard, elle reviendrait chercher des informations sur son patron. Il s’agirait alors de la cueillir et de lui faire comprendre deux ou trois choses sur la nature humaine. Depuis des jours, il ne cessait de ressasser cette entrevue douloureuse qu’il avait eue avec Camille et rêvait de la retrouver pour lui faire payer son affront. Etrangement, pourtant, dans la moitié de ces rêveries, ils se retrouvaient plus ou moins à finir ce qu’ils avaient entamé. Or, si Agathe la cherchait, elle était susceptible de retrouver cette mante religieuse à sa place. Et il avait songé que si jamais ce duo d’enquêteur pénétrait dans l’un des hôtels de son maître, ce serait en suivant une piste et qu’il y aurait des chances pour que Camille soit dans les parages. Il était probable que ce ne soit pas le cas et qu’il ne trouve rien, pourtant, il ne coûtait rien d’essayer.

« J’arrive tout de suite, garde-les à l’œil. » fit-il avant de raccrocher.

Une pointe d’excitation le traversa. Maxime le regardait, intrigué.


« Gardez la boutique. » ordonna Ben. « J’ai un compte à régler. »

Et il partit d’un pas pressé vers le Majestic.

---

Le rythme de la musique s’adoucit et se fit plus intense, créant une toute nouvelle atmosphère dans le restaurant, bien plus tranquille et emprunte à une tension sensuelle enivrante. Agathe s’accouda à son tour au comptoir et fit face au jeune homme qui ne l’avait pas quittée des yeux depuis qu’elle était entrée. Aucun mot ne fut échangé lors de cette première approche et chacun observa l’autre avec un œil évidemment intéressé. Pourtant, derrière leurs œillades un peu trop évidentes, elle savait pertinemment qu’ils cherchaient à se jauger et à trouver des accroches pour amener l’autre au point qu’ils voulaient. Sans révéler ni ce qu’elle cherchait, ni ce qu’elle savait de l’enquête du Pacificateur, Agathe devait amener ce jeune homme à lui révéler la façon dont on pourrait atteindre Camille. De son côté, le voyageur chercherait à l’amener dans un piège et à lui tirer des informations qu’elle n’avait pas. Un jeu de dupe, nécessairement, allait naître entre eux, cependant, elle ne s’attendait pas à ce qu’il la prenne à contre-pied, et encore moins de cette manière.

« J’avais peur que tu ne viennes pas. » annonça-t-il avec une pointe de moquerie pour lui-même. « La plupart des filles attendent qu’on viennent les chercher. Peu ont le cran de franchir le pas. »

Agathe n’eut aucun mal à déceler le sous-entendu dans la remarque. Il plaçait clairement la rencontre sous le signe de la séduction et, ne sachant pas trop quelle stratégie adopter, elle se retrouva bien vite, sans s’en rendre compte, à entrer dans son jeu avec plaisir. Quand bien même certaines de ses hypothèses laissaient peu de doute sur la personne qu’elle avait en face d’elle.

« Et si je n’étais pas venue ? » demanda-t-elle avec un petit sourire malicieux. « Qu’est-ce que tu aurais fait ? »

« Mmh… » fit l’autre, amusé par la provocation. « Je crois que j’aurais tenté de venir t’inviter quand même. Quitte à me couvrir de ridicule et à essuyer un refus. »

Il la détailla soudain, pour lui faire comprendre, qu’elle valait qu’on aille la chercher. Sans trop faire attention à son attitude, elle se surprit à pouffer doucement et à rougir de plaisir. Elle était flattée, tant par ses mots, que par l’admiration réelle avec laquelle il semblait la regarder.

« Il y en a qui refusent ? » s’étonna-t-elle en reprenant un peu ses esprits.

« Plus qu’on ne l’imagine. » répondit-il avec un petit air désolé. « Tu réponds à toutes les invitations qu’on te fait… ? »

« Agathe. » compléta l’intéressée. « Et non. Seulement à celles qui valent la peine… »

« Nathan. » informa-t-il, sans qu’elle puisse déceler le moindre signe de mensonge dans ses yeux. « Et d’où viens-tu, Agathe ? »

« De Nantes. » sourit-elle. « Enfin, de ses environs immédiats. Et toi ? »

« Pur produit de la capitale. Parisien jusqu’au bout des ongles. »

« Tu es aussi né là-bas ? »

« Non, c’est vrai. » concéda-t-il en se tournant vers son verre, se rapprochant ainsi d’elle sans en avoir l’air. « Je suis né dans les environs néanmoins, proche banlieue. Mais j’y habite depuis aussi loin que je me souvienne. Et  toi, tu es née là-bas ? »

« Non plus. » accorda la jeune femme. « On a d’abord habité à Lyon, puis pas loin de Toulouse. On a dû s’installer là-bas quand j’avais neuf ans. C’est là que vivent mes grands-parents. »

« Ça a dû être difficile de déménager autant en étant petite. »

Agathe eut une petite moue significative, il ne savait pas à quel point il était dans le vrai. « Je m’en suis remise. »

« Plutôt bien d’ailleurs. » commenta-t-il avec un petit sourire malicieux, et elle se sentit à nouveau rougir. « Première fois à R.C. ? »

Elle plissa les yeux avant de répondre. Elle se rendait compte qu’il cherchait à aborder doucement le sujet qui l’intéressait, à la piéger et c’était l’instant où il faudrait commencer à se montrer plus calme, plus prudente. Et pourtant, elle n’avait pas la moindre envie de se concentrer sur la question pour l’instant. Elle n’avait pas la tête à une joute verbale difficile et était davantage intéressée par les mots doux qu’ils lui glissaient de temps à autre à présent. Avait-il si bien joué son jeu ? Elle ne s’en préoccupa même pas vraiment. Qu’aurait dit Jacob s’il avait pu répondre à ce qu’il entendait dans le micro ?

« Non, c’est la seconde. » avoua-t-elle sans le moindre scrupule.

En quoi mentir sur ce point l’aurait-il aidé ?


« Oh, une habituée à ce que je vois. » se félicita Nathan. « Les lits oniriques… ça manque vite, n’est-ce pas ? »

La suggestion honteuse ne manqua d’être remarquée et Agathe chercha immédiatement à se défendre face à ce sourire qui supposait un peu trop de ses activités, plutôt que de réfléchir à ce que l’on cherchait vraiment en lui posant cette question.

« Non ! » fit-elle en rougissant à nouveau. « Je suis là pour le travail, c’est tout. »

« Oh, je vois. » reprit-il avec un faux sérieux diaboliquement séduisant. « On reste bien sage pendant le service. »

Elle rit de sa plaisanterie, c’était si simple de discuter avec lui !

« Il faut pas croire. » assura-t-elle en se penchant à son tour pour aller récupérer son verre, plaçant leurs coudes à quelques maigres centimètres l’un de l’autre. « Je sais m’amuser un peu quand l’occasion se présente. »

Et elle avala une gorgée du breuvage, évidemment alcoolisé. Un moment, un sursaut de conscience lui fit prendre en compte qu’elle avait une enquête à mener, qu’il fallait qu’elle se ressaisisse. Une autre part d’elle-même lui souffla que le meilleur moyen de parvenir à ses fins était de laisser l’autre la séduire et l’amener dans un lieu plus isolé. Après tout, pourquoi lui ferait-il du mal ? Elle en oubliait qu’il la prenait pour une tueuse à la solde d’un patron d’hôtel véreux.

« J’espère bien. » poursuivit-il avec un air un peu complice, s’approchant d’elle d’un petit centimètre. « Il faut bien se détendre entre ses missions, savoir… relâcher la pression. »

Agathe confirma avec un petit sourire charmée et s’approcha un peu de lui, sans trop y réfléchir. « Exactement. Je n’ai pas assez souvent l’occasion de le faire en mission. »

« Alors, l’important, c’est de ne pas être trop souvent en mission. » suggéra-t-il.

Elle eut une petite moue de sincère regret à ce sujet.


« J’aimerais que ce soit le cas. » souffla-t-elle, ce qui était clairement une invitation à lui faire oublier ses malheurs.

« C’est si terrible que ça ? » dit-il, se montrant tout à fait compatissant et intéressé.

« Non, ça va. » relativisa Agathe. « Il y a juste des nuits plus difficiles que d’autres. C’est surtout que… c’est plus difficile de profiter des joies de Dreamland quand on a des obligations. »

L’invitation qu’elle lançait à Nathan était plus que palpable, elle s’était d’ailleurs rapprochée de lui au point que leurs deux bras nus se frôlent. Un frisson la parcourut à l’idée qu’il y réponde. Néanmoins, il joua un peu avec elle et la fit patienter encore quelques instants, alors que sa voix témoignait du fait qu’il ait parfaitement conscience de ce à quoi elle faisait référence.

« Alors, pourquoi ne pas tout plaquer et aller vivre tes propres aventures ? » s’enquit-il, toujours sur le ton de l’invitation sensuelle.

« Eh bien, pour être tout à fait honnête, » dit-elle d’une voix faussement coupable et en chuchotant, « ça paye énormément ! »

Il écarquilla les yeux, toujours en prenant soin de ne pas entrer en contact avec elle.

« Tout ça pour de l’EV ? » rit-il, reprenant le trait d’humour sur la cupidité. « Voyons, c’est indécent, personne ne fait ça ! »

Le ton employé la fit rire, mais elle fut ravie qu’il se soit trompé. Une fois encore, elle avait l’occasion de se vanter des avantages de son emploi à la SDC. C’était quelque chose qui impressionnait beaucoup en général.

« Non monsieur ! » intervint-elle en se redressant sous le coup d’une fierté maligne. « Je ne parles pas d’EV, mais d’euros bien réels. »

Cette fois, le jeune homme eut un moment d’arrêt et d’hésitation. Il ne s’était pas attendu à cette révélation et avait un peu perdu le fil de sa séduction. Plus que satisfaite de l’avoir enfin prise à contre-pied, elle le laissa se remettre du choc en reprenant une autre gorgée. Nathan sembla chasser rapidement ses pensées confuses, car il revint à elle et lui sourit, intéressé, intrigué et mangeant clairement dans sa main. Elle le tenait à présent, elle en était sûre. Hélas, les raisons premières de cette rencontre lui avaient un peu échappées.

« Je n’avais jamais entendu parler de ça avant… » laissa-t-il échapper. « Mais alors, qui paye, et pourquoi ? »

Elle sourit tant il la dévorait des yeux à présent qu’elle était un personnage d’exception à ses yeux. Se replaçant un peu sur le côté, pour lui faire face et lui refuser le contact qu’il avait trop tardé à donner, elle releva le menton pour continuer à crâner un peu, sans se montrer vraiment condescendante pour autant.

« Ça dépend. » expliqua-t-elle en haussant les épaules. « Parfois, ce sont des voyageurs fortunés… D’autres fois, ce sont des rêveurs. La plupart du temps, il s’agit de régler des affaires de cœur. »

Il fut agréablement surpris par cette perspective.

« Alors tu es une sorte d’entremetteuse onirique, c’est ça ? » interrogea-t-il, plus que tenté par ce qu’elle avait à offrir.

« En quelque sorte. » admit-elle. « Mais, ce n’est pas que ça, bien sûr. On fait d’autres missions aussi. Parfois très dangereuses… »

Il parut impressionné, mais pas dupe pour autant. « Vu la ville où on se trouve, ta mission actuelle doit être une affaire de cœur. »

Il avait l’air tellement satisfait de sa déduction qu’elle voulut lui expliquer un instant que, même s’il n’avait pas tort pour cette fois, c’était plus compliqué qu’il n’y paraissait. Elle se rappela cependant à temps qu’elle ne devait pas dévoiler ses réels objectifs avant le moment propice, avant d’avoir établi si Camille ne chercherait pas à profiter de leur client.

« La ville est plus dangereuse qu’on pourrait le croire en ce moment. » dit-elle, sans se résoudre à mentir complètement.

A nouveau, il plissa les yeux, comme s’il comprenait autre chose dans ses déclarations.


« Et qui te paye cette fois ? » demanda-t-il cependant, toujours très intéressé par cet aspect des choses.

« Désolé, je… » sourit-elle avec une gêne réelle. « Je n’ai pas la liberté de révéler l’identité de nos clients. »

« Je vois. » fit-il, un peu déçu, mais toujours très tenté. « Et aurais-tu par hasard la liberté d’une danse ? »

« Pardon ? »

Il fallut un petit temps à Agathe pour se rendre compte que ce jeune homme venait de l’inviter à danser. Elle rougit à nouveau, ne s’attendant pas un jour à recevoir une offre aussi bien amenée. Elle ne s’y était pas attendue et la phrase était suffisamment bien tournée pour lui plaire. Il tendit une main pour qu’elle puisse la prendre et la jeune femme regarda celle-ci avec une certaine appréhension. Elle avait beau adorer passer des soirées avec ses amies, elle n’était pas bonne danseuse. Elle eut soudain très peur de se ridiculiser complètement.

« Je vais finir par me sentir vraiment ridicule si tu ne la prends pas. » lui avoua alors Nathan en chuchotant et en affichant un petit sourire presque timide, ce qui la fit complètement craquer.

Le cœur battant, elle prit la main.

« Je ne suis pas très douée… » annonça-t-elle alors qu’il l’entraînait vers la piste.

« Je te guiderai. » assura-t-il en l’aidant à grimper sur la scène ou d’autres couples tournaient déjà.

A cet instant, la poitrine d’Agathe sembla se contorsionner sous l’effet de la pression. Elle sentit des regards inexistants se tourner vers elle. La musique n’avait pas bougé depuis qu’ils avaient commencé à parler, comme si l’orchestre jouait le même morceau en boucle depuis tout à l’heure. Elle ne se rendit même pas compte que depuis quelques secondes, il lui tenait délicatement la main. Nathan se plaça en face d’elle et lui prit son autre main.


« Ne t’en fais pas. » expliqua le voyageur, très heureux de l’impressionner à son tour. « Il suffit de se détendre et de se laisser aller… Ecoute la musique, oublie un peu le reste et… danse. »

Le conseil était étrangement inutile, la musique offrait une ambiance chaleureuse, tamisée et sensuelle qui la mettait mal-à-l’aise et lui rappelait la tension qui existait entre eux, tant professionnelle que sexuelle. Elle commença clairement à douter de ce qu’elle était en train de faire. Mais doucement, il commença à bouger devant elle, effectuant quelques pas de rock très simples, tirant et poussant ses propres bras. Amusée par la façon dont il la fixait en se déhanchant agréablement, elle ne put s’empêcher de pouffer, de rire, puis d’essayer de le suivre. Il répondit à cela par un immense sourire satisfait et la laissa un peu s’habituer à ces quelques pas avant de commencer à l’entrainer vers des tours un peu plus difficiles.

Bientôt, Agathe fut parfaitement capable de suivre le rythme, assez lent pour ne pas trop l’embrouiller. Plus la mélodie s’enchaînait, plus elle oubliait le potentiel public et se concentrait sur son partenaire. Il dansait mieux que bien, il semblait habiter la musique et l’épouser dans ses moindres mouvements. Ce qui avait été en premier lieu d’innocents petits pas devinrent vite des mouvements beaucoup plus sensuels. Elle se laissait aller, oubliant effectivement l’ensemble des problèmes qui pouvaient être les siens et profitaient des contacts réguliers qu’il lui offrait. Leurs corps s’étaient rapprochés et lorsqu’il la faisait tourner, ils finissaient complètement l’un contre l’autre. Elle n’était pas certaine que ses pas soient justes ou parfaitement en accord avec ceux que l’on attendait pour de telles musiques, mais elle ne se montrait pas maladroite et cela lui suffisait. Plus les choses allaient, plus Nathan se montrait avenant avec elle et dans la façon dont il la guidait. Elle n’avait alors plus qu’une idée en tête, qu’il le soit encore davantage, toujours plus qu’il ne l’avait été lors du précédent mouvement.

Au bout d’un moment, il l’attira même complètement à elle et transforma le rock aléatoire en un tango beaucoup plus torride. Leurs deux ventres, leur deux poitrines se touchaient et bougeaient selon les mouvements sensuels de leurs jambes. Il ne cachait plus son envie de dévorer le corps de sa partenaire des yeux et son souffle à elle ne s’en faisait que plus impatient. Elle se mordait les lèvres d’envie sous la chaleur de l’instant. L’excitation était à son comble et elle acceptait chaque nouvel enchainement en sachant parfaitement qu’il en profiterait pour s’approcher encore un peu plus du moment fatidique. Parfaitement en confiance, il la fit se pencher en arrière et, avec une force qu’elle n’aurait pas soupçonné – il était à peine plus grand qu’elle et pas nécessairement très musclé – il la fit se déplacer alors qu’elle était toujours cambrée. Lorsqu’il la releva, elle se trouvait dos à lui et il se pressait contre elle avec la promiscuité d’un amant.

Ils déplacèrent ainsi leurs deux corps l’un contre l’autre, comme s’ils n’en formaient qu’un seul. L’un des bras de Nathan lui enserrait la taille, tandis que le second caressait doucement son bras nu et venait chercher sa main pour la serrer avec passion. Elle fit monter son propre bras libre jusqu’au visage du voyageur et appela celui-ci à se rapprocher du sien. Dans ce moment de pure extase, il l’embrassa à la façon dont la musique le suggérait, avec la fièvre de l’envie et du désir, et elle répondit goulument à cet écart.

Lorsque leurs lèvres se séparèrent, ils s’étaient arrêtés de danser et se regardaient avec l’intention ferme de ne pas en rester là. Qui que soit cet homme, songea-t-elle, quel que soit son lien avec l’affaire, je le veux. Elle ne voyait pas pourquoi elle ne pourrait pas gagner sa confiance de cette manière. Elle eut une vague pensée pour Théo, le garçon pour lequel elle croyait éprouver des sentiments dans son cercle d’ami et qui semblait y répondre à sa manière timide. Mais ce qu’elle partagerait avec Nathan cette nuit-là n’était en rien comparable. Ici, seule la chair comptait, le plaisir et la démence de leurs corps réunis. Toutes ces rencontres oniriques n’avaient que peu de réalité, il ne s’agissait pour elle que de rêves, de simples rêves érotiques.


« Tu veux monter ? » proposa-t-il dans un souffle.

Elle hocha la tête et se retint de pousser un gémissement de soulagement qu’il ait proposé cela.

Doucement, leurs corps se détachèrent et il la prit par la main pour l’entrainer loin de la scène. Ils traversèrent la salle sans qu’aucun des clients ne semble se préoccuper d’eux, remontèrent l’escalier sans croiser personne et gravirent les marches qui menaient aux chambres en se jetant des œillades pleines d’envie. La respiration d’Agathe se faisait de moins en moins contrôlée et elle se sentait de plus en plus attirée par ce qui allait suivre. Rapidement, ils se retrouvèrent tout deux devant la porte de la chambre 215 et Nathan fit jouer sa clé dans la serrure. Ils pénétrèrent sans attendre.

Un instant, le temps que Nathan ferme la porte, Agathe s’émerveilla de la teneur des lieux. La chambre était magnifique, luxueuse et décorée comme une somptueuse loge de théâtre, avec des rideaux chaleureux et une moquette rouge sombre. Un lit qui respirait le confort se tenait au milieu de la pièce, entre autres éléments moins importants sur le moment. Les moulures sous les fenêtres au plafond l’impressionnèrent par leur qualité. Elle eut même l’impression que les motifs ne restaient pas exactement en place et muaient au fur et à mesure qu’elle les observait.

Nathan s’approcha d’elle par derrière et elle se retourna pour lui faire face, prendre son visage dans ses mains et l’embrasser à nouveau. Elle n’en fit rien, ce n’était plus Nathan derrière elle et cette personne agrippa brutalement son t-shirt et d’un geste violent l’entraina pour la plaquer sans ménagement contre le mur. Le choc et la surprise lui arrachèrent un petit cri de douleur. Sa tête avait cogné contre la paroi et elle ferma un instant les yeux pour chasser l’étourdissement qui en résultât. Lorsqu’elle les rouvrit, elle découvrit qu’on pointait vers son œil un petit objet rouge.


« Qui es-tu ? » demanda alors une voix féminine et visiblement peu encline aux traits d’humour. « Pourquoi tu me cherches ? Qui t’envoies ? »

Agathe cligna des yeux pour remettre ses idées dans l’ordre. Elle était encore un peu sous le coup des promesses sensuelles qu’on venait de lui faire, mais sut reconnaître que ceci n’était plus vraiment d’actualité. A la place du beau Nathan se trouvait à présent l’intrigante Camille, avec sa chevelure châtain et le rouge de ses lèvres, qui la rendait si belle. D’un bras elle plaquait l’agoraphobe contre le mur et de l’autre elle la menaçait avec ce qui ressemblait à un tube de rouge à lèvre. Malgré l’incongruité de l’arme employée, Agathe préféra ne pas tenter le diable ; elle avait passé trop de temps à Dreamland pour ne pas être consciente des dangers que pouvaient représenter un tel artefact. L’expression tout à fait sérieuse de la jeune femme lui fit d’ailleurs comprendre qu’elle ne plaisantait pas.

Avant de répondre, l’employée de la SDC observa un peu la pièce et celle qui venait de la mettre en joue. Elles étaient parfaitement seules et Camille portait des vêtements trop familiers pour que ce soit une simple coïncidence. Un t-shirt noir portant le sigle d’un groupe de musique, un jean et des converses noires. D’un seul coup, l’énigme qui entourait autant Camille que Nathan venait de se dissiper. Toutes les questions et frustrations de ces derniers jours trouvèrent leur réponse dans cette solution qu’elle avait un moment soupçonnée, plus tôt dans la soirée, et qu’elle avait fini par repousser pour céder à ses pulsions. Néanmoins, malgré le désavantage dans lequel elle se trouvait, Agathe retrouva une certaine confiance en elle. Elle n’était pas l’ennemi de cette jeune femme et elle pouvait le lui dire sans craindre de mettre en danger qui que ce soit.


« Du calme. » invita-t-elle d’une voix qui n’était pas aussi rassurée qu’elle l’aurait voulue. « Je ne suis pas… »

Elle n’eut jamais le temps de finir sa phrase ou son explication, car la porte s’ouvrit à nouveau, laissant entrer un personnage pour le moins inattendu. Ben, le chef de sécurité de Vigorio Ellis se tenait là, dans l’encablure de la porte, un sourire triomphant sur le visage.

« J’en était sûr ! » tonna-t-il avec une certaine satisfaction. « Ah ! J’avoue que j’ai failli ne pas y croire. Mais, même en changeant de sexe, tu ne pouvais pas t’empêcher de sourire comme ça… »

Agathe le regardait sans comprendre vraiment. Il parlait de Camille, elle en était sûre, et de sa capacité à changer de forme. Il venait de le découvrir lui aussi et s’en félicitait pour une raison ou pour une autre. Elle revint à la jeune femme dont il était question et qui la tenait toujours plus ou moins en respect. Cette dernière regardait à présent Ben et la peur se lisait dans ses yeux.

« Tu ne pensais tout de même pas m’échapper éternellement, n’est-ce pas ? » ricana Ben, jubilant face à sa propre victoire.

D’un geste, il referma la porte de la chambre et commença à tirer un paquet de cigarettes de sa poche de veste.


« On a une petite soirée à rattraper toi et moi… » dit-il en tirant l’une de ses clopes, trop heureux pour ne pas le faire. « Toi et ta petite amie, ça ne me dérange pas, tant pis pour elle. »

Camille réagit en lâchant Agathe et en reculant prudemment vers le fond de la pièce. L’agoraphobe décida de se mettre entre eux. Elle savait qu’ils appartenaient à des camps ennemis et ne voulait pas qu’ils se battent. La querelle qu’évoquait Ben semblait un peu différente de ce qu’elle avait entendu et elle n’avait pas vraiment à prendre parti. Pourtant, elle ne pouvait le laisser s’en prendre à Camille aussi impunément.

« Hey ! » s’indigna-t-elle. « On se calme, personne ne va faire quoi que ce soit à personne avant que… »

Mais trop tard, Camille était déjà partie en coup de vent vers la porte de la salle de bain. Elle allait s’échapper par là et il n’en était pas question non plus. Agathe fit immédiatement appel à son pouvoir et lui barra la route avec un air plus que sérieux. La jeune femme prit peur et revint sur ses pas, où Ben venait d’allumer sa cigarette. Il l’attrapa d’une main puissante et l’attira à lui en la menaçant avec le feu de son tabac.

« Une petite brûlure chérie ? » s’amusa-t-il alors qu’elle tentait en vain de se débattre. « Tu avais l’air d’aimer ça la dernière fois. »

A nouveau, Agathe intervint et se précipita entre les meubles pour frapper durement le voyageur et le forcer à lâcher prise. Il recula un peu et cessa de menacer Camille avec sa cigarette, mais ne la lâcha pas. Celle-ci, plus vive qu’on ne l’aurait cru, profita de sa distraction pour lui coller un poing plutôt efficace dans la mâchoire. Il la laissa partir sous le coup de la surprise et tenta de se précipiter vers la porte de la chambre. Une fois de plus, l’agoraphobe dut utiliser de son pouvoir pour l’intercepter. Cette fois, la jeune femme tenta de l’attaquer, mais avec plus de facilité qu’elle l’aurait escompté, elle saisit son poing à la volée et le serra pour l’empêcher d’aller plus loin.

Ben saisit l’occasion et tenta brûler la séductrice immobilisée. La membre de la SDC ne le laissa pas faire et écarta Camille en la poussant sur le côté. L’homme frappa le vide, mais se reprit très vite et souffla un petit nuage de fumée suffoquant à l’agoraphobe, qui fut occupée un instant par cette attaque. Croyant la voie libre, l’autre fille se précipita à nouveau vers la porte pour sortir. Mais d’un bond, le voyageur s’était mis sur son chemin et l’attrapait. Il ne rigolait plus cette fois. Il avait une vengeance à assouvir. Il lui tordit le poignet pour la faire plier dans le sens qu’il souhaitait et arma son poing.

Ce fut encore une fois un coup d’Agathe dans les côtes qui lui coupa le souffle. Camille se dégagea de l’emprise de son agresseur. L’agoraphobe toussait encore, mais elle était plus solide que sa protégée et davantage entraînée à faire face. Ben lui envoya son coude dans le ventre pour toute réponse et elle sut à cet instant qu’elle était dépassée. Il frappait bien plus fort qu’elle et témoignait aussi d’une expérience plutôt cruelle en la matière. Elle dut utiliser son pouvoir pour éviter l’attaque de sa cigarette. Sans Camille pour le distraire, elle n’avait pas le dessus. Il porta son artefact à sa bouche et inspira à nouveau.

Agathe plongea pour échapper à la fumée et lui rentrer à nouveau dans le ventre, une technique des plus imprudente, mais qui ne sembla pas provoquer de réplique chez le voyageur.


« Hey ! » lança-t-il dans une autre direction que la sienne.

Elle se retourna et vit Camille tenter de s’échapper à nouveau en grimpant sur le lit pour atteindre la porte de la salle de bain. Une fois encore, Agathe se plaça sur sa route, sévère.

La jeune femme regarda alternativement ceux qui la retenaient prisonnière. Agathe était en plus ou moins bon état, mais Ben avait reçu quelques coups aussi et semblait en avoir souffert. Elle-même était un peu meurtrie, mais pas assez pour avoir à s’en plaindre. L’agoraphobe lui coupait la sortie de la salle de bain, qui avait une porte commune avec la chambre d’à côté et l’homme surveillait avec colère la porte qui menait au couloir. Elle ne pouvait vaincre ni l’un, ni l’autre, ils étaient tous deux des combattants expérimentés et n’avait pas de pouvoir très pratique en combat singulier. Pire, ils semblaient assez d’accord sur l’idée de la séquestrer ici, ses options étaient très limitées.

De son côté, Ben serrait les dents de frustration. Lui qui avait tant rêvé de pouvoir se venger se retrouvait incapable de le faire à cause d’Agathe. Celle-ci était suffisamment forte pour le mettre en danger et Camille avait assez de ressource pour l’aider à rendre cette lutte plus égale. Il ne pouvait espérer de victoire facile sur les deux femmes réunies, elles auraient même pu le vaincre si elles s’y étaient accordées. Hélas, il ne pouvait vraiment faire retourner la veste de la contrôleuse des distances, celle-ci était plus ou moins liée par contrat à la protection de sa cible.

Quant à Agathe, le souci était à peu près similaire. Elle ne pouvait se résoudre à laisser Camille s’échapper. Pas maintenant, pas après tout ce temps qu’elle avait passé à la pourchasser. Certes, elle aurait pu s’occuper de Ben assez longtemps pour lui laisser le temps de lui échapper, mais elle n’avait pas encore eu l’occasion d’expliquer les raisons de sa propre enquête et maintenant que Ben était là, elle ne pouvait pas vraiment parler d’Ahmal sans risquer de compromettre l’enquête de la séductrice. Elle se devait de la protéger tout en la maintenant dans cette chambre. Hélas, sans son aide, elles ne pourraient venir à bout de Ben et la jeune femme n’était pas prête de la lui accorder.

Ils se regardèrent tout trois quelques instants, se défiant de prendre la prochaine initiative. Mais personne ne bougea et la tension stagna étrangement. La colère de l’homme aux cigarettes se mua en appréhension et les deux femmes commencèrent à s’inquiéter de cette inertie. En moins d’une imposante minute de silence, ils comprirent l’impasse totale dans laquelle ils se trouvaient.


« Et maintenant ? » demanda Camille, incertaine. « On attend jusqu’à ce qu’on se réveille tous ? »

Face au ridicule de la situation, Agathe et Ben échangèrent un regard gêné. Puis Agathe eut une idée pour les sortir de là. Il mit sa main à la poche et en tira le micro qu’elle y avait placé.

« Chambre 215 Jacob, vite ! » lança-t-elle à l’attention de son partenaire, avant de se parer d’un sourire satisfait.

« Qu’est-ce que tu crois faire ? » s’étonna Ben, pas convaincu par cet appel.

« J’appelle mon coéquipier. » expliqua-t-elle avec un certain plaisir. « Jacob Hume, l’intouchable. Vous connaissez ? Il est dans les parages et devrait arriver d’un instant à l’autre maintenant. Il va régler le problème. »

Camille ricana, surprenant les deux autres.

« Il arrivera pas à temps. » se moqua-t-elle. « Mon partenaire et censé nous rejoindre aussi. Tu croyais sincèrement que j’allais t’entraîner dans un tête à tête ? Le Pacificateur, tu connais ? Je sais pas qui c’est ton Jacob, mais je crois pas qu’il fasse le poids. »

« Vous oubliez toutes les deux un détail important. » intervint alors Ben, avec un calme olympien. « Vous êtes ici dans l’hôtel de mon patron. Et j’ai déjà demandé du renfort. Mon employeur et deux autres voyageurs à notre solde devraient débarquer pour vous faire comprendre qui commande ici. Vos amis vont bientôt regretter d’avoir défié mon supérieur… »

Les deux femmes échangèrent à leur tour un regard circonspect. Puis, les trois voyageurs commencèrent à comprendre que leurs déclarations ne réglaient rien, bien au contraire.

« Donc, si je résume bien, on est condamné à rester là jusqu’à ce que l’un de nos alliés pointe le bout de son nez, c’est ça ? » conclut Camille avec un air dépité.

Les deux autres durent reconnaître qu’elle avait raison. Quoi qu’il arrive, ils devraient attendre, sans savoir combien de temps cela prendrait. La victoire appartiendrait au premier des trois renforts qui se présenterait, ils le savaient à présent. Seuls, ils ne pouvaient rien faire, aussi frustrant que cela puisse paraître. Mais chaque aide pouvait renverser complètement la situation. Poussant un long soupir résigné, Camille s’assit nonchalamment sur le lit et croisa les bras pour attendre. Ben réagit en s’adossant au mur qui se trouvait derrière lui. Agathe mit un temps de plus avant d’accepter de s’asseoir dans le fauteuil le plus proche. Les trois se fixèrent alors sans bouger et sans parler davantage que cela.

Un silence pesant allait commencer à s’installer lorsque la poignée de la porte se mit à tourner.




CORIN
MAXIME

Personnage

Roses et Rouges - Page 2 410835Maxime

    Age : 22 ans.
    Ville : Strasbourg (France).
    Activité : Chauffeur livreur.
    Dreamland : Contrôleur du son des cloches.
    Objet magique : Clochette argentée. Capable d’émettre sur toutes les fréquences et à tous les volumes.
    Aime : Conduire vite, les voitures de sport, les courses en tout genre, les jeux-vidéos d’action, une certaine Amélia.
    Déteste : Ne rien faire, les enfants, les mauvais conducteurs, les couchers de soleil.
    Surnom : Le Sonneur de Cloches.

    Le saviez-vous ?
    Lorsqu’il était petit, Maxime était un peu distrait, lors d’une excursion scolaire à la cathédrale, il s’est séparé du groupe et est resté seul dans le clocher, juste avant midi.


Fin de la seconde partie.
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Jacob Hume
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MessageSujet: Re: Roses et Rouges Roses et Rouges - Page 2 EmptyVen 21 Nov 2014 - 19:56
TROISIEME PARTIE :
L’HOMME DERRIERE LE RIDEAU

1/ Une porte s’ouvre.

La personne qui ouvrit la porte et entra dans la chambre ne fut cependant, au grand dam des trois voyageurs, ni Jacob, ni Noah, ni même Vigorio Ellis et son personnel de sécurité. Il s’agissait d’un voyageur qui semblait s’être invité à leur petite réunion, tout simplement. Il leur lança un sourire ravi et ferma derrière lui, en poussant cette fois le loquet du verrou. Instinctivement, les trois se relevèrent pour faire face à cet étrange personnage.

Ben fut le premier à le reconnaître. Il lui fallut cependant plusieurs secondes car il ne l’avait jamais vraiment croisé qu’une seule fois au cours de sa longue existence onirique et il n’avait pas spécialement fait cas de cette rencontre en particulier, surtout que celle qui avait suivie s’était montré mille fois plus intéressante à ses yeux. Il se rappela cependant qu’il avait déjà vu ce sourire quelque part, l’attitude désinvolte avec laquelle il était entré et s’était enfermé avec eux lui était familière. Il chercha un peu dans son esprit avant de se souvenir qu’effectivement, ce jeune homme était déjà entré une fois dans son hôtel, il n’y avait même pas si longtemps à vrai dire. Oui, il se souvenait de cette petite tête blonde insolente et de cette expression de joie étrange. Il se souvenait aussi qu’il avait clairement cherché à créer du grabuge dans le bar et qu’il avait dû le virer avec l’aide de Maxime et de Phil. Pire, il l’avait même emmené dans la ruelle pour lui apprendre une petite leçon. Et afin qu’il n’oublie pas ses conseils sur le calme et la prudence, il lui avait crevé les yeux avec sa cigarette, puis l’avait fait mettre aux ordures.

Agathe fut la seconde à le relier à un souvenir. Cependant, elle savait qu’elle ne l’avait jamais rencontré à Dreamland. En revanche, elle avait croisé son portrait en plusieurs endroits, sur des petites affichettes offrant une forte récompense pour sa capture ou son élimination. La plupart d’entre elles avaient été imprimées à Kazinopolis, où il semblait que l’individu ait commis l’un de ses principaux crimes. On en voyait aussi au royaume des chats et dans quelques autres endroits prévus à cet effet. Elle ne s’était jamais réellement intéressée à ce que ce voyageur avait fait pour être recherché, n’ayant aucune envie de pourchasser des criminels et encore moins pour toucher des récompenses. Elle reconnut néanmoins ses traits et s’en méfia immédiatement. La récompense proposée pour ce personnage n’était pas aussi anodine qu’on aurait pu le croire et ce n’était que la dernière fois qu’elle avait croisé une telle annonce. Il était fort possible que la somme ait augmenté entretemps.

Des trois, seule Camille fut parfaitement en mesure de l’identifier, sans toutefois comprendre les raisons de sa venue. Comme Ben, elle l’avait évidemment vu cette fameuse nuit où il avait fallu l’éjecter des lieux. Mais alors, elle n’avait pas cherché à le reconnaître. A présent qu’elle y réfléchissait sérieusement, elle n’eut aucun mal à mettre un nom sur ces traits. Impossible de se tromper, surtout lorsque l’on avait mené une enquête dans les coulisses d’un tournoi de voyageurs auquel il avait participé. Elle s’était déjà renseignée sur lui, pour les besoins de l’époque et en était parvenu à la conclusion qu’il était plus que probablement dérangé mentalement. Derrière son sourire et sa bouille de premier de la classe, ce jeune homme cachait un amour pour la violence comme peu pouvaient en entretenir.

Il s’appelait Lucien Sandman et ce n’était pas le plus faible des adversaires.

Il portait ce soir-là une tenue excentrique, comme peu oseraient un jour en porter, même pour des bals costumés ou des carnavals déjantés. Il y avait d’abord ce pancho de laine avec des motifs de steaks hachés qui pendait mollement sur ses épaules menues. Il portait des sandales romaines plantées dans des chaussettes bleu ciel – faute de goût absolue – et un pantalon recouvert d’ampoules qui clignotaient comme une guirlande de Noël. Son haut, bien que caché en partie par l’habit de laine, n’était rien d’autre qu’un sweat-shirt violet sur lequel on avait dessiné – avec fort peu de talent – de petits écureuils blancs. L’accoutrement avait de quoi choquer, surtout lorsqu’il était agrémenté d’une casquette de sous-marinier.

En réalité, maintenant qu’ils l’observaient tous les trois en fronçant les sourcils devant son apparence peu commune, ils réalisaient qu’il n’avait pas l’air de grand-chose. Certes, c’était un criminel recherché, probablement un sanguinaire sans foi ni loi. Pourtant, il n’avait pas l’air musclé, ou même particulièrement porté sur le combat. Et le sourire qu’il leur servait pendant qu’ils le détaillaient ne faisait que le rendre plus inoffensif encore. Ils étaient tous les trois sur leurs gardes, mais ils demeuraient sceptiques quant à sa présence. Que voulait-il exactement ?


« Bonsoir tout le monde ! » lança-t-il au bout d’un moment, trop heureux de pouvoir s’exprimer. « C’est tout à fait plaisant de vous voir réunis, vraiment. Ça m’évitera de me répéter. »

Les trois voyageurs échangèrent des regards intrigués. Fallait-il qu’ils écoutent ce qu’il avait à dire ou qu’ils se contentent de lui sauter dessus ? A trois, ils auraient sûrement eu leurs chances. Une part de sa réputation le précédait, mais il n’avait pas vraiment l’air dangereux. Ils se contentèrent donc de rester là, à l’écouter. De toute manière, leurs renforts respectifs ne tarderaient pas et ils doutaient que cette présence rabatte les cartes d’une quelconque manière.

« Je vous ai observé vous courir après ces derniers jours et ça a été particulièrement amusant je dois dire ! » poursuivit-il en mettant les mains dans ses poches et se trémoussant de plaisir au souvenir de leurs aventures. « Tous ces quiproquos, toutes ces tromperies. Non, vraiment, c’était très drôle, je vous assure. Cependant, je pense qu’il est temps de mettre un terme à cet épisode ridicule et de passer aux choses sérieuses. Vous n’êtes pas d’accord ? »

Ils ne répondirent pas davantage que par leurs regards éberlués. Qui était-il et de quoi parlait-il ? Ils commencèrent sérieusement à s’inquiéter.

« Tout d’abord, mettons les choses à plat. » fit-il sur un ton un peu plus sérieux. « Pour éviter tous ces malentendus à l’avenir. Ce serait regrettable et ça vous ferez perdre un temps fou. Je ne suis pas aussi cruel. »

Il pointa alors Agathe d’une main, mais tourna ses yeux vers Camille et Ben.

« Je vous présente donc Agathe, au cas où vous ne le saviez pas. » expliqua-t-il ravi de pouvoir aider, puis il pointa la jeune séductrice qui se trouvait sur le lit. « Elle est à votre recherche ma chère et aimerait vous poser quelques questions. Elle a été employée par un rêveur amoureux pour vous retrouver et vous transmettre ses sentiments. Mais elle voudrait d’abord savoir si vous n’êtes pas une criminelle qui abuserait de son client d’une manière ou d’une autre, notamment pour lui prendre son argent. »

Les trois auditeurs écarquillèrent les yeux de surprise. Qu’il le sache n’était pas si compliqué. Agathe et Jacob n’avaient malheureusement pas été aussi discrets qu’ils auraient dû l’être et en se renseignant un peu, on pouvait aisément disposer de l’information. S’il les avait effectivement observés, il aurait effectivement pu aller interroger ceux qu’ils interrogeaient à leurs tours et recoller les morceaux. Camille fut néanmoins plus qu’étonnée d’apprendre cette vérité qui était plus qu’inattendue. En revanche, Agathe déglutit en songeant que toute sa mission était fichue à présent et qu’on pourrait bien lui faire un procès pour faute professionnelle.

Lucien continua en pointant cette fois sa main vers Ben et en s’adressant aux filles.


« Je vous présente maintenant Ben. » ajouta-t-il gaiement. « Il s’agit du second de Vigorio Ellis, l’un des patrons les plus véreux de la ville. Il a pour rôle principal de tabasser ceux qui perturbent la tranquillité de l’hôtel de son employeur, mais effectue aussi quelques courses un peu plus ingrates. Il est ici pour se venger d’une petite séance de torture parfaitement déloyale et impliquant ses parties génitales, perpétrée par notre jeune amie Camille, ici présente. Mais il veut aussi la livrer à son patron parce qu’il sait qu’elle se renseigne sur lui et qu’il voudrait savoir ce qu’elle a découvert exactement. Peut-être faudra-t-il l’éliminer à un moment ou à un autre d’ailleurs. On ne voudrait pas que Miraz vienne chercher au mauvais endroit, pas vrai ? »

Cette fois, ce fut à Ben de contracter ses muscles sous l’effet de la colère. Comment savait-il tout cela ? Comment pouvait-il être au courant de toutes ces choses. Mais la réponse était encore une fois très simple, il aurait suffi que Maxime en parle. C’était lui qui l’avait trouvé dans cet état après tout et l’histoire avait même fait le tour de employés de l’hôtel. Néanmoins, il semblait aussi connaître des choses plus précises sur les activités de son supérieur et ça en devenait inquiétant. Il était certain que celui-ci fasse particulièrement attention à ne pas laisser de trace. Ben n’était pourtant pas seulement inquiet pour l’affaire de son patron. Il était aussi touché par l’humiliation dévoilée et la honte qu’il ressentait à propos de l’échange qu’il avait eu avec Camille. Cette dernière pâlit un peu à la mention de ce qui avait été l’un de ses plus gros faux pas et qu’elle regrettait amèrement. Agathe commença à se demander où elle était tombée.

Mais Lucien ne s’arrêta pas, il désigna enfin Camille et s’adressa au trois en même temps.


« Ah ! Et bien sûr, voilà le plus important ! » déclara-t-il, avec son ton toujours aussi ravi. « Elle, c’est Camille. Elle est actuellement employée par un consortium d’hôtels jaloux du succès de l’Ellis qui veulent qu’elle dégote des preuves l’incriminant et l’impliquant dans tout un tas de sales affaires afin que Miraz, ce charmant Miraz, prenne enfin de réelles mesures ! C’est d’ailleurs pour ça qu’elle a fouiné auprès d’une série de fléaux qui frappent la cité depuis quelques temps et qu’elle a plus ou moins découvert que tout n’était pas aussi rose qu’on voudrait le croire à Resting City. Outre la concurrence rude et souvent déloyale que se livrent les patrons ici, il y a des problèmes de plus en plus graves et cela semble faire la fortune de certains… »

Il prit un air faussement désolé en énonçant cela. Les trois autres plissèrent les yeux, ils étaient à présent très intrigués par ce qu’il allait dire. Il venait de révéler certains de leurs secrets en toute impunité et savaient à présent qu’il ne mentait pas. Et maintenant qu’il parlait de tous ces crimes qu’ils connaissaient et qui frappaient notamment le quartier où ils se trouvaient, ils se demandaient sincèrement s’il n’avait pas des informations capitales aussi à ce sujet. Ils étaient pendus à ses lèvres.

« Mais naturellement, elle se trompe. » annonça-t-il. « Ce n’est pas Vigorio Ellis qui est à l’origine de toute cette mascarade. Il serait bien incapable de monter un réseau aussi important, le pauvre. Non, toutes ces activités et tous ces problèmes que vous avez rencontrés répondent à un plan plus grand qu’un simple enrichissement personnel de créature des rêves. Et pour cause, c’est à moi que l’on doit tout cela ! »

« Quoi ? »

C’était Camille qui était intervenue. Elle tombait des nues, comme les deux autres, mais avait une plus grande réactivité. Ils avaient raison depuis le début, il y avait bien quelqu’un derrière tout cela, une personne chapeautant tous ces crimes qui sévissaient en ville, comme les hôteliers le soupçonnaient. Le gérant de l’Ellis apparaissait même comme complètement mouillé dans de salles affaires après ces révélations. Pourtant, ils s’étaient trompés sur un point : l’Ellis ne semblait être qu’une des marionnettes du voyageur et non le centre de toute la structure. Et ils avaient maintenant, sous leurs yeux le responsable de tout cela. Mais elle ne pensa qu’à un seul de ces crimes, celui d’avoir détruit la vie de la jeune Olivia. Elle resta tétanisée devant lui, incapable de réagir face à l’horreur que ce personnage représentait pour elle.

« Voilà. » conclut Lucien en remettant ses mains dans les poches. « Je me suis dit qu’après que vous vous soyez tous donné tant de mal pour vos enquêtes respectives, vous mériteriez de savoir la vérité. Vraiment, ça m’embête de vous laisser patauger à ce point. »

« Mais… » s’étonna Agathe, peut-être un peu plus pragmatique que les autres. « Comment ça, tout cela ? »

« Eh bien… tout ! » lança Sandman, un peu surpris par la question. « Je veux dire, tout est plus ou moins de mon fait. Directement ou indirectement. Les graffitis, les meurtres, les agressions, les prostituées… Tout quoi ! En ce moment, je suis même en train d’essayer d’implanter des bandes de voyageurs ultra violentes pour occuper Miraz. Vous en avez déjà rencontré une d’ailleurs. Ils se battent bien, n’est-ce pas ? »

Elle écarquilla les yeux. La mention du combat entre Jacob et l’équipe de voyageurs en costard était effectivement restée gravée dans sa mémoire comme un événement traumatisant. Elle n’avait jamais rien vu d’aussi impressionnant. Elle se ressaisit cependant en pensant à un détail dans ce qu’il avait dit.

« C’est impossible ! » dénonça-t-elle sans grande assurance, comme si elle pressentait les failles dans son argumentation. « Nous avons trouvé les responsables des graffitis. C’était des idéalistes indépendants. Ils ne travaillaient pour personne. »

Lucien leva les yeux au ciel comme si tout ce qu’elle disait n’avait aucun sens.

« Bien sûr que non ! » admit-il. « Ils ne travaillaient pas directement pour moi. Je vais pas tout gérer dans les moindres détails, j’ai d’autres choses à faire vous savez ? Cependant, ça vous a pas paru bizarre qu’ils s’en prennent à une ville comme celle-ci alors qu’il y a Kazinopolis juste à côté et le royaume de la Main Invisible pour ce genre de slogans ? Qui leur a conseillé cette petite zone tranquille ou personne ne les embêterait à votre avis ? Hein ? »

Qu’il lui parle comme une enfant attardée ne lui plaisait pas. Pourtant, elle commençait à comprendre la façon dont il fonctionnait à présent. Il n’avait pas besoin de commander à ces groupes de criminels. Il avait simplement à les faire venir et à leur trouver un intérêt pour rester. Peut-être chapeautait-il certaines choses lui-même, directement. Mais il n’avait pas besoin de s’impliquer partout. Quel que soit le grand projet qu’il s’était fixé, il ne méritait pas une attention absolue et ne devait donc pas être d’une précision à toute épreuve et c’était justement ce qui le rendait dangereux. On pouvait trouver la faille dans un plan minutieux et l’exploiter. Cependant, lorsqu’il fallait combattre une organisation trop vague, on commençait à se perdre, car il fallait combattre sur trop de plans à la fois. Ils avaient peut-être arrêté cette bande d’activistes, ce n’était qu’une sous-filiale de l’ensemble, qui ne devait peut-être même pas représenter une part importante de son programme, juste un petit plus sympathique.

La véritable question n’était pas tant dans les méthodes qu’il employait, mais dans le projet qu’il tentait de mettre en place avec cette politique.


« Et qu’est-ce que c’est que ce plan plus grand ? » la devança Camille.

« Ah, ça, il va falloir le deviner ! » sourit Lucien avec malice. « Je vais vous donner un indice, il s’agit de transformer ce petit coin de paradis en quelque chose de plus… drôle. »

Elle le fixa avec une haine qui fit même frissonner Ben. Elle avait parfaitement compris son petit jeu, il était venu ici les narguer parce qu’il s’amusait au final beaucoup et qu’il avait besoin d’un public pour apprécier son travail. Néanmoins, elle n’entrait pas dans son jeu. C’était un monstre, capable des pires atrocités sans le moindre scrupule, elle en avait la confirmation à présent et n’était pas prête de laisser passer cela. Pour lors, elle se contenta cependant d’essayer de casser son petit délire. Elle n’en était pas tout à fait au point de colère où elle exploserait pour venir lui arracher la peau du visage avec les ongles.

« Tu veux faire de R.C. un royaume cauchemar. » trancha-t-elle immédiatement, ayant parfaitement compris la manœuvre.

Lucien jubila complètement et sauta de joie à la mention de cette perspective.


« Oui ! » confirma-t-il, très fier qu’on ait trouvé la réponse si vite. « C’est exactement ça ! Vous êtes décidément très fort ! »

« Et qu’est-ce qui nous empêche de te tabasser maintenant et de te foutre en taule ? » envoya-t-elle à nouveau, de plus en plus froide dans son ton.

Il haussa les épaules.


« Ben, allez-y. » proposa-t-il sincèrement. « D’abord, c’est pas si facile que ça, je me défendrai et je m’enfuirai, parce que je suis pas hyper emballé par l’idée. Mais en imaginant que vous réussissiez. Que ce soit parce que tous vos amis arriverons pile au bon moment – d’ailleurs autant vous le dire tout de suite, je les ai renvoyé dans la mauvaise direction – ou parce que vous devenez tous soudain beaucoup plus fort que moi, qu’est-ce que ça peut me faire franchement ? »

C’était bien la première fois qu’on lui sortait un tel discours et elle fut complètement coupée dans sa volonté de lui faire du mal. Agathe et Ben eux-mêmes furent très étonnés par son discours.

« Je veux dire, je suis un voyageur, je réapparaitrais en pleine forme la nuit prochaine. » continua-t-il sur le ton de la conversation. « Pour me mettre en prison, il faudrait déjà disposer des éléments nécessaires, comme les petits tatouages magiques qui vous font réapparaître toujours au même endroit ou prive des pouvoirs. Vous n’en avez pas. Miraz en a un, bien sûr. Mais c’est pas comme s’il allait accepter de me coffrer juste sur vos bonnes paroles. Vous n’avez aucune preuve, ça aussi je le sais. Alors, il vous engueulera un bon coup, il vous collera un avertissement ou vous virera du royaume, et puis c’est tout. »

A nouveau, les trois échangèrent des regards circonspects. Il n’avait pas tort du tout. Que pouvaient-ils faire ? Il leur donna lui-même la solution.

« Bien sûr, le truc, ce serait de vous servir des primes qu’il y a sur ma tête. » reconnut-il en écartant les mains comme s’il admettait cette possibilité. « Les autorités de Kazinopolis seraient ravies, elles me cherchent depuis que j’ai fait sauter un de leurs casinos. Ou même les divers justiciers qui m’ont condamnés. Mais bon, faudrait m’attraper pour ça. Et quand bien même vous seriez en état de me transporter jusqu’à eux et que je ne me réveille pas entre temps… J’ai des tas de gens sous mes ordres et il y en a un paquet qui viendraient me libérer dès le lendemain et je serai à nouveau là pour tout organiser. Peut-être même que j’aurais amené un ou deux criminels de plus avec moi. »

Cette possibilité était effectivement un peu plus plausible et Agathe, si elle ne s’était pas trop battue, aurait pu l’amener d’un pas jusqu’à Kazinopolis. Hélas elle connaissait trop bien les rouages du système carcéral de Dreamland. Ce n’était pas les autorités de la ville elle-même qui prendraient en charge le personnage et il serait envoyé vers une prison ou une autre. Mais en attendant qu’on vienne le chercher, il pourrait être délivré par d’éventuels camarades.

Pour Camille, le problème était beaucoup plus grave que cela. Il était à la tête, notamment, d’une bande de voleurs qui savaient déjouer tous les systèmes de sécurités de la ville. S’ils voulaient le faire échapper d’une prison, ils n’auraient aucun mal à s’en charger. Alors, comment l’arrêter ? Comment mettre un terme à ses méfaits ?


« On pourrait te tuer. » commenta-t-elle fermement.

Lucien la regarda sans trop s’inquiéter.
« Mais oui, bien sûr, c’est parfaitement votre genre à tous les trois… »

Les avait-il à ce point cernés ? Camille déglutit. Elle avait fait des choses qu’elle regrettait dans sa vie onirique, mais elle n’avait jamais été jusqu’à mettre un terme à la vie d’une personne. C’était une chose devant laquelle elle aurait probablement reculé. Même devant le monstre qu’était ce voyageur, même devant l’homme qui l’avait… Une boule monta à sa gorge et des larmes la submergèrent. Elle fit de son mieux pour se contrôler et dut respirer plus fort, fermer les yeux, crisper sa mâchoire. Toute une série de signe qui inquiétèrent fortement Agathe, mais qui réjouirent Lucien.

De son côté l’agoraphobe ne voulait pas tuer. Elle n’y avait jamais vraiment songé, mais cela lui paraissait être une évidence. On ne frappait pas quelqu’un à mort, même à Dreamland. C’était contraire à toute morale, c’était même parfaitement illégal, quoi qu’en dise Miraz. Les monstres qu’elle avait occis au cours de ses missions pour la SDC n’étaient que des bêtes infâmes, des animaux oniriques. Jamais elle n’avait vu Jacob ou Ann ou aucun d’autre membre du groupe perpétrer de meurtre. Elle n’en aurait pas eu la force. Et Ben baissait étrangement les yeux à présent, pour une raison qui leur échappait et qu’il n’était pas prêt de dévoiler.


« Alors vous voyez, vous ne pouvez rien contre moi. » renchérit Lucien avec un petit sourire triomphant. « Peut-être que vous pourriez essayer, on ne sait jamais. Mais franchement, je ne vois pas ça arriver. Je veux dire (il pointa Ben du pouce), il m’a crevé les yeux et je suis toujours là. »

Les deux femmes s’étonnèrent de concert face à cette information et lurent dans les yeux de l’homme qu’il disait vrai. Pour lors, arrêter Lucien Sandman par la force semblait particulièrement peu probable.

« Alors pourquoi ? » lança Agathe, sans comprendre. « Pourquoi tu nous dis tout ça ? »

Il eut un petit rire amusé.

« Pourquoi pas ? » rétorqua-t-il. « Je ne sais pas. Je me suis dit que vous aviez bien besoin d’une petite explication après tout le mal que vous vous étiez donné. Peut-être que j’ai envie de m’amuser un peu et que j’aimerai que vous essayez de m’arrêter plutôt que de vous battre les uns contre les autres. Oui, ce serait effectivement très drôle… Ou peut-être que… »

La porte fut secouée brutalement et la poignée tournée avec fièvre. Quelqu’un essayait d’entrer par la force et cela alerta Lucien qu’il était temps de partir et de laisser ces jeunes gens discuter entre eux et reprendre leurs affaires ordinaires. Il sourit à ses trois interlocuteurs d’un air désolé.

« Bon, allez, assez ri, j’ai du pain sur la planche ! » lança-t-il en mettant sa main à la poche. « Naturellement, vous vous en doutez bien, c’est la dernière fois que vous me voyez avant longtemps. Alors… bonne chance pour la suite ! »

Il tira un petit objet de sa poche, qui ressemblait étrangement à un marteau miniature et le pointa vers la fenêtre. Aussitôt, l’artefact s’agrandit et une énorme masse de métal fracassa la vitre, surprenant les trois observateurs. L’outil retrouva une taille tout à fait ordinaire l’instant suivant et le vent frais de la nuit s’introduisit dans la pièce, réveillant les trois voyageurs en même temps. Lucien se mit à courir vers la fenêtre à grande enjambées, comme s’il voulait sauter dans le vide – c’était d’ailleurs son intention. Ben tenta de l’attraper mais ne réussit qu’à accrocher une des ampoules de son pantalon qui se déchira, sans plus. Camille, bien trop loin se mit à courir à sa suite, mais elle n’avait aucun espoir de le rattraper, elle hurla simplement sa rage. Agathe fut la seule, assez proche de la fenêtre et disposant du pouvoir nécessaire pour lui bloquer la route. Elle se mit immédiatement en travers de son chemin.

Au même instant, la serrure de la porte était forcée et Jacob, accompagné de Noah, entra avec un air inquiet. Mais l’intervention d’Agathe était futile par rapport au pouvoir de leur adversaire. D’un mouvement de poignet et en agrandissant nouveau brutalement son arme, il la projeta sur le côté sans ménagement, puis n’eut plus qu’un pas à faire pour sauter à travers l’ouverture. Il se retourna en plein vol et retourna son arme vers le bas. Il l’agrandit un grand coup, suffisamment pour que celle-ci touche le sol, arrête sa chute et le projette sur le toit d’en face, dans la rue pavée. Le tout n’avait pas pris plus d’une seconde et demie.

Ebahie par sa performance, toute l’assemblée regarda l’autre courir sur le toit d’en face, impuissante. Seul Jacob eut la volonté de poursuivre et filer dans les airs pour voler jusqu’à lui. Hélas, au moment où il allait pour le rattraper, Lucien pointa son arme dans sa direction et l’agrandit, une fois de plus. Jacob avait anticipé en volant soudain plus bas. Ce fut une mauvaise idée, car sa proie n’eut qu’un mouvement à faire et le marteau lui tomba dessus et le précipita vers le sol. Au moment, où l’intouchable reprenait un vol plus stable, son ennemi avait déjà disparu à sa vue et à celle des autres. Il revint alors par la fenêtre dans la chambre, afin de contrôler l’état d’Agathe, qui se remettait douloureusement du coup qu’elle avait reçu.

Camille se précipita dans les bras de Noah, semblant relâcher une tension qui l’habitait depuis un moment et il la serra contre lui. Les deux derniers arrivés regardaient les autres avec beaucoup de questions dans les yeux. Que s’était-il passé ici au juste ?




SANDMAN
LUCIEN

Personnage

Roses et Rouges - Page 2 474676Lucien

    Age : 25 ans.
    Ville : Bordeaux (France).
    Activité : En année sabbatique, titulaire d’un master de droit.
    Dreamland : Contrôleur du chaos, fou sanguinaire notoire.
    Objet magique : Un marteau.
    Aime : La liberté, l’imprévu, le chaos, le n’importe quoi, l’absence de règle, l’illogisme, se défouler, passer du temps et discuter avec Stéphanie.
    Déteste : Ceux qui cherchent à le limiter, les règles en général, les interdictions surtout, la logique, l’ennui.
    Surnom : Le Marteau.

    Le saviez-vous ?
    Lucien pense sérieusement que le monde réel est Dreamland et que le monde éveillé n’est qu’une contrainte fade destiné à faire récupérer les voyageurs.


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Jacob Hume
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MessageSujet: Re: Roses et Rouges Roses et Rouges - Page 2 EmptyVen 21 Nov 2014 - 22:39
2/ L’alliance.

La situation dans la chambre d’hôtel n’était plus ce qu’elle avait été au départ. Toutes les cartes venaient d’être rabattues violemment, renversant le jeu d’une manière si inattendue que tout ce qui avait précédé semblait d’une futilité exemplaire. Chacun des cinq voyageurs devait à présent faire face à la nouvelle : quelqu’un essayait de transformer un royaume de rêve en terre cauchemardesque. Et ce qu’ils en savaient pour l’instant, il était en bonne voie de réussir.

Jacob aida Agathe à se relever et l’installa sur le fauteuil qu’elle avait quitté lorsque Lucien était entré. Il n’avait pas l’air d’avoir vraiment subi le coup qu’on lui avait assené, mais il n’y avait rien d’étonnant à cela. Il était protégé par une bulle indestructible et s’il avait eu le bon réflexe, il n’avait peut-être même pas senti le choc. Seule la diversion et le succès de l’échappée de son ennemi mettait sur son visage une expression dure de frustration. De son côté, Camille respira profondément contre le torse de son partenaire et chassa la sensation en se concentrant sur autre chose. Noah se contenta de l’accueillir et d’attendre qu’elle retrouve ses esprits en suivant avec une certaine empathie l’évolution de l’état de l’agoraphobe. Quant à Ben, il restait comme tétanisé, figé sur place par ce qui venait de se produire et par la révélation qu’on lui avait faite. Sa ville ? Son petit coin tranquille dans Dreamland ? Son refuge ? Tout cela allait donc être transformé à cause de la lubie d’un autre ? Allait-il perdre cette vie qu’il avait construite et qu’il aimait ? Il en tremblait presque face à la promiscuité de cette perspective. Son petit conflit mesquin avec Camille s’était envolé dans son esprit, détruit par une préoccupation beaucoup plus importante. Comme un mauvais réflexe, il reprit sa cigarette qui s’était à moitié consommée entre temps et commença à fumer.

Ce fut Camille qui brisa le silence pesant et circonspect qui s’installait dans la pièce. Dès qu’elle fut calmée, elle releva les yeux vers le géant qui l’avait prise sous sa protection et lui avait lancé un regard plein d’une détermination nouvelle.


« Il faut l’arrêter. » déclara-t-elle solennellement, surprenant tout le monde.

Noah haussa un sourcil intrigué. Ben hocha lentement la tête dans son coin, incapable de dire quoi que ce soit pour le moment. Jacob ne réagit pas et se contenta de revenir vers les autres après s’être assuré que sa collègue n’avait rien. Seule Agathe osa reprendre la jeune femme.


« Oui. » dit-elle simplement, reconnaissant cette nécessité sans avoir le cœur pour s’y mettre. « Il faut l’empêcher d’aller jusqu’au bout. »

Jacob tendit son micro à Agathe pour qu’elle lui explique la situation et qu’il puisse recevoir les informations. Les deux filles et leur ancien adversaire se mirent donc en tête de raconter leur rencontre avec Lucien et ce qu’ils avaient appris lors de cette conversation étrange. La voix morne et choquée de Ben fut celle qui marqua le plus le ton de cette conversation. Lorsque les deux absents furent au courant des enjeux nouveaux qui venaient d’apparaître, ils restèrent silencieux, chacun à leur manière, plongés dans leurs pensées, soucieux. Camille s’était détachée de son acolyte et s’était à son tour assise sur un siège et commençait à nourrir une colère aiguë à l’encontre du personnage qui venait de les quitter.

« Il faut qu’on le retrouve et qu’on l’arrête. » répéta-t-elle avec davantage d’intensité dans sa voix.

Jacob présenta sa paume en signe de calme, ce qui lui valut un regard plus que noir de la part de la jeune femme. Mais il n’allait pas se démonter pour si peu et sa plume commença à écrire un commentaire dans l’air du soir qui s’infiltrait par la fenêtre.

Les deux avaient expliqué, eux aussi, les raisons de leur retard. C’était Lucien qui les avait éloignés en affirmant à Jacob par une série de gestes désordonnés que Noah avait quitté l’hôtel et était parti six ou sept rues plus loin. Le Pacificateur le surveillant plus ou moins de près, observant ses moindres mouvements, avait simplement cru qu’il allait chercher du renfort. Finalement, l’intouchable s’était arrêté et ils s’étaient expliqués. Une conversation qui avait pris un certain temps à cause du scepticisme de Noah et de leur incapacité respective à communiquer normalement. Ils étaient déjà loin lorsque l’appel d’Agathe les avait alertés du danger.


« Non. » annonçait le petit mot. « Il a raison. A quoi bon ? »

« A quoi bon ? » s’emporta Camille. « Je vais te le dire moi à quoi bon ! Parce qu’à force de recevoir des coups il finira par comprendre qu’il est pas le bienvenu ici ! Voilà à quoi bon ! »

Noah posa une main sur épaule.

« Il a raison Camille, on ne peut pas simplement le retrouver et l’arrêter. » tenta-t-il. « La situation est plus complexe. »

Mais elle ne voulut rien entendre. Comme à son habitude de forcenée, elle décida d’insister.

« Il n’y a rien de compliqué ! » rétorqua-t-elle en serrant les dents. « Il a besoin d’une bonne correction et d’une camisole de force. »

Agathe hocha la tête, elle approuvait, même si les arguments des deux autres lui semblaient tout aussi justes finalement. Elle avait cette envie farouche d’aller venger le coup qu’elle avait pris et de donner une leçon à ce voyageur assez imprudent pour les défier ouvertement. Mais elle croyait au discours qu’il avait prononcé, aussi sûrement qu’elle savait qu’il avait dit la vérité quant à ce qu’il avait révélé sur les uns et les autres. Ils pourraient peut-être le vaincre, mais ensuite ? Ils seraient parfaitement impuissants. S’il pouvait échapper de la prison de Kazinopolis, ils n’avaient pas vraiment d’option à leur portée.

« On n’a rien contre lui. » expliqua Jacob dans son silence de marbre.

« Ce type est recherché ! » s’envenima Camille en présentant sa main vers l’intouchable pour appuyer son propos. « On n’a pas besoin de preuves. »

Jacob haussa les épaules et retranscrivit sa pensée par écrit : « Moi aussi je suis recherché. »

Cette révélation eut le don de surprendre la jeune femme, qui fut plus attentive à ce qu’il allait dire. Les autres aussi se firent beaucoup plus attentifs, car avec cette remarque, il venait surtout de montrer qu’il avait plus d’expérience qu’eux, et il avait clairement l’air d’avoir une idée derrière la tête. Aussi agaçante que fut la plume de l’intouchable, tout le monde se montra intéressé par ce qu’elle avait à dire. Avait-il percé la faille dans le discours de Lucien, qui se croyait exempt de toute justice ? Avait-il un plan pour le faire tomber ? Inconsciemment, ils avaient tous été démoralisés par l’idée de ne pas pouvoir faire quoi que ce soit et si certains se réfugiaient dans leur colère, comme Camille et Agathe, ils n’étaient pas fermés à une meilleure option. Aucun d’entre eux ne remettait en question le fait qu’il fallait l’arrêter.

« Si nous l’arrêtons et le remettons à Kazinopolis, il peut s’échapper et revenir ici. » exposa Jacob dans un silence mortel. « Il pourra revenir et continuer sans problème. Ses crimes ont été commis dans un autre royaume, ici, il ne craint rien. Il faut le faire arrêter ici, par Miraz. Donc, trouver une preuve contre lui. S’il s’échappe alors, il ne pourra pas revenir sans être arrêté à nouveau. Il ne pourra pas continuer. »

Une autre forme de silence s’installa alors que tout le monde réfléchissait à la proposition. Il ne fallut pas longtemps avant que chacun l’adopte comme la solution au problème. En condamnant Lucien sur son terrain de jeu, ils rendraient obsolète toute tentative d’évasion. Ayant transgressé la loi du royaume qu’il voulait transformer, il serait contraint de ne jamais y revenir. Peut-être pourrait-il tenter de planifier le changement depuis l’extérieur de celui-ci, mais il ne pourrait alors pas les empêcher d’agir lorsqu’ils commenceraient à s’attaquer aux multiples facettes de cette dégradation. Restait donc un seul problème à régler et toute cette funeste histoire pourrait être réglée, il leur fallait une preuve l’incriminant, suffisante pour que Miraz refuse que le personnage se promène librement dans ses rues.

Camille se tourna immédiatement vers Ben et lui envoya un regard lourd de sous-entendu. Cela sembla réveiller un peu la conscience de ce dernier, qui voulut se défendre contre cette accusation muette.


« Quoi ? » s’indigna-t-il.

« Tout ce dont nous avons besoin, c’est d’une preuve. » indiqua-t-elle sur un ton qui ne laissait que peu de place aux réponses négatives.

« Et tu crois que j’en ai dans ma poche peut-être ? » se plaignit le voyageur aux cigarettes. « Pourquoi tu me regardes ? »

« Ton patron. » accusa la jeune femme, sans démordre. « Il est de mèche avec lui, n’est-ce pas ? »

« Quoi ? » s’étonna-t-il, l’idée même ne lui était jamais venue à l’esprit. « Mais non ! Pas du tout ? Pourquoi il le serait ? »

« Peut-être qu’il ne sait pas ce qu’il veut vraiment. » supposa la jeune femme.

La main de Noah se serra sur son épaule et elle l’écarta d’un simple mouvement, elle n’était pas d’humeur pour ses commentaires et il décida donc de ne pas en faire. Ben sembla retrouver une bonne part de son énergie en entendant son supérieur être aussi injustement accusé. Il se redressa et défia Camille du regard.


« Tu insinues quoi exactement ? » invectiva-t-il. « Qu’il rachète des hôtels en faillite et les redresse pour saper la ville ? Tu trouves ça logique comme idée ? »

« On l’a entendu tous les trois. » répondit-elle alors avec un ton des plus cassants. « Ton patron mouille dans des affaires illégales. »

Noah se montra plus attentif et ce fut Jacob qui tenta de protester contre cette accusation, avant qu’Agathe intervienne.

« C’est vrai. » trancha-t-elle en fixant Ben. « Il l’a confirmé. C’est même l’une des premières choses qu’il a mentionnée. »

Ils étaient tous conscients que cela ne voulait pas dire qu’il trempait dans le complot. Néanmoins, comment Lucien aurait-il pu connaître les détails de cette affaire alors qu’eux-mêmes n’avaient jamais fait qu’effleurer la surface ? L’employeur de Ben était plus que suspect, pourtant celui-ci se refusait à l’admettre.

« C’est… C’est… » balbutia-t-il sous le coup de la colère. « Vous ne savez pas de quoi vous parlez ! Ça n’a rien à voir ! »

« Prouve-le. » défia Camille, sûre de son coup.

Il la fixa pendant un instant où l’on put voir que ses veines gonflaient et que son souffle s’accentuait. Il n’appréciait visiblement pas le tour que prenaient les événements. Sa réaction fut sans appel.


« Barrez-vous. » lâcha-t-il au bout d’un moment, avec une forme de dégoût dans la bouche. « Cassez-vous, maintenant. Vous êtes dans mon hôtel et je vous en chasse. Je suis le chef de la sécurité et je vous déclare interdits de séjour. Et si vous êtes pas content, j’appelle Miraz pour vous faire comprendre. »

Agathe fut un peu outrée qu’il réagisse de la sorte et tenta de se défendre. « Mais… pour quel motif ? »

« J’ai pas besoin de motif. » renchérit-il. « Et si tu en veux, je vais t’en donner. » Il pointa Noah et Camille. « Ces deux-là ont agressé un agent de sécurité et ils ont tenté de forcer le coffre du patron. » Il se tourna vers les deux autres. « Et vous, vous avez enfoncé une porte et vous m’avez empêché de faire mon travail en virant les deux autres. Maintenant, du balai. Et si je vous retrouve encore à fouiner du côté de mon patron, je vous fais expulser de la ville, tous autant que vous êtes. »

Il ne plaisantait pas, son regard était dur, froid et déterminé. S’il était un sujet sur lequel Ben était bien intransigeant, c’était sur l’intégrité de son employeur. S’ils voulaient s’emparer des secrets de celui-ci pour trouver une trace du passage de Lucien, ou d’une relation criminelle avec celui-ci, ils devraient le faire autrement. En tant que chef de la sécurité d’un établissement comme l’Ellis, le voyageur avait beaucoup plus d’influence qu’eux tous et pouvait effectivement mettre ses menaces à exécution.

Jacob fut le premier à accepter la réprimande et à chercher à se diriger vers la sortie. Agathe le suivit de près, elle avait compris le message. Noah initia un mouvement vers la porte à son tour, mais remarqua que Camille ne bougeait toujours pas et continuait de défier Ben du regard. L’échange aurait pu durer jusqu’à la fin de la nuit tant ils semblaient déterminés à ne pas céder quoi que ce soit l’un à l’autre. Il la tira de sa chaise en la prenant par le bras et en la poussant à se lever. Il n’eut pas besoin de la force cependant, elle finit par soupirer pour exprimer toute sa déception vis-à-vis de Ben et se leva à son tour. Aucun mot de plus ne fut prononcé et ils descendirent dans la rue dans une ambiance des plus lourdes.

Une fois dans la rue et éclairés par les guirlandes, au milieu de l’agitation habituelle des rêveurs, les quatre voyageurs s’arrêtèrent sur les pavés. Agathe leva les yeux vers la fenêtre brisée par laquelle Lucien s’était enfui, mais il n’y avait déjà plus de lumière dans la pièce. Ben s’était définitivement détourné d’eux et elle sentit comme un pincement au cœur. Ils ne seraient pas cinq dans leur chasse aux preuves finalement. Pourtant, elle n’était pas certaine que Camille se soit trompée. Autour d’elle, les autres affichaient des mines un peu abattues et échangeaient des regards gênés. Ils s’étaient courus après pendant plusieurs jours, mais tout cela ne semblait plus avoir la moindre importance.

Camille, toujours en colère contre le chef de la sécurité de l’Ellis, les fixa les uns après les autres. Jacob et Noah baissaient les yeux, pensifs. Agathe avait l’air un peu perdue. La jeune femme réalisa à cet instant qu’elle était déterminée à continuer jusqu’au bout, à arrêter ce voyageur quoi qu’il lui en coûte. Les crimes qu’il avait commis étaient à ses yeux trop graves pour être ignorés. Peu importait qu’on la paye ou non pour mener l’enquête cette fois, elle irait. Noah la suivrait probablement, ou au moins ne la laisserait-il pas se lancer seule dans une telle croisade. Mais qu’en était-il des autres ? Leur mission s’arrêtait techniquement là. Ils l’avaient retrouvée et, selon les dires de Lucien, ils n’avaient plus qu’à lui parler des sentiments qu’un rêveur éprouvait pour elle. Elle était presque certaine de savoir duquel il s’agissait, mais cela ne lui faisait ni chaud, ni froid pour le moment. Peu importait ce pourquoi on les avait engagés. L’aideraient-ils ou non ?


« Bien, et maintenant ? » lança-t-elle à leur attention, leur lançant un regard qui n’acceptait pas qu’ils la déçoivent à la manière de Ben.

Jacob, beaucoup plus calme que sa camarade, échangea un regard avec cette dernière l’air de vérifier qu’ils étaient sur la même longueur d’onde. Agathe hocha la tête et inspira pour reprendre ses esprits, retrouver sa détermination.


« On va l’arrêter. » dit-elle d’une voix peu assurée. « On… On va l’arrêter. »

La plume de Jacob se montra un peu plus explicite : « On ne peut pas laisser passer ça. »

« Très bien. » conclut Camille avant de se tourner vers Noah.

Celui-ci lui sourit avec complicité, sans prononcer un mot. Elle hocha la tête et commença à remettre de l’ordre dans ses cheveux. Agathe suivit son exemple. Pendant qu’elles se remettaient de leurs aventures précédentes, l’intouchable fit une première proposition.


« Il faut aller témoigner à Miraz. » écrivit-il.

En lisant cela, Camille resta un peu atterrée. Avait-il déjà rencontré le personnage ? Le chef de la police était à la fois incompétent et déterminé à ne pas porter les voyageurs dans son cœur, même lorsqu’ils étaient employés par les plus riches hôtels de la ville. Aller lui parler était la meilleure chose à faire lorsque l’on voulait foncer dans un mur hostile qui avait le pouvoir de vous expulser de la ville ou de vous faire enfermer pour son seul plaisir. Qui avait décidé que Jacob prenait les décisions ? Elle ne savait pas comment l’autre duo fonctionnait, mais il était hors de question qu’il prenne la tête de quoi que ce soit avec des décisions aussi ridicules.


« C’est une bonne idée. » convint Noah après une petite pause réflexive.

« Pardon ? » s’inquiéta aussitôt Camille, regardant son ami avec la mine la plus étonnée du monde.

Pourquoi offrait-il son soutien à cette idée stupide ? Il avait été là lorsqu’ils avaient rencontré la créature des rêves en espérant recevoir sa coopération et quelques informations qu’il aurait pu avoir. Il avait été présent lorsqu’il les avait envoyé bouler simplement parce qu’ils interféraient dans son travail, lorsqu’il leur avait fait comprendre que s’ils n’avaient pas été employés par le consortium, ils auraient été expulsés sans autre forme de procès. Mais, d’un autre côté, elle n’était qu’à moitié surprise une fois le premier choc passé. Un sourd muet et un taciturne associable, ils étaient faits pour se comprendre.


« Il faut témoigner devant Miraz. » insista le géant noir en soutenant le regard de son ami.

« Mais… » s’indigna-t-elle. « Ça ne sert à rien ! Il ne va pas bouger le petit doigt ! Il ne va pas vouloir agir parce que des voyageurs lui ont dit qu’il y avait un problème. »

« Question de légitimité. » trancha la plume de l’intouchable.

Elle s’apprêtait à écrire quelque chose de plus, mais Agathe ne lui en laissa pas le temps.


« La dernière fois, il nous a dit de nous contenter de faire ce pour quoi on était venu où il nous expulsait. » informa-t-elle, ce qui ne surprit même pas Camille. « Si on commence une autre enquête sans le prévenir, il risque de mal le prendre. »

« Il risque de mal le prendre si on lui rend visite, déjà. » commenta la jeune fille aux cheveux châtain. « C’est un coup à se faire expulser. »

« Je ne crois pas. » relança Noah, comme s’il avait une idée derrière la tête, de celles qu’il n’exprimait jamais à voix haute.

Camille les fixa tous à nouveau, comprenant qu’ils avaient déjà pris leur décision, elle leva les yeux au ciel.


« Très bien, allons-y. » accepta-t-elle de mauvaise foi. « Mais je vous aurai prévenus. »

Et sans attendre, elle mena le groupe vers le ventre ville, où l’on trouvait les bureaux de la police. Elle marchait avec une certaine énergie, cherchant à se débarrasser de cette corvée le plus rapidement possible. Les deux hommes suivirent avec une démarche plutôt tranquille, profitant de leurs grandes enjambées pour ne pas être distancés. Agathe dut se presser un peu pour se mettre à son niveau. La jeune femme brune lui envoya un petit sourire gêné, mais sincère. Se rappelant soudain la scène qu’elles avaient vécue un peu plus tôt dans la soirée, du fait qu’elles avaient été très proches de passer à l’acte, Camille se mit à rougir.

Cela ne lui était jamais arrivé. D’ordinaire, elle ne se transformait pas dans ces conditions et conservait un seul sexe jusqu’au terme de telles rencontres. Plus encore, ceux qu’elle séduisait pour mieux les attirer dans de tels pièges ne la revoyaient jamais. Jusqu’à présent, seul Noah était passé par une situation similaire et était resté à ses côtés ensuite pour pouvoir en parler. Mais elle ne lui avait alors pas fait l’affront de changer de sexe et de l’agresser avec son rouge à lèvre. Voyant qu’elle était tout aussi gênée par la situation qu’elle-même, Agathe se mit à pouffer de leur propre ridicule. Quelques instants plus tard, les deux jeunes filles marchaient côte à côte et riaient sincèrement de leur stupidité précédente. Derrière, les deux hommes échangèrent un regard. Jacob le fit interrogatif, Noah lui répondit avec un haussement d’épaule habitué. Pendant tout le reste du trajet, Agathe et Camille se mirent à discuter plus naturellement de ce qu’elles étaient réellement, éliminant les faux semblants qui les avaient troublées lorsqu’elles avaient parlé ensemble pour la première fois.

Enfin, leurs pas s’arrêtèrent devant l’hôtel de police, ce bâtiment administratif sans âme qui trônait au milieu d’une rue par trop ordinaire. L’humeur de Camille était alors bien meilleure, heureuse d’avoir pu vraiment faire la connaissance de sa nouvelle partenaire. Elle alla d’elle-même se présenter aux gardes qui étaient postés à l’entrée et qui s’étonnaient déjà de voir le cortège arriver.


« Bonjour ! » lança-t-elle poliment. « Nous voudrions parler au capitaine Miraz. C’est pour une déposition. »

L’autre haussa un sourcil méprisant et fit signe à son camarade de rester à l’entrée pendant qu’il guidait le groupe à l’intérieur. Une fois dans la grande pièce principale qui servait de lieu de travail à la police locale, il leur demanda d’attendre non loin de l’entrée pendant qu’il alla chercher son supérieur, dont la porte du bureau était toujours ouverte. Un instant plus tard, la tête de l’officier se penchait pour voir le groupe et poussa un soupir agacé. Le garde revint et leur demanda d’attendre, puis il retourna à son poste. Une demi-heure plus tard, le capitaine se montra, toujours en uniforme, à l’entrée de son bureau et les héla :

« Venez ! »

Puis il alla se rasseoir, sans attendre que les autres n’arrivent. Bientôt, les deux jeunes filles se retrouvèrent assises sur les deux chaises prévues à cet effet, tandis que Jacob et Noah restaient debout, à côté. Nullement impressionné par leur nombre ou la façon dont ils le regardaient, Miraz continua à remplir le rapport qu’il venait de commencer.

« Je vous écoute. » dit-il simplement.

« Nous sommes venus faire une déposition. » expliqua Camille, avec assurance.

« Je sais. » trancha-t-il sans lever les yeux de sa feuille. « A quel propos ? »

« Il y a un peu plus d’une heure, nous avons été approchés par un voyageur. » continua la jeune femme en faisant de son mieux pour ignorer ses commentaires cassants. « Un jeune homme du nom de Lucien Sandman, notamment recherché à Kazinopolis. »

Miraz ne dit rien et continua à écrire son rapport. Camille se redressa un peu sur sa chaise.

« Il a agressée mon amie, ici présente. » fit-elle en montrant Agathe qui mit un petit temps avant de se rendre compte que Lucien l’avait effectivement attaquée lorsqu’elle avait tenté de lui barrer la route. « Et il a aussi vandalisé une chambre d’hôtel. »

« Dites à l’hôtel de porter plainte pour les dommages causés. » lâcha le capitaine.

Elle lui sourit, un peu contrite par sa réaction. Il n’avait rien dit au sujet de l’agression mentionnée et ne semblait pas vouloir recevoir sa déposition ou son témoignage. Selon lui, elle n’était pas en droit de faire la moindre réclamation, même au nom d’une créature des rêves. Elle passa outre l’attitude de l’officier en se rappelant qu’il y avait plus important.


« Mais avant cela, ce voyageur nous a clairement avoué qu’il était responsable des différents fléaux qui frappent la ville. » annonça-t-elle, très sérieusement.

Cette fois, Miraz releva ses yeux vers elle et la fixa avec suspicion.


« Il vous a dit qu’il était responsable de quoi ? » interrogea-t-il sur un ton plutôt neutre.

« De tout. » insista Camille. « Il assure avoir poussé plusieurs groupes de criminels à s’installer ici dans le but de transformer la ville en royaume cauchemar. »

Miraz leva les yeux au ciel et rejeta son stylo, agacé, mais la jeune femme continua en haussant un peu la voix.

« Il dit être à l’origine de différents réseaux, que ce soit la prostitution, le vandalisme des hôtels, les assassinats et agressions diverses, les vols et d’autres encore. »

« Et vous l’avez cru ? » rétorqua le capitaine avec mépris.

Camille haussa un sourcil énervé. Pour qui la prenait-il ?


« Croyez-moi capitaine, il est responsable. » assura-t-elle avec détermination. « Il savait des choses que personne d’autre n’aurait pu savoir. »

Mais cela ne convainquit pas le chef de la police, bien au contraire.

« Il y a quelques semaines, on m’a dit que Vigorio Ellis était responsable de tous les maux du monde. » renchérit-il avec une certaine moquerie dans la voix. « Vous seriez-vous trompée mademoiselle ? »

« Il est impliqué aussi. » siffla-t-elle entre ses dents.

« Voyez-vous ça ! » s’exclama la créature des rêves avec condescendance. « Vous avez des preuves de ce que vous avancez bien sûr. »

Camille avait du mal à respirer, elle donnait l’impression qu’elle allait frapper l’homme dès qu’elle en aurait l’occasion. Agathe intervint, plus diplomatique.

« Non. » admit-elle. « Néanmoins, vous nous aviez demandés de venir signaler les crimes que nous pourrions rencontrer. »

« Les crimes, oui. » se moqua encore Miraz. « Pas les élucubrations d’un voyageur farfelu ! »

« Un voyageur qui a détruit un casino ! » prévint Camille, sortant un peu de ses gonds.

« Peut-être. » accorda le capitaine plus calme et plus sérieux. « Mais ça ne veut pas dire qu’il est responsable de tous les problèmes de la ville. Ce serait même absurde. Je vous l’ai déjà dit, je ne crois pas à la théorie du complot. Maintenant, puisque vous n’avez visiblement aucune preuve, je vous prierez de bien vouloir quitter mon bureau, j’ai à faire. »

Camille inspira à fond, prête à lui sortir une nouvelle réplique bien cinglante, mais Jacob la retint en lui touchant l’épaule, ce qui transforma sa colère en frisson face à l’étrangeté de ce contact. D’une série de regards échangés en silence, ils convinrent qu’ils avaient fait leur devoir en signalant ce qu’ils avaient vu et entendu ce soir. Les deux filles se levèrent et ils sortirent du bureau sans s’intéresser davantage que cela à Miraz, qui le leur rendit très bien. Une fois à l’extérieur du bâtiment, Camille laissa exploser sa rage.

« Ah ! » grogna-t-elle en avançant sur le trottoir. « Un jour, celui-là, je vais l’étrangler ! Quel crétin ! »

« On fait quoi maintenant ? » demanda Agathe, pour tenter de changer de sujet.

Il était inutile de ressasser le problème que posait Miraz dans cette ville.


« Je vais bientôt me réveiller. » annonça alors Noah, ce qui fit froncer les sourcils de Jacob.

« Non, je voulais dire, on essaie quand même de l’arrêter ? » reprit Agathe. « Je veux dire… On est toujours censé se contenter de nos missions respectives… Miraz pourrait… »

« J’emmerde Miraz. » envoya Camille. « Qu’il essaie de nous renvoyer. Noah et moi, on est toujours censés trouver une preuve contre le responsable des problèmes du consortium. Peu importe si c’est Lucien Sandman finalement et pas le patron de l’Ellis. On aura qu’à lui dire qu’on vous a recrutés en extra. »

Agathe retint un petit rire. Elle doutait sérieusement qu’une voyageuse de son âge puisse un jour s’offrir les services de la SDC, mais il était vrai que le capitaine n’existait que dans le monde des rêves. Il n’avait aucun moyen de vérifier si c’était vrai.

« D’accord, ça me va. » dit-elle avec un petit sourire satisfait.

Jacob hocha la tête.


« Un angle d’attaque ? » enchaîna sa plume avec un sérieux à toute épreuve.

Camille haussa les épaules.
« Malheureusement, on a l’embarras du choix. On pourrait tenter de retourner à l’Ellis, mais on a déjà essayé et c’est plutôt bouché de ce côté. Sinon, il y a les meurtres de voyageurs, les vols, les rackets, les agressions diverses, les graffitis, les marins bagarreurs… »

« Il y a les prostituées aussi. » remarqua Agathe, désireuse de participer, ce qui provoqua un petit rictus de la part de l’autre jeune femme.

« Non, on a déjà essayé. » expliqua-t-elle. « Le système est trop bien huilé, impossible de remonter à la source. »

Agathe s’étonna un peu que la remarque soit aussi catégorique. « On doit bien pouvoir les interroger les filles sur la question… On a bien réussi à tirer quelques informations sur toi en leur parlant. A mon avis, certaines pourraient être tentées de parler. Peut-être que si on les soudoyait ou… »

Mais elle n’eut pas le temps d’achever sa phrase. Sans prévenir, Camille, qui se trouvait juste à sa gauche s’était jeté sur elle, l’avait saisi par le t-shirt et l’avait violemment plaqué contre le mur d’un immeuble. L’expression de pure colère qu’elle affichait alors effraya un peu l’agoraphobe. Derrière, Noah avait fait un pas pour tenter de retenir son amie, sentant le revirement qui avait surpris les deux autres, mais trop tard.

« Ne parles pas de ce que tu ne connais pas. » ordonna la jeune femme en menaçant Agathe du doigt. « Ne parles jamais, jamais d’elles comme tu viens de le faire. Compris ? »

Agathe, ne comprenant rien à ce qui lui arrivait, hocha vigoureusement la tête. Jacob observait la scène. Il n’avait pas réagi aussi vite qu’il l’avait fait plus tôt, avec Lucien. Camille remarqua qu’il avait l’air un peu plus fatigué qu’avant. Mais il restait néanmoins prêt à intervenir si sa nouvelle alliée devenait trop violente. Des questions le taraudaient face à cette réaction, cependant, elle n’avait aucune envie d’y répondre. Elle relâcha Agathe et inspira un grand coup pour se calmer. Un flot d’émotions peu agréables remontaient en elle une fois de plus et elle devait lutter contre cet assaut.

« On décidera demain. » finit par trancher Noah. « Demain, endormez-vous en pensant à moi, j’en aurai appris davantage. Passez tous une bonne journée. »

Puis il disparut, surprenant les deux membres de la SDC, encore peu habitués au personnage. D’une expression de visage entendue, Camille confirma aux autres qu’il fallait suivre ses directives, c’était ainsi qu’ils procédaient eux-mêmes. Comprenant qu’elle était toujours tendue, Agathe avança une main vers le bras de la jeune femme et la toucha à la manière d’une amie inquiète.

« Ça va ? » demanda-t-elle, un peu anxieuse à l’idée de recevoir une nouvelle saute d’humeur.

« Non. » avoua cependant Camille avant de craquer et de plonger en pleurant dans ses bras.

Surpris par ce nouveau revirement, Jacob et Agathe tentèrent de leur mieux d’accomplir ce que seul Noah parvenait à faire jusqu’à présent. Sans parvenir à lui remonter le moral ou à savoir ce qui lui arrivait – ils n’insistèrent pas trop, comprenant que le sujet était sensible – ils réussirent seulement à la calmer assez pour qu’ils l’installent dans un petit restaurant et puissent parler d’autre chose. Ils s’échangèrent les informations qu’ils avaient obtenues au cours de leurs enquêtes respectives. Comprenant les difficultés que Camille et Noah avaient eues, Agathe commença à comprendre à quelle tâche colossale ils s’attelaient peut-être. Il restait bien des pistes à explorer, mais elles semblaient toutes plus ténues les unes que les autres. Et face à l’expression désemparée de celle qui avait paru jusqu’à lors la plus sure d’entre eux tous, et celle terrassée par la fatigue de l’intouchable, l’agoraphobe se dit que cette nuit n’était vraiment bonne pour personne.

Elle espérait franchement que les suivantes seraient meilleures.




OFFICIER
LUCAR

Personnage

Roses et Rouges - Page 2 542961Lucar

    Age : 29 ans.
    Ville : Resting City (Dreamland).
    Activité : Second des forces de police de la ville.
    Dreamland : Créature des rêves loyale et droite.
    Objet magique : Aucun.
    Aime : Sa fonction, la justice, Resting City, ses camarades, son capitaine, le Dream’s Palace.
    Déteste : Les criminels, les comportements violents ou ignobles, les voitures aux vitres teintées, la frustration.
    Surnom : Le Second.

    Le saviez-vous ?
    Lucar est un excellent officier, il manque juste d’initiative.


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Jacob Hume
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MessageSujet: Re: Roses et Rouges Roses et Rouges - Page 2 EmptySam 22 Nov 2014 - 0:12
3/ Le prédateur.

Agathe apparut dans un soupir. Elle avait eu une journée des plus éprouvantes et après la nuit qui l’avait précédée, elle se sentait quelque peu abattue par tout cela. Elle avait la terrible impression qu’elle serait incapable de se détendre et de se reposer avant un long moment et elle en était que plus amère encore. De fait, sa mère ne l’avait pas simplement prise au mot comme elle s’y était attendue. Et plutôt que de la laisser aller vagabonder en ville en croyant qu’elle déposerait des CVs, elle avait pris une demi-journée pour l’accompagner, empêchant du même coup sa fille de retrouver ses amies, comme elle l’avait prévu en réalité. Cette frustration, doublée d’une lente journée occupée à une activité peu appréciée, infructueuse et harassante en compagnie d’une personne un peu trop respectable pour ne pas la gronder face à son manque d’enthousiasme, avait fini de l’achever. Même l’argument sur le fait qu’elle préférait se débrouiller par elle-même n’avait pas ému sa mère, qui avait rétorquée que lorsqu’on lui faisait confiance, elle ne faisait rien. Ses pensées avaient été ailleurs, elle n’avait fait bonne impression devant aucun employeur et son encadrante attitrée l’avait sermonnée.

« Avec tout le mal que je me donne pour que tu trouves un travail, tu pourrais au moins faire un effort. » avait-elle invoqué avec une certaine cruauté.

Qu’on essaie de la faire culpabiliser parce qu’on la forçait à faire quelque chose qu’elle ne voulait pas et qu’elle y allait en freinant des quatre fers représentait une injustice trop grande pour elle. Elle avait bien failli rétorquer qu’elle avait déjà un travail, que celui-ci la préoccupait déjà assez en ce moment pour qu’elle s’encombre d’un second. Elle avait même souhaité que son séjour chez sa mère soit écourté. Même si son père était aussi obsédé par l’idée de combattre son oisiveté naturelle, ses méthodes étaient moins cruelles. Faute de mieux, elle s’était fermée sur elle-même en attendant que la tempête passe, en attendant de pouvoir aller se réfugier dans sa chambre et de pouvoir se reposer. Hélas, lorsqu’elle arriva à Dreamland cette nuit-là et se rappela qu’elle s’était engagée pour empêcher un voyageur à moitié fou de condamner un royaume entier au cauchemar, elle sut qu’elle n’aurait aucun répit. Elle avait beau trouver les actes de Lucien plus que répréhensibles, elle ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle n’avait pas envie de s’y mettre. Elle aurait tellement préféré passer sa nuit à décompresser.

Parfois, Dreamland était un monde impitoyable pour les voyageurs, songea-t-elle, il ne cherchait pas à prendre en compte s’ils étaient en état de subir ses revers et n’attendait pas que leurs journées soient agréables pour les frapper. Elle fit néanmoins de son mieux pour ne pas trop freiner le groupe. Connaissant Jacob, il continuerait la mission avec un sérieux à toute épreuve, quelle que soit la teneur de ses phases d’éveil.

Elle se trouvait au centre d’une agréable petite cour pavée où trônait une fontaine dont les jets dansaient sous les lumières de la ville. Des statues des plus élégantes, taillées à la mode versaillaise, encadraient les alentours, tandis qu’un petit et agréable jardin entourait l’ensemble. Pourtant, elle sut qu’elle était proche du boulevard central. Un peu après la végétation symétrique qu’on lui proposait, il y avait effectivement l’imposante voie où circulaient de nombreux véhicules motorisés et une foule de passants. Une berline noire pénétra d’ailleurs dans le jardin par ce qui lui avait paru être un simple chemin avant de glisser jusqu’au bâtiment le plus proche. Elle se rendit compte que le chemin était une extension de la route bétonnée dont l’objet était de permettre aux voitures de déposer les clients devant la porte d’entrée d’un palace.

Le Dream’s Palace était un bâtiment qui semblait avoir été construit pendant la période classique européenne, comme un château de monarque. Pourtant, les lettres de son nom s’étalaient sur sa façade avec une modernité impressionnante. Tout ce qu’elle vit en observant l’hôtel avec ses yeux inexperts fut le luxe puissant qui en émanait. Elle n’aurait pas été surprise si on lui avait dit que seules les stars les plus huppées s’arrêtaient ici, ou qu’on y donnait les plus belles soirées diplomatiques et que les chefs d’Etat étrangers y descendaient en réservant le bâtiment entier à chaque fois. Elle imaginait déjà les moquettes rouges et les poignées en or des portes des chambres. Un instant, son esprit osa vagabonder vers l’idée de passer une soirée hors du commun à profiter des services de l’établissement.


« Oh ! » fit la voix de Camille en la tirant de sa rêverie. « Agathe ! »

La jeune femme, interpelée, tourna les yeux vers l’origine de la voix et trouva le reste du groupe déjà présent, à l’attendre. Ils étaient assis sur un banc, près de la fontaine et avaient apparemment discuté des plans à venir pour la soirée. Agathe ne s’en formalisa pas, bien au contraire, elle préférait suivre leurs directives ce soir que de trop s’impliquer.

Camille en revanche, vint la chercher avec un enthousiasme débordant. Elle portait toujours ses converses noires, mais elle revêtait cette fois une tenue bien plus féminine. Elle arborait une robe de danseuse unie et blanche, faite d’un tissu léger, très serrée sur le haut du corps, couvrant sa gorge en dévoilant ses bras et son dos, avec une jupe évasée, dont les plis semblaient toujours retomber à la perfection, et qui l’habillait jusqu’aux tibias. Le chignon complexe qui attachait ses cheveux faisait ressortir son visage de façon inattendue et le rouge de ses lèvres amplifiait le sourire qu’elle lui lançait. Charmée, Agathe y répondit.

Elle-même était dans un apparat beaucoup plus simple qu’à l’accoutumée, peut-être pour laisser transparaître son manque de volonté. Ses chaussures n’étaient que des ballerines noires ordinaires, à peine rehaussées par un talon, sa jupe blanche estivale s’arrêtait peu avant ses genoux et son haut noir à manches courtes avait pour seul intérêt le décolleté un peu osé qu’il offrait. Ses cheveux étaient déjà tressés à son arrivée. Elle regretta de ne pas paraître aussi belle que sa nouvelle partenaire à cet instant, mais elle ne se doutait pas que l’énergie et le sourire de Camille étaient pour beaucoup dans le charme qu’elle dégageait.

Les deux femmes se rejoignirent et, montrant une chaleur particulière pour quelqu’un rencontré la veille, Camille la prit dans ses bras pour la saluer. Marque d’affection qu’elle ne réservait même pas à Noah. Agathe ri de bon cœur en recevant cet honneur. Elle n’en était pas moins troublée par ce personnage étrange qui l’accompagnait. La veille, peut-être sous le coup de la colère ou d’autre chose, cette même jeune femme avait fondu en larme et avait plongé dans une tristesse qui avait semblé infinie. Après une journée d’absence, elle se montrait aussi rayonnante et fraîche qu’un printemps généreux. Elle se demanda si sa personnalité était seulement quelque peu lunatique ou si elle était atteinte, quelque part, d’un bipolarisme quelconque.

Camille la relâcha et lui fit face en reprenant un peu de sérieux, les hommes s’étaient levés pour les rejoindre, mais elle ne lui laissa pas le temps de les saluer proprement.


« Nous avons du nouveau. » annonça la fille aux cheveux clairs. « Noah a trouvé quelque chose qui pourrait nous aider. »

Agathe ne dit rien, elle lut dans les yeux de sa partenaire qu’elle était confiante dans ce que pouvait leur apporter ce nouvel élément. Peut-être enfin une bonne nouvelle qui leur permettrait de régler rapidement le cas de Lucien. Mais elle préféra ne pas se montrer trop optimiste. Quelque chose lui disait, dans le ton employé par la jeune femme, que ce n’était pas autant une bonne nouvelle qu’il y paraissait.

« Un autre voyageur a été tué. » confirma douloureusement Camille.

Agathe ne comprit pas tout de suite en quoi cela pouvait être une bonne nouvelle. Elle fut plutôt atterrée qu’ils ne soient pas parvenus à empêcher ce nouveau malheur d’une manière ou d’une autre. Mais la fille aux converses noires lui expliqua leur intérêt dans l’affaire, sans trop lui laisser le temps d’encaisser correctement l’information.


« Nous en avons discuté avant que tu arrives. » dit-elle en s’écartant un peu pour inclure les deux autres hommes dans le cercle de leur conversation, quand bien-même restaient-ils usuellement silencieux. « Nous sommes convaincus que Sandman est directement responsable de ces crimes. Soit qu’il élimine des voyageurs qui le voient agir, soit qu’il essaie de fragiliser les défenses de la ville contre les autres problèmes qu’il crée, peu importe. Ce qui nous intéresse, c’est qu’il les tue très probablement lui-même. Il a la réputation de ne pas hésiter à éliminer ceux qui le gênent. Le crime est frais de quelques heures, à peine. On a des chances de trouver une preuve contre lui. Ce n’est peut-être pas son plus haut fait d’arme, mais cela suffirait à Miraz pour décider au moins de l’expulser de façon permanente de la ville : les hôtels eux-mêmes l’exigeraient tous. »

Agathe hocha la tête en signe de compréhension. Même si le sort du voyageur demeurait tragique, en enquêtant sur celui-ci, ils avaient toutes les chances d’inculper Lucien de ce meurtre et des précédents. Elle avait effectivement souvenir que le chef de la police de Resting City considérait ces crimes comme suffisamment graves pour s’en inquiéter au moins un peu, malgré son aversion pour les voyageurs et son manque d’intérêt pour le sort qui était le leur. Il pouvait peut-être justifier l’absence d’enquête de la part de ses hommes pour faire face à des problèmes plus importants à ses yeux, mais avec des preuves entre les mains, il serait contraint de prendre des mesures et ne pourrait plus ignorer l’affaire.

« C’est une bonne idée. » conclut donc Agathe avant de demander des précisions sur le crime en question.

Le voyageur qui avait été brutalement éliminé était l’un des employés du Dancing Club, l’hôtel transformé en boîte de nuit où Jacob avait provoqué l’étrange groupe de voyageurs qui l’avait si aisément défait. Néanmoins, cette fois, l’agression n’avait rien à voir avec cette équipe. Tout d’abord, celle-ci n’avait pas été vue dans le bar depuis la nuit de l’altercation, se rabattant vers d’autres lieux, moins fameux et résidant au Granica selon les dernières nouvelles que Noah avait obtenues. Ensuite, le crime avait eu lieu en secret, comme pour toutes les précédentes victimes. L’employé de l’hôtel avait été attiré sur le parking du bâtiment par un témoignage et n’en était jamais revenu. Quand on était allé s’inquiéter de son absence, on avait retrouvé son talkie-walkie – artefact prêté par l’hôtel – et des traces de sang. La conclusion avait été évidente.

Mieux, la méthode semblait correspondre aux autres crimes commis par le meurtrier. De ce qu’ils en savaient, toutes les victimes étaient des employés des différents hôtels de la ville et étaient toujours agressées dans des lieux isolés, sur le terrain des établissements dans lesquels ils travaillaient. On essayait bien de mener quelques enquêtes sur ces attaques, mais cela n’allait jamais bien loin. Le seul véritable mandat lancé sur le sujet avait été celui de Camille et Noah, pourtant ceux-ci avaient préféré se concentrer sur d’autres crimes, apparemment moins dangereux pour leur enquête. A présent qu’ils n’avaient plus le souci de se cacher de qui que ce soit et qu’ils disposaient de deux nouveaux partenaires pour assurer leur protection en cas de besoin, il était temps qu’ils s’en préoccupent.

Pour commencer, il fallait qu’ils accumulent un maximum d’informations sur le meurtre en question et sur les précédents, afin d’établir des liens et de fonder leurs hypothèses. Ils espéraient que cela les amènerait à trouver un élément incriminant le voyageur au marteau ou leur donnerait au moins un angle d’attaque pour en débusquer un. Il fut donc décidé de se séparer à nouveau en deux groupes. Camille et Agathe iraient interroger le personnel des hôtels qui avaient subi les précédentes attaques, tandis que les deux hommes iraient inspecter le Dancing Club et ses environs, avec l’espoir de trouver une piste à suivre. L’agoraphobe confia son micro à Noah, afin qu’il puisse les contacter en cas de besoin et dans l’éventualité où il aurait besoin de parler avec Jacob.

Bientôt, les deux jeunes femmes se retrouvèrent seules et, toujours aussi enthousiaste à l’idée de résoudre cette enquête au plus vite, Camille prit sa comparse par le bras et la mena d’un pas décidé vers l’entrée du Dream’s Palace, où avait eu lieu l’avant dernier meurtre. Aussitôt, en les voyant arriver, l’une dans une robe de danseuse qui ne manquait pas de classe, mais d’une simplicité cruelle, et l’autre dans un apparat tout aussi commun, les portiers les jugèrent immédiatement comme des intruses. On lut sans problème le mépris sur leurs visages, impassibles devant la beauté du duo de voyageuses. Elles se présentèrent à l’accueil et expliquèrent au responsable qu’elles trouvèrent ce qu’elles faisaient ici et ce dont elles avaient besoin. Il leur demanda de patienter un peu plus loin avant de s’emparer du téléphone pour parler avec son supérieur.

Camille s’inquiéta un peu, alors qu’elles attendaient silencieusement dans l’immense hall luxueux du palace, de la réaction du gérant de l’hôtel face à sa demande. Le Dream’s Palace ne faisait pas partie du consortium qui l’avait engagée. C’était l’un des principaux établissements de la ville, il se trouvait dans un autre quartier que l’hôtel Ellis et le Mille et Une Nuit. Bien qu’il ait lui-même subit une bonne partie des fléaux qui touchaient ses employeurs, elle savait qu’ils avaient refusé de participer à l’alliance par fierté. Pour une entreprise aussi importante que la leur, une telle alliance aurait fait mauvaise presse.

Et pourtant, lorsque l’employé revint vers elles, il leur confirma que le chef de la sécurité allait les recevoir et leur demanda de l’attendre. Très rapidement, un voyageur replet d’une cinquantaine d’année, qui transpirait l’homme responsable et expérimenté dans son uniforme rouge, vint les trouver. Camille sourit poliment en le voyant arriver. Avec sa couronne de cheveux grisonnants et à la façon dont il tendit la main pour les saluer, il leur fit penser à un homme politique en campagne. Très charmant, il les invita à le suivre jusqu’à son bureau, où ils pourraient parler plus tranquillement. Quelques instants plus tard, elles s’asseyaient toutes deux autour d’une petite table et Camille repassa délicatement les plis de sa robe pour éviter qu’elle se froisse, puis elle croisa les jambes, dévoilant en partie ses mollets nus, ce qui attira brièvement l’attention de leur hôte et provoqua un petit sourire.

Parfaite dans son rôle d’aguicheuse subtile, elle lui rendit un sourire flattée. Ce qui le poussa immédiatement à se montrer beaucoup plus aimable et ouvert avec elles. Agathe observait l’échange en silence, consciente de la façon dont sa camarade usait de son corps pour attendrir ceux qu’elle interrogeait.


« On m’a dit que vous enquêtiez sur la mort de Fabricio. » entama le responsable de la sécurité du Dream’s Palace.

« Pas directement, mais ce n’est pas faux. » dit Camille en utilisant un ton sensiblement différent de celui qui lui était naturel, à la fois intéressé et intéressant, qui laissait croire qu’elle était parfaitement satisfaite par la conversation. « Comme vous le savez sûrement, il y a eu une nouvelle attaque, au Dancing Club. C’est sur celui-ci que nous enquêtons. Néanmoins, pour accomplir notre mission, nous devons nous intéresser aux précédentes, ne serait-ce que pour établir des connexions entre les meurtres. »

« Naturellement. » admit l’homme, qui semblait apprécier le langage soutenu qu’employait son interlocutrice.

L’avait-elle à ce point cerné ? Agathe préféra ne pas intervenir, admirative face aux méthodes déloyales de sa partenaire, qui jouaient si bien avec les préférences des autres. Il aurait pu être très méfiant envers elles, se demander si elles n’étaient pas envoyées par des concurrents pour rassembler des informations compromettantes contre ses employeurs, si elles ne l’interrogeaient pas pour trouver une faille dans son système de sécurité afin de pouvoir voler les biens de l’hôtel. Après tout, avec tous les problèmes que connaissait la ville, elles auraient très bien pu travailler pour des criminels, peut-être même pour Lucien. Pourtant, il était déjà sous le charme de Camille et buvait son histoire sans même chercher à en contester la logique.


« Que voulez-vous savoir ? » ajouta-t-il avec un petit geste de la main pour l’inviter à parler.

« Tout d’abord, si vous pouviez nous parler des circonstances du meurtre. » enchaîna Camille, toujours sur le même ton agréable, mais avec une pointe de sérieux en plus.

« Eh bien… » souffla le responsable en grattant le chauve de son crâne. « Je n’étais pas là personnellement, bien sûr, c’est arrivé au parking, dans le sous-sol du bâtiment. On avait signalé un intrus dans la zone. Elle est interdite à ceux qui ne sont pas employés ici. Cela peut arriver de temps à autre que quelqu’un s’égare. Il suffit alors qu’on envoie un agent escorter la personne jusqu’aux zones autorisées et tout se passe bien. Cette fois-là, c’est Fabricio que nous avons envoyé. Hélas, il n’est jamais remonté. Nous nous sommes inquiétés, bien sûr, et nous sommes descendus, voir s’il n’avait pas d’ennuis. Mais, il n’était déjà plus là, son corps avait disparu. Sur l’un des poteaux qui soutient la structure, il y avait une large trace de sang et une petite flaque à un endroit, ainsi que d’autres traces sur le sol, comme si on avait voulu cacher le corps derrière une voiture noire. Nous avons compris qu’il avait été tué. »

Il poussa un long soupir.

« Vous savez, Fabricio était vraiment un bon élément. » digressa-t-il sans que Camille ne cherche à l’interrompre. « Il connaissait bien son travail et il était heureux avec nous, ça se voyait. Tout le monde ici l’aimait bien. Je ne vois pas qui aurait pu lui en vouloir au point de le tuer. Oh, bien sûr, on est tous obligés, à un moment ou à un autre, d’expulser un visiteur qui trouble nos clients. Mais il savait le faire avec tact et personne n’a jamais eu d’ennui de ce côté-là… »

Il avait l’air terriblement chagriné par cette perte et baissait à présent les yeux pour repenser à l’homme qu’il avait perdu, perdant de vue Camille et son aura captivante.

« Ça doit être dur pour vous. » osa commenter Agathe, compatissante.

Il releva les yeux et lui lança un petit sourire amical.
« Le plus dur, c’est qu’il ne rêve plus d’hôtels luxueux, comme avant. »

« Et l’intrus ? » demanda Camille, sans la moindre brusquerie. « J’ai vu que vous possédiez plusieurs caméra de sécurité, l’une d’elles l’a-t-elle identifié ? »

« Non, malheureusement. » reconnu à contre-cœur le chef de la sécurité. « Une simple faille dans notre système que nous avons corrigé immédiatement, il n’y avait pas de caméra dans le parking ou à l’entrée des véhicules. Il y en avait simplement au niveau du passage qui mène au parking. Je pense que le meurtrier est entré en profitant du passage d’un véhicule et est ressorti de la même manière. Nous avons placé une caméra de ce côté maintenant, mais c’est un peu tard en réalité. »

Camille resta silencieuse un court instant, réfléchissant à tout ce qu’elle venait d’apprendre. Le meurtrier, qui qu’il soit, devait bien connaître la ville et son mode de fonctionnement. Il devait aussi avoir étudié le Dream’s Palace avant d’attaquer. Il avait fallu s’assurer de l’absence de caméra, de la possibilité d’entrée, mais aussi du fait qu’on envoyait qu’un seul voyageur pour ce genre de situations. Tout cela respirait laissait entendre que le crime avait été prémédité et soigneusement calculé. Peut-être même s’était-on assuré que Fabricio, ce voyageur particulier, serait la victime. Ce genre de coup demandait du temps, de l’observation, des essais.

Elle enchaîna immédiatement en demandant s’il ne s’était pas passé quelques phénomènes étranges les nuits précédentes. Hélas, l’homme avoua qu’il ne se souvenait pas si cela avait été le cas. Le criminel était extrêmement doué ou très prudent, ou peut-être simplement incroyablement chanceux. Et les clients de l’hôtel étaient assez nombreux pour qu’on ne puisse vraiment établir de liste des personnalités suspectes. D’autant que certains se contentaient de profiter du restaurant et n’entraient donc dans aucun registre. Il promit cependant d’étudier les enregistrements des jours précédents si jamais il voyait quelqu’un correspondant au signalement de Lucien s’y glisser régulièrement.

Elle s’apprêtait à le remercier, lorsqu’il voulut ajouter une dernière chose :


« Ah, j’oubliais ! » l’interrompit-il, presque gêné par son manque. « Sur les lieux, nous n’avons pas retrouvé que du sang. Il y avait aussi, bien évidemment l’uniforme de Fabricio, qui avait été déchiqueté, son talkie-walkie, mais aussi… »

Il fouilla un instant dans le tiroir d’une commode proche et en tira un petit briquet.

« Ceci. » conclut-il en donnant l’objet à Camille qui le prit avec un intérêt non feint. « Je ne sais pas vraiment quoi en penser à vrai dire… »

Elle observa le petit élément et haussa immédiatement les sourcils de stupéfaction. Ce briquet avait été donné ou vendu par un hôtel qu’elle connaissait bien, l’Ellis. Le nom de celui-ci y était inscrit, ainsi qu’une petite image de l’établissement en question. Agathe analysa cette découverte avec autant d’intérêt que sa voisine. Elles échangèrent un regard. Les yeux de Camille semblaient luire d’une lueur victorieuse et ceux de l’agoraphobe étaient plutôt inquiets.

« Rassurez-vous, nous savons quoi en penser. » sourit alors Camille avec gratitude. « Merci pour votre temps, nous avons ce qu’il nous faut. En cas de besoin, nous reviendrons vers vous. »

« Ce sera avec plaisir. »

Puis, les deux femmes prirent congé et se retrouvèrent dans la rue, pour échanger rapidement leurs points-de-vue. Elles se mirent toutes deux d’accord pour conclure que ce meurtre avait été prémédité, qu’on avait volontairement exploité les failles du système pour tuer. Ces informations n’étaient pas suffisantes pour inculper Lucien. Même s’il apparaissait sur les vidéos de surveillance, on ne le verrait pas commettre de crime. Quant à la présence du briquet, elle était plus que suspecte. Encore une fois, cela ne prouvait rien, mais cela pourrait servir à compléter un dossier le moment venu. Faire tomber Lucien et l’employeur de Ben d’un seul et même coup ne déplairait pas le moins du monde à Camille. Elle avait fortement soupçonné un lien entre les deux jusqu’à cet instant, elle en était certaine à présent.

En attendant, elles devaient poursuivre l’enquête ailleurs. Le meurtre qui avait précédé celui-ci s’était déroulé au cœur du quartier qui les intéressait, dans un petit hôtel, le Rires Bonsoir, un endroit terriblement joyeux où les employés faisaient des calembours dans toutes leurs phrases et où des humoristes oniriques assuraient souvent de petits spectacles pour les clients du restaurant. Ce meurtre avait cependant mit un terme à la bonne ambiance de l’établissement qui sombrait de plus en plus dans un humour noir et cynique. De fait, le voyageur tué était le seul qu’ils avaient jamais pu engager pour lutter contre les problèmes récurrents du quartier. Déjà en difficulté financièrement, ils n’avaient pu chercher à en recruter un autre. Ce dernier était davantage resté par fidélité que pour la misère de salaire qu’on lui avait donné.

L’interrogatoire ne dura pas longtemps, non seulement parce qu’il n’y avait pas grand-chose à dire, mais aussi parce que la tendance du personnel à les assommer de blagues cinglantes et méprisantes les agacèrent assez rapidement. Elles purent cependant apprendre, en autres mensonges accusant une peau de banane de mauvais goût, qu’une fois de plus les habitudes du voyageur avaient été observées. La situation avait été plus simple, puisqu’il n’y avait pas de caméras pour surveiller les locaux. Néanmoins, on avait tout de même attiré la victime dans un lieu isolé et sombre, où lui seul se rendait lorsque c’était nécessaire : le toit. Personne n’avait vu le tueur, mais tout le monde avait vu le voyageur s’écraser sur le trottoir – une chute moyennement drôle selon les intéressés –, déjà bien abimé avant même qu’il ne soit lancé. Il avait disparu l’instant d’après. Aucun autre indice particulier n’avait été retrouvé.

Cette fois, l’intérêt du meurtre pour plonger la ville dans un cauchemar semblait plus évident. L’hôtel paraissait n’avoir tenu tête aux différents problèmes que grâce à la présence de ce voyageur. Le tuer avait condamné ses employeurs aussi sûrement que de leur voler le reste de leurs économies.

Elles poussèrent donc jusqu’à un troisième hôtel, le « Vingt-troisième ». C’était une entreprise futuriste, dont toutes les chambres offraient un confort qui n’existait pas encore sur terre et très inspiré des diverses œuvres d’anticipation, ainsi que des décors des films du genre. Blanc immaculé, avec des portes coulissantes et des tenues disparates grises argentées, on y souriait encore sans craindre l’air du temps. A la seule entrée disponible, deux voyageuses robustes montaient effectivement la garde en permanence. C’était l’un des plus importants établissements du quartier et il tenait à le rester. Membre du consortium qui employait Camille, on leur répondit sans le moindre détour. Un superviseur, une créature des rêves humanoïde, les reçut immédiatement dans un bureau où les chaises flottaient inutilement dans l’air et où une grande table de verre parfaitement vide faisait office de support de travail. Il s’agissait en réalité d’un superbe ordinateur qui gérait tous les systèmes de l’hôtel, comme elles l’apprirent immédiatement.

Cette fois-ci, les charmes de Camille étaient inutiles, on savait parfaitement ce qu’elles faisaient ici et on était ravi qu’elles s’en préoccupent.


« Comment les choses se sont-elles produites ? » demanda Camille au superviseur.

« L’incident a eu lieu au moment même où un client causait quelques difficulté dans une chambre. » expliqua alors l’interrogé d’une voix sèche et efficace, robotique ? « Comme cela arrive de temps en temps, l’intervention de la sécurité est alors nécessaire pour éviter toute effusion de violence. Néanmoins, cela a pour défaut de laisser un seul voyageur à l’entrée du bâtiment. »

« Une faille systémique irréversible, superviseur Lumano. » tonna alors une voix féminine désincarnée.

Le visage d’une femme apparut au-dessus de la table dans une série de pixels holographiques.


« Tout à fait, AVIA. » confirma Lumano, sur le même ton. « Néanmoins, nos voyageurs ont des consignes particulières à respecter dans ces conditions, afin d’éviter d’autres problèmes. »

« De meilleures consignes ont été données en fonction des nouvelles informations récupérées lors de l’incident. » expliqua alors AVIA.

Amusée par l’idée d’avoir à faire à une intelligence artificielle, Camille poursuivit :


« Quelles étaient les consignes ? »

« Ne quitter son poste sous aucun prétexte. Ne laisser entrer personne de suspect. Attendre le retour de l’autre voyageur pour faire usage de violence. Fermer complètement le passage en cas de nécessité. » énonça Lumano avec une précision à tout épreuve.

La jeune femme eut cependant du mal à voir en quoi ces consignes auraient permis à leur tueur de procéder au meurtre. En tout instant, le voyageur aurait été devant la porte et aurait même pu s’enfermer en cas de danger.


« Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ? » demanda-t-elle.

« L’élément humain. » trancha AVIA, soutenue par un hochement de tête de Lumano.

« Victor Kern, la victime, n’était pas assez discipliné. » ajouta ce dernier. « Il a désobéit et en a résulté sa mort. »

« Comment ? » s’enquit Agathe, qui semblait assez intriguée pour sortir de sa torpeur.

« Il a vu une prostituée s’installer devant la ruelle qui sépare notre établissement du voisin. » expliqua le superviseur, toujours aussi sec dans ses discours. « Son mandat prévoit effectivement de les chasser, puisque le trottoir et la ruelle en question sont sous notre responsabilité. Néanmoins, il devait attendre le retour de sa collègue avant d’agir. Il ne l’a pas fait. Il a essayé de l’interpeler et elle s’est réfugiée dans la ruelle. De ce qu’on en sait, il l’a effectivement chassée. Puis, il a commencé à revenir avant d’être attiré par quelque chose d’autre. Il est sorti du champ des caméras de sécurité et n’est jamais revenu à son poste. Ce n’était pas la première fois qu’il quittait ainsi son poste, il y était cependant toujours retourné auparavant. »

Aussitôt, les méninges de Camille se mirent en quête de solution, cet élément était nouveau. Même s’il ajoutait à la thèse de la préméditation, il en incluait un autre : la probable complicité de la prostituée. La première clé d’un lien entre les différentes affaires que Lucien revendiquaient. Plus encore, un témoin possible, à la condition que celui-ci accepte de parler. Restait cependant à écarter les premières évidences qui pouvaient rendre cette prochaine rencontre inutile.

« Existe-t-il un enregistrement d’entrée suspecte dans la ruelle ? » interrogea-t-elle.

« Absolument aucune. » indiqua froidement l’intelligence artificielle. « L’entrée est surveillée par nos caméras. Aucun autre passage dans cette direction n’a été enregistré. Il n’y a pas d’angle mort. Les caméras ne surveillent cependant pas la ruelle elle-même. »

« Existe-t-il une autre voie d’entrée que celle qui donne sur vos caméra ? » tenta Agathe, qui commençait à comprendre à quoi pensait son amie.

« Oui. » admit AVIA. « On peut y pénétrer par la fenêtre des toilettes de l’hôtel voisin. Elle est ordinairement protégée par des barreaux, mais ceux-ci ont été arrachés. »

« Avez-vous trouvé quoi que ce soit sur les lieux du crime ? » renchérit Camille en se redressant un peu sur sa chaise volante.

« Oui, hormis les traces de sang et le communicateur, on a trouvé une capsule d’Essence de Vie vide, qui a été jeté parmi nos ordures. » informa Lumano. « Nos rapports précis sur l’état de nos déchets n’ont pas mentionné qu’on s’était débarrassé d’un tel objet. Il s’est avéré que la capsule appartenait à la précédente victime du tueur. »

Camille haussa un sourcil intéressé. « Avez-vous mené une enquête plus approfondie sur la question ? »

« Non. » dit le superviseur, sans se départir de sa neutralité professionnelle. « C’est la faille systémique que nous avons évoqué un peu plus tôt. Nos revenus ne nous permettent pas d’engager d’enquêteur professionnel supplémentaire, sans quoi nous aurions disposé d’un troisième voyageur. C’est pourquoi nous avons rejoint le consortium, pour que vous enquêtiez sur la question. Nous avons bien trouvé des empreintes sur la capsule, mais elles ne correspondaient à aucune donnée connue, nous n’avons pu l’exploiter. »

« Bien. » concéda la jeune femme. « Et disposez-vous d’une image de cette prostituée ? »

« Bien sûr. »

Aussitôt, une photographie très nette d’une jeune créature des rêves aux attributs féminins très développés apparu alors au-dessus de la table futuriste. Agathe la reconnu aussitôt, elle l’avait interrogée quelques nuits plus tôt dans l’espoir de retrouver Camille. Elle en fit part à sa camarade, qui haussa un sourcil désapprobateur à l’idée qu’on ait pu la prendre pour une prostituée, mais ne fit pas plus de commentaire. L’enquête avançait et ils avaient une piste solide à suivre, peut-être même une preuve à la clé. Si la complicité de la jeune femme était avérée, alors ils auraient probablement au moins, un angle d’attaque pour la prochaine manœuvre.

Chargée d’une mauvaise réputation auprès des filles de joie de la ville, Camille dû laisser Agathe aller seule interroger leur témoin ou complice, qu’elles avaient trouvé sans mal, là où l’agoraphobe l’avait croisée la dernière fois. Cette fois, en entendant les questions, l’interrogée se méfia beaucoup plus et commença par refuser de répondre et faillit bien en appeler à ses camarades pour chasser l’importune lorsque. Saisie d’un élan intuitif, Agathe s’était montré bien plus sure d’elle-même qu’elle ne l’avait été jusqu’à présent. Elle avait menacé de l’accuser du meurtre si elle ne lui avouait pas tout, elle avait des preuves plutôt incriminantes contre elle.

En entendant le mot meurtre, la prostituée délia sa langue, choquée par les résultats de sa petite intervention. Elle assura qu’elle n’était pas au courant et qu’elle n’aurait jamais accepté de rendre ce service si elle avait su ce qu’on cherchait à faire. Elle avait simplement pensé que son client voulait entrer dans l’hôtel sans être vu. Elle raconta donc avoir été abordée par un homme, qui lui avait demandé de rester un temps non loin du Vingt-Troisième en échange d’une quantité alléchante d’EVs. Le principe de sa mission était simple, dès qu’elle verrait que la victime serait laissée seule à l’entrée, elle devait commencer à racoler, puis à se diriger vers la ruelle lorsqu’on tenterait de la chasser. C’était assez facile et cela payait bien, elle avait attendu seulement deux nuits avant que l’occasion se présente et était repartie sans demander son reste, grassement payée à l’avance.

Agathe enchaina immédiatement sur d’autres questions, à quoi ressemblait cet homme ? C’était un voyageur, oui. Néanmoins, lorsque la jeune femme se montra quelque peu précipitée et présenta l’affichette d’avis de recherche de Lucien Sandman qui leur servait à l’identifier – récupérée par Noah un peu plus tôt – l’autre s’esclaffa.


« Ah non, c’était pas lui. » assura-t-elle en riant. « Lui, c’est… un autre cas. Non, non, l’autre était plus grand, plus costaud. Il avait des cicatrices et un visage beaucoup plus carré. C’était un morpheur. Un morpheur léopard, avec un long imper noir. »

La révélation frappa à ce point Agathe qu’elle n’eut pas l’intelligence de lui demander où est-ce qu’elle avait déjà croisé Lucien. Naturellement, elle connaissait le voyageur qui répondait à la description qu’on venait de faire. Il ne s’agissait effectivement pas de leur ennemi, mais de Dave. L’homme qui leur avait parlé le premier du duo que composaient Noah et Camille, celui qui avait été agressé par l’équipe que Jacob avait combattu ensuite. Celui qu’elle avait aidé à marcher alors qu’il était mal en point pour suivre l’intouchable dans sa démarche de justicier avortée. Il avait disparu dès que la police était apparue. Et où avait eu lieu cet incident ? Sur le parking même du Dancing Club, là où la toute dernière victime venait d’être tuée. Il n’y avait pas à chercher plus loin, elles avaient trouvé la solution de l’énigme. Peut-être davantage par chance qu’autre chose.

Agathe remercia la prostituée et lui promit qu’elle resterait en dehors de tout cela avant de rejoindre Camille, encore plus abattue qu’avant. Elle se sentit presque trahie par cet homme qu’elle avait aidé dans un moment de détresse. Pire, ils n’avaient pas trouvé la preuve qu’ils cherchaient, simplement le nom de l’un des nombreux criminels de la cité. Elle annonça sa découverte à son acolyte qui jura et frappa le vide pour se défouler.


« Ah ! » ragea-t-elle. « Je déteste ces mecs ! Encore une piste qui s’arrête ! Fais chier ! »

« Tout de même… » tenta de tempérer Agathe, sans conviction. « On a trouvé le coupable… »

Camille rejeta l’idée d’un mouvement de tête déçue.

« Non, ce n’est qu’un intermédiaire de plus. » remarqua-t-elle. « On pourrait l’arrêter, c’est sûr mais ça ne nous amènerai pas à Sandman. Il va falloir trouver autre chose. Encore… »

Elle sembla regarder le vide pendant un moment et la jeune femme brune partagea sa déception quelques instants silencieux. Puis, les yeux de la femme aux lèvres rouges se plissèrent et un sourire malicieux apparut sur son visage. Une intuition venait de la traverser et elle fit signe à sa comparse de rester en arrière. Elle se mit à traverser la rue et alla interpeler un trio de marins qui arpentait le trottoir d’en face. A cet instant, elle était à nouveau la séductrice implacable, l’attitude qui constituait sa principale force en ce monde.

La voix de Noah résonna alors dans l’esprit d’Agathe.


« On a fini. » disait-il sobrement. « Rejoignez-nous à l’hôtel du Voyageur. »



TORRETOWN
DAVE

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Roses et Rouges - Page 2 942972Dave

    Age : 33 ans.
    Ville : Liverpool (Royaume-Uni).
    Activité : Coach Sportif.
    Dreamland : Morpheur léopard, voyageur killer méconnu et très puissant.
    Objet magique : Aucun.
    Aime : La chasse, sa supériorité physique, les défis, le sport, prendre une vie, la musique des années 80, les manteaux sombres et les lunettes de soleil.
    Déteste : Les fainéants, les perdants, les pleurnicheurs, les forces de l’ordre.
    Surnom : Aucun.

    Le saviez-vous ?
    Dave a été marié six mois à une voyageuse.


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Jacob Hume
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MessageSujet: Re: Roses et Rouges Roses et Rouges - Page 2 EmptyLun 24 Nov 2014 - 3:15
4/ La petite robe rouge.

Agathe observait Camille avec attention. Même si cette question avait été reléguée au second plan, elle en était revenue à s’interroger sur la respectabilité de sa nouvelle camarade. Alors même que leur enquête continuait de piétiner, les interrogations et la prudence initiale de Jacob quant à cette jeune femme lui revenaient et la faisaient douter. Devaient-ils, oui ou non, lui livrer le bouquet de roses de la part de leur client ? Pouvait-on lui faire confiance pour ne pas abuser de sa position de voyageuse sur un rêveur trop riche ? Après tout, que savait-elle réellement de cette jeune femme et de ses intentions ?

La nuit précédente, alors même qu’elles avaient enquêté ensemble sur les meurtres de voyageurs, elle s’était montrée capable d’user de ses charmes comme d’un outil pour amadouer ceux qu’elle interrogeait, les prendre entre ses filets. Elle avait changé d’attitude avec un tel naturel, était entrée dans le rôle d’une femme fatale avec tant de facilité, qu’Agathe l’imaginait très bien jouer le même rôle à leur client sans le moindre scrupule. Plus encore, elle avait défendu avec une certaine froideur le fait que poursuivre Dave maintenant était une erreur et qu’il était plus judicieux de le laisser continuer pour l’instant. Même si les deux hommes étaient eux aussi parvenus à une telle conclusion, ils avaient au moins émis plus de réserves à l’idée de laisser un criminel en liberté. Ils s’étaient donc arrangés pour que Carlos garde un œil sur lui jusqu’à ce qu’ils s’occupent de son cas. Le gérant de l’hôtel du Voyageur avait été ravi d’apporter sa contribution à leur petite croisade.

Mais ce qui troublait le plus Agathe et lui faisait douter sur celle qu’elle avait cru être une amie pendant quelques instants, était les dernières révélations que Camille venait de faire.

La jeune femme était apparue dans le monde des rêves vêtue d’une petite robe rouge qui la sublimait d’une façon exceptionnelle. L’agoraphobe en avait immédiatement été jalouse. Le vêtement disposait d’une coupe parfaite pour les formes de sa compagne. Un décolleté plongeant en V montrait avec subtilité l’absence de sous-vêtements au niveau de la poitrine. Son dos était laissé presque entièrement nu, tout comme ses épaules et ses bras. Les deux bandes de tissu rouge qui faisaient office de brettelles et lui couvraient les seins étaient simplement nouées autour de sa nuque pour maintenir l’ensemble. La robe serrait aussi sa taille fine, tandis que le jupon de celle-ci s’évasait largement en mettant en avant la courbe de ses hanches. Le tout descendait juste au-dessous des genoux et dansait agréablement à chaque pas qu’elle faisait.

Cependant, ce n’était pas tant la robe elle-même que la façon dont elle était portée qui faisait le charme fou de Camille en cet instant. Agathe s’en rendait compte à présent qu’elle l’observait avec autant d’attention, c’était l’attitude de sa camarade qui rendait ce rouge plus sensuel et plus passionné que tous les autres. Appuyée par un maquillage habile et par une chevelure libérée de toute attache, mais étrangement bien ordonnée, elle se tenait devant eux dans une mélange de féminité douce et fragile et un air revêche, plein d’une énergie et d’une détermination malicieuse. D’un simple regard, elle parvenait à leur communiquer des vagues de désir auxquelles même Agathe était réceptive.

Tant Jacob que Noah avaient du mal à résister à l’image qu’elle leur imposait avec tant de fierté et à ce sourire rouge qui annonçait déjà son succès. L’agoraphobe ne connaissait rien de la relation qu’entretenaient réellement le géant et son acolyte aux converses noires, mais elle savait que Jacob était un homme rangé, amoureux d’une blonde à lunette au caractère bien trempé et plus que sérieux dans sa relation de couple. Et pourtant, elle voyait bien dans son regard usuellement neutre et concentré qu’il n’aurait pas dit non si son cœur n’avait pas été pris par une autre. Il avait ce sourire en coin admiratif qu’elle-même aurait pu avoir si elle n’avait pas été choquée par les propos que tenait l’objet de leur fascination. Seul Noah, apparemment habitué à la personnalité excentrique de sa partenaire, ne semblait pas réagir plus que d’habitude.

En effet, Camille venait de leur proposer – ou plutôt de leur imposer vu la façon dont elle l’avait présenté – une nouvelle idée pour poursuivre l’enquête, et c’était celle-ci qui mettait autant de doute dans le cœur d’Agathe. La jeune femme en robe rouge venait enfin d’avouer ce qu’elle avait fait la veille lorsqu’elle était allée voir ces matelots oniriques : elle leur avait donné un message pour leur capitaine, une invitation à se revoir et à partager à nouveau quelques instants privilégiés. D’un seul coup, toute l’image qu’elle avait de sa coéquipière s’était effondrée sur elle-même.

Camille venait de lui avouer de but en blanc, comme s’il s’agissait d’un événement tout à fait ordinaire, qu’elle avait déjà couché avec un homme simplement pour lui soutirer des informations, qu’elle avait vendu son corps à quelqu’un d’autre par intérêt professionnel. Une attitude qu’Agathe avait appris à réprouver toute sa vie durant, que ce soit en écoutant les discours rébarbatifs de sa mère ou en vivant ses propres expériences en la matière. Plus encore, elle se proposait de le refaire, ou plutôt de continuer à jouer sur les sentiments et les désirs d’un homme qu’elle n’appréciait pas pour l’attirer dans leurs filets. L’employée de la SDC trouvait cette situation révoltante et se posait alors des questions sur la jeune femme amicale, généreuse et déterminée qu’elle avait cru cerner deux nuits plus tôt.

Cette détermination et ce dynamisme qui la caractérisaient n’allaient pas trop loin ? Trop consciente de son charme naturel, n’en était-elle pas devenue une forme de monstre qui jouait avec ses partenaires sexuels ? Agathe se souvenait de leur première rencontre, lorsqu’elle avait cru être séduite par un jeune homme agréable. L’évidence même de cette scène lui revint à présent et elle se rendit compte avec horreur qu’elle avait été victime de ces méthodes fallacieuses. Camille n’éprouvait aucun remords à jouer avec les autres, qu’aurait-elle fait d’un rêveur déjà entichée d’elle ? N’allait-elle pas trop loin quelque part, même si ses buts étaient louables, n’avait-elle pas dépassé certaines limites morales ?


« Tu veux faire quoi ? » s’étonna l’agoraphobe, atterrée par ce qu’elle venait d’apprendre.

« Juste l’attirer dans la chambre. » répondit Camille, sûre d’elle-même, sans se rendre compte qu’on jugeait ses méthodes plus qu’on demandait des précisions. « Vous serez là et vous le capturerez, comme ça, on pourra lui poser les questions qu’on veut. »

« Mais… » insista Agathe, qui avait du mal à accepter le fait que son amie se laisse aller de telles extrémité. « Tu veux vraiment lui proposer de… »

Camille haussa les épaules.

« Oui, pourquoi ? »

« Mais… »

La jeune femme aux cheveux bruns ne trouvait pas les mots pour exprimer son trouble et s’arrêta là. Sa partenaire, en revanche, était déterminée à lui présenter tous les avantages de sa proposition.

« C’est le meilleur moyen de l’attirer dans un endroit où il ne sera pas protégé par ses hommes. » expliqua-t-elle. « Il ne se méfiera pas et viendra seul. Ce sera facile. »

« Mais, tu vas vraiment le séduire ? »

Camille eut un petit sourire malicieux : « Tu sais, c’est toujours plus facile d’obtenir quelque chose d’un homme de cette manière. Ils sont toujours moins prudents quand il s’agit de leur libido. »

Jacob eut un petit ricanement muet dans sa bulle et hocha la tête en réponse à cette déclaration. Noah secoua la tête, désapprouvant lui aussi cette attitude, mais avec moins de véhémence qu’Agathe cependant. Même si la logique implacable de ces mots lui apparaissait, l’agoraphobe avait toujours du mal à avaler la pilule. Où était la frontière entre ça et la prostitution ? Fallait-il admirer Camille pour sa capacité à manipuler ainsi les autres ou fallait-il au contraire la réfréner dans ses ardeurs qui en faisaient une fille de joie méprisable ? Elle ne savait plus vraiment à quoi s’en tenir.

« Ce sera dangereux. » commenta simplement Noah, esquivant le débat de mœurs qui intéressait Agathe.

Cette fois, Camille se montra plus agacée qu’autre chose.


« En quoi ? » protesta-t-elle. « Il me prend pour une simple prostituée et il attendait un autre rendez-vous de toute manière. Il viendra seul, parce qu’il me connait et ne se méfie pas, et le temps qu’il comprenne ce qui lui arrive, vous serez là. C’est la meilleure façon de l’avoir, tu le sais bien. Une fois qu’on l’aura capturé, il pourra tout nous dire. C’est notre meilleure chance d’établir un lien avec Sandman. »

« Quelqu’un peut lui avoir parlé. » suggéra doucement le géant en fixant sa comparse sans se démonter.

Ils étaient dans la chambre de l’hôtel du Voyageur que les gérants leur avaient allouée. Agathe occupait un lit, assise en tailleur sur les draps. Jacob s’était adossé à un mur et croisait les bras dans son coin en réfléchissant calmement à la proposition. Noah, lui, occupait royalement l’un des fauteuils de la pièce. Camille se tenait au centre de la pièce, debout, autant pour bouger en parlant que pour s’assurer d’avoir l’attention des trois autres. Elle avait les mains posés sur sa taille et fixait à présent son acolyte avec une colère d’enfant : comme s’il venait de gâcher son petit plaisir. Ce fut la plume de l’intouchable qui, en grattant le papier, mit un terme à la dispute.


« Je serai dans le restaurant avec elle. » assura-t-il. « Je vous rejoindrai ensuite. »

Des quatre, il était celui qui avait le moins à craindre les combats et qui pouvait défendre tous les autres en cas de besoin. Bien plus expérimenté en la matière que ses camarades et célèbre à travers Dreamland pour certains de ses exploits guerriers, l’intouchable les surpassait tous et surpassait même la grande majorité des voyageurs. Plus encore, sa bulle le prévenait efficacement contre tout décès prématuré, ce qui rendait son rôle de bouclier humain d’autant plus sûr. Par sa seule présence, il assurerait au moins à Camille la possibilité de fuir.

A contrecoeur, l’intéressée accepta cet ajustement dans le plan initial qu’elle avait dressé. Noah fut rassuré, mais ne donna pas l’accord que Jacob avait implicitement garanti en intervenant, il le réserva encore un peu.

« Tu es sûre de toi ? » interrogea-t-il son acolyte avec une gravité plus grande qu’auparavant. « Tu veux vraiment le faire ? »

Camille ne répondit pas tout de suite. Quelque chose dans la dureté du regard de Noah avait réveillé un doute en elle qu’Agathe ne sut interpréter. La jeune fille en robe rouge inspira finalement à fond et répondit avec un sérieux plus grand encore.

« Oui, je veux le faire. » assura-t-elle.

Et Noah acquiesça du chef, donnant ainsi son assentiment pour l’exécution du plan. Agathe elle-même n’osa pas dire un mot de plus, toujours aussi troublée par la révélation et incapable de savoir quoi penser. Etait-elle vraiment la seule à trouver cette proposition gênante ?


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Le capitaine Kerouan était tout excité à l’idée de retrouver la belle Camille. Alors qu’il avançait le long de l’allée qui menait à la porte de l’auberge que ses hommes lui avaient indiquée, il s’imaginait déjà retrouver le corps frêle de son amante et la douceur de ses baisers. C’était une prostituée et elle vendait à d’autres ce qu’elle lui offrait, mais il n’en avait cure, tant qu’elle le lui accordait de temps à autre, tous les problèmes qu’il pouvait avoir seraient futiles. C’était une partenaire merveilleuse, qui savait exactement quels étaient ses désirs muets et répondait à chacun d’entre eux avec sensualité. Il avait rarement vécu de pareille nuit que celle qu’il avait déjà partagée avec elle. Comment ne pas être enthousiaste à l’idée d’une seconde entrevue ? Il aurait offert tous les trésors du monde à cette femme pour partager sa couche seulement une fois de plus.

Sa seule peur avait été qu’elle se soit lassée de lui si vite. Elle avait paru transportée par leurs ébats elle aussi, il l’avait lu dans son regard. Mais cela suffisait-il ? Une femme comme elle devait connaître mille amants et il n’était pas assez sot pour croire qu’il était le meilleur d’entre eux. Lorsqu’il s’était éveillé dans cette chambre, seul, et qu’il n’avait plus entendu parler d’elle dans les jours qui avaient suivis, il s’était demandé si elle n’avait pas été trop déçue, si elle n’avait pas décidé que, finalement, il ne valait pas la peine. Quel plaisir alors de comprendre qu’il avait jugé trop vite, cette invitation qu’elle lui avait lancée avait été une bouffée d’air frais qui lui rappelait les embruns marins, si chers à son cœur.

L’endroit qu’elle avait choisi ressemblait à une petite auberge de campagne, comme un cottage anglais ou une masure française, très modeste en apparence, mais qu’on imaginait aisément confortable à l’intérieur, avec un parquet grinçant et des poutres apparences. Lui-même aurait considéré l’établissement trop simple à son goût, mais parce qu’il savait qu’elle s’y trouvait, il l’estima des plus charmants. En levant les yeux vers le ciel, il trouva même les étoiles agréables. Il poussa la lourde porte de bois, ce qui fit tinter une petite clochette, et resta dans l’embrasure de celle-ci, les yeux pétillants d’espoir.

Et il la vit. Elle était là, assise sur l’une des hautes chaises du comptoir, vêtue d’une robe rouge qui encensait sa beauté au-delà de toute raison. Cette couleur évoquait si bien le plaisir et épousait à ce point ses formes qu’il avait l’impression de la voir déjà nue. L’érotisme de la tenue tenait autant en ce qu’elle laissait voir qu’en ce qu’elle ne cachait que partiellement. Déjà, l’envie irrépressible de jouer avec cette superbe pièce de tissu pour profiter du corps qui la portait le prenait. Elle l’attendait avec grâce, accompagnée d’un sourire sincèrement ravi et de deux coupes de champagne du meilleur cru. Comment une soirée qui commençait aussi bien aurait-elle pu mal tourner ? Il fallait qu’il soit exemplaire, à la hauteur de cette divinité qu’il lui était offert de côtoyer.

Il s’avança avec son pas de marin et tenta de tirer le meilleur de son uniforme. En avançant, il vit les bijoux dorés dont elle était parée et regretta de ne pas être lui-même plus riche pour pouvoir lui en offrir davantage. Il marcha jusqu’à elle en souriant. Une fois devant elle, il se pencha pour attraper sa main et la baisa à la manière d’un gentleman des temps anciens. Elle se montra charmée par la démarche, mais il savait que, des deux, c’était lui qui était ensorcelé.


« Ah, jeune fille, vous êtes une perle que tous les marins s’arracheraient s’ils connaissaient votre existence… » dit-il avant de lui rendre sa main. « Je ne crois pas avoir déjà vu de créature plus belle que vous ne l’êtes à cet instant. »

Elle sembla rougir un peu au compliment et l’invita à s’asseoir avec lui, ce qu’il fit. Il était littéralement incapable de la quitter des yeux, comme si elle avait peur qu’elle ne disparaisse s’il le faisait. Tout le reste n’existait pas pour lui. Ni le gérant de l’hôtel qui écoutait d’une oreille leur conversation, ni les quelques rêveurs qui ignoraient tout de leur histoire, pas même ce jeune homme silencieux, assis à une table, qui les observait discrètement. Ce soir, pour lui, il n’y avait qu’elle.

« Je me demandais où vous étiez passée. » dit-il en prenant sa propre coupe.

« J’avais quelques affaires à régler. » répondit-elle en posant son bras sur le comptoir, près du sien. « Mais à présent, j’ai un peu plus de temps à accorder. Et puis, il me semble que vous me devez encore quelques récits d’aventure… »

Il sourit dans sa barbe avec une certaine malice.

« Je n’ai pas oublié, jeune fille. » assura-t-il en bombant un peu fièrement le torse. « Mais je ne vais pas tout vous raconter d’un coup, comme ça, vous serez obligée de me revoir. »

Il rit à sa propre réflexion et elle pouffa avec lui en secouant la tête, attendrie par le personnage qu’il était.

« Voyons capitaine, » souffla-t-elle en commençant doucement à caresser le dos de sa main, « vous savez bien que vous n’avez pas besoin de ça. »

Il répondit à la caresse en prenant sa main à son tour, pour parcourir avec sa peau rêche la douceur des doigts de cette jeune amante, qu’il imaginait déjà ailleurs.

« J’aimerai tant que ce soit le cas… » murmura-t-il. « Mais je ne suis pas né de la dernière pluie jeune fille, je sais bien qu’un jour vous vous lasserez de moi. »

Il regretta aussitôt d’avoir dit cela, ces appréhensions auraient dû rester secrètes et cette amertume risquait de gâcher leur rencontre. Cependant, Camille se rapprocha de lui.

« Réjouissez-vous capitaine, je ne suis pas encore partie. » le rassura-t-elle avec un sourire plus que complice. « Vous avez encore beaucoup à m’apprendre… »

La suggestion était trop évidente pour qu’il ne la saisisse pas au vol.

« Voilà qui est parlé, jeune fille ! » dit-il en se redressant. « Rien ne vaut l’instant présent. Surtout quand il vous concerne. Dites-moi, que désirez-vous ? Quoi que ce soit, je suis votre homme. Il n’est rien que je ne puisse faire. »

Elle laissa planer un léger silence en enfonçant son regard dans le sien.

« Je vous désire vous. » lâcha-t-elle simplement avec une voix qui n’accepterait aucun refus.

« Alors ne traînons pas une minute de plus. »

Et avant même d’avoir touché à sa coupe, il se leva et sans lâcher sa main, l’entraîna vers les chambres. Elle sourit en retour et accepta immédiatement de le guider vers l’étage. Dès qu’ils furent à l’abri des regards, il osa laisser ses mains parcourir ses formes et ses lèvres cherchèrent un baiser qu’elle lui accorda. Mais plutôt que de se laisser aller dans un lieu aussi peu convenant, elle continua de l’entraîner vers une chambre, ne cessant d’éveiller ses sens par des caresses déplacées. Il tenta d’y répondre au mieux. Hélas, l’ivresse de l’instant le rendait maladroit. Avec un sourire dévastateur, elle ouvrit la porte de la pièce souhaitée et pénétra à reculons à l’intérieur. Il poussa un grognement de désir et entra à son tour.

Sans trop y prendre garde, il repoussa la porte derrière lui pour la fermer. Camille s’était déjà assise sur le lit, appuyée sur un bras et les jambes repliées sur le côté. Son regard l’invitait à la rejoindre. Il s’approcha avec envie et elle changea de position et plaça son pied sur sa poitrine musclée. D’un geste un peu brutal, elle le repoussa vers l’arrière. Naïf, il crut à un jeu, se laissa emporter de deux pas et sourit en la dévorant des yeux. Il entendit alors qu’on fermait la porte à clé.

Intrigué par le bruit, il se tourna vers le battant de bois et découvrit un colosse noir qui en barrait l’accès avec un air des plus menaçants. Ne comprenant pas ce que cet homme faisait là, il se tourna vers son amante, espérant qu’elle confirmerait qu’il s’agissait bien d’une intrusion. Mais le regard de Camille avait changé. Loin de la jeune fille aguicheuse et séduisante qu’il croyait connaître, celle qui était posée sur le lit l’observait froidement, comme une araignée aurait observé une proie se débattre dans sa toile. Inutile d’en savoir plus, il savait qu’il fallait qu’il s’échappe avant que les choses ne dégénèrent. Quelle folie lui avait pris ? Se faire prendre si facilement ? Non ! Il était le capitaine Kerouan, il pouvait se sortir de toutes les situations !

Il se précipita vers la seule autre porte à disposition, celle de la salle de bain. Mais avant qu’il ait pu la rejoindre, elle s’était ouverte et une autre jeune femme, brune, y était apparue, prête à en découdre si nécessaire. Une autre voyageuse, sans aucun doute. Il chercha une autre issue et trouva la fenêtre. Il s’y précipita sous le regard des autres qui ne le poursuivaient pas. Il l’ouvrit d’un geste brusque et s’apprêta à sauter lorsqu’une nouvelle silhouette se dessina. S’élevant dans les airs par un phénomène qu’il ne pouvait expliquer, un autre voyageur apparut juste devant cette ouverture et pénétra à l’intérieur en douceur.

Le capitaine sut alors qu’il était fait comme un rat et écarquilla les yeux de colère. Il se retourna vers Camille, cette traîtresse qui avait usé de ses charmes pour endormir sa prudence. Il n’avait même pas d’arme sur lui !


« Toi ! » rugit-il. « Tu vas me le payer ! »

Il se précipita pour la frapper, mais ne parvint jamais à atteindre le lit, où la jeune femme continuait de l’observer. En quelques instants à peine, les trois autres voyageurs l’avaient maîtrisé et attaché à une chaise en bois. Il tenta tant bien que mal de se libérer, mais les nœuds étaient solides, son expérience de marin lui intimait qu’il ne s’en sortirait pas ainsi. Ils s’écartèrent de lui, le laissant ainsi, impuissant et les mains dans le dos.

C’est alors qu’il remarqua que Camille s’était levée et s’était approchée de lui. Il serra les dents et commença à l’insulter de tous les noms. Impassible face à ses remarques, elle vint s’asseoir sur ses genoux, plaçant ses cuisses autour de lui pour l’immobiliser encore davantage. Puis, elle tira de sa chaussure un tube de rouge à lèvre et passa une nouvelle couleur sur ses lèvres, plus flamboyante.


« A présent capitaine, vous allez nous dire tout ce que nous avons besoin d’entendre… » siffla-t-elle avec une cruauté qui effraya un peu le chef d’équipage.

Elle lui prit alors le visage entre les mains et approcha ses lèvres des siennes. Il voulut riposter, mordre, échapper à son étreinte, mais elle parvint à l’embrasser. Ce fut le plus odieux et le plus douloureux de tous les baisers. Il eut l’impression que ses propres lèvres venaient de s’enflammer.


---

Agathe observait la scène sans trop savoir ou se mettre. Elle voyait cette créature des rêves, cet homme qu’ils venaient de ligoter, gémir de douleur face au baiser de Camille qui prolongeait sa douleur en maintenant leur lèvres ensembles. Elle échangea un regard avec Jacob qui restait tout aussi perplexe qu’elle devant le spectacle. Noah seul restait impassible. Cependant, il semblait surveiller sa comparse avec un peu plus d’attention qu’auparavant, comme s’il attendait qu’elle franchisse la limite afin de pouvoir l’arrêter à temps.

Une séance de torture ? Vraiment ? C’était à cela que menait le plan de Camille ? Agathe s’était imaginé qu’ils captureraient le capitaine et l’emmèneraient dans un endroit secret, qu’ils le briseraient au moyen d’une longue garde à vue, ou par des interrogatoires complexes. Mais l’attacher ainsi pour lui faire subir un supplice, c’en était trop. Qui était donc cette femme qui osait à ce point s’en prendre à un homme sans défense ? Elle voulut intervenir et sentit que l’intouchable était sur le point de le faire aussi. Mais Noah leur fit signe de ne pas insister, ce n’était pas le moment.

De fait, Camille libéra enfin sa victime de son baiser et lui lâcha le visage. Le capitaine, déjà marqué par les larmes, la regarda alors avec une frayeur nouvelle. Mais ce qui intriguait le plus, c’était l’attitude de sa tortionnaire : elle tremblait presque. On la sentait elle-même au bord des larmes. Elle paraissait sur le point d’exploser à cause d’une colère qui n’avait rien à voir avec la situation actuelle et la laisser expier un peu était peut-être le meilleur moyen qu’elle n’aille pas plus loin.


« Alors capitaine, vous êtes prêt à nous raconter quelques histoires maintenant ? » cracha-t-elle avec une haine qui détonnait avec le contexte et l’enquête.

« Qui êtes-vous ? » demanda l’intéressé à l’attention du groupe, toujours sous le coup de la colère et de la peur. « Qu’est-ce que vous me voulez ? »

« Nous avons besoin d’informations, sur vous, sur votre organisation et sur vos activités dans cette ville. » lança Noah froidement, sans relâcher l’attention qu’il portait à Camille.

« Pourquoi ? » insista le capitaine. « Qu’est-ce que je vous ai fait ? »

« A nous ? » commenta Camille avec une petite voix sadique. « Rien de très important. Mais nos employeurs ne pensent pas pareil. Peut-être que vous avez besoin d’un autre baiser d’encouragement ? »

« Non ! Non ! » implora immédiatement le marin. « Attendez ! »

Il balaya leur petite assemblée du regard. Intérieurement, Agathe pria pour qu’il parle. Camille l’inquiétait beaucoup à présent et elle redoutait qu’elle n’aille trop loin s’il ne répondait pas. Voyant son hésitation se prolonger, elle décida d’intervenir.

« D’où venez-vous ? » demanda-t-elle. « Vous n’êtes pas originaire de ce royaume. »

Voyant en elle une possibilité de salut, il se précipita sur l’aide qu’elle lui apportait.

« D’un royaume des sept mers. »

« Pourquoi êtes-vous venu ici ? » poursuivit-elle, sentant qu’elle était sur la bonne piste.

« Pour… Pour rien. » tenta-t-il.

Son erreur lui valut une violente claque de la part de Camille, qui surprit tous les autres par sa force.


« Mauvaise réponse. » laissa-t-elle entendre, et même Noah fronça les sourcils de mécontentement.

« Sale chienne ! J’aurais ta p… »

Une nouvelle claque était partie, sans que Jacob, qui avait amorcé un mouvement, ne puisse l’arrêter. Le capitaine resta un moment à respirer bruyamment, la tête tournée vers le côté. Il encaissait avec peine ce nouveau revers.

« Pour qui tu travailles, hein ? » s’emporta Camille en saisissant son menton barbu, le brutalisant.

« Camille. »

La voix de Noah avait été accompagnée d’une sensation étrange qui les fit tous frissonner. Le colosse à la peau brune venait de laisser transparaître l’immensité de sa puissance dans ce simple mot, comme un avertissement. La jeune femme se tut et relâcha l’homme. Elle n’était pas satisfaite par la tournure des événements, mais accepta de ne pas continuer dans cette voie. Doucement, elle se leva et abandonna les genoux du capitaine, pour s’éloigner un peu de la conversation.

« Qui vous a dit de venir ici ? » reprit Agathe en lançant un regard en biais à sa camarade.

Quelque chose ne collait pas dans l’attitude de Camille et elle la sentait sur le point de craquer. Toute cette cruauté dont elle faisait preuve semblait venir d’ailleurs. Elle n’était pas dans son état normal.


« Mais… personne ! » assura alors le capitaine sur le ton d’un mensonge flagrant.

Les trois voyageurs échangèrent un regard, aucun d’eux n’était convaincu.


« De quelle mission vous a-t-on chargé ? » insista Noah.

« Ça ne vous regarde pas ! » se défendit maladroitement le capitaine.

Camille se précipita alors soudain vers lui et fut rattrapée de justesse par Jacob qui l’empêcha d’aller plus loin.

« Arrête de mentir, salaud ! » tempêta-t-elle en essayant de passer le barrage de l’intouchable. « Arrête de mentir ou c’est tes couilles que j’embrasse ! »

Le capitaine eut une expression horrifiée, mais Agathe avait senti le ton à moitié brisé de la jeune femme. Noah insista en s’approchant brutalement de lui, en fixant son regard ténébreux dans le sien et en le tenant fermement par les épaules. Entre les mains d’un tel colosse, le matelot craqua complètement et Camille cessa de chercher à avancer.

« Très bien ! Très bien ! » lança l’interrogé. « Je vais tout vous dire. »

Il respira à fond, cherchant désespérément à éviter le regard du géant qui le maintenait en place.

« Personne ne m’a demandé de venir ici. » avoua-t-il avec une sincérité à toute épreuve. « Je suis venu moi-même avec mes hommes. On a trouvé le royaume par hasard et on s’y est installé il y a un mois de ça. En attendant de trouver le moyen de repartir… Personne ne nous a donné de mission ou quoi que ce soit… On a… On a juste été chassés de chez nous. »

« Pourquoi ? » demanda Noah.

L’agoraphobe se désintéressait déjà de l’interrogatoire et s’approcha doucement de Camille, dans un élan de compassion. Elle sentait que la jeune femme allait mal et voulait l’aider dans cette passe difficile. A cet instant, elle mit tous ses doutes en réserve. Il était clair qu’elle ne savait pas tout de cette jeune femme et qu’il y avait plus en elle que cette carapace de détermination farouche et ces méthodes d’investigation cruelles.


« Parce qu’on causait des troubles. Ils ne voulaient plus de nous. On était trop nombreux et mes hommes étaient intenables. Ils nous ont chassés. On a été chassés de beaucoup de royaumes pour cette raison. Satisfaits ? »

« Qu’est-ce que vous cherchez ici ? »

Agathe était à présent au niveau de sa coéquipière et pouvait observer son profil. Elle la vit qui serrait les dents pour cacher le tremblement de ses lèvres. Ses yeux étaient mouillés et son regard était perdu dans le vague. L’employée de la SDC posa une main sur son épaule en pure amitié et Camille se précipita pour pleurer dans ses bras. Surprise, Agathe la laissa faire.

« Rien de spécial… Juste… Juste un moyen de rentrer chez nous. »

« Qu’est-ce que vous comptez faire pour ça ? »

« Trouver assez d’argent pour acheter un bateau, un vrai bateau. »

« Pardon ? »

C’était Agathe qui avait parlé et même Camille avait cessé de sangloter pour regarder le capitaine. Celui-ci n’était plus tellement effrayé à présent. Il était plutôt au comble de l’embarras.

« Oui ! » s’emporta-t-il. « C’est vrai ! Je ne suis pas un vrai capitaine et mes hommes ne sont pas un vrai équipage. Nous n’avons jamais été en mer et nous n’avons jamais mis les pieds sur un bateau de notre vie. C’est comme ça. On nous a simplement rêvés pour occuper le port en permanence. Et c’est pour ça qu’on causait des problèmes. Parce que tous les autres ont des bateaux. On a essayé d’en prendre un par la force et on a été chassés pour ça. Alors voilà, je veux juste acheter un bateau. Comme ça, ils seront obligés de nous accepter parmi eux ! »

La vérité sur le capitaine et sa bande venait d’éclater et les surprenait plus qu’ils ne l’auraient cru. En poussant l’interrogatoire un peu plus loin, ils se rendirent compte qu’il n’avait jamais entendu parler de Lucien et ne l’avait jamais croisé. Ou alors, il ne s’en souvenait plus. Au mieux, Sandman avait-il attiré indirectement la troupe ici, pour qu’elle sème un peu plus le chaos. Mais ce n’était pas suffisant pour l’incriminer et le livrer à Miraz. Un nouvel échec s’imposait à eux dans leur quête.

La seule victoire qu’ils obtinrent ce soir-là fut sur le capitaine lui-même. Ils lui firent comprendre qu’il n’était pas le bienvenu dans cette ville où il causait trop de troubles. De plus, les méthodes qu’il comptait employer pour faire fortune s’avérèrent à la limite de la légalité. Suffisamment pour le menacer d’un long séjour dans les cages de Miraz s’ils le souhaitaient. Il fut contraint d’accepter de partir avec ses hommes et de ne jamais revenir.




CAPITAINE
KEROUAN

Personnage

Roses et Rouges - Page 2 796826Kerouan

    Age : 54 ans.
    Ville : Mer des braves (Dreamland).
    Activité : Capitaine de baleinier.
    Dreamland : Meneur d’hommes sans but et sans navire.
    Objet magique : Aucun.
    Aime : La mer, les femmes, fumer, raconter des histoires.
    Déteste : Sa situation, les coups bas, la honte et les regrets.
    Surnom : Capitaine.

    Le saviez-vous ?
    Kerouan a déjà essayé d’affronter la tempête sans navire, pour prouver sa valeur.


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Jacob Hume
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MessageSujet: Re: Roses et Rouges Roses et Rouges - Page 2 EmptyLun 24 Nov 2014 - 15:11
5/ Insaisissables.

On ne pouvait pas dire que la journée de Camille avait été constructive, vu qu’elle l’avait passée à esquiver toute forme d’activité plus ou moins contraignante. Ignorant autant les devoirs qu’il lui restait encore et les tâches ménagères qui s’accumulaient dans le petit appartement que ses parents lui payaient. Ces dernières nuits avaient achevé de briser le moral qu’elle avait retrouvé et la frustration accumulée au souvenir traumatisant du viol l’avait poussée à accomplir certaines choses qu’elle regrettait avec le recul. Qu’est-ce qui lui avait pris de s’emporter ainsi contre le capitaine ? Il n’était pas coupable des crimes pour lesquels elle avait voulu le faire souffrir et qui l’avaient marquée si profondément. Toute cette affaire l’accablait et elle ressentait le besoin toujours plus fort de fuir ses responsabilités en la matière. Cependant, à chaque fois qu’elle s’imaginait Lucien triomphant ou qu’elle se rappelait l’atrocité du sort que subissait Olivia, Camille renouvelait sa détermination.

Ayant ignoré toutes ses obligations éveillées pour se détendre et décompresser, la jeune femme réapparu à Dreamland dans un état plutôt positif. Même si les idées lui manquaient pour poursuivre l’enquête, elle avait à présent meilleur espoir d’y parvenir. Elle était prête à affronter toutes les difficultés, avec Noah à ses côté, elle se sentait toujours plus en sécurité. Avec Jacob et Agathe, elle était persuadée qu’ils pourraient surmonter tous les obstacles.

A sa grande surprise cependant, lorsqu’elle jeta un œil à ses converses, elle remarqua que ses pieds reposaient sur l’herbe. Deux pas en avant, on trouvait une route bétonnée et au-delà ce qui ressemblait de loin à un terrain vague. Derrière-elle, elle apercevait un mur blanc qui semblait protéger une propriété quelconque où une certaine végétation semblait évoluer sans mal. Plus encore, il faisait beau, un soleil doux et estival encadrait la zone.

Un instant, elle se mit à craindre d’être arrivée dans le mauvais royaume. Comme si, pour une raison ou pour une autre, penser à Noah n’avait pas fonctionné, ou que celui-ci s’était exceptionnellement endormi bien plus tard que prévu, voire même qu’il s’était lui-même trompé de royaume et les avait emmené loin de Resting City. Mais, en tournant un peu sur elle-même, elle finit par repérer loin derrière le mur blanc et la végétation les tours qui faisaient le centre-ville de RC. Là-bas, à quelques kilomètres de sa position peut-être, les lettres lumineuses du Granica étaient toujours aussi visibles et perçaient à travers une nuit irréelle. Elle sourit. En cherchant un peu mieux au niveau du mur, elle reconnut l’entrée d’un camping comme il y en avait en bordure de la ville.

Rassurée, elle analysa la façon dont elle était habillée. Loin de la robe aguicheuse de la veille, elle portait cependant une longue jupe blanche ample et un haut de la même couleur qui s’arrêtait juste au-dessous des épaules par une ligne horizontale recouverte de dentelle. Si l’ensemble n’avait été aussi simple, elle aurait pu se prendre pour une mariée. Quelques bijoux rouges complétaient sa tenue, ainsi que deux barrettes qui maintenaient ses cheveux en arrière du côté gauche et les laissaient lâches à droite. Elle aurait souhaité voir quelle allure cela lui donnait, hélas, aucun miroir n’était à proximité.

Elle chercha du regard son ami et le repéra enfin. Il était là, au milieu du terrain vague, de l’autre côté de la route, à la regarder avec un sourire plein de la chaleur dont elle avait besoin. Il portait cette fois un costume de ville entièrement noir et une cravate rouge qui tranchaient superbement avec le décor vacancier. Par réflexe, elle fit attention à ce qu’aucun véhicule ne projette de passer sur cette route dans les secondes à venir, puis traversa. L’endroit était désert en matière de circulation, mais quelques bruits d’agitation heureuse semblaient émaner des quelques campings alentours. Dès qu’elle fut à son niveau, il l’emmena vers un coin du terrain vague où l’attendaient déjà trois autres personnages autour d’un quatre-quatre.

Elle reconnut immédiatement Jacob dans son éternelle chemise unie, avec deux boutons défaits au niveau du col, les mains dans les poches d’un pantalon beige ceinturé de noir parfaitement repassé. Comme d’habitude, le vent qui forçait Camille à recaler sans cesse ses cheveux derrière son oreille n’affectait en rien le voyageur emprisonné dans sa bulle, ce qui ajoutait à l’impression d’absence qu’il dégageait. Sa plume volait silencieusement à son côté.

Elle mit un peu plus de temps à reconnaître Agathe en revanche. Celle-ci, était toujours vêtue de façon exotique ou presque, mais cette fois-ci, elle avait frappé dans un déguisement plus étrange encore. Si Camille aurait osé une supposition, elle aurait dit que l’univers des mangas n’était pas pour rien dans le choix inconscient de cette tenue, à moins que les influences viennent de l’univers gothique. Elle portait elle aussi des chaussures noires, des ballerines, mais avec des talons et des nœuds papillons rose sur le devant. Un collant sombre à moitié effilé remontait jusqu’à une jupe courte avec un effet d’épaisseur de tissu qui la rendait bouffante. Elle avait aussi un t-shirt, toujours dans les tons de ses cheveux ébènes, qui avait des motifs brillants angéliques. Une étrange croix pendait à son coup. Quant à ses cheveux, ils formaient un chignon complexe où de petites tresses étaient maintenues pour faire le contour d’ailes de libellules.

Quant à la troisième personne, un grand adolescent habillé comme un jeune vacancier, elle ne le connaissait pas du tout. Il lui faisait un grand sourire et semblait bien s’entendre avec les autres, mais elle ne se rappelait pas l’avoir déjà croisé. Elle s’approcha d’eux et les salua machinalement avant que Noah n’explique la présence de l’intrus dans leur quatuor.


« Camille, je te présente Gabriel, alias Anarito. » dit-il en désignant l’intéressé qui sourit un peu bêtement pour montrer que c’était bien lui.

« C’est l’un des membres du groupe qui taguait les murs de la ville. » expliqua Agathe. « Il va nous aider à retrouver les voleurs. »

Camille dut mettre plus de temps à emmagasiner l’information qu’elle le crut, car au bout d’un moment, Noah expliqua la démarche qui l’avait conduit à s’en remettre au jeune homme.

« C’est moi qui suis allé lui demander son aide. » dit-il posément. « Leur groupe a longuement traîné dans les ruelles, ils ont vu beaucoup de choses. Y compris, apparemment, des voyageurs inconnus s’entraîner sur des bâtiments abandonnés pour y entrer sans être vus. »

Les yeux de la jeune femme s’écarquillèrent.

« Une piste pour les voleurs ? »

Le géant acquiesça avant de les inviter à grimper dans le véhicule. Le groupe de voleurs était la clé de leur succès. C’était l’une des priorités de Miraz, s’ils parvenaient à prouver qu’ils étaient sous la férule de Lucien, ou en lien avec celui-ci, ils auraient des charges suffisantes pour le chasser du royaume ou le faire enfermer au besoin. Mais si ceux-ci n’étaient pas ses subordonnés, ils pourraient les forcer à les aider à récupérer d’autres informations, notamment concernant Vigorio Ellis, dont la suspicion de complicité était d’autant plus forte depuis qu’ils avaient trouvé le briquet de son hôtel sur les lieux d’un crime. Le problème était cependant que ces voleurs ne laissaient jamais la moindre trace sur les lieux de leurs crimes et restaient jusqu’à ce jour de véritables mystères. Certaines théories parlaient même d’un seul et unique cambrioleur légendaire. Et voilà maintenant que le jeune Gabriel venait probablement de répondre à la première interrogation des enquêteurs en la matière : il s’agissait de voyageurs.

Alors que Noah démarrait le véhicule pour les ramener en ville au plus vite, Camille se tourna vers l’adolescent qui s’était octroyé la place avant, à côté du conducteur, elle-même étant coincée entre les deux employés de la SDC.


« Tu es sûr qu’il s’agit de voyageurs ? » interrogea-t-elle.

« Ouaip ! » assura-t-il, fier de lui. « Ils étaient humains et ils avaient des pouvoirs. Je sais pas lesquels, je les ai pas observé longtemps. »

« Ils étaient combien ? »

« Deux quand je les ai vus, mais Anabert a dit qu’il en avait vu trois un jour, dans un autre bâtiment, alors je ne sais pas. »

« Tu n’as pas vu à quoi ils ressemblaient ? » tenta la jeune femme, bien qu’elle connaisse d’avance la réponse.

« Nop. » fit Anarito en haussant les épaules. « Ils étaient trop loin de toute manière. Et puis, je voulais pas qu’ils me repèrent, je suis parti vite. Il y a pas que des gens sympas dans ce coin-là. Mieux vaut éviter de fâcher ceux qui s’y trouvent. »

« Mmh. » commenta Camille.

Ce n’était pas grand-chose, mais c’était déjà ça. Agathe était confiante et Noah semblait trouver l’idée suffisamment bonne pour accepter de la creuser. Quant à Jacob, son silence était toujours aussi éloquent, il suivait le groupe sans s’opposer à eux. Il faudrait sûrement explorer un grand nombre de ruelles avant de trouver le moindre indice valable, néanmoins, ils avaient enfin quelque chose à se mettre sous la dent.

Pendant le trajet, Gabriel en profita pour parler de tout et de rien et raconter quelques-unes de ses expériences les plus étranges en tant que voyageur. Conversation à laquelle Agathe et Camille participèrent volontiers. Il leur expliqua qu’en réalité, Noah avait d’abord cherché à parler à Anaklor, afin de savoir si elle disposait de quelques informations sur Lucien, d’établir s’il y avait un lien entre eux ou non. Mais celle-ci, s’était complètement fermée et avait refusé de dire quoi que ce soit. C’était donc Anabert et Anarito qui avaient parlé de ce qu’ils avaient vus, ravis d’aider le Pacificateur.

Le groupe avait effectivement été arrêté par les forces de police de Miraz, après que Jacob et Agathe les aient contraints à réparer les dégâts qu’ils avaient causés. Mais le capitaine des forces locales les avait bien vite relâchés en les condamnant à poursuivre le travail entamé. Son intervention n’avait été qu’une façon de rappeler à tous qu’il était le seul à faire la loi ici. Ils n’étaient cependant surveillés que de loin. Anaklor et Anabert avaient accepté de couvrir leur camarade le temps d’une nuit, pour qu’il aide le quatuor à retrouver les voleurs. C’était aussi pour cette raison que Noah l’avait emmené attendre que tout le monde s’endorme à l’extérieur de la ville, pour éviter qu’un agent de police ne le voit et ne le rappelle à l’ordre.

Ils arrivèrent rapidement dans le quartier pauvre de la ville et commencèrent par se diriger vers les ruelles où Anarito et Anabert avaient surpris l’étrange groupe en pleine séance d’entraînement. Naturellement, les bâtiments étaient vides depuis un moment. Même s’il restait des traces du passage des cambrioleurs, ceux-ci s’étaient évaporés depuis un long moment. On voyait que des meubles en décomposition avaient été placés pour recréer les distances d’un autre bureau, que des marques avaient été faites çà et là, probablement pour représenter la vision des caméras de sécurité ou autre. Hélas, ces relevés dataient.

Camille n’en resta pas moins confiante. Ces indices prouvaient que le groupe de voleurs s’entraînait de façon régulière dans les parages. Il y avait donc des chances que d’autres personnes les aient surpris à d’autres endroits. Elle poussa le reste du groupe à aller interroger ceux qui avaient l’habitude de traîner dans ces lieux désertés, mais refusa catégoriquement de se séparer pour couvrir plus de terrain. Elle savait qu’un prédateur en particulier rôdait dans les parages et préférait le surprendre en compagnie des deux mercenaires de la SDC plutôt que d’être à nouveau surpris par lui.

Néanmoins, cette crainte se révéla infondée. Ils trouvèrent un certain nombre de petits délinquants sans grande envergure, très impressionnés par la taille de leur troupe. La plupart évitèrent toutes les questions en suppliant qu’on les laisse partir. D’autres, avouèrent n’avoir jamais fait attention aux autres et ne furent d’aucun secours. Trois seulement leur donnèrent des informations plus ou moins viables, sur des lieux potentiels où ils avaient pu observer quelques comportements étranges. Ils ne trouvèrent que deux autres lieux, qui avaient été utilisés plus récemment que les autres. Mais encore une fois, et comme sur chaque scène de crime, les voleurs n’avaient laissé aucune trace de leur passage.

Ce fut une longue nuit, au cours de laquelle aucune percée ne sembla être faite. Au bout d’un moment, Anarito disparut lui-même dans un petit nuage de fumée, signe qu’il s’était réveillé. Camille et Agathe voulurent arrêter là pour la nuit, mais Jacob insista pour essayer une dernière fois. L’adolescent était censé se lever bien plus tôt qu’eux, ils avaient encore le temps et mieux valait ne pas le gâcher. Le pas traînant, le groupe alla poser de nouvelles questions auprès d’une énième ruelle. Et miraculeusement, un habitué leur indiqua effectivement qu’il avait vu des voyageurs s’entraîner ici à plusieurs reprises dans les semaines précédentes. Il leur montra le bâtiment avant de s’enfuir à toute jambe.

Il ne leur fallut pas longtemps pour retrouver la chambre qui avait servi de décor aux répétitions de ceux qu’ils recherchaient. Dès qu’elle entra, Camille trouva la disposition des meubles familière. Comme si elle était déjà entrée dans un lieu similaire.


« Noah ? » demanda-t-elle sans le regarder, laissant simplement entendre dans son ton qu’elle était proche d’une réponse.

« C’est le bureau du Granica. » confirma le colosse. « Leur dernière prise. »

La jeune femme poussa un long soupir déçu. Trop tard, ils ne devaient plus utiliser cet endroit depuis qu’ils avaient fait leur coup. Inutile de les attendre ici en espérant qu’ils réapparaissent. Cela faisait sûrement plusieurs nuits qu’ils avaient abandonné les lieux même. De rage, elle frappa du pied dans le bureau, dont, l’un des supports céda lamentablement.

« Au moins, on est sûr qu’il s’agit d’eux. » commenta Agathe en essayant de lui envoyer un petit sourire d’encouragement.

En silence Camille acquiesça.


« On ne trouvera rien de plus cette nuit à mon avis. » ajouta l’agoraphobe en lançant un regard pénétrant à Jacob, pour qu’il ne cherche pas à leur faire faire une nouvelle escapade.

L’intouchable accepta en haussant les épaules et après une rapide inspection de ce qui pouvait l’être, ils quittèrent le bâtiment en silence. Camille se demanda s’ils n’avaient pas laissé passer leur chance de trouver les voleurs. Après tout, ils avaient posé beaucoup de questions au sujet de leurs entraînements à beaucoup de monde. Si le groupe de malfrats avait assez de jugeote, il cesserait ses activités pendant un moment et éviterait de se faire remarquer. Au mieux trouveraient-ils des indices sur leur prochaine cible, à moins qu’ils ne décident d’en changer pour plus de sécurité. Elle espérait sincèrement se tromper, hélas, la probabilité d’un nouvel échec était trop grande.

Elle releva la tête pour sortir de ses pensées à l’endroit où tous les autres s’étaient arrêtés. Il lui fallut un instant de plus pour remarquer ce qui avait provoqué leur arrêt brutal. L’entrée de la ruelle – qui était une impasse – était occupée par un personnage menaçant. Elle n’aurait su le décrire autrement que par ce mot tant son attitude était versée vers le danger qu’il représentait pour eux. Son cœur se serra immédiatement et elle fut quelque peu paralysée par la peur. Ce personnage était puissant d’une manière qui respirait le talent plus que la force physique, mais surtout, il était lourdement armé et une arme à feu reposait dans sa main juste à côté de sa hanche.

C’était une créature des rêves, mais elle n’appartenait pas à ce royaume. Elle était humanoïde en ce qu’elle avait deux bras et deux jambes, parce que sa peau avait une teinte ordinaire. Mais on sentait en elle plusieurs éléments autres, comme si elle disposait d’attributs animaux, d’instincts de prédateur. Il s’agissait d’un homme, plutôt grand et musclé, même s’il n’atteignait pas l’impressionnante stature du Pacificateur. Il portait un chapeau de cow-boy et le long manteau qui allait avec, dans les tons beige. Le reste en revanche, appartenait davantage à une tenue de militaire mercenaire moderne, le tout couvert par un ensemble d’armes blanches et d’armes de tir en tout genre. Il avait l’air de savoir manier chacune d’entre elles avec une dextérité surnaturelle. S’il l’avait souhaité, il aurait pu éliminer Camille en un seul geste, mais ce n’était pas après elle qu’il semblait en avoir.

Son regard et son sourire avides allaient de Jacob à Noah, ignorant l’air de rien les deux filles. Pourtant, il ne fallait pas s’y méprendre, il les défiait tous.


« Tiens, tiens, tiens… » ricanait le personnage en laissant ses doigts pianoter sur la crosse de son pistolet. « Qu’avons-nous là… »

Jacob était déjà sur ses gardes. Ses mains étaient sorties de ses poches et il s’avança prudemment de deux pas et se décala vers le centre pour mieux les protéger. Le géant noir se montra d’ailleurs plus prudent aussi et commença à reculer. Il s’était effectivement plus avancé que les autres. Camille lança un regard nerveux dans sa direction, il était beaucoup trop proche de la créature des rêves à son goût. Et lui ne disposait pas de bulle impénétrable pour arrêter les balles.

« Le blondinet m’avais prévenu qu’il y aurait des gros morceaux… mais si je m’attendais à ça… » continua l’autre avec un plaisir évident. « L’intouchable et le Pacificateur dans un seul et même groupe ? Je vais être riche… »

Jacob avança encore un peu, en prenant garde à ne pas se montrer trop agressif. Sa plume commença à s’agiter doucement. De l’autre côté, Camille implora silencieusement Noah de reculer un peu plus, ce qu’il ne fit presque pas. Agathe restait immobile, aussi effrayée que sa camarade. Elle semblait pourtant garder la tête plus froide.

« Je comprends pourquoi il m’a dit que j’aurais bien plus à gagner de votre côté que du sien… » ricana la créature des rêves. « Même si ce petit con ne peut pas payer ce qu’il ma promit pour les filles, les têtes des garçons suffiront amplement… »

Un chasseur de prime ? Lucien Sandman leur avait envoyé un chasseur de prime ? Camille déglutit. Jacob leur avait déjà avoué qu’il avait une prime sur la tête, ce qui l’avait étonné, mais celle qui était attachée à l’effigie de Noah était extrêmement élevée. Il avait toujours refusé de lui parler de ce qui lui avait valu cette mise à prix et elle avait toujours jugé que ça ne devait pas être si grave. Hélas, pour la première fois, elle comprenait en quoi une telle situation pouvait être un problème, Noah ne pouvait pas se défendre contre un chasseur expérimenté. Son seul pouvoir était…

Soudain, ils le sentirent tous. Noah s’était redressé. Il dominait à présent la scène avec sa hauteur naturelle et une force étrange qui émanait de lui. Son aura était si forte, peut-être même relâché à son maximum, qu’il cachait tous les autres et pénétrait tous ceux qui l’entouraient jusqu’à la moelle, les informant tous qu’il n’était pas n’importe qui. Le chasseur de prime sembla pâlir et déglutit face à la menace nouvelle que le voyageur de représentait, son hésitation fut d’autant plus grande. Camille aussi se sentait écrasée par la puissance de son acolyte et aurait fait tout son possible pour éviter d’avoir à l’affronter en d’autres circonstances. Hélas, elle savait mieux que quiconque qu’il ne fallait pas s’y fier. C’était du bluff, jamais le Pacificateur n’userait de violence contre son agresseur. Malgré les apparences, il était en danger, en grand danger même.

Elle pria pour que la menace fonctionne. Mais pour elle, le pari était trop risqué, si l’autre ne mordait pas à l’hameçon de la peur, Jacob pourrait-il le protéger ? Noah n’avait pas assez reculé à son goût.


« Evidemment, ça n’est jamais aussi simple que ça en a l’air… » commenta le chasseur de prime en inspirant pour faire face à l’appréhension qui le saisissait maintenant. « Dangereux… Très dangereux… »

Noah resta de marbre, avec un regard froid, comme s’il l’avait jugé et l’avait finalement trouvé misérable. Leur agresseur était déjà beaucoup plus sur ses gardes. Jacob tenta un pas de plus, mais cette fois, le chasseur de prime leva son arme vers lui pour lui faire comprendre qu’il valait mieux éviter. L’intouchable se figea et son calepin glissa doucement vers les filles avec une directive très simple écrite en grosses lettres imposantes :

« FUYEZ »

Agathe acquiesça et déplaça doucement sa main vers celle de Camille, qui sentit son cœur se serrer. Le chasseur de prime sourit nerveusement à l’attention de Jacob et de Noah.

« Non, non, vous ne m’aurez pas comme ça. » souffla-t-il. « Le Pacificateur n’attaque plus personne depuis longtemps… »

Il réfléchissait à haute voix plus qu’il ne leur parlait. Malgré son hésitation et sa peur, sa raison semblait prendre le dessus. Il connaissait ses proies et savait peut-être déjà à quoi s’en tenir. Mais de son point de vue, cela restait toujours un risque qu’il fallait décider de prendre ou non. D’un instant à l’autre, il pouvait appuyer sur la gâchette et exécuter Noah pour toucher la prime. S’il décidait de passer outre ses craintes… Camille gémit en déplaçant sa main vers son partenaire, pour lui faire signe d’approcher.

Ce fut le geste de trop, qui décida leur ennemi à agir. D’un seul coup, toute l’appréhension du chasseur de prime se transforma en détermination et il visa celui qu’il estimait être le plus dangereux des adversaires : le Pacificateur. Jacob s’élança immédiatement. Agathe attrapa brutalement la main de Camille et cette dernière tendit tout son corps pour attraper la main du géant noir.


« NOAH ! » hurla-t-elle de peur qu’il ne réagisse pas.

Mais il avait réagi, et particulièrement vite. Lui aussi avait tendu sa main vers elle. Leurs doigts se touchèrent à peine lorsque le coup de feu claqua dans l’air. Camille n’eut pas le temps d’apprendre la suite des événements, elle fut tirée brutalement par Agathe et sa vision changea complètement. Mais elle eut tout même le temps de sentir les doigts de Noah glisser des siens. L’instant suivant, les deux jeunes femmes étaient sur le parking de l’hôtel du Voyageur, vide de monde et de voiture, à peine illuminé par la lumière du bar et le néon de l’enseigne dans cette nuit éternellement claire qui caractérisait Resting City.

Noah n’était pas avec elles. Camille réalisa ce fait et sentit son cœur se serrer d’une inquiétude qui frôlait la certitude. Elle le savait en danger, en danger de mort et se trouvait à présent à des kilomètres de sa position. Il fallait qu’elle le rejoigne.


« Non ! Non ! » cria-t-elle en se tournant vers Agathe, qui semblait tout aussi surprise que le géant ne les ai pas suivies. « NON ! RAMENE-MOI TOUT DE SUITE ! »

Camille paniquait complètement. Noah était peut-être déjà mort à l’heure qu’il était, ou alors avait besoin de son aide immédiate. Il fallait qu’elle le voie, qu’elle se rassure. Il fallait qu’Agathe la ramène. Elle l’agrippa par le bras, pas les épaules et hurla son besoin, effrayée à l’idée qu’il ait disparu de son champ de vision.

« Je… Je ne peux pas… » balbutia Agathe, choquée par sa réaction.

Mais Camille ne la crut pas. Elle s’enfonça dans sa crise et commença à la secouer pour la forcer à la renvoyer là-bas. Elle la frappa même avec ses poings, mais sans force. Elle pleurait, hurlait et se déchaînait, laissant la panique prendre place à la raison. Agathe elle-même commença à perdre pied face à la violence de sa réaction. Si elle l’avait pu, elle l’aurait ramenée immédiatement. Mais le pouvoir qui lui permettait d’avaler les plus grandes distances en un pas ne fonctionnait qu’une fois par nuit et il leur aurait fallu marcher un bon moment avant de rejoindre la ruelle. Il serait alors déjà trop tard pour faire quoi que ce soit. Elle-même s’inquiétait déjà beaucoup pour Noah et la réaction de Camille ne l’aidait pas du tout à espérer que tout s’était bien passé.

Alors que la jeune femme aux chaussures noires continuait d’hurler après elle et de la frapper, les trois propriétaires des lieux arrivèrent en trombe, persuadés qu’un danger guettait leur hôtel. Il ne leur fallut pas longtemps pour comprendre qu’ils n’avaient eux-mêmes rien à craindre et pour intervenir. Carlos et Alban attrapèrent Camille le plus doucement possible et la tirèrent vers l’arrière pour qu’elle cesse de s’en prendre à Agathe. Roberto, de son côté, aida cette dernière à se remettre. Il fallut une bonne minute aux deux hommes pour maîtriser la fille aux cheveux clairs sans la blesser et la ramener dans le bar. Ils l’installèrent dans le plus confortable des fauteuils et tentèrent de la consoler et de la rassurer. Ils se montrèrent suffisamment convainquant pour qu’elle se contente de se fermer sur elle-même en pleurant.

Roberto installa Agathe sur l’un des sièges du bar et lui servit immédiatement un petit remontant. Après lui avoir demandé si elle allait bien et si elle avait besoin de quoi que ce soit, il commença à s’intéresser à ce qu’il s’était produit et qui justifiait une telle crise de la part de Camille. Un peu nerveusement, l’agoraphobe lui raconta la rencontre avec le chasseur de prime et la menace qui avait pesé sur Noah. Le barman des lieux eut un sourire paternel.


« T’en fais pas va. » dit-il en lui serrant la main par compassion. « C’est pas demain la veille qu’on abattra le Pacificateur aussi simplement. Et je ne crois pas qu’une balle face peur à l’intouchable. Ils s’en sortiront très bien. Au pire, ils ont de l’expérience, ils savent à quoi s’en tenir. S’ils étaient vraiment en danger, ils auraient fui avec vous. »

Même si ces paroles étaient prononcées par un fan inconsidéré des deux personnalités en question, qui plaçait une trop grande foi en eux et ignorait que l’un avait des tendances suicidaires et que l’autre refusait de lever la main sur quiconque, elles eurent l’effet escompté. Agathe sourit à nouveau. Il était effectivement peu probable qu’un seul chasseur de prime vienne à bout d’un tel duo. Et Jacob s’était déjà avancé au moment du tir, il avait probablement pu intercepter la balle, non ?

« Voilà, c’est toujours plus joli quand on sourit. » commenta Roberto. « Pense à autre chose. Cette enquête ? Vous en êtes où ? »

Le sourire d’Agathe disparu pour faire place à un profond soupir.

« Nulle part. » avoua-t-elle. « On a rien trouvé de plus. »

« Je peux peut-être aider, vous auriez besoin de quoi ? » proposa-t-il en toute sincérité.

« D’une équipe de voyageurs capables de cambrioler n’importe quel coffre en ville. » lança-t-elle dans un sarcasme.

« Oh. » fit alors Roberto.

Puis, il se pencha vers elle, lança un petit regard dans la direction des trois autres et eut un sourire plein de malice.


« Il se pourrait que je connaisse quelqu’un à ce sujet… » glissa-t-il.

« Hein ? » s’étonna Agathe. « Qui ? »

« Nous. »



POLINO
GABRIEL

Personnage

Roses et Rouges - Page 2 921877Anarito

    Age : 15 ans.
    Ville : Lyon (France).
    Activité : Lycéen.
    Dreamland : Manieur de la Lampe Blanche.
    Objet magique : Lampe Blanche, un artefact capable de produire différentes sortes de lumières aux effets incroyables.
    Aime : Dreamland, ses amis, se rebeller, lire des carnets de voyageurs, les romans de fantasy, Muse.
    Déteste : Les devoirs, le système (un peu), les crétins dans sa classe qui le charrient, le sport et les matières scientifiques.
    Surnom : Anarito.

    Le saviez-vous ?
    Gabriel n’a jamais vu E.T. L’Extraterrestre qu’une seule fois.


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Jacob Hume
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MessageSujet: Re: Roses et Rouges Roses et Rouges - Page 2 EmptyLun 24 Nov 2014 - 20:04
6/ Cambriolage.

Le combat ne fut pas long, il ne dut pas aller au-delà d’une minute ou deux. Tout se passa même très vite. Jacob s’était lancé vers l’avant et avait changé la forme de sa bulle en mur avant même que le chasseur de prime ne tire. La balle destinée à Noah avait ricoché sur la barrière invisible et il avait ensuite donné un coup dans la main de l’agresseur pour lui faire lâcher l’arme et ainsi mettre le géant pacifiste hors de danger.

Au corps à corps, la créature des rêves s’était montrée plus que redoutable. Ses talents étaient impressionnants et tous ses coups étaient extrêmement dangereux. Si Jacob n’avait pas eu sa bulle pour le protéger des lames qui l’avaient assailli, il serait mort une bonne dizaine de fois et aurait perdu l’usage de deux membres. Cependant, c’était un fait, sa bulle le protégeait et c’était justement ce qui avait rendu la rencontre parfaitement déloyale. Le chasseur de prime n’avait pas pu le blesser une seule fois et avait testé sa résistance jusqu’à s’en briser les phalanges. Hélas, à chaque coup trop puissant qu’il risquait de prendre, le voyageur changeait la forme de sa protection pour briser les mouvements de l’autre avant même qu’ils n’atteignent leur cible. Il avait bien tenté de tirer un second pistolet de ses vêtements. Mais le coup n’avait pas eu plus d’effet que le premier, la balle avait été déviée par un mur invisible, tout comme la suivante. Pire, l’intouchable s’était emparé du canon encore brulant et l’avait écrasé à la force de sa poigne. C’est à cet instant que la créature des rêves avait accepté sa défaite.

Elle ne pouvait percer cette armure pour l’instant et risquer de perdre ses armes si elle s’acharnait. Le chasseur de prime s’était dégagé du combat, avait sorti un grappin d’une manche et s’était éclipsé en plaçant un coup dans la mâchoire de Jacob pour le ralentir. Inefficace, évidemment, mais il gagna ainsi quelques précieux centièmes de secondes qui lui permirent de disparaître à travers une fenêtre. L’intouchable n’avait pas cherché à voler à sa poursuite, il s’était simplement assis dans sa bulle et avait respiré à pleins poumons.

Si tard dans la nuit, si le combat avait duré davantage, il aurait fini par s’écrouler de fatigue, vaincu par sa propre bulle. Il lui fallut un peu plus de temps pour retrouver ses esprits et sa force. Noah sembla réapparaître devant lui, sain et sauf. Ravi de l’apprendre, l’intouchable accepta son aide pour se relever ils se rendirent ensemble vers l’hôtel du Voyageur, pour rejoindre les filles et les rassurer.

Ils ne parlèrent pas de tout le trajet – évidemment. Cependant, ils partageaient la même appréhension. Ce chasseur de prime n’était pas une petite frappe. Il pouvait effectivement les vaincre s’il y mettait l’énergie et l’intelligence nécessaire. Ils étaient tous deux des prises de choix, il était peu probable qu’il les lâche de sitôt. Surtout si Lucien avait augmenté la mise sur leur tête. C’était un nouveau problème auquel ils devraient faire face sous peu.


---

« Quoi ? »
Agathe s’était levée sous le choc et observait à présent Roberto avec méfiance. Sa voix avait attiré l’attention des autres qui s’étaient tournés vers elle en attendant d’en savoir plus. Elle recula d’un pas en regardant le barman et ses deux complices successivement et en les pointant du doigt.

« Non, non… » souffla-t-elle, peinant à y croire.

« Roberto ? » interrogea Alban, inquiet.

« Quoi ? » s’indigna l’interpelé. « J’allais pas lui mentir quand même. Si on peut les aider à sauver la ville… »

« Qu’est-ce qu’il se passe ? » demanda Camille d’une voix si faible qu’on faillit ne pas l’entendre.

« C’est eux ! » s’exclama Agathe en continuant à les désigner. « C’est eux ! C’est les voleurs ! »

La jeune femme en pleurs resta absolument interdite pendant un instant. Les visages de Carlos et Alban se décomposèrent. Le premier se tendit complètement, comme une proie sentant un prédateur approcher. Le second leva les mains en signe d’apaisement.

« Mesdemoiselles… » dit-il en serrant tout de même les dents. « Pas de panique… »

« Vous êtes les voleurs ? » demanda Camille, qui commençait à retrouver un peu de voix.

Alban se tourna vers elle et eut un sourire contrit.


« Ecoutez, ce n’est pas ce que vous croyez… » tenta-t-il.

« C’est exactement ce qu’elle croit, Alban. » trancha Roberto, beaucoup plus détendu que ses camarades.

« Putain, Roberto, la ferme ! » l’engueula Carlos. « Tu nous a assez foutu dans la merde comme ça ! »

Camille commença à se redresser, comprenant que la situation exigeait son implication quelque part. Agathe n’était pas tout à fait en garde, mais ses deux pieds campaient fermement sur le sol. Elle était prête à utiliser son pouvoir en cas de besoin.

« C’est vrai, vous êtes les voleurs ? » demanda à nouveau Camille, qui n’avait toujours pas entendu de confirmation claire.

« Oui. » admit Alban. « C’est bien nous, mais ce n’est pas aussi simple que ça. »

« Putain, Alban ! » se plaignit Carlos.

« La ferme Carlos ! » ordonna sèchement l’autre, qui apparaissait à présent comme le chef du groupe. « Ecoutez, on ne veut pas d’embrouilles, on ne veut pas vous faire du mal. Détendez-vous tous, s’il vous plaît. »

« Mais, pourquoi ? » poursuivit Camille, qui avait beaucoup de mal à admettre l’idée.

Alban sembla hésiter entre plusieurs réponses et en balançant ses bras de droite à gauche en signe d’excuse préalable.


« Pour tout un tas de raisons. » lâcha-t-il finalement. « Mais pour faire simple, on voulait juste s’amuser un peu. »

« S’amuser un peu ? » s’indigna Agathe à l’autre bout de la salle. « Vous appelez ça vous amuser ? Voler des innocents ? »

« Ils ne sont pas tout à fait innocents, tu sais. » envoya Roberto. « Aucun patron de cette ville ne l’est vraiment… »

« Alors vous vous êtes dit que vous alliez faire comme tout le monde ? » reprocha immédiatement la voyageuse.

« Non, c’est pas ça… » se défendit Roberto, mal à l’aise. « C’est juste que… Enfin, ils l’ont un peu cherché quoi… »

« Ce que Roberto veut dire, c’est que quand on a acheté ce motel, les autres patrons n’ont pas été très sympa... »

« Pas très sympa ? C’est une excuse ? » insista Agathe, toujours aussi indignée.

« Ils ont tout de même essayé de nous faire virer de la ville. » intervint Carlos. « Ils étaient prêts à détruire l’établissement si on ne partait pas de nous-mêmes ! »

Agathe fronça les sourcils, n’exagérait-il pas un peu ?

« Vous faites quoi alors ? Vous vous vengez ? »

Les trois hommes se regardèrent, incapables de mentir sur ce sujet.

« Non, c’est pas ça. » avoua Carlos.

« C’est juste que… » poursuivit Roberto. « Nos vies réelles sont pas hyper folichonnes, on bosse dur pour pas grand-chose et c’est un peu morne. Et puis, gérer cet hôtel la nuit, c’est sympa, mais c’est pas comme s’il y avait une folle ambiance tous les soirs, alors… »

« Alors, vous avez décidé de chasser l’ennui en vous mettant au défi. » acheva Camille en essuyant ses larmes et en reniflant. « Très mature. »

Ils eurent tous les trois le même air gêné, qui indiquait à la fois qu’ils savaient qu’ils n’auraient pas dû, mais que ça avait tout de même été follement amusant.

« La vrai question c’est : qu’est-ce que vous allez faire ? » demanda Alban. « Vous allez nous dénoncer à Miraz ? »

Les deux jeunes femmes échangèrent un regard.

« Parce que si c’est le cas, on aimerait autant disparaître un peu avant… » informa-t-il.

Agathe réfléchit. De son point de vue, ils ressemblaient à des enfants tant leur attitude avait été puérile. Hélas, de la part de quadragénaires, c’était irresponsable et criminel. Elle ne pouvait pas exactement leur donner des lignes à copier ou la fessée puis insister pour qu’ils ne recommencent pas. Ils méritaient amplement d’être capturés et jugés pour avoir pris de tels risques et commis de tels actes. Certes, le vol n’était pas le pire des crimes, surtout lorsqu’il était réalisé avec l’élégance des romans de Maurice Leblanc. Pourtant, l’argent qu’ils avaient volé n’appartenait pas seulement aux patrons véreux qu’ils avaient visés, mais aussi à tous leurs employés. Sans parler du fait que leur petite combine avait contribué à mettre à mal la ville.

D’un autre côté, ils avaient été les meilleurs hôtes du monde et n’avaient eu de cesse de les aider. Ils étaient amicaux, généreux et sincères, elle ne pouvait s’empêcher de les apprécier, voire même de les adorer. L’idée de les livrer à Miraz ne lui plaisait pas du tout. Elle y perdrait des amis et il gagnerait la satisfaction d’avoir eu raison sur les voyageurs depuis le début. La victoire du capitaine de police était une chose qu’elle ne tenait pas vraiment à voir de sitôt. Enfin, restait le fait qu’ils pouvaient effectivement les aider en leur qualité de voleurs, plus qu’en tant que maîtres d’hôtel.

Camille paraissait penser la même chose, car elle brisa la première le silence avec un air grave :
« Vous avez un lien avec Lucien Sandman ? »

« Quoi ? » s’indigna Carlos.

« Ce type est un monstre ! » s’emporta Roberto, choqué qu’on puisse l’associer à lui.

« Jamais ! » assura Alban, lui-même affolé par l’idée. « C’est un fou furieux sanguinaire. On ne veut rien à voir avec lui, jamais ! »

« S’il venait, on serait les premiers à le livrer aux autorités. » insista Carlos.

« Oui, enfin, on se ferait surtout latter la gueule. » relativisa Roberto.
« Ta gueule. » répliqua son ami. « C’est pas le sujet. »

A nouveau les deux femmes échangèrent un regard. Aucune ne doutait de leur sincérité.

« Très bien, on ne vous dénoncera pas. » trancha Agathe.

Les trois hommes sourirent et commencèrent à la remercier chaudement. Ils étaient plus que ravis, et promirent d’eux-mêmes de ne jamais recommencer.


« Ah, ah, ah ! » les interrompit l’agoraphobe en levant un doigt. « On a tout de même une condition. »

« Tout ce que vous voulez ! » lança Roberto, appuyé par les deux autres.

Et les deux jeunes filles commencèrent à leur exposer leur plan. Ils rechignèrent un peu au début, l’idée n’était pas aussi plaisante qu’ils se l’étaient figurée, mais ils ne s’y opposèrent pas longtemps. Ils savaient à quoi s’en tenir à présent. Ils commençaient à discuter des détails lorsque Jacob poussa la porte d’entrée, accompagné de Noah. Camille se précipita sur ce dernier et le serra contre elle avec un tel soulagement qu’il fut forcé de sourire. Quelques instants plus tard, ils étaient tous au courant de tout.


---

Carlos fit attention à ne pas bouger, ce qui n’était pas si simple dans sa position. Il aurait ri du ridicule de sa situation si cela n’avait pas menacé de faire tomber un nuage de poussière qui l’aurait trahi. Il était piégé dans le conduit qui servait à monter et à descendre le linge de l’hôtel Ellis et sa situation était quelque peu précaire. Il tenait grâce à la pression que ses jambes maintenaient sur les parois, ce qui était hautement inconfortable et passablement harassant pour quelqu’un qui ne s’entraînait pas tous les jours. Heureusement, les voyageurs avaient une certaine tendance à développer des capacités physiques hors normes et l’effort passait mieux qu’il ne s’y était attendu.

Néanmoins, l’employé de l’hôtel prenait son temps et commençait à l’agacer.

Il possédait des pouvoirs pour couper les sons dans une zone, rendre les autres sourds ou se rendre lui-même parfaitement inaudible, ce qui lui avait permis de grimper jusqu’ici sans se poser de questions sur sa discrétion. Le problème était que cela ne le rendait pas invisible pour un sou et que même si l’endroit était relativement à l’écart de tout passage – personne n’empruntait ce conduit pour passer d’un étage à l’autre, sauf les voleurs – il était néanmoins régulièrement utilisé. Le linge sale était entassé dans une nacelle au niveau des étages et envoyé vers la buanderie qui se trouvait au rez-de-chaussée et une autre nacelle servait à faire remonter les draps propres. Alors qu’il venait de passer le panneau du premier étage, un employé l’avait ouvert pour faire descendre un paquet de housses, de taies et d’alèses usagées. Carlos était trop haut pour qu’il le voie. Cependant, si le voyageur avait fait tomber de la poussière, l’employé l’aurait remarqué immédiatement, mieux valait qu’il n’ait aucune raison de jeter un coup d’œil dans le conduit.

Enfin, le linge fut en bas et la trappe fut refermée. Carlos se remit dans une position plus agréable et souffla un peu. S’introduire ici avait été un jeu d’enfant. La porte de service de l’hôtel, celle qui donnait sur la ruelle où Ben aimait bien amener ceux qui ne lui revenaient pas pour les tabasser, n’était jamais surveillée et menait sur un couloir qui communiquait directement avec la buanderie. Il avait suffi de ne pas se faire remarquer et d’attendre qu’un employé quitte l’endroit pour s’introduire dans le conduit. D’une simplicité extrême, à la différence que le temps lui était compté. Il devait atteindre le bureau avant que les autres ne s’endorment.

C’était la seule et unique difficulté de ce vol à leurs yeux : trouver le moyen d’introduire tout le monde dans le bureau et non seulement les trois voleurs, tout en s’assurant évidemment que Vigorio Ellis n’y soit pas. Naturellement, Roberto Alban et lui étaient habitués à s’introduire discrètement dans certains endroits, mais les quatre autres voyageurs n’avaient aucune expérience en la matière. Un homme seul n’aurait eu aucun mal à pénétrer dans l’hôtel sans se faire voir, évidemment. Mais sept personnes ne manqueraient pas d’attirer l’attention. La solution trouvée avait donc été d’envoyer le contrôleur du silence en amont de tous les autres, en le forçant à s’endormir une heure avant tout le monde. Une fois qu’il serait dans le bureau, les autres n’auraient plus qu’à penser à lui et y apparaîtraient, tout naturellement. Il n’y avait pas la moindre alarme ou la moindre caméra dans tout l’hôtel, ce qui lui facilitait grandement la tâche.

Dans le même temps, Alban avait pris rendez-vous avec le patron de l’Ellis. Tout le monde savait que celui-ci ne recevait jamais dans son bureau même, mais dans un petit salon au même étage, pour mieux impressionner ses invités. Prétextant une affaire financière qui aurait pu leur bénéficier à tous les deux, le chef de leur petite bande avait obtenu une entrevue à l’heure souhaitée. Le temps que régler ce détail leur avait laissé trois nuits pour préparer le reste. Mais il n’y avait pas eu besoin de faire grand-chose en réalité : tout cela était beaucoup trop simple aux yeux des trois voleurs.

S’ils avaient beaucoup rechigné, c’était uniquement pour cette raison. Eux aussi voulaient aider à faire tomber Lucien et lorsqu’Agathe leur avait demandé de mettre leur talents à contributions, ils s’étaient imaginés relever le défi de leur carrière : un dernier coup de maître avant de se ranger définitivement. Mais voler l’Ellis était un jeu d’enfant, ils avaient été déçus. En réalité, le quatuor d’investigateurs aurait pu s’en charger seul s’ils s’étaient un peu entraînés. Il n’y avait aucune gloire, aucun plaisir à voler un coffre qui n’était pas un tant soit peu protégé. Aucune caméra ? Pas d’alarme ? Un chemin évident et dégagé ? Où était le défi ici ? Mais les filles les avaient convaincus assez facilement et eux-mêmes pouvaient avoir honte d’avoir cédé si rapidement. Hélas, en échange de la promesse d’un autographe de l’intouchable, ils auraient fait bien plus que cela. Jacob Hume ne signait jamais de photos, malgré sa popularité. Une telle rareté serait le plus grand trophée de leur collection.

Enfin, après deux minutes de plus consacrée à grimper, Carlos atteignit le troisième étage, où étaient concentrée toute l’administration des lieux. La porte du bureau ne se trouvait que dix mètres après la sortie du conduit. Hélas, le couloir en lui-même risquait d’être occupé par des employés et la porte fermée à clé. C’était pour cette raison qu’il s’était muni de crochets et de l’appareil photo d’Alban. C’était un artefact magique qui représentait le pouvoir de ce dernier. Avec celui-ci, il pouvait non seulement prendre des photos – qui étaient ensuite régulièrement accrochées aux murs de leur hôtel – mais aussi figer les choses pendant quelques secondes sans qu’elles ne s’en rendent compte. Cette petite merveille leur avait permis de tromper plus d’un garde ou d’une caméra. Combiné avec le pouvoir de Carlos, c’était redoutable.

Il poussa délicatement la porte du conduit et tenta de déterminer si quelqu’un s’y trouvait ou non. Un employé l’empruntait bien à ce moment même, se dirigeant vers les escaliers avec un petit chariot vide. Carlos fit doucement passer l’appareil et l’enclencha. Le flash emplit le couloir et l’homme au chariot s’arrêta sur place.

Le voleur se précipita, il se hissa d’un geste assuré dans le couloir, retomba lourdement et fila jusqu’à la porte. C’était fermé, comme prévu. De sa main experte, il fit jouer ses crochets sur la serrure et celle-ci céda sans même chercher à lui résister. C’était beaucoup trop simple pour être amusant. Il se glissa à l’intérieur et s’enferma juste avant que la vie ne reprenne son cours normal dans le couloir.

La pièce était très sombre, il avait du mal à identifier les formes des meubles dans la pénombre. Les volets étaient clos derrière l’imposant bureau de bois du propriétaire des lieux et il aurait été mal avisé de les ouvrir en tant que cambrioleur. De même allumer la lumière ou même une simple lampe torche était hors de question. On aurait pu repérer le faisceau percer à travers l’espace qui séparait la porte du sol. En revanche, il créa immédiatement une bulle de silence autour de la pièce pour qu’aucun son n’en sorte le temps qu’il se trouverait ici à attendre les autres et même après.

L’endroit était meublé agréablement. Outre l’imposant bureau et le fauteuil en cuir qui l’accompagnait, plusieurs autres fauteuils et une table basse y étaient placés, le tout encadré par deux imposantes bibliothèques à l’ancienne qui couvraient entièrement les murs et qui étaient pleines à raz-bord de textes en tout genre, probablement administratifs pour l’essentiel. Le parquet, parfaitement entretenu, était recouvert de quelques tapis chauds et doux au contact. Il n’y avait pas des milliers d’endroits où cacher un coffre ici. Il se mit donc en quête de le trouver en attendant que tout le monde arrive : moins de temps ils passeraient ici, mieux ce serait.

Un autre défaut de leur plan reposait sur l’extraction. Il ne fallait surtout pas négliger ce genre de détail dans une opération de ce type. Surtout lorsqu’elle concernait au moins six personnes. Hélas, la seule solution viable qu’ils avaient trouvée était de foncer. Il avait avec lui des cagoules pour cacher leurs visages et dès que la voie serait approximativement libre, ils courraient jusqu’au conduit y glisseraient les uns après les autres et fileraient jusqu’à la sortie en priant pour que personne ne les arrête  à temps. Aidés par les pouvoirs de Carlos, les choses se passeraient probablement bien, hélas, c’était extrêmement risqué aussi. Mais une fois qu’ils seraient en possession des preuves dont ils avaient besoin, la discrétion serait moins nécessaire.

Au moment, où il trouva enfin le coffre, encastré dans le placard de l’une des bibliothèques, les autres commencèrent à apparaître. Le Pacificateur d’abord, qui lui fit un signe pour le rassurer, puis les deux membres de la SDC, Camille et enfin, Roberto. Par réflexe, personne n’avait prononcé le moindre mot jusqu’à présent, aussi, lorsque le barman commença à parler, habitué aux pouvoirs de son acolyte, ils sursautèrent tous – sauf l’intouchable.


« Alors, il est où ce coffre ? »

« Là. » indiqua Carlos.

La seule chose que Carlos ne pouvait pas faire, c’était bien d’ouvrir le coffre. Il y avait une grande différence entre crocheter une serrure simple et forcer une porte blindée. C’était là que les pouvoirs de Roberto intervenaient. Il contrôlait les vibrations. En appliquant sa main sur les coffres, il pouvait les faire céder en provoquant de mini-séismes qui avaient le même effet que la dynamite dans les bandes dessinées de Lucky Luke. A trois, ils pouvaient voler n’importe quel bureau de cette ville. Techniquement, ils n’avaient pas besoin des quatre autres. Mais ceux-ci avaient insistés pour être présents et ce pour plusieurs raison.

Tout d’abord, en entendant à quel point le plan d’extraction était bancal, ils préféraient s’assurer de voir les preuves avant qu’elles ne soient récupérées par leurs ennemis. Plus encore, ils ne leur faisaient pas totalement confiance pour ne prendre que les preuves et laisser le reste en place. Enfin, s’il y avait besoin de forcer le passage vers la sortie, ils préféraient être là en masse, afin que les trois voyageurs chargés de la sécurité de l’hôtel ne puissent espérer les arrêter. Et puis, ils voulaient être les seuls juges de ce qui pourrait constituer ou non une pièce à conviction.

Roberto approcha du coffre et s’accroupit pour mieux poser le plat de sa main contre la paroi.


« Et c’est parti. » fit-il, fier de pouvoir un peu montrer ses talent.

Il y eut un moment de silence, suivit d’un bruit sec et la porte se retrouva à moitié fendue, complètement défoncée.


« Et voilà le travail ! » annonça-t-il en rigolant presque.

D’un geste assuré, il tira la porte du coffre vers lui pour l’ouvrir. L’instant suivant, une détonation sourde éclatait à l’intérieur et toute la pièce fut aussitôt complètement envahie par une épaisse fumée grise. Tous les voyageurs commencèrent à suffoquer sans vraiment comprendre ce qui leur arrivait. De l’autre côté de la pièce, quelqu’un alluma un briquet et s’en servit pour enflammer l’extrémité d’une cigarette. La lumière du plafonnier agressa les yeux des cambrioleurs une seconde plus tard.

Ben retira sa main de l’interrupteur et la clope de ses lèvres.


« Salut. » fit-il.



BARON-AZZARO
CARLOS

Personnage

Roses et Rouges - Page 2 308678Carlos

    Age : 44 ans.
    Ville : Séville (Espagne).
    Activité : Cadre dans une banque.
    Dreamland : Contrôleur du silence et gentleman cambrioleur.
    Objet magique : Aucun.
    Aime : Tout ce qui touche à la célébrité, miss Ann Darrow, Dreamland, son hôtel, papoter, Roberto et Alban, les boîtes de nuit.
    Déteste : Les autres patrons de Resting City, le célibat, les trop longs silences, l’inactivité, le ski.
    Surnom : Aucun.

    Le saviez-vous ?
    Carlos, dans le monde éveillé, se fait souvent passer pour un grand voleur auprès des femmes, ce qui a un certain succès.


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Jacob Hume
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MessageSujet: Re: Roses et Rouges Roses et Rouges - Page 2 EmptyLun 24 Nov 2014 - 22:13
7/ La vérité.

Dès qu’il avait entendu parler de ce rendez-vous étrange avec l’un des propriétaires de l’hôtel du Voyageur, Ben s’était méfié et avait fait part de ses suspicions à son supérieur, qui les avaient écoutées avec respect et intelligence.

A l’origine de toutes les rumeurs qui faisaient de Vigorio Ellis la pire crapule que cette ville ait jamais connu, il y avait un constat étonnant. A l’heure où Resting City subissait de plein fouet une recrudescence du crime qui menaçait son équilibre, ses hôtels semblaient tous miraculeusement épargnés par le fléau. Pire encore, il n’avait jamais fait autant de profit qu’en ces temps troublés. Par trois fois déjà, au cours de ces longs mois difficiles, il avait racheté des établissements au bord de la faillite pour une misère et les avait redressés rapidement. Là où la prostitution s’était installée, où des troubles fêtes empêchaient les clients de profiter des services proposés, où l’insécurité régnait autrefois, il avait su créer des havres de paix et de prospérité. On avait alors cru que la raison pour laquelle ses hôtels n’étaient jamais touchés par le mal qui sévissait en ville était qu’il en était la source. Il était bien aisé de croire qu’il avait manigancé toute cette détresse afin de couler ses principaux concurrents et de constituer les bases d’un empire qui ne cesserait jamais de croître.

Hélas, ces rumeurs qui avaient conduit le consortium d’hôtels à engager Camille et Noah pour résoudre le problème qu’il représentait étaient parfaitement infondées. Pour Ben, ce n’était que des calomnies initiées par des hommes jaloux d’un succès bien mérité. Lui-même connaissait parfaitement les rouages du système que son employeur avait mis en place et il savait que jamais celui-ci n’aurait pu créer un réseau capable de mettre à ce point à mal la ville. La seule et unique explication au succès de Vigorio Ellis tenait à ses étonnantes capacités de manageur et à la qualité de ceux qui servaient sous ses ordres. De fait, si aucun importun ne venait jamais troubler le commerce de ces établissements, c’était bien parce que Ben veillait au grain.

Peu de voyageurs employés par les hôtels de cette ville avaient la vocation, la dévotion ou le talent nécessaire pour parvenir à ce résultat. La plupart se terraient simplement dans une position confortable ou profitaient du salaire quelques temps avant de repartir à l’aventure. Mais pour Ben, c’était autre chose, son engagement allait au-delà d’un simple travail : il aimait profondément ce qu’il faisait et développait des trésors d’ingéniosité pour le faire au mieux. Certes, l’Ellis et tous les hôtels associés n’avaient pas de caméras de sécurité et disposaient d’un personnel plutôt réduit en la matière. Pourtant, ils disposaient d’un atout plus exceptionnel encore avec leur chef de la sécurité.

N’importe quel employé connaissait les consignes de sécurité et était capable de prévenir les subordonnés de Ben en moins de dix secondes si le moindre problème survenait. Au moindre signe suspect, on écartait le danger avant même qu’il ne naisse. Si quelqu’un semblait s’intéresser d’un peu trop près au fonctionnement de ceci ou de cela, on lui demandait de partir. Si un personnage rôdait un peu trop autour de l’établissement, il recevait rapidement la visite de voyageurs expérimentés. Rien n’était laissé au hasard et les incidents étaient rares, immédiatement maîtrisés. Chaque fautif était traité avec grande violence pour que le message passe bien. Cette politique quelque peu drastique avait si bien porté ses fruits qu’elle avait donné naissance, en partie du moins, à la légende qui entourait Vigorio Ellis.

Naturellement, ce n’était pas tout. Le patron de l’Ellis trempait effectivement dans plusieurs affaires louches ou illégales, de même il n’avait pas hésité à envoyer Ben intimider les propriétaires des hôtels qu’il voulait racheter à plusieurs reprises. Il cachait de temps à autre des marchandises interdites ou accueillait des criminels en fuite quelques temps – du moment que ceux-ci faisaient profil bas – en échange d’importantes sommes d’argent. Il finançait aussi partiellement certains trafics illégaux dans le quartier pauvre de la ville, en faisant toutefois attention à ne jamais avoir de lien direct avec tous ces criminels. Pourtant, toutes ces opérations étaient bégnines, discrètes, comparées aux fléaux qui avaient engendré la crise qui frappait actuellement la ville. Et plus le temps passait, plus les profits légaux des hôtels poussaient Vigorio à se défaire de ses obligations criminelles. Néanmoins, sa réputation de malfrat n’avait pas aidé à le blanchir de toutes les accusations qui le menaçaient, il n’avait jamais activement cherché à s’en défendre non plus, ne s’abaissant jamais à ce petit jeu mesquin.

Lorsque l’idée que son employeur soit associé à Lucien avait été suggérée, Ben l’avait rejetée en bloc, sachant mieux que personne à quoi s’en tenir en la matière. Instinctivement, il savait que c’était faux. Et son instinct le trompait rarement. Mais il avait immédiatement compris qu’un jour, Camille reviendrait à la charge et essaierait à nouveau d’accuser Vigorio. Alors, il s’était préparé et était resté sur ses gardes. Jusqu’à cette étrange proposition du propriétaire de l’hôtel du Voyageur. Il s’était immédiatement renseigné et avait suspecté un piège de la part de la jeune femme. Une fois de plus, son instinct ne l’avait pas trompé.

Parce qu’il ne se souvenait que trop bien de l’interrogatoire que la jeune voyageuse lui avait fait subir, il savait exactement ce qu’elle visait et pourquoi. Déjouer ses plans avait été d’une simplicité exemplaire. Il avait placé sa cigarette explosive dans le coffre, à la place de tous les documents – compromettants ou non – et n’avait eu qu’à attendre que le piège se referme sur ses proies. En ce moment même, Maxime et Phil attendaient son signal pour intervenir. Alban avait déjà été maîtrisé à l’instant même où il était entré dans le petit salon. Tout avait fonctionné exactement comme il l’avait prévu, la fumée avait envahi la pièce et tous les intrus étaient à présent victimes de son gaz suffoquant. Il leur faudrait plusieurs minutes avant de pouvoir retrouver une respiration plus ou moins normale, ce qui serait largement suffisant. Pour lors, ils étaient tous condamnés à tousser bruyamment. Tout s’était passé comme il l’avait imaginé… à une exception près.

Jacob Hume, l’intouchable, était encore debout, et il respirait normalement.

Ben serra les dents en voyant le voyageur le toiser en silence. Il n’avait jamais croisé personne capable d’ignorer aussi facilement son poison de cendres. Même le Pacificateur avait le plus grand mal à tenir debout et pâlissait à vue d’œil alors qu’il luttait pour conserver son attitude habituelle. Mais l’intouchable, lui, ne présentait pas le moindre signe indiquant qu’il avait été atteint d’une manière ou d’une autre. Et c’était un problème bien plus grave qu’il n’y paraissait. Il avait lu de nombreuses choses au sujet de ce voyageur et n’était pas sûr de pouvoir lutter contre lui à armes égales. Même avec ses deux subordonnés pour l’aider.

Jacob serra les poings, il se préparait déjà au combat. Il était trop tard pour appeler les deux autres. Ben devait user d’une autre tactique. Il aurait préféré les avoir tous à sa merci avant de parler, afin d’être sûr qu’ils l’écoutent, mais c’était peut-être le seul moyen qu’il avait d’empêcher cette affaire de tourner au désastre.


« Attends. » dit-il en levant la main en signe de paix.

L’intouchable n’avança pas, mais il ne se détendit pas pour autant.


« Je ne veux pas me battre. »

Jacob haussa un sourcil et lança un regard éloquent à ses camarades au bord de l’étouffement. Parmi eux, Roberto était le plus touché, il semblait même agoniser plus qu’autre chose et sa respiration n’était qu’un sifflement faible et plaintif : il n’avait même pas la force de tousser. Avec une grande volonté, Camille et Carlos s’étaient approchés de lui pour essayer de l’aider à se relever, mais leur propre cas les empêchait d’être efficaces.

« Je voulais seulement avoir votre attention. » expliqua Ben, ce qui n’était pas faux, même s’il omettait volontairement la petite vengeance personnelle qu’il venait d’assouvir vis-à-vis de la jeune femme aux chaussures noires. « Je savais que vous viendriez et j’ai des choses importantes à vous dire. »

L’intouchable ne répondit pas, il continua simplement de le fixer avec méfiance. Il ne l’attaqua pas non plus et Ben vit cela comme un encouragement.

« Vous vous trompez sur mon employeur, il n’a rien à voir avec Lucien Sandman. » assura-t-il avec conviction. « Il n’est peut-être pas aussi blanc qu’il le prétend, mais il ne ferait jamais rien pour mettre en danger la ville, bien au contraire. »

Jacob fronça les sourcils, il attendait plus qu’un nouveau déni. Ben déglutit, à chaque instant qui passait, les autres s’approchaient du moment où ils pourraient à nouveau se battre. Les maîtriser serait alors impossible.

« Vigorio Ellis a effectivement quelques affaires qui ne sont pas tout à fait légales. » avoua-t-il en signe de bonne foi, ce qui sembla immédiatement intéresser son interlocuteur silencieux. « Le plus souvent, il se contente d’être un dépôt pour d’autres, ou de cacher certaines personnes. Mais il fait bien attention à ne jamais se mêler d’affaires trop graves. »

L’intouchable s’était un peu détendu. Il restait sur ses gardes, évidemment, mais il n’était plus aussi menaçant qu’avant. La plume et le calepin qui l’accompagnaient s’agitèrent et un message s’inscrivit sur le papier.

« Comment je peux en être sûr ? » lut le chef de la sécurité des lieux. « Parce que je suis l’un de ses principaux employés. Il me demande mon avis sur ces activités, pour s’assurer qu’il ne prend pas de risques. Voilà comment je le sais. »

Camille, qui s’était détourné de Roberto pour écouter, inspira soudain, ce qui lui valut une nouvelle crise de toux, plus forte encore que les précédentes. Elle chercha cependant à prononcer quelques mots.

« Faux. » accusa-t-elle en devenant rouge pour essayer de contenir sa toux. « On… a… trou… trouvé ça… sur… scène… de meurtre… »

Et elle mit la main à la poche pour lui lancer le briquet que la sécurité du Dream’s Palace lui avait donné quelques nuits plus tôt. Ben le ramassa et l’observa un instant avant de hausser les épaules.

« Ça ne veut rien dire. » déclara-t-il, trouvant même l’idée puérile en soi. « On en donne gratuitement à tous les clients du bar qui en demandent. Le meurtrier est peut-être venu boire un verre une fois, avant de repartir. J’en sais rien. Non, jamais mon patron ne tremperait dans un truc aussi gros. »

« Peut-être… San… Sandman… pas… dan… dangereux… en ap… en ap… apparence. » tenta-t-elle, cherchant visiblement à l’accuser au moins par le regard.

« Non, même si Sandman était venu le voir pour lui proposer un deal il n’aurait pas accepté. » écarta Ben, trouvant la supposition presque ridicule. « Il est trop inconstant et trop dangereux. Et puis, il n’est jamais venu proposer le moindre accord à mon patron… »

« Comment… tu… tu… » balbutia-t-elle avant d’être prise par une nouvelle crise. « Comment tu peux… être… si… sûr ? »

« Parce que Lucien Sandman n’a jamais passé le moindre accord avec personne dans cette ville. » lâcha-t-il avec un petit sourire victorieux.

Cette fois, tous les autres membres du groupe le regardèrent, peu importe leur état, éberlués par son affirmation.


« En vérité, je crois même qu’il vous a complètement menés en bateau. » poursuivit-il, ravi de les avoir pris à contrepied. « Si vous voulez mon avis, Lucien Sandman n’est à l’origine d’aucun des problèmes de la ville en ce moment et n’a absolument aucun plan en tête pour transformer ce royaume en cauchemar. Il a simplement raconté ça pour attirer notre attention. »

Ils restèrent sans voix pendant un moment et pas seulement à cause de la fumée qui entravait encore leurs poumons. Ils étaient réellement surpris. Ce fut une fois de plus Camille qui tenta une nouvelle fois de le contredire.

« Non… non… C’est impossible… tu… mens… Il… Il a… Il savait… »

« Il savait quoi ? » rétorqua Ben. « Que vous enquêtiez sur mon patron ? Dès l’instant où tu m’as torturé Camille, ce n’était plus tellement un secret. Moi-même je te recherchai comme je le pouvais. Il a pu le découvrir par lui-même. Que mon patron était mouillé dans des affaires louches ? La rumeur courait déjà, il y a simplement ajouté foi. Que les deux autres vous recherchaient ? Ils n’ont pas été discrets une seule seconde sur la question ! C’est même étonnant que tu n’aies pas su pour qui ils travaillaient plus tôt. Il parlé des problèmes que tout le monde connaissait déjà et a juste agité les bras en disant que c’était lui qui avait tout fait. Et on l’a cru. On l’a cru, parce qu’il a su nous bluffer, parce qu’il nous donné un appât plus gros que son mensonge, voilà tout. Il n’a jamais cherché à transformer cette ville en cauchemar… »

« Mais… » insista Camille, qui commençait elle-même à douter de ses propres convictions face à l’assurance du voyageur. « Il… Il a… Il a dit qu’il… voulait… »

« Transformer Resting City en cauchemar ? » lança Ben pour la rhétorique. « Mais rappelle-toi Camille, c’est toi-même qui a suggéré cette idée ! Un coup, il nous dit qu’il a un plan secret dont il ne veut pas nous parler, l’instant suivant tu proposes une idée et il saute dessus pour dire oui. C’était suffisamment inquiétant et fou pour qu’on ne s’intéresse pas au manque de consistance du reste. »

Camille continuait de le regarder, elle toussait déjà moins, mais avait encore de grandes difficultés à respirer normalement. Agathe prit le relais.

« Il a parlé… de ce qu’il avait fait… des équipes… qu’il avait... ramenés… »

« Ah, ah ! » sourit le voyageur aux cigarettes. « Oui, c’est vrai, il a dit beaucoup de choses. Comment il avait attiré des voyageurs violents, des criminels au cours des derniers mois. N’est-ce pas ? Et effectivement, on a vu toutes ces choses en ville. Mais ce n’est pas de son fait. Vous voulez savoir pourquoi ? Parce qu’il n’a pas mis les pieds à RC avant la nuit où je l’ai rencontré. »

Et pour appuyer son point, il tira le côté de sa veste, plongea sa main à l’intérieur et en sortit une page pliée du DreamMag qu’il leur lança aussitôt. Camille la reçut, l’ouvrit et lu en silence l’article qui s’y trouvait. On y voyait clairement une photographie de Lucien Sandman, indiquant qu’on parlait de lui quelque part.

« Regarde la date. » ordonna Ben, très satisfait de lui-même.

Camille écarquilla les yeux, elle venait de comprendre.


« Eh oui, à peine deux nuits avant que je l’éjecte du bar, Lucien Sandman terrorisait un pauvre royaume de la zone 1 en se faisant passer pour un ogre. » expliqua-t-il à tous les autres, pour qu’ils comprennent de quoi il retournait. « Comment aurait-il pu mettre en place un plan de cette ampleur alors qu’il passait son temps à vagabonder çà et là, hein ? »

Agathe fut la première à réclamer la page pour s’assurer qu’il disait vrai. Les autres restèrent cois par la révélation. Ils étaient tous tombés dans le panneau.

« Vous avez essayé de trouver des preuves ces dernières nuits, n’est-ce pas ? » poursuivit Ben, désireux d’aller au bout de son exposé. « Je vois que vous avez retrouvé les voleurs. J’ai entendu parler d’une enquête sur les meurtres et j’ai pas vu un seul marin à l’horizon ses dernières nuits. Dites-moi, combien de ces criminels ont avoué avoir eu des contacts avec Sandman ? »

Ils connaissaient tous la réponse. Mais l’argument n’était déjà plus nécessaire, ils étaient déjà convaincus de leur erreur. Elle était si grosse qu’ils en avaient honte. A côté, Roberto continuait de souffrir, mais sa respiration était devenue plus forte et plus rauque, ce qui ressemblait à un bon signe.

« Mais… pourquoi ? » demanda alors Agathe. « Pourquoi prétendre avoir fait… tout ça ? »

« C’est ma faute. » admit volontiers Ben. « Il est venu ici en premier. Mais il a un comportement violent et il a essayé de déclencher une bagarre dans le bar. Je l’ai éjecté avec mes hommes et on lui a crevé les yeux pour lui apprendre. A mon avis, il n’a simplement pas aimé et il a cherché un moyen de se venger. Il a attendu quelques nuits, il a observé et… il a trouvé. »

Il haussa les épaules. Parfois, les choses étaient aussi simples que ça et certains personnages n’étaient pas plus compliqués à comprendre. Lucien Sandman était connu à Dreamland pour son comportement violent et lunatique. Il n’avait simplement pas apprécié de perdre et s’était amusé à jouer avec eux et avec leurs désirs d’aider la ville.

« Le chasseur de prime… » laissa entendre Camille, plus parce qu’elle ne comprenait pas exactement ce détail que parce qu’elle cherchait à remettre en question les faits présentés par Ben.

« Quel chasseur de prime ? » demanda ce dernier.

Noah toussa pour s’éclaircir la voix.
« On a été attaqué par un chasseur de prime. Il a clairement dit que Sandman l’avait envoyé. »

Jacob hocha négativement la tête et sa plume se lança dans un petit discours qui permit à tout le monde de récupérer.

« A dit qu’il était tombé sur lui. Sandman a juste promis un plus gros morceau. Toi et moi. Promis une somme pour les filles. Etait même pas sûr d’être payé pour elles. »

Noah plissa les yeux un instant et acquiesça. En y faisant un peu plus attention, c’était effectivement le cas. Il ne fallait pas oublier que Lucien était lui-même sujet à une prime plutôt importante. Le chasseur de prime était peut-être à sa recherche avant d’être à la leur. En promettant une plus grosse somme, il avait pu écarter ce danger et ils constituaient une cible parfaite. La vérité de toute cette affaire commençait à se dessiner dans l’esprit de chacun et tous l’acceptaient amèrement. Ces dernières nuits avaient été inutilement difficiles.

« Alors qui ? » s’interrogea Camille sur le ton de la colère. « Si c’est pas Ellis, c’est pas Sandman… qui c’est alors ? Qui fout la merde dans cette ville ? »

Une fois de plus, ce fut à Jacob de répondre.

« Personne. Ou personne en particulier du moins. » écrivit-il.

« Mais… » contredit-elle immédiatement. « C’est faux. La ville sombre bien au cauchemar, non ? On peut tous le voir. Il y a forcément quelqu’un qui… »

« Pas forcément. » intervint Agathe, dont le visage semblait frappé d’illumination. « Jacob a raison, ce n’est peut-être personne en particulier, c’est juste… une accumulation de choses. »

« Comment ça ? »

« Réfléchit Camille, » insista l’agoraphobe, « il suffit que quelqu’un commence à créer un réseau de prostitution, qu’un autre débarque avec une horde de marins brutaux, que des voyageurs se mettent au défi de voler leurs homologues, qu’un tueur en série arrive en ville, qu’une bande d’anarchistes pathétiques essaie de faire passer un message… et plein d’autres trucs encore ! Si ça a lieu à peu près au même moment, juste par coïncidence, la police est débordée, tout simplement. Et d’autres criminels se disent qu’ils peuvent venir. C’est une simple réaction en chaîne... »

« Aucun de ces problèmes n’est lié. » conclut Noah, pour les informer de son assentiment.

« Après tout, même l’Ellis fait ses petites combines. » continua Agathe en ignorant royalement la présence de Ben. « Lui aussi contribue au problème à plus petite échelle. Il n’a pas besoin d’un commanditaire, les autres non plus. Chacun fait son truc de son côté et l’ensemble a des conséquences terribles. »

« Tous les patrons de cette ville ou presque sont corrompus. » commenta Carlos, ce qui eut l’approbation de Ben et d’un Roberto qui reprenait des couleurs. « Pas étonnant que ça ait fini par se retourner contre eux… »

Agathe hocha la tête pour confirmer. C’était la meilleure explication dont ils disposaient, la plus plausible et la plus simple à comprendre. C’étaient les employeurs de Camille et Noah, ainsi que Lucien qui les avaient induits en erreur en affirmant que quelqu’un devait coordonner l’ensemble. Au final, même si cela lui laissait un goût amer dans la bouche. Elle devait reconnaître que Miraz avait raison depuis le début de ne pas s’inquiéter.

« Et dire que Miraz nous a prévenu qu’on fonçait dans un mur… » laissa-t-elle entendre.

« En même temps, qui écoute ce type ? » s’emporta un peu Ben. « C’est un connard. Il disait surtout ça pour pas avoir à s’occuper d’un truc plus gros que lui. En fait, si on y réfléchit bien, il n’a jamais fait grand-chose pour empêcher la situation de dégénérer. »

On poussa des grognements d’approbation çà et là. Aucun voyageur dans cette ville ne pouvait décemment apprécier un personnage qui les méprisait à ce point. Surtout lorsqu’il passait plus de temps à les chasser qu’à mener les enquêtes qui lui incombaient. S’il y avait bien un responsable à désigner, c’était peut-être lui. Indirectement, son apathie l’avait conduit à laisser le crime s’installer dans sa ville. Mais ils n’étaient pas là pour lui faire un procès, il y avait des problèmes plus importants à régler. Maintenant qu’ils connaissaient la vérité, la question était simple, qu’allaient-ils en faire ? La ville n’était pas soudain exempte de tout problème parce qu’ils avaient découvert son secret.

Camille se redressa et regarda les autres, chacun à leur tour. A part pour Roberto qui toussait à présent dans sa moustache, tout le monde avait retrouvé sa vigueur ordinaire. Jacob était plongé dans ses pensées, réfléchissant à des choses dont lui seul avait les clés. Noah l’observait elle, en attendant qu’elle parle, l’encourageant même d’un petit sourire. Ben achevait sa cigarette en la regardant étrangement. Elle n’arriva pas à déterminer ce qu’il s’imaginait à cet instant, mais il semblait avoir complètement éliminé de son esprit qu’ils étaient une bande de voleurs. Carlos continuait de commenter l’irresponsabilité du capitaine des forces de l’ordre du royaume. Agathe avait repris la lecture de l’article sur Lucien, comme pour mieux se remettre de sa surprise précédente. Le débat s’arrêtait là, il était temps de passer à la suite.


« Très bien, c’est personne en particulier. » fit-elle pour attirer leur attention. « Mais du coup, qu’est-ce qu’on fait ? Parce que la ville est toujours sur le point de virer au cauchemar. On laisse les choses se passer en attendant que Miraz réagisse où on essaie de faire quelque chose ? »

C’était de la rhétorique, évidemment, mais ils marchèrent tous dans son jeu et répondirent tous qu’ils étaient prêts à agir et à lutter pour sauver Resting City et le rêve qu’était la ville.

« Bon, alors comment on s’y prend ? » ajouta-t-elle en croisant les bras.

« On commence par le commencement. » déclara Noah en fixant Ben des yeux.

Le chef de la sécurité de l’hôtel eut un mouvement d’incompréhension.


« Quoi ? » lança-t-il, sur la défensive.

« Ton patron. » annonça simplement le Pacificateur.

Camille eut un grand sourire. Enfin !


« Oui, je suis d’accord. » commenta Agathe. « Il faut qu’il arrête toutes ces affaires dont tu nous a parlé. »

Ben déglutit. Il n’avait pas les moyens de leur résister, pas après tout ce qui venait d’être dit. Vigorio Ellis n’allait pas aimer, mais il devrait accepter s’il ne voulait pas être crucifié à cause des aveux que son subordonné venait de faire.

« Très bien. » accorda-t-il en grognant à moitié. « Je lui en parlerai. »

« Et il devra nous aider. » exigea Camille avec malice. « Pour se racheter. »

« Quoi ? » s’indigna Ben. « Mais… Raaah ! On verra ce qu’il dit. »

Agathe, qui n’avait pas oublié ce qu’avait raconté Lucien sur la rencontre entre Camille et Ben estima qu’il était temps de détourner leur attention, pour que les choses ne s’enveniment pas inutilement.

« Très bien, et pour le reste ? » osa-t-elle.

Cette fois-ci, le silence s’imposa. Plusieurs regards furent échangés, mais personne ne répondit. Carlos et Roberto n’étaient pas aussi impliqués que les autres dans le débat, même s’ils semblaient vouloir faire leur part. Noah demeurait impassible et les autres réfléchissaient de façon un peu gênés. Oui, ils avaient trouvé la solution, ils avaient enfin réalisé, après toutes ces épreuves et toutes ces enquêtes, que personne ne tirait les ficelles, qu’il n’existait aucune machination. Pourtant, même s’ils avaient appris de nombreuses choses au cours de leurs investigations, s’ils pouvaient reconnaître le coupable des meurtres et l’arrêter, s’ils avaient mis un terme aux vols et aux graffitis, s’ils avaient chassés l’équipage du capitaine sans vaisseau, il n’en restait pas moins que leurs espoirs d’en finir vite et rapidement s’étaient amenuisés. Tout était beaucoup plus simple lorsqu’il y avait une tête à abattre, une organisation à décapiter quelque part. En faisant tomber le sommet, le reste s’évaporait et mourrait dans la foulée. Mais puisque rien n’était lié, ils n’avaient plus à s’occuper d’un énorme problème. Ils devaient à présent faire face à une multitude de criminels isolés des uns des autres.

Un moment, Agathe chercha un moyen de tous les attraper d’un coup, avant de se rendre compte que c’était impossible. Ils n’avaient pas le choix, ils devraient s’en prendre aux problèmes les uns après les autres. Ce serait plus long, ce serait plus difficile et il se pouvait bien que d’autres soucis apparaissent au fur et à mesure de leur petite croisade. Pire encore, chaque crime était différent et demanderait des stratégies nouvelles à chaque fois. Le chemin à parcourir s’étirait à mesure qu’elle y songeait.


« On ne peut pas s’occuper de tous les problèmes de la ville, on n’est pas assez… » finit-elle par dire pour briser le silence.

« On ne peut pas baisser les bras maintenant ! » s’emporta Camille, plus frustrée parce qu’elle en arrivait à cette même conclusion qu’énervée contre sa camarade.

« On a déjà fait pas mal de choses. » ajouta Noah avec un petit sourire, ce qui fut appuyé par un hochement de tête de Jacob.

« C’est juste… plus compliqué qu’avant. » convint Camille en songeant à une multitude d’obstacles qu’elle croyait pouvoir dépasser en frappant la tête d’une organisation et qui s’accumulaient maintenant devant eux comme une barrière insurmontable.

Mais cette fois, l’intouchable rejeta ce défaitisme d’un geste de la main éloquent. Il haussa les épaules. Il avait l’air convaincu que c’était possible et sa plume essaya de retranscrire ce qu’il avait à dire à une vitesse étonnante.


« On s’en fout. Marre de Miraz, des enquêtes et des plans compliqués. On fait ce qu’on aurait dû faire depuis le début. »

Sa plume cessa d’écrire une seconde, comme pour ménager le suspense, puis elle griffonna comme elle ne l’avait jamais fait, comme si elle signait quelque chose, comme si elle s’était entraînée à écrire ces quelques mots toute sa vie.

« On fonce dans le tas. »



GRANDI-CONSUELO
ROBERTO

Personnage

Roses et Rouges - Page 2 246855Roberto

    Age : 43 ans.
    Ville : Madrid (Espagne).
    Activité : Restaurateur.
    Dreamland : Contrôleur des vibrations, gentleman cambrioleur
    Objet magique : Aucun.
    Aime : Cuisiner, imaginer des cocktails, grignoter, faire du sport, conduire à travers de superbes paysages, sa femme, ses enfants, les histoires qui traitent de Dreamland.
    Déteste : La routine, le reste de sa famille, le jus d’orange, les émissions télé débilitantes et jardiner.
    Surnom : Aucun.

    Le saviez-vous ?
    Roberto était autrefois un boxeur plutôt doué, il a arrêté pour s’installer avec sa femme.


Fin de la troisième partie.
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Jacob Hume
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MessageSujet: Re: Roses et Rouges Roses et Rouges - Page 2 EmptyMar 25 Nov 2014 - 0:57
QUATRIEME PARTIE :
FONCER DANS LE TAS


« On s’occupe de qui en premier ? De Sandman ? »

« Non. Finalement il ne fait rien. » Silence. « Et puis, je ne lui ferai pas ce plaisir. On va l’ignorer jusqu’au dernier moment, ça lui apprendra. »

« Alors qui ? Dave ? »

« Dave, ouais. Un bon connard en moins. Avant qu’il tue quelqu’un d’autre. »

« Et comment on s’y prend ? »

« Mmh ? De quoi tu parles ? »

« Il est puissant, très puissant même… Plus puissant que Jacob. »

« A quatre, on peut l’avoir, non ? »
« Non pas besoin. » Nouveau silence. « On sait déjà comment le battre. On a déjà vu se battre ceux qui ont réussi. »

« Les types bar qui ont mis une raclée à Jacob ? »

« Exactement. »

---

Dave était dans la petite rue qui séparait le « Motel Monument » du « Sun Place Rest ». Malgré le soleil qui baignait usuellement l’extérieur du second, la ruelle était plongée dans une nuit plutôt obscure. Les grands immeubles qui offraient une superbe vue sur la piscine ne disposaient d’aucun vis-à-vis sur cet espace précis. Quant aux fenêtres du Motel Monument, elles étaient quasiment toutes éteintes ou couvertes par des rideaux gris. Bien qu’il se trouve aussi en centre-ville, cet établissement ne disposait en réalité d’aucun accès au boulevard central de la ville et donnait plutôt sur une rue adjacente. Contrairement aux bâtiments qui l’entouraient et qui s’élevaient vers le ciel, celui-ci ne comptait que trois niveau et s’étalait sur une grande surface. Le complexe formait une grande cour autour d’un immense parking digne des supermarchés les plus laids. Le trafic y était constant et impressionnant. On accédait à toutes les chambres par des passerelles et des balcons en béton, elles ne communiquaient pas entre elles. Le style architectural était une banalité extrême, ni flagrant de modernité, ni éloquent de couleur. Comparé à tous ces voisins, il pouvait paraître excentrique par son incroyable simplicité, mais ceux qui connaissaient bien la ville l’évitaient, il rappelait trop les quartiers pauvres dans sa monotonie quasi industrielle.

Pourtant, le Motel Monument connaissait une certaine prospérité financière qui lui avait permis d’engager une équipe de trois voyageurs pour assurer la sécurité à l’entrée du bâtiment. Ils étaient le plus souvent installés dans une petite salle vitrée d’où ils pouvaient surveiller le flux des véhicules et accueillir les non-rêveurs qui souhaitaient prendre des chambres ici. La plupart du temps, ils jouaient aux cartes ou discutaient entre eux en attendant qu’on les interpelle. Ils ne faisaient jamais de ronde et, s’entendant plutôt bien, quittaient leur local en groupe lorsqu’une intervention de leur part étaient nécessaire. Autant, ils n’étaient pas très regardants en matière de sécurité – au grand dam de leurs employeurs – et laissaient passer sans le savoir un certain nombre de trafics qui savaient se montrer assez discrets, voire même quelques clients qui se faisaient passer pour des rêveurs afin de ne pas avoir à payer les factures. Néanmoins, malgré leur incompétence notoire pour protéger le Motel Monument, ils présentaient un véritable problème pour Dave : ils ne s’isolaient jamais les uns des autres.

Cela faisait plusieurs nuits qu’il les observait et qu’il essayait de trouver la faille, mais il ne voyait pas comment s’y prendre. Il avait essayé de les attirer dans la ruelle à plusieurs reprises, sans succès. Ce qu’il se passait en dehors de la cour ne les intéressait pas et le seul moment où ils se séparaient les uns des autres était lorsqu’ils allaient aux toilettes, un événement qui, étrangement, ne concernait pas les voyageurs. Il lui restait encore plusieurs pistes à explorer, plus osées que celles qu’il avait tentées jusqu’à présent. Cela l’exposerait un peu plus, mais il était prêt à prendre le risque. Cela impliquerait peut-être de tuer une deuxième personne dans la foulée, un appât qu’il pourrait leur lancer, mais il ne voyait pas cela comme un inconvénient.

Dave aimait construire des pièges dans son esprit au moins autant qu’il se plaisait à égorger ses victimes. Jamais, avant de devenir un morpheur léopard, il n’avait éprouvé une sensation aussi enivrante que celle qui le transcendait lorsqu’il se mettait « en chasse ». C’était quelque chose d’inexplicable, chaque fois qu’il se mettait en tête de tuer quelqu’un, il en avait l’eau à la bouche, des frissons d’excitation le parcouraient et dès que le meurtre commençait, la bête en lui prenait totalement le dessus. Là, il baignait alors dans un torrent de sentiments fascinant, il se sentait puissant, supérieur, il se sentait invincible, alerte, comme si tous ses sens étaient en éveil, il se lâchait complètement. Les autres ne pouvaient pas comprendre et ils ne comprendraient jamais le plaisir que l’on ressentait à devenir un monstre. Et il savait que jamais il n’éprouverait de telles sensations hors de Dreamland. Quant au choix de ses victimes, ces voyageurs que l’on chargeait de la sécurité, ce n’était qu’une façon de plus d’exprimer sa supériorité. Les créatures des rêves ne valaient rien, elles ne méritaient pas qu’on les tue. Les rêveurs n’étaient même pas à prendre en considération. Mais les voyageurs, si fiers de leur propre force, que l’on traitait ici comme les êtres les plus à même de défendre les autres, étaient eux aussi des prédateurs quelque part. Et s’il y avait bien un objectif que Dave voulait atteindre, c’était d’être le plus grand prédateur de tout Dreamland.

Il venait d’entrer dans la ruelle, avec l’intention de briser une vitre, pour connaître la réaction de ses futures victimes. Il jetterait une pierre et sauterait avec agilité derrière les poubelles, un peu plus loin. De là, il verrait tout et saurait si son plan avait la moindre chance d’aboutir à quelque chose. Puis, d’un seul coup, tous ses sens s’éveillèrent et lui indiquèrent qu’un danger le guettait. Son instinct ne le trompait jamais et le souvenir de sa défaite contre les fous furieux en costume était encore gravé dans sa mémoire, étaient-ils revenus essayer à nouveau sur lui leurs méthodes violentes ? En un éclair, ses mains s’étaient transformées en pattes griffues, son corps s’était allongé, une queue était apparue, des crocs emplissaient sa mâchoire et ses yeux percèrent l’obscurité comme en plein jour.

Ce n’était pas les types de l’autre fois. Il n’y avait qu’un seul voyageur dans l’allée, un jeune homme qu’il avait déjà croisé une ou deux fois. C’était le type silencieux qui accompagnait la brunette, celle qui lui avait posé des questions sur la copine du Pacificateur. Celui qui avait essayé de régler leur compte aux crétins du parking du Dancing Club, et qui avait lamentablement échoué. Un voyageur puissant, mais pas autant que lui. Mais était-ce un ennemi ? Que faisait-il ici ? Que voulait-il ? Dave ne se souvenait pas l’avoir offensé d’une manière ou d’une autre, ni même avoir laissé penser une seule seconde qu’il était responsable de la mort de tous ces voyageurs. Mais sa propre présence dans la ruelle était suspecte. Ils se toisèrent un instant, sans un mot et sans un bruit, ignorant ce qu’il fallait faire dans de telles situations. Puis, une question lui traversa l’esprit. Où était la brunette ?

L’instant suivant le poing de l’intouchable s’écrasa sur son nez, un coup presque sans force par rapport à ce que lui-même était capable d’envoyer. Mais un coup impossible tout de même. Comment avait-il traversé la distance qui les séparait, pourquoi ne l’avait-il pas vu venir ? Ces questions s’évaporèrent immédiatement pour laisser place à la fièvre du combat. Un autre prédateur venait remettre en cause ses prétentions, il était temps de répliquer. Emprunt à une vitesse démesurée, il jeta ses griffes sur l’autre, qui amorçait déjà et en toute tranquillité un autre coup de poing vers ses côtes. Un coup pareil aurait lacéré n’importe qui. Pourtant, il ne parvint pas le toucher. Soudain, le voyageur fut plus loin et l’instant suivant, il lui en remettait une, avec un peu plus de puissance cette fois – pas encore de quoi l’inquiéter, mais il ne fallait pas le laisser arriver au point où il ferait mal.

Poussant un rugissement, il se précipita pour lui arracher la gorge à coups de crocs. Nouvel échec, son saut ne l’avait mené nulle part et il était retombé sur ses pas, à l’endroit même d’où il était parti. Il n’eut pas le temps d’assimiler la bizarrerie, un coup de pied menaçait son flanc : l’autre était à présent sur sa gauche. Trop facile à esquiver, il eut un mouvement de recul et se prépara à bondir à nouveau. Le pied lui atteint tout de même une cotte et cette fois avec assez de force pour lui laisser un bleu. En soi, cette blessure était parfaitement ridicule et ne changerait en rien la donne du combat. Mais le morpheur commençait à s’énerver. Il n’avait pas touché une seule fois son adversaire, alors même qu’il était plus rapide, plus précis et plus fort. Quelque chose clochait. Lorsqu’il avait vu ce voyageur se battre contre les autres, il n’avait utilisé aucune de ces techniques. Il avait un secret, il fallait qu’il le découvre.

Dave repassa à l’offensive, il n’y avait qu’ainsi qu’on gagnait un combat selon son expérience. Il tenta toutes les passes qu’il connaissait, laissant petit à petit son instinct prendre le dessus. Ses coups étaient toujours puissants, toujours mortels. Et pourtant, il ne parvenait à en placer aucun. L’autre l’esquivait à chaque fois et répondait par des piqûres de moustiques toujours plus agaçantes. Une fois, Dave eut même l’impression de recevoir un coup que l’autre n’avait même pas lancé. Rien de tout cela n’avait d’importance, il encaissait sans le moindre problème ces attaques futiles. En revanche, il commençait à se fatiguer et cela l’inquiétait davantage. Pourquoi ne parvenait-il pas à le toucher ?

Il cessa ses propres attaques un instant préférant parer cette fois-ci et tenter un revers. Il en profita pour analyser la façon dont l’autre faisait pour le toucher systématiquement. L’attaque vint, encore une fois de trop loin, mais porta tout de même. Cette fois Dave bloqua l’attaque et répliqua, il crut bien réussir à déchirer le ventre de son adversaire avec ses griffes, mais il ripa sur quelque chose. Le morpheur aurait crié à l’injustice s’il n’avait vu sa victime reculer soudain, avec un air surpris sur le visage, l’air d’avoir au moins pris un coup d’une violence peu commune dans l’abdomen. Ses griffes n’avaient pas fonctionnées, mais sa force semblait être passée. Il sourit en laissant voir ses crocs acérés. A cet instant, il savait pertinemment qu’il avait davantage infligé de dégât à son adversaire que celui-ci ne lui en avait fait, malgré la bonne quinzaine de coups qu’il lui avait mis.

C’est à cet instant qu’il repéra la source de l’anomalie. Le voyageur n’avait pas bougé les pieds pour s’éloigner, c’était la rue qui s’était distordue pour les séparer. Un agoraphobe ? Non, il l’avait vu se battre la dernière fois. Il se souvenait d’une protection invisible, celle sur laquelle il venait de ripper, pas d’esquives se jouant de la distance. Comment alors ? Un artefact ? Il n’en voyait aucun. Un allié ? Oui. La brunette ? Probablement. Où était-elle ? Ses yeux parcoururent l’allée, mais il n’eut pas le temps de la trouver, l’autre revenait à la charge, ou plutôt, la rue se pliait pour le ramener vers lui.

Dave décida de changer de tactique et d’adopter des postures de riposte plutôt que d’attaque. Il réserverait ses assauts violents pour l’agoraphobe. L’autre allait lui mettre un coup de pied, il sut exactement comment le parer et attendit l’attaque. Une paroi invisible le percuta avant même que le pied adverse ne le touche. Avec plus de violence qu’auparavant. L’approche aussi avait été plus vive. Percuté de plein fouet par un objet invisible beaucoup plus gros que le voyageur qu’il affrontait, Dave dû s’écarter un peu. L’autre revint à la charge presque aussitôt et le léopard compris pourquoi il frappait plus fort maintenant : il s’approchait beaucoup plus vite qu’avant. Il chercha à esquiver une première fois, sans succès. Il s’adapta immédiatement et choisit de se mettre en position pour encaisser au mieux les charges ennemies.

L’autre était effectivement entouré d’une protection invisible et l’agoraphobe se servait de son pouvoir pour le lui envoyer, comme si le voyageur n’était qu’une immense balle que l’on baladait d’un bout à l’autre de la ruelle. Naturellement, le prédateur aurait pu subir ce régime pendant longtemps encore. Il n’en avait simplement pas l’envie. La priorité, c’était l’agoraphobe. Il la trouva non loin des poubelles où il avait lui-même eu l’intention de se cacher. Elle essayait d’être discrète, de rester dans l’ombre, mais face à lui, c’était inutile. Sans prévenir, il se précipita vers elle, usant de ses pattes transformées pour courir plus vite. Au premier instant de la course, surprenant ses adversaires par ce changement brutal d’intention, il gagna un mètre ou deux. Puis, les distances s’élargirent entre lui et sa proie et il dut accélérer pour ne pas perdre du terrain. Et rapidement, la brunette arriva à son maximum. Il y avait peut-être vingt mètres entre elle et lui, ces mètres il pouvait les avaler en un clin d’œil. Il se jeta vers l’avant, toutes griffes dehors.

Quelque chose lui agrippa la queue et le retint brutalement vers l’arrière. Enervé, il se retourna vers le jeune homme. Il ne lui fallut pas plus de temps pour comprendre que l’autre avait abandonné sa protection et qu’il était à nouveau vulnérable. C’était l’occasion de lui en mettre une pour se débarrasser de lui, au moins quelques temps. Il se jeta brutalement sur sa victime, mais celle-ci eut un geste atroce. Il y eut un craquement, un moment de battement et Dave hurla sous la surprise. Sa queue venait d’être brisée et ça, oui ça, c’était douloureux. La surprise l’avait empêché de mettre un coup à son adversaire et celui-ci s’était à nouveau éloigné. Mais cette fois, le meurtrier était déchaîné. On venait de lui prouver que ses ennemis n’étaient pas aussi inutiles qu’il l’avait d’abord songé.

Fou de rage et de douleur, il se jeta en rugissant sur le voyageur qui, une fois de plus s’éloigna et revint à la charge par l’intermédiaire de son acolyte. Il esquiva l’attaque en se jetant vers les poubelles à nouveau plus proches. Cette fois-ci, il se prit un mur invisible de plein fouet alors qu’il se jetait sur elles. Très légèrement sonné par l’impact, il n’eut pas le temps de parer l’autre, qui chargea à nouveau. Il prit un coup, deux coups et finit par arrêter le troisième en plaquant ses griffes sur la protection pour l’empêcher d’avancer. Sa force était telle qu’il parvint à briser totalement l’attaque du deuxième. A tel point qu’on entendit comme des pneus crisser lorsque le bouclier racla sur le sol. Dave profita de la surprise de son adversaire pour le soulever, et la protection aussi. Il lança le tout vers le mur du Sun Place Rest. La voie était à nouveau libre, il chargea l’agoraphobe.

Mais le jeune homme n’avait pas percuté le mur, il vola et revint immédiatement sur lui pour l’empêcher de s’en prendre à sa camarade. Dave l’attrapa à nouveau et chercha pas tous les moyens à l’empêcher d’atteindre le sol : l’agoraphobe ne pourrait pas l’aider s’il restait en l’air. Son ennemi forçait vers le sol, il força vers le ciel. A sa grande surprise, Dave perdit la lutte et faillit bien être écrasé par l’attaque. Il grogna et l’autre attaquait à nouveau. Une troisième fois, il le bloqua, mais en essayant plutôt de le contourner que de résister à l’avance cette fois. Inutile, la protection commença à tourner sur elle-même, jusque sous ses pattes. Elle alla bientôt assez vite pour qu’il ressente la chaleur et soit contraint de lutter pour ne pas être emporté. Il retira ses pattes et l’autre partit immédiatement loin. Cette fois, l’agoraphobe ne l’aidait pas, il roulait pour avancer et allait déjà à une certaine allure. Combinée aux changements brutaux de distance, il serait plus dangereux qu’avant. C’était maintenant ou jamais.

Dave, se précipita à nouveau sur la brunette. Il était temps d’en finir. Il encaissa une première charge et chercha à nouveau à s’avancer. Un mur s’imposa entre lui et sa cible, il sauta pour le passer, trop haut. Il essaya sur les côtés, mais son adversaire bougea pour l’empêcher de passer. Il sauta à nouveau, plus haut cette fois et trouva le sommet. Mais le mur changea et se mit à l’horizontale. Bientôt, Dave se retrouva sur plateforme invisible et sa proie se trouvait au-dessous, hors d’atteinte. Nerveux, il chercha une solution des yeux, sans en trouver. Impossible de passer cette protection. Dans le même temps, l’autre semblait parfaitement incapable de le frapper dans cette situation.

Le morpheur regarda autour de lui. Les rideaux s’étaient écartés, les lumières s’étaient allumées. A l’entrée de la ruelle, plusieurs silhouettes observaient le spectacle, circonspects. Parmi eux se trouvaient les trois employées de la sécurité du Motel Monument, ainsi que le propriétaire des lieux. Immédiatement, il songea à fuir. C’était trop tard, même s’il tuait ses deux-là, il ne pourrait jamais plus tuer personne dans cette ville. Et il ne parvenait pas à les toucher. Ils lui avaient brisé la queue et il se sentait obligé de se venger. Mais il réfléchissait plus froidement maintenant. Comme pour cette équipe du parking du Dancing Club, il savait pertinemment qu’il aurait d’autres occasions à l’avenir. Il avisa le toit du Motel Monument, il pouvait l’atteindre et partir par là, recommencer ailleurs. Il s’apprêta à sauter, mais le sol se déroba sous ses pieds.

Naturellement, il retomba sur ses pattes. Le voyageur arriva par le haut et l’attrapa dans le dos, en l’enlaçant. Dave essaya de lutter, mais en vain, l’autre tint bon et resta derrière lui à le bloquer, mieux, il le força à se remettre sur ses deux pattes arrières. Il se demanda ce qu’il comptait faire jusqu’à ce que la distance qui le séparait du prochain mur ne s’étrécisse brutalement. Il se prit le béton armé qui constituait les murs du Sun Place Rest de plein fouet. Une fois, deux fois, trois fois. Le manège continua jusqu’à ce qu’il pense à mettre ses bras en avant pour se protéger. C’était efficace, mais il ne s’était toujours pas dégagé. Celui qui le bloquait lui attrapa un bras et tenta de le forcer à se plier vers l’arrière. Dave résista, croyant voir une occasion de se libérer. Il avait tort. Son radius se brisa sur la pression qu’exerçait la main de son adversaire. Lorsque vint le tour de l’autre bras, il évita de trop forcer. Il se retrouva à nouveau prisonnier et le manège put recommencer.

Il fallut encore deux minutes d’exercice aux deux voyageurs de la SDC pour que Dave s’écroule finalement sous les coups et tombe inconscient dans les bras de Jacob. Ils étaient tous les deux à bout de souffle, Jacob dut s’asseoir pour presque le restant de la nuit, avec une respiration rauque et difficile. Agathe elle-même avait du mal à rester éveillée. Jamais elle n’avait utilisé ses pouvoirs de façon aussi intense. Ils n’avaient pas passé deux heures à Dreamland qu’ils étaient déjà vidés par cette rencontre. Leur stratégie avait fonctionné, oui. Mais ils ne s’en étaient pas sortis aussi frais et tranquilles que ceux qui avaient vaincus le meurtrier la première fois.

Le public qui s’était assemblé au bout de la rue approcha prudemment. Lorsqu’ils furent à son niveau, Agathe leur expliqua la situation, exposant sans détour la façon dont ils avaient démasqué ce meurtrier. Les trois employés de sécurité, qui connaissait au moins deux des victimes du morpheur voulurent immédiatement contribuer à son passage à tabac. Leur employeur les en empêcha d’un geste autoritaire, il avait une meilleure idée. Une heure plus tard, Dave était traîné par une foule en colère d’employés des hôtels où les meurtres avaient eu lieu, il fut amené jusqu’à Miraz où cent témoins assurèrent le reconnaître comme le coupable des faits. Le capitaine de police hocha simplement la tête avant de le faire mettre en cellule. Et il n’était pas prêt d’en sortir.


---

« Il va falloir qu’on s’occupe des types en costume aussi. Ils ont agressé plusieurs autres voyageurs depuis la dernière fois. »

« Oui, mais là, ça va être un peu plus compliqué. On peut pas exactement foncer dessus. Ils sont beaucoup trop forts. »

« On fait quoi alors ? »

« On attend, on trouvera bien quelque chose. »

Silence. « Miraz ? »

« C’est pas une mauvaise idée. Mais ils font attention. Il faudra peut-être les provoquer. »

« Non, il faut s’occuper du chasseur de prime avant qu’il nous prenne à revers. »

« Ça va pas être très difficile de le piéger celui-là. Par contre pour le battre… »

« Je crois que j’ai une idée qui va vous plaire. »

---

Emet, l’un des chasseurs de primes les plus talentueux de tout Dreamland, du moins selon son avis personnel, se trouvait dans le bar quelque peu miteux d’un hôtel qui recréait à la perfection le décor d’un saloon à l’ancienne. Lui-même ne venait pas exactement du royaume des cow-boys, mais il y était suffisamment passé pour apprécier l’ambiance. Dernièrement, c’était là-bas qu’il y avait le plus de travail pour les chasseurs de prime. Il suffisait qu’un voyageur se pointe et fasse un tout petit peu parler de lui pour qu’on mette une prime sur sa tête. Depuis la guerre, la situation était tendue. Mais Emet avait rapidement compris que la concurrence était trop grande là-bas, et que les sommes étaient dérisoires. Il s’était donc mis en tête de chasser certaines des plus grosses sommes du marché, sans non plus commencer par le haut du classement en question. Les Chasseurs d’Etoiles, un groupe anti-voyageur de chasseurs de prime, lui avaient donné quelques noms alléchant en espérant le recruter. Personnellement, il n’avait pas grand-chose à faire de la nature de ses proies, ça aurait aussi bien pu être des rêveurs qu’il aurait cherché à mettre le grappin dessus. Mais il appréciait l’organisation de la faction et les informations régulières qu’ils relayaient sur les récompenses proposées.

Partir à la poursuite de Lucien Sandman n’était pas une mince affaire pour une créature des rêves même aussi expérimentée que lui. Le voyageur était inconstant et passait d’un royaume à l’autre sans grande logique. Chaque endroit qu’il visitait le regrettait amèrement, mais le temps qu’Emet arrive, le contrôleur du chaos avait déjà disparu. La traque en valait cependant la peine, la somme était importante et avec un énergumène pareil, elle risquait d’augmenter à tout instant. Et voilà que depuis un certain nombre de nuits, sa proie s’était arrêtée ici, dans cette ville de rêve ridicule. Le chasseur de prime riait presque à chaque fois qu’il y pensait. Voilà qu’il se trouvait seul au cœur d’une ville plutôt hostile aux voyageurs, presque sans la moindre concurrence et avec au moins trois noms aux récompenses généreuses dans les parages. Sans parler de la somme promise pour les deux jeunes filles qui accompagnaient le Pacificateur et l’intouchable. Et si Sandman croyait qu’il allait le laisser filer une fois qu’il aurait été payé pour les quatre, il se foutait le doigt dans l’œil. S’il s’y prenait bien, Emet pouvait ramasser un pactole énorme ici.

Mais il avait un problème, et de taille. Comment attraper l’intouchable ? Comment le tuer ou même simplement le capturer ? Ce voyageur était constamment protégé par une bulle. Même s’il parvenait à l’enfermer dans une pièce et à dégoter l’un de ces bâtons à tatouage dont ils se servaient dans les prisons, il ne saurait même pas comment faire pour appliquer le sceau magique. Ces derniers jours, il avait observé les faits gestes du quatuor lorsqu’il l’avait pu et avait cherché un moyen de percer la protection de l’intouchable. Hélas, jusqu’à présent, il n’avait rien trouvé et une petite pause s’était imposée à lui, autour d’un bon verre de whisky.

Il n’entama jamais sa boisson, quelqu’un entra dans le bar. Un jeune homme, un voyageur, apparemment sans envergure qui avait un air vaguement familier et lança à ceux qui voulaient bien l’entendre :


« Hey, il y a l’intouchable et une autre fille qui viennent d’arrêter le meurtrier ! Ils l’emmènent à l’hôtel de police ! »

Aussitôt, la foule s’agita. Les deux seuls autres voyageurs présents se précipitèrent vers l’extérieur et quelques employés prirent congé de leur poste pour aller voir ça. Les rêveurs eux-mêmes suivirent un peu le mouvement en sortant ou en fêtant cette victoire qui ne les concernait pourtant pas. Emet, lui, fit rapidement le lien entre plusieurs éléments. Il fila pour rattraper le jeune homme.

« Hey, petit ! » l’interpela-t-il. « Dis moi… L’intouchable… Il y avait qui avec lui ? »

« Une autre voyageuse, une petite brune, une agoraphobe apparemment. » fit l’autre, surpris par la question.

« Pas de grand noir impressionnant ? » insista le chasseur de prime.

« Non, non, personne d’autre. » assura l’autre sans trop chercher à comprendre.

« Très bien… Très, très bien… » murmura pour lui-même Emet.

Le jeune homme repartit immédiatement, mais il ne faisait déjà plus attention à lui.

Le Pacificateur était seul. C’était une occasion unique. Enfin, il avait une opportunité de frapper et de toucher l’une des sommes tant désirées. Mais il fallait qu’il fasse vite. S’il traînait trop, le voyageur risquait de se réveiller ou l’autre reviendrait, fort de sa victoire sur le tueur en série, pour protéger son ami. Il fallait chercher immédiatement dans les endroits où il risquait le plus d’être. Il fila vers une première destination, la plus proche : l’hôtel Ellis. Aucun des quatre n’en était ressorti la nuit dernière.

Il n’eut pas besoin d’aller jusque-là, alors qu’il s’engageait dans la rue piétonne et pavée qui faisait la devanture du Majestic et des hôtels adjacents, il le vit. Il était là, au milieu de la rue et le regardait avec calme. Emet eut un sourire immense qui déchira complètement son visage. Sentant le vent tourner, la foule s’écarta un peu des deux hommes. Si l’autre croyait l’impressionner, c’était raté. Cette fois, l’intouchable n’était pas là pour arrêter les balles de son arme. Il tira le pistolet du holster qu’il avait sous l’aisselle – celui la gaine à la hanche était vide, Jacob Hume ayant complètement détruit le canon de l’arme qui s’y trouvait avant. A nouveau, alors qu’il visa sa cible, toute la puissance du voyageur lui éclata en plein visage. Il était vraiment fort et impressionnant et il fallut un instant à Emet pour surmonter l’effroi qu’il ressentait en se trouvant face à lui.


« Désolé, mais cette fois ci, il va te falloir plus que ça pour m’échapper… » laissa-t-il entendre en redressant son arme.

Hélas, quelque chose avait changé, sa vision s’était troublée et la silhouette du Pacificateur était indistincte. Il chercha à se concentrer pour la retrouver, mais cela ne fit que permettre au brouillard de s’intensifier, jusqu’à oblitérer complètement sa vision. Une épaisse fumée grise désagréable venait d’envahir l’endroit. Il poussa un grognement agacé et se laissa guider par ses autres sens. En plus de sa proie, il repéra deux autres présences qui l’encadraient.


« C’est inutile… » siffla-t-il. « Je peux sentir vos auras… Vous n’êtes que trois… »

C’était un peu présomptueux, vu qu’il était seul, mais il était plus ou moins persuadé qu’aucun des trois ne serait de taille contre lui. Le Pacificateur n’userait pas de violence, c’était connu. Parmi les deux autres, l’un semblait fort et l’autre faible. Mais même ensemble, ce n’était pas assez pour l’arrêter.

« Ah ? » fit la voix de Noah. « Vraiment ? »

Emet pointa immédiatement son arme en direction de la voix et tira deux fois. Il y eut des cris lointains dans la rue, mais il entendit les balles s’écraser contre un mur.

« Raté. » commenta le Pacificateur.

Emet chercha à repérer la voix, mais elle était trop diffuse, il se concentra sur l’aura monstrueux de son ennemi et réalisa alors que celui-ci avait complètement disparu. Il n’en restait pas la moindre trace dans les parages, même infime. Impossible ! Personne ne pouvait faire ça ! Emet ragea, mais ne s’avoua pas vaincu.


« Tu préfères que je m’en prenne à tes amis ? » cracha-t-il en menace.

Puis, il pointa son arme sur le plus fort de ses deux ennemis, qui se mit immédiatement à bouger d’un pas sur la droite. Emet tira et entendit la balle creuser un trou dans la pierre. Son adversaire s’était simplement caché, évidemment. Mais comment avait-il su qu’il était visé ?

Une présence frôla son échine.

Il se retourna pour frapper, mais elle était déjà partie. Ils jouaient avec ses nerfs. Il ne voyait pas à un mètre devant lui et le Pacificateur ne faisait pas de bruit en se déplaçant. Il ne voulait peut-être pas se battre, mais des trois, il était largement le plus dangereux. S’il décidait de le « bousculer par accident », il risquait de casser un bras dans la foulée. Le plus faible des trois s’était approché un peu. Il visa dans cette direction mais ne tira pas. Ils avaient compris le truc à présent, ils devaient se déplacer de cachette en cachette. Doucement, Emet glissa sa main vers le couteau le plus proche à sa disposition. S’ils voulaient s’approcher, qu’ils viennent !

Nouveau mouvement, juste derrière lui, il essaya de mettre un grand coup avec sa lame, mais manqua sa cible. Il n’eut même pas le temps de rager, le plus puissant des deux autres voyageurs s’était approché et il reçut une petite pluie de cendres brûlantes sur le visage. Emet jura et mit la main qui portait son couteau devant lui pour se protéger. La douleur n’était pas exceptionnelle, mais il en garderait quelques marques. Heureusement, ses yeux n’avaient pas été touchés. Quelqu’un frappa violemment dans la main qui portait son arme à feu et celle-ci lui échappa pour aller glisser à quelques mètres de là.

Il pesta, mais donna un coup de couteau au responsable. C’était l’une des deux filles du quatuor, la plus jolie des deux, celle avec les cheveux châtains. Il ne la toucha pas cependant, elle eut le réflexe d’esquiver. En s’enfonçant dans la fumée, elle parvint à lui échapper. Plus encore, l’autre voyageur, celui de l’Ellis, lui fonça dessus et lui rentra dans le flanc. Ils s’étalèrent tous deux sur les pavés et la fumée commença à se dissiper.

Beaucoup plus habile que son adversaire, Emet parvint à lui donner un coup de pied pour le dégager. Puis, il l’agressa directement au couteau à mesure que sa vision s’améliorait. Le voyageur esquiva sans mal, plus doué qu’on ne l’aurait cru pour un planqué. Il se releva dans la foulée. Le chasseur de prime remarqua la cigarette qu’il avait entre les dents et comprit alors qui était le responsable de cette petite mascarade. Le visage de son adversaire lui sembla même soudain très familier. Il se rappelait clairement avoir vu sa photo quelque part. Il ne se souvenait pas de la somme, mais une chose était sûre, une récompense de plus n’allait pas lui déplaire. Il attaqua sans tarder.

L’autre lui souffla de la fumée à la gueule et il n’eut pas besoin de réfléchir pour savoir qu’il ne fallait surtout pas respirer ça. Il retint sa respiration, fit une pirouette et tenta une balayette sur le voyageur. C’était assez fulgurant, mais sa victime se contenta d’esquiver et de laisser tomber des cendres chaudes dans sa direction. Emet roula pour éviter de nouvelles brûlures et acheva son mouvement en lançant son couteau vers le crâne adverse. Ben eut le réflexe d’éviter, mais sa clope fut tranchée net. Un second couteau partit et il plongea pour l’esquiver. Trop tard, le chasseur de prime le toucha au mollet et il s’écroula.

Emet sourit et tira une troisième lame de son manteau. Et de un, songea-t-il en s’apprêtant à lancer l’objet dans le cœur de sa victime. Hélas, il y eut quelque chose pour lui toucher la nuque, un petit déclic métallique et une voix pour l’arrêter :


« Lâche ça connard. » fit la voix sèche de Camille.

Un moment, le chasseur de prime hésita. Elle avait l’air déterminé, mais l’était-elle vraiment ? La plupart de ceux qui n’avaient pas tiré lorsqu’ils en avaient l’occasion ne faisaient que bluffer. S’il était assez vif de plus…


« 3… 2… » intima-t-elle alors.

La lame tomba sur les pavés, elle arrêta le décompte. Emet n’était pas encore prêt à mettre sa vie en jeu.


« Un pas en avant et tu enlèves le manteau. » ordonna-t-elle juste avant d’être obéie. « Tu vas bien Ben ? »

L’intéressé poussa un grognement de douleur.

« J’ai connu pire entre tes bras. » laissa-t-il entendre en faisant des efforts pour pas trop céder à la douleur.

Noah vint à son aide et fit en sorte de panser sa blessure. Une fois que ce fut fait, il désarma complètement Emet et on entreprit d’attacher celui-ci. Le chasseur de prime tenta d’expliquer qu’il n’y avait rien de personnel. Il tentait seulement de faire son travail. Mais Ben, plutôt rancunier, proposa gentiment une cave de l’Ellis pour l’héberger en attendant de savoir quoi faire de lui. Il fut emmené sans pouvoir réagir par le personnel du Majestic. Cinq récompenses importantes venaient de lui passer sous le nez.


---

« Jacob ? »

Silence.

« J’ai une faveur à te demander. »

Silence.

« Je ne voulais pas en parler devant les autres, mais… »


---

Elle ne devait pas avoir plus de vingt ans, peut-être même plutôt dix-sept ou dix-huit. Cela n’avait jamais gêné Patrick. Elle était belle et ses formes étaient déjà bien assez généreuses pour qu’il la désire. Plus encore, la jeunesse, la fraîcheur de son visage l’attirait. Cette innocence qu’il avait sous les yeux lui plaisait. Il avait envie de serrer ce corps contre le sien, de caresser sa douceur, de l’entendre crier et paniquer. Parfois, il se demandait s’il ne préférait pas justement lorsqu’elles étaient plus jeunes. Il avait l’impression de les posséder d’autant plus.

C’était une rêveuse, bien entendu. C’était toujours plus simple comme ça. Les voyageuses se défendaient plus, ce qui l’excitait aussi, mais c’était bien plus dangereux. Certaines étaient plus que capables de se défendre et la dernière tentative ne s’était pas aussi bien finie qu’il l’avait espéré. Enfin, il y avait beaucoup plus de rêveuses que de voyageuses autour de lui et si une fille lui plaisait pourquoi se priver ? Elle rêvait qu’elle avait fugué d’on ne savait où et qu’elle s’était cachée dans l’hôtel. Il l’avait suivie, pour la regarder, comme pour être sûr qu’elle lui plaisait et elle s’était sentie menacée.

Elle était sortie de l’hôtel et s’était mis à marcher dans la rue, il l’avait suivie en continuant à sourire et elle avait voulu lui échapper par les ruelles. Grave erreur. Bien plus habile qu’elle sur ce terrain, il avait fait mine de disparaître en passant par les bâtiments. Elle s’était retournée, avait paniquée de ne plus le voir. Il était arrivé, juste derrière elle et l’avait immédiatement maîtrisée, puis avait mis une main devant sa bouche. Elle se débattait à peine, elle essayait de crier, mais sans grande conviction. Pour l’instant, son rêve n’était pas encore trop mauvais, elle ne se rendait pas compte de ce qui allait suivre. Lui en revanche, se sentait très excité par la situation. Il l’entraîna dans le bâtiment en la soulevant. Elle était plus petite que lui et sa force de voyageur lui permettait beaucoup de choses dans ces situations.

Il arriva dans le couloir à reculons en murmurant quelques mots évocateurs à son oreille. Il se demandait toujours si les rêveuses s’en souvenaient lorsqu’elles se réveillaient ? Ou même si elles faisaient seulement attention à ce qu’il disait dans ces moments là ? Lui, en revanche, aimait les prononcer. Son dos heurta quelque chose de dur, comme un mur qui n’aurait pas dû se trouver là.

Il jeta un œil derrière lui et reconnu l’immense silhouette de Noah qui le fixait avec la plus grande froideur du monde. Instinctivement, Patrick lâcha sa victime, qui s’enfuit à toute jambe. Ahuri par cette présence soudaine, il lui fallut une seconde de plus pour commencer à s’enfuir à son tour. Il partit comme une balle vers la sortie. Comment l’avait-il retrouvé ? Il faisait toujours attention à se coucher assez tard, justement pour l’éviter. Un autre personnage apparut devant lui et lui envoya un coup de poing dans le nez.

Sous la violence du coup, Patrick s’écroula en arrière. Son nez s’était sûrement cassé, mais dans la panique, il ne ressentait même pas la douleur. Celui qui se trouvait devant lui et lui barrait la route était plus jeune que lui. Mais il paraissait beaucoup plus fort aussi. Il se rappela alors avoir déjà été questionné par ce voyageur silencieux et sa jeune acolyte brune. Il avait bien cru être découvert alors.  Il lui avait dit son nom, comment s’appelait-il déjà ?

Le violeur savait cependant que c’était sa seule chance de fuir. Il envoya une décharge électrique sur son ennemi pour le surprendre et essayer de passer. L’électricité parcourut le corps de l’autre sans rien lui faire. L’intouchable avança, l’air plus grave qu’il ne l’avait jamais été. Patrick essaya à nouveau de lui envoyer des décharges. Il alla même jusqu’à envoyer toute sa puissance vers l’avant. Mais son adversaire encaissait les coups comme personne. C’était pire que ça, il les ignorait carrément. Il essaya alors de le frapper avec son poing.

Jacob lui attrapa le poignet et envoya son autre poing dans l’estomac de l’ignoble personnage sans le lâcher. Il fit ensuite une clé de bras et força l’autre se mettre à genoux devant eux. Patrick commença à avoir très peur de ce qu’ils allaient lui faire. Dans cette ville, les voyageurs ne faisaient pas partie des forces de l’ordre et il ne savait que trop bien ce qu’il avait fait subir à l’amie du plus grand des deux. Cette position lui laissait entendre qu’ils prenaient le proverbe « œil pour œil, dent pour dent » trop au sérieux. Mais il n’y eu guère que lui pour penser cela. Ces deux justiciers restaient attachés à des valeurs plus primaires, plus brutales aussi.

Jacob regarda Noah, l’air de lui demander ce qu’il devait en faire. Il ne savait pas lui-même ce qu’il était prêt à faire tant ce personnage le rendait malade. Lorsque son camarade lui avait appris la présence d’un tel criminel en ville, il était tombé des nues et une colère noire s’était emparée de lui. L’idée même qu’un voyageur puisse profiter de sa situation à de telles fins le révoltait jusqu’au plus profond de son âme. Et si ç’avait été Cartel ? S’était-il demandé au bout d’un moment. Je crois que je l’aurais tué, avait-il répondu. Il n’était pas sûr d’être capable d’un tel acte, mais l’envie ne lui manquait pas. Le pire, peut-être, était de se dire qu’on ne savait pas combien de temps cela avait duré et combien de femmes avaient subi cette infamie. Ce lâche ne s’en prenait qu’à des rêveuses qui ne pouvaient témoigner ou se défendre, peut-être à quelques voyageuses qu’ils tuaient ensuite. Combien avaient été traînées dans ce bâtiment ? Personne ne savait rien, jusqu’à ce que Noah le surprenne. Il n’avait pas expliqué comment, mais Jacob n’était pas assez sot pour ne pas avoir remarqué les sautes d’humeur et les crises de larmes de Camille. Et la simple pensée que cela ait pu arriver à une personne qu’il avait appris à apprécier comme une amie le poussait à être parfaitement déraisonnable.

Mais en fin de compte, le choix revenait au plus proche compagnon de la victime, le commanditaire de cette petite vendetta.


« J’ai un arrangement avec le second de Miraz. » expliqua le colosse noir. « Quand je lui ai expliqué la situation, il a voulu agir tout de suite, mais le capitaine lui a clairement fait comprendre que mon témoignage était sans valeur et qu’il n’avait pas l’autorisation pour l’interpeler. Néanmoins, il est prêt à le recevoir si on le lui apporte. »

Jacob hocha la tête. Le remettre aux autorités était la meilleure solution. Miraz avait beau faire le malin, lorsqu’il tenait un criminel entre ses mains, il savait généralement quoi en faire. On pouvait lui faire confiance pour ne pas abuser de ses pouvoirs ou être trop laxiste en la matière. Et son second avait l’air d’être raisonnable aussi. L’intouchable s’apprêta à emporter Patrick vers son destin, frustré, mais résigné à se contenter du travail de la justice.

« Il n’a pas précisé l’état dans lequel il devait lui être remis. » lâcha soudain Noah.

Les yeux de Patrick s’écarquillèrent sou le coup de la peur. Jacob haussa simplement un sourcil surpris.


« Jacob, je me dois de te rappeler que je suis contre la violence inutile ou gratuite. » continua le voyageur à travers le micro.

Même Jacob pouvait sentir qu’il ne disait pas cela à la légère, preuve que l’offense de leur prisonnier dépassait de loin les limites de l’horreur. Son serment pouvait être extrêmement pesant dans certains cas.


« Mais pour Camille, je crois que je vais fermer les yeux pendant quelques minutes. » ajouta-t-il en les laissant bien ouverts.



CHASSEUR DE PRIME
EMET

Personnage

Roses et Rouges - Page 2 426466Emet

    Age : 26 ans.
    Ville : Village des Hunters (Dreamland).
    Activité : Chasseur de prime.
    Dreamland : Machine à traquer.
    Objet magique : Aucun.
    Aime : Les grosses primes, l’alcool onirique, les combats, les courses contre la montre, les défis, les contrats facile et généreux.
    Déteste : Les concurrents sans expérience, les mauvais payeurs, les royaumes de la zone 1, les enfants.
    Surnom : Aucun.

    Le saviez-vous ?
    Emet sait manier instinctivement n’importe quelle arme, mais il préfère de loin les couteaux.


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Jacob Hume
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MessageSujet: Re: Roses et Rouges Roses et Rouges - Page 2 EmptyMar 25 Nov 2014 - 2:15
2/ Pour elles.

De tous les fléaux qui frappaient la ville, le plus dangereux de tous était sans aucun doute le réseau de prostitution. Les filles qui le composaient étaient nombreuses et s’infiltraient chaque nuit dans un plus grand nombre d’établissements pour proposer leurs services. Souvent, on essayait de les chasser, mais elles revenaient toujours et plus nombreuses. Pas à pas, elles transformaient la ville des lieux de repos en une nouvelle ode à la luxure et à l’esclavage des femmes. Car naturellement, aucune des prostituées n’était là de son plein gré, comme le leur avait appris Camille, elles étaient sous le joug de tatouages magiques qui les forçaient à continuer ce travail nuit après nuit. Et le pire était que personne ne savait qui avait commencé à implémenter ce réseau, ni où les commanditaires se cachaient. Leurs motifs étaient évidents, une telle entreprise devait générer d’importants profits. Les clients, hélas, ne manquaient pas. Pour l’essentiel, ils ignoraient la condition des femmes qu’ils payaient, mais il ne fallait pas se leurrer : dans l’ensemble, cela ne les aurait pas arrêté pour autant.

La difficulté majeure que le réseau posait au groupe de Camille était donc le secret parfait qui entourait les têtes de celui-ci. Nul ne savait où celles-ci vivaient, ni de qui il s’agissait. Des créatures des rêves ? Des voyageurs ? Il était même possible qu’ils soient basés dans un autre royaume et gèrent leur affaire à distance. Les filles étaient appelées certaines nuits, sans la moindre régularité et à l’improviste pour remettre les sommes récoltés à leurs maîtres. Mais elles-mêmes ne semblaient pas savoir quel était cet endroit où on les convoquait par magie. Remonter jusqu’aux véritables criminels apparaissait comme un défi impossible à relever. Le système n’avait pas la moindre faille qu’ils auraient pu exploiter. Foncer dans le tas, oui, il n’y avait doute sur la question. Encore fallait-il trouver le tas en question.

Ce fut Vigorio Ellis qui leur apporta la solution. Comme promis par Ben, le patron véreux de l’hôtel Ellis leur révéla l’ensemble des magouilles dans lesquelles il avait trempé en fil des années précédentes, prouvant ainsi qu’il n’avait jamais rien fait d’excessivement grave. Il mit lui-même un terme à toutes ces activités, sans faire de vague. Il ferma tout simplement boutique pour toutes ces opérations qui nécessitaient de sortir de la légalité. De même, sans qu’on ait à lui en parler, il proposa lui-même de leur venir en aide avec ses maigres moyens. Camille avait immédiatement soupçonné une manœuvre pour passer pour un héros une fois la victoire emportée, alors même qu’il avait contribué au problème à sa propre échelle. Cependant, Jacob lui avait fait comprendre que cela importait peu, tant qu’il les aidait réellement. Et ce qu’il leur raconta les surpris tous, même Ben dû admettre qu’il ne s’y serait jamais attendu.

Il y avait une raison pour laquelle aucune prostituée ne venait jamais dans les hôtels qu’il possédait, c’était parce que Ben veillait à ce qu’elles ne s’en approchent pas. Ce qu’il ne savait pas en revanche, c’était que, frustrés de ne pas pouvoir s’installer dans ces établissements, fâchés d’en avoir été chassé après les rachats de Vigorio, on avait envoyé à ce dernier une déplaisante visite. Une voyageuse portant elle-même la marque de la soumission s’était présentée à lui et lui avait apporté un message de la part de ceux qui géraient le réseau. Si les filles continuaient d’être chassées de ses hôtels, ceux-ci seraient brûlés. Habile, il était cependant parvenu à obtenir un autre arrangement. En échange de versements réguliers, ses établissements étaient épargnés par le groupe.

L’important était néanmoins de savoir que chaque semaine, la même voyageuse revenait toujours le voir en secret afin de prélever la somme convenue. Il en avait conclu que cette fille en particulier occupait un rôle d’intermédiaire et avait proposé de se servir d’elle pour tendre un piège à leurs ennemis. Il était actuellement sur le point de racheter un autre hôtel, évidemment infesté par les prostituées. Il savait que son rachat engendrerait une certaine perte de profits pour le réseau s’il décidait d’en faire chasser les filles. Son idée était simple, demander un rendez-vous pour trouver un nouvel arrangement qui ne pénaliserait pas les commanditaires du groupe. S’ils acceptaient, il pourrait alors savoir où se terraient les responsables et les vaincre. Tout le monde avait donné son accord et rapidement, un plan était né.

C’était bien évidement risqué, mais c’était leur seule chance de réussir et il n’était pas question de rester les bras croisés.


---

Vigorio Ellis était un petit personnage. Plutôt court sur patte, avec un embonpoint d’homme d’affaire, il se déplaçait toujours dans des costumes noirs à rayures. Il avait une belle moustache, bien fournie qui laissait présager un homme respectable. Ses cheveux étaient toujours impeccablement coiffés et il avait le regard dur de ceux qu’il ne fallait pas décevoir. Il marchait avec assurance dans le couloir de l’hôtel, comme s’il possédait déjà les lieux. A deux pas derrière lui, les trois voyageurs qui étaient chargés de la sécurité de l’Ellis le suivaient, chacun faisant au moins deux têtes de plus que lui. Ben, Phil et Maxime gardaient une expression des plus neutres et tentaient d’afficher le même sérieux que celui qu’ils avaient lorsqu’ils allaient tenter de persuader les propriétaires récalcitrants de vendre leurs établissements. Vu la teneur de la rencontre qui allait suivre, il était primordial qu’il se présente sous une position de force.

Juste devant lui, la voyageuse marquée qui avait servi de messagère à l’organisation marchait. De temps à autre elle lançait des regards méfiants vers lui ou les autres. Il aurait pu s’offusquer d’une telle impolitesse, mais il valait mieux qu’il ne ruine pas tout à cause d’une fierté mal placée. C’était une jolie femme, plutôt jeune, avec des formes abondantes et un petit visage qui avait son charme. Personnellement, il trouvait son air quelque peu vulgaire, avec sa bouche entrouverte et son maquillage quelque peu excessif, sans parler des quelques tatouages qui venaient encadrer sa marque. Elle portait un petit short en jean qui lui moulait les fesses, un tout petit débardeur qui lui laissait le ventre à l’air et avait chaussé des bottes de cuir qui lui seraient les mollets. Lorsqu’elle avançait, elle faisait rouler ses hanche de manière aguicheuse, mais il savait qu’elle n’essayait pas ici de le charmer lui ou ses hommes. C’était simplement une habitude qu’elle avait prise et que ses talons accentuaient.

Le couloir était long, peut-être trop long même, et disposait d’un nombre de portes très réduit. Une moquette douce atténuait le bruit de leurs pas. Les murs étaient décorés avec des couleurs quelques peu excessives, mais qui faisaient leur effet. Tout était dans les rouges, roses ou violets et semblait doux au toucher. Chaque meuble de l’hôtel ressemblait à un coussin agréable. Le Nuit Douillette, il aurait dû s’en douter. Un an auparavant, l’établissement était au bord de la faillite et les propriétaires avaient vendu leur affaire à une étrangère. Sans changer de ton ou d’ambiance, l’hôtel était lentement revenu dans les grâces des rêveurs et des autres créatures qui peuplaient Dreamland. Quelques mois plus tard le réseau de prostitution était né et avait envahi leurs rues. Comme tous les autres, cet hôtel avait été touché, aussi personne ne l’avait jamais soupçonné de quoi que ce soit. Pourtant, contrairement à tous les autres, cette présence n’avait pas semblé endiguer les profits de sa propriétaire qui avait accepté  sans difficulté de transformer son palace en bordel.

La voyageuse s’arrêta devant une porte, celle qui se trouvait le plus au bout du couloir et leur fit signe d’attendre. Elle frappa et une voix suave lui répondit. Elle entra un instant et annonça les visiteurs, qui furent à leur tour invitées à entrer. Vigorio passa le premier.

Il découvrit alors une salle étonnante. Tout y ici était tapissé de coussins ou de poufs aux couleurs de l’hôtel. Un grand lit se trouvait dans un coin, recouvert d’une couette en peau de bête qui semblait affreusement chaude. Un grand miroir illuminé était posé sur un meuble pour permettre à la propriétaire des lieux de se maquiller ou de s’admirer. Il n’y avait pas la moindre fenêtre, pas la moindre ouverture vers le monde extérieur. L’étrangère qui avait racheté les lieux était à demi allongée sur un divan à la romaine, occupée à grignoter quelques raisins. Elle était habillée d’une robe de soirée majestueuse, qui lui laissait les épaules nues et imposait un décolleté désobligeant sur une poitrine généreuse. Même Vigorio du reconnaître qu’elle était belle, voire même magnifique. Une femme dans toute sa splendeur, à la fois mature et dangereuse par son charme. Avec un sourire, elle invita son invité et ses hommes à s’asseoir sur les divers sièges cotonneux qui leur étaient proposés. Il choisit un tabouret rembourré et ses hommes restèrent debout. La voyageuse messagère alla se poster derrière sa maîtresse et les toisa avec méfiance.


« Bienvenue Vigorio. » déclara la créature des rêves avec une douceur presque cruelle tant sa voix était sensuelle.

Il demeura le plus sérieux du monde.


« Merci à vous de me recevoir. »

« Alors, mon cher associé, ma petite Alicia me dit que vous êtes sur le point de racheter l’hôtel Baldaquin… » continua-t-elle, comme si le sujet provoquait en elle des sursauts de plaisir. « Mais que, cette fois, vous avez d’autres plans en ce qui concerne mes filles… J’avoue que je serai très curieuse de les entendre. »

Vigorio sourit à son tour pour répondre à son charme. Elle ne se doutait de rien, il pouvait continuer sans crainte.

---

« C’est là ? » demanda Camille à Noah, un peu tendue.

« Oui. »

« Tu es sûr ? » insista-t-elle.

« Certain, le mouchard est formel, c’est là qu’il est entré. »

« Très bien, alors allons-y. »

Il y avait dans son regard quelque chose qui réclamait du sang. L’hôtel était assez ordinaire pour le quartier. Il n’avait rien de grand ou d’exceptionnel. Comme tous les autres, il avait un thème et comme tous les autres, il était en partie occupé par des prostituées. Elle voyait pourquoi personne ne l’avait repéré jusqu’à présent, il était fondu dans la masse. Elle-même était passée devant plus d’une fois. Les filles qui y étaient convoquées pour remettre leur argent étaient téléportées à l’intérieur et retéléportées ensuite à l’extérieur, ainsi personne n’aurait pu remarquer d’affluence extraordinaire ici. C’était donc là que dormait la pire créature que cette ville renfermait. Et ils avaient enfin l’occasion de l’arrêter.

Elle se tourna vers Carlos.


« Vous savez ce que vous avez à faire. » déclara-t-elle.

Le quadragénaire sourit.


« Avec plaisir mademoiselle ! » lança-t-il avant de disparaître pour rejoindre le reste de son groupe.

Elle regarda un instant Agathe, Jacob et Noah.
« Vous êtes prêts ? »

Ils hochèrent tous la tête pour montrer leur assentiment. Elle donna le signal et Jacob prit la tête du groupe, suivi de près par les deux femmes. Ensemble, ils traversèrent la rue et pénétrèrent dans le hall en faisant bien attention à ce qu’on les remarque. Puis, ils commencèrent à s’en prendre aux employés et aux clients de l’hôtel, les violentant apparemment sans autre raison qu’ils encourageaient la prostitution. Seul Noah se contenta d’envoyer des regards mauvais à ceux qui tentaient de répliquer.

---

« Mmh… » laissa entendre l’étrangère. « C’est vrai que la proposition est alléchante… »

Elle glissa le raisin qu’elle tenait entre ses doigts dans sa bouche et le croqua avec une passion peu commune.

« C’est vrai qu’on y gagnerait tous les deux… » admit-elle. « Je ne perdrais pas toutes mes ressources sur l’hôtel et vous pourriez ainsi payer la petite taxe que je vous ai demandé pour protéger vos autres hôtels… Néanmoins, je suis un peu surprise… »

« Pour quelle raison ? » demanda Vigorio, soudain un peu nerveux qu’elle l’ait démasqué, mais faisant de son mieux pour le cacher.

« Vous avez mis beaucoup d’énergie à repousser mes filles pour sauver la réputation de vos établissements, et maintenant vous seriez prêt à les accueillir à bras ouverts ? » remarqua-t-elle. « Vous seriez prêt à salir votre nom pour une si petite part de mes profits ? »

Il se dandina un instant sur son siège.

« Naturellement, vous vous doutez bien que j’ai quelques conditions. » assura-t-il en montrant qu’il était un peu gêné par la question. « Mais, à force de vous résister, on pense que je suis responsable du problème. Mes concurrents ont engagé des voyageurs pour m’inculper de n’importe quel crime. Si… j’échouais à vous repousser dans ce cas là… Les rumeurs se terraient peut-être. »

La maquerelle eut alors un grand sourire satisfaite.

« Ah ! » fit-elle. « J’étais sûre que c’était ça. Ah, mon cher Vigorio ! Vous me plaisez beaucoup vous savez ? J’ai toujours pensé que dans cette ville, nous étions les deux seules personnes suffisamment douées pour s’en sortir. Nous pourrions régner ici si on le voulait. J’aime beaucoup votre manière d’embo… »

On frappa à la porte. La créature des rêves fut surprise et apparemment agacée d’avoir été interrompue.

« Oui ? » lança-t-elle.

Un employé de l’hôtel entra.


« Madame ! » fit-il, affolé. « L’hôtel est attaqué ! »

La phrase était si absurde qu’elle réussit à surprendre tout le monde, même les quatre hommes qui étaient pourtant au courant du plan.

« Quoi ? Qu’est-ce que tu racontes ? » s’inquiéta la gérante des lieux.

« Quatre voyageurs sont arrivés et ils ont commencé à agresser les clients et les employés, madame. » expliqua-t-il. « Ils accusent tout le monde d’encourager la prostitution. »

Elle en eut presque un rire nerveux, mais reprit ses esprits immédiatement.

« Des idiots qui se prennent pour des justiciers… » commenta-t-elle avec dégoût. « Miraz sera ravi de… »

« Non, madame, je ne suis pas sûr. » coupa l’employé. « La fille est avec eux. »

Les yeux de l’esclavagiste s’écarquillèrent un instant. Ils se plissèrent ensuite et son regard se posa immédiatement sur Vigorio et ses trois protecteurs.

« Alicia, occupe-toi des intrus en bas. » ordonna-t-elle sur un ton cassant. « Et ramène moi cette fille. »

« Bien madame. »

La voyageuse fila aussitôt, accompagnée de l’employé. La maquerelle fixa ses visiteurs avec l’air le plus mauvais du monde. La coïncidence était trop énorme pour en être une. Le piège était grossier, sûrement destiné à exposer ses activités au grand jour. Ils allaient être déçus, elle avait plus d’un tour dans son sac.

« Oh, mon cher Vigorio, vous n’auriez pas dû. »

---

Camille ne se battait pas vraiment. Les clients n’osaient pas répliquer, trop surpris par l’attaque pour chercher à se défendre. Elle les brutalisait, mais sans plus. En lançant des accusations venimeuses et en les tirant des bras des demoiselles qui les aguichaient. La plupart sortaient de l’hôtel en courant, manquant de fierté pour résister, d’autres restaient tétanisées. Les filles, elles, étaient effrayées. Leur groupe donnait effectivement l’impression de venir pour elles, pour les chasser sans la moindre retenue. Pourtant, aucun d’eux n’avait encore levé la main sur une seule des six prostituées qui étaient ici au moment de l’irruption. Aussi se contentèrent-elles de rester à l’abri en priant pour ne pas subir un tabassage en règle qu’elles ne méritaient pas.

Alors qu’elle venait de chasser un simple rêveur qui n’avait rien demandé à personne, mais qui ne rêvait pas spécialement de passer sa nuit dans un hôtel, elle regarda un peu autour d’elle. Ils avaient créé un beau chaos. Suffisamment pour inquiéter la propriétaire des lieux et la forcer à envoyer la sécurité les attaquer. Il n’y avait pas de voyageurs dans cet hôtel pour défendre les lieux, seulement une demi-douzaine de personnages aux larges épaules quelques peu intransigeants. Ils pourraient en venir à bout sans mal, elle en était sûre. La question était, qu’est-ce que leur ennemie ferait ensuite ? Comment se défendrait-elle ? La réponse vint presque immédiatement. L’un des employés du restaurant se précipita sur un téléphone mural, juste derrière le bar et le décrocha.


« Allô ? » dit-il, anxieux. « Ici le Nuit Douillette ! Nous sommes attaqués ! Quatre voyageurs viennent de pénétrer dans l’hôtel et agressent nos clients ! Prévenez le capitaine Miraz que… »

Il n’eut pas le temps de finir sa phrase. Camille avait sauté par-dessus le comptoir et était venu lui coller un crochet du droit. L’employé resta étalé au sol à se plaindre inutilement. Elle s’empara du téléphone.

« Ouais, c’est exactement ça, on a attaqué l’hôtel. » lança-t-elle à ceux qui se tenaient à l’autre bout du fil.

« Qui êtes-vous ? » fit la voix d’un policier anonyme.

« Vous n’avez qu’à venir pour le découvrir. »

Et elle raccrocha. Que la police vienne et découvre la vérité sur ce qu’il se tramait ici. Le temps que Miraz rassemble ses troupes et débarque en force, ils auraient déjà gagné cette partie. Elle se retourna pour continuer à participer au carnage. Mais une femme qu’elle ne connaissait pas venait d’apparaître, juste devant elle. C’était une voyageuse. Elle chercha à savoir quelles étaient ses intentions ou s’il ne s’agissait pas d’une septième fille qu’elle n’aurait pas remarquée dans la salle. Son hésitation, lui valut d’être menottée par l’inconnue. Elle venait de lui passer le bracelet au poignet alors qu’elle-même était prisonnière de l’objet à l’autre côté de la chaîne. C’était des menottes en métal que l’on avait recouvert d’un duvet rose pour en faire un objet de luxure. Elle n’en était pas moins prisonnière. L’inconnue lança son poing vers Camille qui ne parvint pas l’esquiver totalement et se prit tout de même le coup sur la pommette. Sonnée par la violence du coup, elle mit un temps de trop à comprendre qu’elle était traînée vers les coulisses de l’hôtel. Elle eut tout juste le temps de crier pour qu’on vienne la trouver. Hélas seul Jacob se trouvait à proximité à cet instant et c’était Agathe qui avait le micro pour lui parler.

Elle tenta de lutter contre l’inconnue, mais deux choses l’arrêtèrent soudain. La première était la force de son opposante, vraiment supérieure à la sienne. La seconde était la marque qui ornait le bas de sa hanche et qui la désignait immédiatement comme une victime du réseau et non l’une des têtes pensantes de l’organisation. Elle se laissa emporter, les autres viendraient la sauver bientôt de toute manière.

En quelques instants, elles se retrouvèrent dans un long couloir et celle qui l’escortait la poussa violemment à travers l’une des portes de celle-ci. Camille faillit tomber vers l’avant, mais fut retenu à la dernière seconde par les menottes qui la maintenaient prisonnière. Elle observa un instant la pièce sans fenêtre et remarqua immédiatement qu’un combat devait avoir eu lieu ici. Tout avait été chamboulé et un reste de fumée encombrait encore l’endroit. Une grande femme en robe se tenait majestueusement au centre de la chambre. A ses pieds, les quatre hommes de l’Ellis étaient dans un état lamentable. Ben ne semblait plus conscient, Phil se tenait la jambe droite en pleurant, Maxime avait le visage en sang et la tête dans les nuages. Quant à Vigorio Ellis, il était attaché et bâillonné, incapable de lutter. La maquerelle, elle, semblait n’avoir subie que quelques bleus et sa robe était abîmée là où la cendre l’avait touchée. Dans l’ensemble cependant, elle demeurait en excellente forme et était même ravie qu’on lui apporte un nouveau jouet.


« Ah, Alicia, ma chérie, qu’est-ce que je ferai sans toi ? » lança-t-elle en s’approchant élégamment de Camille.

La jeune voyageuse serra les dents et tenta de se redresser pour faire face. Elle ne faisait pas le poids, c’était évident, mais la colère était trop grande pour qu’elle se retienne.


« Parfait, parfait. » commenta la maquerelle. « Elle est très jolie. Elle fera une excellente addition à ma petite collection. Quant aux quatre messieurs, ils vont adorer travailler pour moi. Alicia, ma chérie, va donc me chercher l’artefact… »

« Oui, madame. » répondit sa disciple.

En un clin d’œil, elle défit la menotte qui retenait Camille prisonnière et quitta la pièce. La jeune femme aux converses noires leva les poings, prête à se battre. La créature des rêves se mit à rire en la voyant ainsi se défendre.


« Tu me plais beaucoup, tu sais ? » lança-t-elle. « Je suis même sûre que tu finiras par apprécier ta nouvelle position. Après tout, j’ai entendu dire beaucoup de choses sur toi… »

« Allez vous faire foutre ! » cracha la voyageuse avant de se lancer à l’assaut.

---

Alicia arriva dans le bureau officiel de sa maîtresse. C’était une petite pièce qui ressemblait beaucoup à la chambre dans laquelle elle prenait ses visites. Encore une fois, il n’y avait pas la moindre fenêtre. C’était là que les filles apparaissaient pour donner l’argent qu’elles avaient gagné au cour de leurs nuits et de là qu’on les renvoyait. De tous ceux qui travaillaient pour la maquerelle, Alicia était la seule à pouvoir s’y rendre par la porte d’entrée. La seule à connaître le code qui empêchait à tous les autres d’y accéder. Elle l’entra avec la force de l’habitude et poussa la porte. Immédiatement, elle sut quelque chose n’allait pas. La pièce n’était pas vide. Un homme se trouvait déjà à l’intérieur, il avait un petit sourire malicieux. C’était un voyageur d’une quarantaine d’années environ et il tenait un appareil photo.

« Cheeeeese ! » lui intima-t-il en appuyant sur le bouton.

Un flash l’éblouit et elle mit ses bras en avant pour se protéger. Un instant plus tard, des mains la prenaient et la maintinrent au sol. Deux voyageurs venaient de la maîtriser et tentaient de la lier avec ses propres menottes. Il était trop tard pour réagir. Quelqu’un referma la porte du bureau d’un coup de pied, mais celle-ci ne fit aucun bruit.


« Bon, Roberto, qu’est-ce que tu fous ? » lança le plus maigre de ses deux agresseurs en s’adressant à un troisième homme qui se tenait prêt du coffre.

« C’est bon, c’est bon, j’arrive. » répondit l’interpelé, agacé. « Si vous arrêtiez de m’interrompre aussi… »

Et il appliqua sa main sur le coffre de la maîtresse d’Alicia.

« Je suis vraiment désolé mademoiselle. » dit alors l’homme à l’appareil photo. « Ne vous en faîtes pas, votre cauchemar sera terminé dans quelques instants. »

Quel cauchemar ? se demanda alors Alicia, qui ne comprenait ce qu’ils comptaient faire. Puis, il y eut comme un bruit de cassure et la porte du coffre fut forcée. Une alarme se déclencha, inutile. Toute la sécurité était occupée à repousser les autres voyageurs dans le restaurant.

---

La maquerelle infligea une nouvelle gifle à l’importune. Cette jeune voyageuse était téméraire, elle devait le reconnaître, obstinée même. Cela faisait quatre fois qu’elle se relevait, alors même qu’il était évident qu’elle n’avait aucune chance de la vaincre. Camille vola sur quelques mètres avant de s’étaler dans les coussins. Au moins, ses chutes étaient amorties. Elle tenta de se relever une fois de plus et envoya un regard mauvais vers celle qui avait commis l’irréparable. Elle n’avait que faire de savoir comment la battre, elle voulait simplement avoir le plaisir de la frapper, encore et encore. Elle s’apprêta à revenir à la charge lorsque la porte s’ouvrit en coup de vent.

« Madame ! » fit un employé de sécurité bien abîmé. « Ils arrivent ! »

Il ne fallut pas trois seconde pour comprendre ce qu’il avait voulu dire. Un jeune homme volant le percuta de plein fouet et l’envoya valser contre un mur. Le garde ne se releva pas, assommé. Aussitôt, une autre jeune femme apparut, accompagnée d’un colosse à la peau sombre, terriblement inquiétant. Elle les reconnut immédiatement. Le plus grand était le Pacificateur et les deux autres étaient ceux qui avaient vaincus le meurtrier léopard. Tous trois étaient déjà beaucoup plus dangereux pour elle, elle se méfia aussitôt. Alicia allait bientôt revenir, peut-être qu’avec son aide...

« Tout va bien Camille ? » fit la brune à l’attention de la jeune femme qu’elle venait d’envoyer une fois de plus voler dans les coussins.

« Vous inquiétez pas pour moi… » lâcha l’intéressée.

Il y eut un instant de silence. Les voyageurs semblaient un peu surpris de voir le sort qu’elle avait réservé à leurs alliés de l’Ellis. La maquerelle sourit, peut-être n’étaient-ils pas si puissants que ça au final. Un autre groupe débarqua alors. Trois hommes, beaucoup plus vieux que les autres, qui tenaient entre leurs mains Alicia et l’artefact. La pauvre fille se débattait dans les bras d’un moustachu aux bras épais.


« Quelqu’un a demandé un artefact ? » fit l’un d’eux avec un sourire.

La maquerelle jura. C’était fini, elle avait perdu. Elle ne pourrait pas lutter contre autant de personnes, surtout sans Alicia pour l’aider. Sans l’artefact, elle ne pourrait même pas appeler d’autres filles pour la protéger. Pire, ils avaient la preuve qu’elle était à l’origine du réseau et la possibilité d’appeler des centaines de témoins pour l’accuser. Si elle restait une seconde de trop, elle passerait son existence derrière des barreaux.

Sans insister davantage, elle se précipita vers le miroir et plongea dedans comme on aurait plongé dans une piscine. Elle disparut à jamais de Resting City.

Tout le monde resta interdit face à l’événement. C’était une fuite plutôt spectaculaire et il leur fallut un petit temps pour se remettre. Camille massa ses blessures et lécha le sang qui lui coulait sur les lèvres. Elle s’approcha de Carlos tandis que les autres allaient s’occuper d’aider les membres de l’Ellis. Le voyageur tenait l’artefact entre ses mains et le lui présenta. C’était une sorte de bâton étrange, avec un tampon d’un côté et une série d’anneaux que l’on pouvait tourner ou déplacer sur la longueur.


« Tu sais comment ça marche ? » demanda-t-elle.

« Je crois, oui… » fit-il avec une moue hésitante. « Les inscriptions sont assez claires dessus… je pense qu’on peut essayer. »

« Alors appelle les filles. » déclara-t-elle solennellement.

« Maintenant ? » s’étonna-t-il un peu.

« Oui, appelle-les toutes. » insista-t-elle. « On va mettre fin à leur calvaire. »



NUIT DOUILLETTE
SONYHIA

Personnage

Roses et Rouges - Page 2 946283Sonihya

    Age : 37 ans.
    Ville : Luxuria (Dreamland).
    Activité : Patronne du Nuit Douillette.
    Dreamland : Maquerelle esclavagiste, sublime créature, combattante émérite.
    Objet magique : Le Tatoueur de Contrôle, qui lui permet en appliquant un tatouage sur ses victimes d’en faire les esclaves de sa volonté.
    Aime : e sexe, le pouvoir, le confort, la richesse, les hommes, les femmes, les autres, se sentir supérieur aux autres, les petits secrets, les couleurs chaudes et les tissus doux.
    Déteste : Son royaume d’origine, les coups en traître, le feu.
    Surnom : Maîtresse.

    Le saviez-vous ?
    Sonyhia n’a jamais chercher à posséder son artefact, on le lui a simplement donné et elle s’en est servie. Elle n’a jamais revu la personne qui le lui avait offert.


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Jacob Hume
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MessageSujet: Re: Roses et Rouges Roses et Rouges - Page 2 EmptyMar 25 Nov 2014 - 3:05
3/ Dernier avertissement.

Miraz observa l’artefact quelques instants. Le bâton ressemblait à ceux que l’on utilisait dans les prisons pour enfermer les voyageurs, mais ce n’en était pas un. Il ne savait pas où, ou comment cet objet avait été construit, mais l’intérêt premier de celui-ci n’avait pas été d’enfermer qui que ce soit dans une cellule. Il ne s’agissait pas d’un instrument de justice que l’on avait détourné à des fins criminelles, c’était un instrument de contrôle, criminel dès sa conception. Comment la propriétaire du Nuit Douillette se l’était-elle procuré ? Il ne le saurait probablement jamais, puisque la femme avait disparu. Il avait évidemment lancé un mandat pour l’arrêter au cas où elle réapparaîtrait, mais il doutait que ce soit le cas.

Il savait pertinemment ce qu’il devait faire de l’artefact, le détruire. Et pourtant, il rechignait à prendre la disposition. Plus par dépit et par manque de volonté que par avidité. Il ne voyait lui-même pas l’intérêt de posséder une telle chose. Cet artefact lui rappelait simplement la cuisante défaite qu’il venait de subir, ou plutôt l’humiliation que ces voyageurs avaient pris un malin plaisir à lui infliger. De toutes ses années de services ici, il n’avait jamais autant haït quelqu’un qu’à cet instant. Après ces dernières nuits, il allait être la risée de toute la ville et le peu d’autorité qu’il avait sur les patrons des hôtels disparaîtrait à jamais. Il détestait cette position dans laquelle on venait de le mettre. Son rôle allait-il être réduit à celui de geôlier tandis que les voyageurs récolteraient toute la gloire ?

La façon dont cette fille lui avait souri en lui expliquant comment elle avait mis un terme au plus gros réseau criminel de la ville resterait longtemps gravé dans sa mémoire. Et il ne pouvait même pas la chasser pour avoir semé le trouble dans un hôtel. Elle était protégée par un double mandat, celui du consortium qui l’avait engagée et celui que Vigorio lui avait accordé en participant à cette opération, sans même mentionner celui des trois propriétaires de l'hôtel du Voyageur, même si ce dernier n’avait pas beaucoup de valeur à ses yeux. L’attaque du restaurant ayant fait partie de leur plan rocambolesque pour arrêter la maquerelle, cette impétueuse jeune femme avait été parfaitement dans son droit. Il frappa du point sur la table.

Il n’avait pas toujours détesté les voyageurs, bien au contraire. Il se souvenait du temps où il avait défendu les trois propriétaires du petit motel qui se trouvait à la sortie de la ville, trouvant injuste qu’on cherche à les empêcher de s’installer simplement parce qu’ils n’étaient pas des créatures des rêves. Mais les choses avaient évoluées. A l’époque, il venait à peine d’être promu et pensait encore pouvoir faire mieux que son prédécesseur. Quel idiot il avait fait ! Il s’était bien vite rendu compte qu’il manquait de moyens et qu’il lui aurait fallu plus de fonds de la part des hôtels pour engager plus de personnel, probablement des voyageurs d’ailleurs. Mais l’idée n’avait pas plu aux concernés. Pourquoi accepter de payer davantage alors qu’ils pouvaient embaucher leurs propres agents de sécurité et ainsi se protéger de façon plus efficace tout en condamnant ceux de leurs concurrents qui ne pouvaient pas s’offrir de telles dépenses ?

Rapidement, Miraz s’était rendu compte que les voyageurs lui étaient préférés pour l’essentiel des fonctions qui étaient les siennes. Pourquoi faire appel à une autorité juste et impartiale lorsqu’on pouvait engager un mercenaire pour régler ses comptes de la façon dont on l’entendait ? Sans les voyageurs, il aurait été le seul secours de ces propriétaires. Mais avec eux, les luttes intestines qui menaçaient la cité ne faisaient que s’envenimer. Ceux qui s’installaient ici créaient des problèmes irréversibles au nom de leurs employeurs, ceux qui ne faisaient que passer ne respectaient rien. Il détestait cela.

Mais ce groupe de justiciers l’agaçait plus que tous ceux qui étaient venus en ville jusqu’à présent. Ils se prenaient pour des héros et s’étaient lancé dans une croisade contre toutes les affaires criminelles qui rongeaient certains quartiers depuis quelques mois. Depuis qu’ils avaient commencé, on ne voyait plus un seul bagarreur en ville, le meurtrier avait disparu, un violeur de rêveuse croupissait dans une cellule et à présent, la prostitution venait de disparaître. L’essentiel de celle-ci du moins. Car Miraz savait mieux que personne que l’activité avait toujours existé en ville, avant même que cette étrangère ne vienne y mettre son grain de sel. Cela faisait aussi un moment qu’il n’y avait pas eu d’autre vol et il se demandait s’ils n’y étaient pas pour quelque chose.

Certes, on ne pouvait nier le service qu’ils avaient rendu à la communauté. Ils avaient nettoyé la cité d’un certain nombre de crapules et avaient rendu les rues plus sûres. Mais pour Miraz, ce n’était qu’un mirage temporaire. Même si les quartiers les plus touchés repartaient soudain, cela n’enlèverait rien au problème essentiel de cette ville : la corruption des patrons. Et quand bien même, ces voyageurs ne voyaient que les crimes les plus exceptionnels, que faisaient-ils pour tous ces trafics quotidiens qui hantaient les ruelles ? Comment comptaient-ils venir à bout des fraudeurs qui s’arrangeaient pour ne jamais payer leurs taxes ou de ses clients qui ne payaient pas ce qu’ils devaient et partaient vers d’autres royaumes impunément ? Que faisaient-ils contre les employeurs qui maltraitaient leurs employés ou contre les accidents de circulation ?

Il y avait beaucoup de jalousie dans sa haine. Cela faisait des mois qu’il enquêtait sur les différents crimes auxquels ils venaient de mettre un terme. Avant même qu’ils n’interviennent, il avait déjà réduit la listes de ceux qu’ils suspectaient d’être à la tête du réseau à une dizaine de noms. Même s’il se félicitait que la propriétaire du Nuit Douillette ait fait partie de cette liste, il rageait de n’avoir pu mettre lui-même un terme à cette opération. Il avait mis le capitaine des marins sous surveillance étroite depuis quelques semaines, attendant qu’il se décide à franchir le pas du crime ou de la légalité. Il s’était tenu prêt à intervenir à la seconde où celui-ci aurait fait le mauvais choix. Et voilà que cette ingénue s’était fait passer pour une prostituée, l’avait amadoué, puis l’avait convaincu de partir par il ne savait quel moyen. Un imposant dossier, dans l’un de ses tiroirs, traitait du cas de Vigorio Ellis et des activités criminelles qu’il manigançait sûrement. Le mois prochain, Miraz s’était mis en tête de le piéger en lui faisant accueillir une cargaison de marchandises illégales. Et voilà que tout ce travail n’avait plus la moindre importance. Ces voyageurs s’étaient occupés de tout cela à sa place, sans gants et sans se soucier des procédures en vigueur. En réalité, l’ensemble de leurs résultats auraient pu être contesté en procès si un seul des propriétaires de la ville l’avait souhaité. Heureusement pour eux que ceux-ci étaient tous très heureux de leurs résultats.

Ils n’avaient pas fini, bien sûr. Ce n’était même probablement que le commencement. Il connaissait les justiciers de ce genre. Ils trouvaient toujours quelque chose à se mettre sous la dent, une cause à défendre. Même s’il n’y avait plus de réel danger. Cette fille, cette Camille, elle adorait être la coqueluche du moment. Il y avait encore quelques fantômes qui traînaient dans cette ville, notamment cet énergumène au marteau dont ils lui avaient parlé, Sandman. Ils allaient continuer leur œuvre, continuer à faire du dégât et à être adulés pour cela. Les gens adoraient les héros de ce genre, ils ne voyaient pas tout le travail qu’il fallait faire au quotidien et se contentaient des exploits individuels. Il soupira et prit une décision.

Cette fois-ci, il ne les laisserait pas faire. Peu importait les mandats des patrons des hôtels, ils n’avaient pas à le supplanter. Plus encore, ils causaient des troubles graves qui méritaient qu’ils soient chassés de la ville. Il appela son second qui vint immédiatement.


« Lucar, à partir de maintenant, je veux que certains hommes surveillent en permanence ces voyageurs. » ordonna-t-il.

« Ceux qui ont arrêté la maquerelle ? » demanda l’autre, un peu surpris.

Lucar était un très bon élément, mais il avait été toujours un peu trop sentimental. Nul doute que le groupe le fascinait, au moins un peu.


« Oui, ceux-là. » confirma son supérieur. « Et prévenez-les qu’à la moindre infraction, je les chasserai personnellement du royaume. Quitte à devoir y aller avec tous mes hommes. »

« Oui capitaine, ce sera fait. »

Et Lucar alla exécuter ses ordres sans plus de commentaire. Il ne désapprouvait pas la démarche. Lui aussi, quelque part, devait trouver que malgré leurs réussites, ces voyageurs abusaient un peu de leur popularité.

---

La rumeur s’était répandue comme une traînée de poudre se serait enflammée : le réseau de prostitution venait d’être anéanti. Des centaines de filles venaient d’être libérées du joug d’une esclavagiste et la plupart étaient complètement perdues, ne savaient pas trop quoi faire à présent. Certaines avaient décidé de fêter cela dans les bars des quartiers qu’elle connaissait ou justement en s’éloignant le plus possible de ceux-ci. D’autres restaient plus discrètes, craignant qu’on les reconnaisse et que l’on cherche à nouveau à acquérir leurs services. Mais c’étaient surtout les hôtels eux-mêmes qui fêtèrent l’événement. Dans la plupart des restaurants, on vit naître des fêtes improvisées célébrant la fin d’une sombre période pour la ville. Tous espéraient que ce changement serait majeur et qu’il relancerait les profits. A présent, les rêveurs reviendraient et avec eux, les hôtels retrouveraient de leur splendeur d’antan. La perspective était plus que réjouissante.

Lucien se trouvait dans un bar, au cœur du quartier qui avait été le plus touché par la crise. Il avait un chapeau en cône sur la tête, maintenu par un élastique qui lui passait sous le cou. Il avait un serpentin dans la main et des confettis dans les cheveux. Il y en avait aussi dans son verre, mais cela lui importait peu, il ne faisait pas vraiment attention à ce qu’il buvait de toute manière. Avec une moue légèrement ennuyée, il observait les autres clients s’esclaffer devant-lui. Il prit une nouvelle gorgée de la bière qu’on lui avait servie. Il regretta amèrement ce choix, elle n’était pas bonne, il n’aimait pas cela de toute manière et il faillit s’étouffer sur un confetti.

Le décor de l’hôtel était, comme dans la plupart des cas, plutôt innovant. L’établissement avait pour thème la mer et l’on avait véritablement l’impression de se trouver à bord d’un paquebot en pleine croisière sitôt que l’on pénétrait ici. Il se demandait même si l’endroit ne tanguait pas au moins un peu. Mais c’était peut-être l’alcool qui donnait cet effet. Il regarda par l’un des hublots proche. Dans la rue, la liesse était aussi générale qu’ici. Une autre victoire pour les héros de Resting City. Ceux-là même qui avaient arrêté le tueur en série. On leur attribuait aussi tout un tas de mérites qui ne leurs revenaient probablement pas. C’était à peine si on n’inventait pas des crimes pour assurer aux autres qu’ils y avaient mis un terme.

Le pire était que Lucien ne leur en voulait même pas, bien au contraire. En cet instant, il était plutôt tenté de les applaudir. Il avait trouvé le récit de leur aventure très plaisant et les détails de leur opération l’impressionnaient. Il avait le sentiment qu’ils faisaient partie d’un roman d’aventure. C’était même heureux de les voir prendre ainsi les choses en main après qu’ils aient passé tant de temps à se tourner autour et à mener des enquêtes sans queue ni tête. S’ils avaient continué dans cette voie, cela aurait commencé à devenir lassant. Mais le fait était que maintenant qu’ils s’étaient mis en tête de mettre la moitié de la ville en prison, Lucien se rendait compte qu’il faisait partie de cette moitié et que ses plans pour les humilier tombaient un peu à l’eau. C’était dommage, mais en même temps, il n’y avait pas encore mis beaucoup d’effort. Ce qui le chagrinait vraiment était que le petit projet qu’il avait initié prendrait sûrement plus de temps à se mettre en place qu’il ne leur en faudrait pour sauver la ville.


« Je crois qu’ils ne se soucient plus vraiment de toi. » commenta Stéphanie sur un ton neutre.

La voyageuse était assise sur la chaise voisine et sirotait un verre de vin à la paille. Une paille, pourquoi n’en avait-il pas lui ? Il haussa les épaules pour lui répondre. Elle avait le chic pour énoncer des évidences ou des platitudes qui cassaient un peu ses délires. Pourtant, c’était la seule qui le suivait dans ses aventures de fou à lier et n’avait rien contre les exactions qu’il commettait régulièrement.


« Ils vont finir par nettoyer la ville. » ajouta-t-elle.

Nettoyer était un bien grand mot, mais il était d’accord pour dire qu’ils étaient en bonne voie. Ils allaient tirer Resting City de cette mauvaise passe et la ville retournerait probablement au doux rêve qu’elle était avant. Cela ne le gênait pas outre-mesure en soi, mais il s’était plus ou moins juré qu’avant de partir d’ici, il trouverait le moyen de frapper un grand coup. Il aurait tant voulu qu’ils continuent à creuser pour le débusquer. Ils auraient alors pris un temps fou à effacer chaque problème un par un et il aurait trouvé le moyen d’en créer de nouveaux. Mais toutes ses idées ne valaient pas un clou et aucune véritable opportunité ne s’était présentée pour instaurer le chaos dans la cité. Et Stéphanie avait beau l’épauler, à deux, ils ne risquaient pas de faire grand-chose.


« Attend donc un peu. » sourit Lucien, qui avait toujours de l’espoir. « Ce n’est pas encore fini. Il leur reste encore un bout de chemin à parcourir. Ils sont au sommet de leur gloire, mais la chance peut tourner. »

« Il serait judicieux de parier sur autre chose que leur chance. » fit-elle en le fixant avec un air de reproche.

« Qu’est-ce que tu veux dire ? »

« Je dis que si tu veux qu’il leur arrive quelque chose, tu devrais peut-être songer à intervenir, plutôt que d’attendre qu’ils fassent une erreur quelque part. »

Il fit une moue peu convaincue. Elle avait raison, bien sûr qu’elle avait raison. Mais le problème, c’est qu’il ne savait pas comment faire. Il était le champion de l’improvisation et de l’imprévu. Il avait du mal à se faire à l’idée de construire un plan d’un bout à l’autre et de le mener à bien sans essayer de tout foutre en l’air. Qu’elle trouve donc des idées à sa place pour une fois.

« Tu n’as qu’à me proposer un peu des choses aussi, ça ira plus vite. » se plaignit-il vaguement.

Elle hocha la tête, l’air de dire qu’il n’avait pas tout à fait tort. Elle n’allait pas s’excuser, elle n’en avait pas besoin. N’empêche que ça ne les avançait pas plus.


« Tu dirais quoi si je t’invitais à danser ? » lança alors Lucien sous le coup d’une impulsion.

« Probablement oui. » répondit-elle sans véritable enthousiaste. « Tu sais danser ? »

« Pas spécialement, j’ai jamais essayé. Ça doit pas être sorcier. Et toi, tu sais ? »

« Non, personne ne m’a jamais invitée à danser avant. » avoua-t-elle en haussant les épaules.

Il y eut un moment de silence. Ils ne savaient pas vraiment quoi faire des informations qu’ils venaient d’échanger.


« Allons-y avant que je change d’avis. » finit par dire Stéphanie en prenant une dernière gorgée de vin.

Et ils se levèrent pour aller danser en échangeant des idées saugrenues sur la façon dont ils pourraient venir à bout des héros de la ville afin de mieux y semer l’once de folie qu’ils avaient en eux.


---

Antonin Manhell s’éveilla difficilement. Quelque part, la fatigue le tenait encore et le confort de ses draps le poussait à refuser de se lever. Si une foule d’obligations sociales et professionnelles n’avait pas justifié son réveil, il aurait sûrement abandonné la lutte et aurait à nouveau fermé les yeux pour réclamer encore quelques heures de sommeil. Et pourtant, il ne s’était pas couché tard, son corps était déjà repu de tout le repos dont il pouvait avoir besoin. S’il se levait maintenant, il serait probablement en forme pour le reste de la journée. Mais le fait était qu’il n’en avait pas vraiment envie et que l’idée de quitter ses rêves salvateurs pour retourner à une série d’obligations et de contraintes ne lui plaisait pas.

Et pourtant, il n’avait pas spécialement passé une bonne nuit. Ses idées étaient confuses et il ne se rappelait pas bien des rêves qu’il avait faits, mais il se souvenait s’être beaucoup agité et avoir été dans des situations inconfortables. Retourner vers cette agitation ne lui plaisait pas vraiment. Ce qui lui manquait, c’était de retomber dans un bon et agréable sommeil, avec des rêves apaisants, libérateurs de tous les soucis qu’il pouvait avoir. Et c’est ainsi qu’il se rendit compte de ce qui le gênait vraiment. Cela faisait un certain temps qu’il n’avait pas rêvé d’elle.

Oui, quelques semaines plus tôt, il en rêvait presque toutes les nuits et malgré la douleur qui persistait dans ces songes, il devait reconnaître qu’elle lui manquait. A présent, les nuits où elle lui revenait semblaient des raretés qu’il fallait chérir comme s’il s’agissait des dernières. Il avait à nouveau envie de la voir, même si c’était pour un autre homme. Le dernier rêve d’elle qu’il avait fait était gravé dans sa mémoire, comme une image qu’il pouvait voir par-dessus le rideau gris du quotidien. Une jeune femme magnifique dans une petite robe rouge avec le plus beau des sourires. En constatant la solitude qui le caractérisait dans cet immense lit et dans cette chambre qu’il avait toujours trouvé trop spacieuse, Antonin se mit à espérer qu’un jour, il se réveillerait à ses côtés.

Cela lui fit penser qu’il n’avait toujours pas de nouvelles de la Sweet Dream Company. La dernière fois qu’il avait demandé, leur site lui avait indiqué que sa mission était toujours en cours. Ils l’avaient prévenu que cela pourrait être long ou difficile de la retrouver et qu’il était possible que cela ne fonctionne pas du tout ou qu’elle refuse tout simplement son invitation. Il en était parfaitement conscient et s’était préparé à cette probable et douloureuse conclusion. Pourtant, le fait que la mission soit toujours en cours laissait entendre qu’il existait encore une chance que son rêve se réalise. Et l’incertitude le rongeait, le plongeait dans une attente et un espoir qu’il sentait vain. Etait-il fou de croire à ce point à ce rêve ? Il avait cru qu’on se moquerait de lui lorsqu’il en avait parlé la première fois – et ça avait été un peu le cas –, mais l’un de ses amis lui avait conseillé la SDC et celle-ci avait confirmé qu’il n’était pas fou. Alors, pourquoi ne rêvait-il plus d’elle ?

Il repoussa sa couette et fila d’un pas décidé vers son ordinateur. Peut-être avait-il manqué une notification ou une autre. Il ne fallut pas longtemps à la page pour s’actualiser et lui signifier que le statut de la mission n’avait toujours pas évolué. L’incertitude persistait. Alors pourquoi ? Que se passait-il donc ? Il se demanda un instant s’il ne pouvait pas leur envoyer un mail, leur demander davantage de précision. Hélas, il savait très bien qu’ils ne lui répondraient pas. Ils avaient été très vagues sur la façon dont ils procèderaient et n’avaient pas voulu expliquer pourquoi il était possible de contacter la jeune femme. Il soupira, il voulait seulement savoir.

La réalité de ses sentiments le frappa soudain comme lors d’une illumination. Ce n’était pas qu’il voulait rêver d’elle, ce n’était pas qu’elle lui manquait puisque son image restait gravée en lui, c’était qu’il ne l’avait pas vue depuis un certain temps. Pour une raison ou pour une autre, cela ressemblait à une situation anormale. Il l’avait vue tant de fois pendant une si longue période qu’il ne pouvait que croire à présent que quelque chose ne suivait pas son cours normal. Et s’il avait raison, cela voulait peut-être dire qu’elle était en danger quelque part. Il déglutit. Il s’inquiétait pour elle, peut-être pour rien, mais il s’inquiétait tout de même. Il ne pouvait s’empêcher de penser que son intuition était bonne et que quelque chose de terrible la menaçait.

Incapable de faire quoi que ce soit, il reprit le cours normal de sa journée. Les heures passèrent et l’idée ne le quitta pas. Il ne parvint pas à se concentrer sur son travail ou même sur les conversations de ses amis. Son inquiétude le hanta, aussi ridicule soit-elle. Pourquoi s’inquiétait-il pour une femme dont il doutait de l’existence alors même que rien ne lui prouvait qu’elle était en danger ? Parce qu’il était humain, parce qu’elle lui plaisait et qu’il se sentait lié à elle sans trop comprendre pourquoi. Lorsqu’il alla se coucher cette nuit-là, ce fut avec l’idée qu’un danger la guettait. Ce fut la première fois qu’il rêva d’elle dans une situation qui n’impliquait pas la séduction d’un autre homme.




TOURAIN
STEPHANIE

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Roses et Rouges - Page 2 468592Stephanie

    Age : 24 ans.
    Ville : Paris (France).
    Activité : Caissière à Monoprix.
    Dreamland : Auto-cloneuse, elle peut invoquer des clones d’elle-même. Etrange acolyte de Lucien Sandman.
    Objet magique : Aucun.
    Aime : Pas grand-chose.
    Déteste : Pas grand-chose.
    Surnom : Aucun.

    Le saviez-vous ?
    Stéphanie est incapable de s’impliquer émotionnellement dans quoi que ce soit et n’a absolument aucune moralité. Au moins, avec Lucien Sandman, les surprises sont toujours au rendez-vous.


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Jacob Hume
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MessageSujet: Re: Roses et Rouges Roses et Rouges - Page 2 EmptyMar 25 Nov 2014 - 4:08
4/ Granica.

Lorsque Camille pénétra dans le hall du Granica, elle portait une petite jupe qu’on aurait pu trouver dans un uniforme scolaire, blanche avec une rayure bleue au niveau des genoux. De longues chaussettes, bleues aussi, s’élevaient hors de ses converses noires pour lui couvrir les mollets. Son haut était un t-shirt de la même couleur qui venait comme achever un uniforme de cheerleader, avec la lettre V pour tout motif et large décolleté en U. Ses cheveux étaient attachés en queue de cheval au sommet de son crâne, avec seulement quelques mèches libres pour encadrer son visage. Elle poussa la vitre en tourniquet qui régulait les entrées et les sorties des visiteurs d’une main, les yeux rivés vers l’intérieur et cet immense espace qui accueillait les clients de la tour. Ses lèvres rouges formaient un petit sourire insolent, l’air de dire qu’elle savait déjà qu’elle allait être le clou du spectacle de cette soirée.

Au même instant, juste à sa droite, par une autre entrée similaire à la sienne, le géant Noah arrivait aussi. Si les dimensions du hall n’avaient pas elle-même été gigantesques, il aurait peut-être dû se baisser pour passer cette porte de verre. Il portait un débardeur blanc qui moulait volontairement ses muscles puissants, une paire de lunettes de soleil parfaitement inutiles vu le ciel étoilé qui régnait en ville, ainsi qu’un pantalon de joggeur jaune et des baskets de la même couleur. Il ressemblait à un moniteur sportif qui inspirait le respect par sa stature de culturiste. S’il avait porté des bijoux, les mauvaises langues auraient dit qu’il ressemblait à un rappeur aux goûts vestimentaires douteux. Néanmoins, à cet instant précis, il paraissait surtout paré pour écraser des crânes à mains nues et son expression dure pouvait inspirer la crainte à n’importe qui. Il avait une main dans le dos et l’autre occupée à pousser la vitre sur son axe de rotation comme si celle-ci ne lui opposait pas la moindre résistance.

Toujours à cet instant précis, toujours par une entrée de ce type, à gauche cette fois, Agathe fit elle-même son entrée. Elle portait un petit short moulant noir à peine barré de traits blancs sur les côtés. A ses pieds, une paire de lourdes rangers à crampons imposait le respect à la moquette de l’hôtel. Son débardeur vert ne couvrait presque que sa poitrine, laissant son ventre à l’air et la moulant sévèrement. Elle aussi avait opté pour les lunettes de soleil et un chignon plutôt serré. Dans son esprit, elle ressemblait à quelque chose qui devait s’approcher de Lara Croft, une héroïne dont le design lui avait toujours semblé plutôt sympathique. Une aventurière qu’elle aurait aimé imiter dans une telle situation. Elle aussi ne poussa la porte que d’une main, affichant un air sévère et concentré, laissant clairement présager de la suite des événements.

Sur les côtés du trio, par deux autres entrées du même acabit, Jacob et Ben, fidèles à eux-mêmes, entrèrent avec un tout petit retard. L’intouchable n’avait pas changé d’accoutrement pour l’occasion et s’accommodait sans problème d’un air détaché qui pouvait paraître provoquant d’une certaine façon. Il ne poussa même pas la vitre, laissant sa bulle faire le travail à sa place, marchant les mains dans les poches pour faire bonne mesure. Ben, de son côté, portait un long imper noir ouvert sur une tenue finalement très sobre – un jean et un t-shirt noir uni. Il avait une main dans la poche de son manteau et l’autre poussait la porte vitrée d’un doigt nonchalant. Il n’avait peut-être pas de lunettes de soleil, mais une cigarette éteinte était déjà pendue à ses lèvres. Son regard était menaçant et l’on sentait qu’il avait envie d’en découdre, plus que les quatre autres.

Naturellement, tout le monde se tourna dans leur direction. Il y avait du monde dans ce hall immense, beaucoup de rêveurs, principalement d’ailleurs, et une bonne vingtaine de créatures des rêves, pour l’essentiel employées par l’hôtel. Quelques voyageurs se trouvaient aussi dans les parages. Au moins quatre des membres de la sécurité qui se levèrent tous face à l’apparition des cinq héros dans l’établissement, éberlués par leur intervention inattendue, ne sachant trop comment réagir au mieux. Un autre qui semblait n’être qu’un client ordinaire, au mauvais endroit au mauvais moment. Et enfin, se dirigeant déjà vers la sortie que le quintet héroïque venait de bloquer, cinq voyageurs en costume de ville, muni eux-mêmes de cravates noires et de lunettes de soleil. Tous s’arrêtèrent d’un seul et même mouvement pour faire face aux nouveaux arrivants, intrigués.

Camille et ses acolytes posèrent un peu, afin de s’assurer que tout le monde se tourne effectivement vers eux et pour renforcer le petit effet qu’ils avaient décidé d’ajouter à leur arrivée. Puis, elle reprit sa marche et fut rapidement suivie par les autres qui se resserrèrent derrière sa position en un bloc décent. D’un regard, elle parcourut l’assemblée qui les observait, portée par une fierté qui l’étonnait elle-même. Elle aurait cru être intimidée dans une telle situation, incapable d’aligner plus de deux mots et tremblante de nervosité face aux plus grands combattants de la cité. Ce n’était pas du tout le cas, elle se sentait plus sûre d’elle qu’elle ne l’avait jamais été. Leur plan était bon et il allait fonctionner. Pourquoi en aurait-il été autrement ?

Ils avaient préparés leur entrée en flânant devant l’hôtel et en attendant que leurs cibles fassent elles-mêmes leur apparition. L’équipe redoutable d’agresseurs voyageurs avait pris ses quartiers dans l’hôtel et sortait toutes les nuits pour s’en prendre à ceux qui osaient les affronter ou sur qui ils tombaient avec une brutalité ignoble et criminelle. Cette fois, ils couperaient court à cette petite routine. A l’instant où l’autre quintet avait quitté l’ascenseur, l’équipe de Camille s’était avancée pour attirer leur attention, ce qui était réussi. Jusqu’à présent, à part pour le combat qui les avaient opposés à Jacob, cette équipe avait toujours fait attention à mener ses combats dans des lieux un peu isolés, afin d’éviter d’avoir à affronter les forces de police de locales. Ce soir, ils allaient devoir se donner en spectacle, les héros de la ville y veilleraient.

Camille, en parcourant la foule, eut alors la surprise de trouver un autre visage familier. Au milieu de tous ces rêveurs, accoudés au comptoir qui servait de réception, se tenait cet admirateur inconnu qui l’avait si souvent accompagné dans ses nuits de séduction. Elle fut, sans trop savoir pourquoi, heureuse de le voir ici, pour assister à sa victoire. Il lui sourit et elle répondit par un autre sourire déterminé avant de fixer son regard vers les cinq énergumènes qui s’étaient arrêtés au centre du hall.

Le hall en lui-même était une pièce immense, le toit s’élevait à l’équivalent d’une petite demi-douzaine d’étages, ce qui n’était rien par rapport à la taille de la tour elle-même et s’étalait sur une surface qui aurait faire rougir les salles du trône les plus vastes. On aurait pu placer trois amphithéâtres dans un tel espace. L’ensemble était très simple cependant. Une moquette unie grise couvrait le sol, les murs étaient en bois ciré clair, avec de simples piliers de béton peint en rouge. Des centaines de plafonniers et d’ampoules murales illuminaient les lieux comme en plein jour. Tous les employés portaient des uniformes simples et rouges. Tout ici respirait le modernisme le plus banal, comme on pouvait le retrouver si souvent dans la vie réelle. Agréable, certes, mais sans fioritures inutiles et sans originalité aucune. Le Granica était l’expression même de la simplicité en ville, là où tous leurs concurrents essayaient justement d’attirer par leur exotisme, cet hôtel particulier s’imposait par sa normalité exemplaire. C’était aussi, en grande partie, ce qui faisait son succès et sa richesse. Ils se trouvaient dans le plus gros établissement de la ville, la plus haute tour du royaume, le cœur même de Resting City.

Plutôt que d’être impressionnée par la taille de l’endroit ou par l’importance de l’enseigne, Camille se sentait transportée par sa mission. Elle n’en était que plus capitale encore. Elle s’arrêta à quelques cinq mètres de l’équipe en costume et la toisa, appuyé par ses quatre camarades. Le silence le plus intense s’était installé dans le hall et la plupart des gens s’étaient écartés du point de rencontre évident des deux groupes.


« Vous, là. » désigna-t-elle du menton les cinq voyageurs qu’elle était venu provoquer. « On est venu pour vous faire quitter la ville au plus tôt. Personne ne vous veut ici. »

Les autres haussèrent un sourcil intrigué, comme s’ils n’étaient finalement qu’une seule et même personne.

« Intéressante suggestion. » commenta le premier avant que les autres enchaînent.
« Un autre groupe. »
« Cinq contre cinq. »
« Nous n’avons jamais fait cela. »
« Le Pacificateur est parmi eux. »
« Et l’intouchable aussi. »
« Ainsi que la fille avec laquelle il a vaincu le morpheur léopard. »
« Le chef de la sécurité de l’hôtel Ellis, Smoker, réputé bon. »
« Et la fille ? »
« Inconnue au bataillon. »
« Ce n’est pas une combattante. C’est la Mante Religieuse. »
« Ah. »
« Ça risque d’être plus compliqué. »
« Nul ne sait ce que vaut réellement le Pacificateur. »
« Il ne se bat jamais. »
« On dit qu’il est extrêmement puissant. »
« Pressenti pour entrer dans la ligue S. »
« N’est-ce pas un peu risqué ? »


« Hey ! » intervint alors Camille, déjà lassée par leur conversation. « Je ne crois que vous n’avez pas très bien compris. Vous dégagez, ou on vous dégage, hein Noah ? »

Et soudain, le géant noir laissa échapper son aura magistral qui réussit sans problème à emplir cette salle toute entière et à couvrir tous les autres auras en présence. Une force de Dreamland telle qu’aucun des protagonistes n’en avait jamais connu. Un adversaire que personne ne voulait affronter, sous aucun prétexte. L’équipe de voyageurs sembla un peu moins sûre d’elle-même l’espace d’un instant. Ils firent silence un moment et échangèrent quelques regards, puis hochèrent la tête.

« Défi accepté. »

Et sans plus de préambule, ils se mirent en formation et commencèrent à faire craquer quelques articulation et à étirer leurs cervicales. Noah ne les impressionnait pas plus que cela. Ils se déployèrent sur une ligne en s’espaçant bien les uns des autres. Le groupe de Camille, au contraire, se resserra sur lui-même.

« Vous êtes prêts ? » chuchota-t-elle à ses camarades en faisant impatiemment passer sa langue sur ses dents.

Jacob hocha la tête en sortant les mains de ses poches. Noah ne répondit pas et continua d’essayer d’englober tous leurs adversaires d’un seul regard.

« Je suis prête. » assura Agathe en prenant position sur ses deux pieds et en levant les bras pour se préparer à encaisser les coups et à en donner.

Ben alluma sa clope avec un geste d’habitué.


« Ouais, je suis prêt. »

« Alors, c’est parti. » fit Camille en sortant son tube de rouge à lèvre de sa petite sacoche.

Et sans prévenir le combat commença.

Comme la première fois, ce furent leurs adversaires qui attaquèrent les premiers en avançant pour se lancer d’abord dans le corps à corps. Ils le firent avec un tel naturel qu’il fallut quelques instants pour que la foule comprenne que les choses sérieuses venaient de commencer, panique et cherche à sortir du hall où à se terrer quelque part pour observer en toute sécurité. Seul Antonin Manhell resta à sa place sans broncher et contempla la scène avec une concentration étonnante.

Agathe réagit en modifiant les distances pour écarter son groupe de leurs assaillants, au tout dernier moment. L’autre équipe ne prit même pas la peine de frapper le vide, ils s’arrêtèrent en pleine course pour réévaluer la pertinence de leur attaque. Elle les força à se regrouper et Ben jeta sa cigarette à leurs pieds. La seconde d’après, elle explosait et la fumée engloba tous leurs ennemis. Jacob fila vers l’avant avec sa bulle en ballon pour en toucher un maximum dans sa charge. Il rencontra cependant un bouclier de fer et un changement de gravité soudain qui ne le surprit pas. Il changea la forme de sa bulle pour éviter de se prendre sa propre protection et vola pour se maintenir à leur niveau. Les cinq membres du groupe roulèrent sur le côté pour échapper à la fumée qui commençait déjà à se dissiper. Dès qu’ils se relevèrent, ils inspirèrent à fond. Aucun ne toussait, ils avaient retenu leur respiration, tout simplement.

Ben alluma une seconde clope. Il n’aimait pas gâcher ses cartouches ainsi, mais ils avaient été obligés de tenter le coup, au moins une fois. Si cela avait pu fonctionner, ils s’en seraient voulu de ne pas l’avoir essayé. Jacob s’était un peu isolé en attaquant, ce qui le mettait dans une position de faiblesse. Il reposa ses pieds sur le sol et Agathe les fit se rejoindre immédiatement. Ils avaient au moins réussi à séparer le groupe ennemi en deux. Trois se trouvaient d’un côté de leur propre formation serrée et les deux autres étaient isolés. Le manieur du fouet déroula son arme et ils foncèrent une nouvelle fois ensemble. Cette fois, une force de gravité ascendante souleva brutalement Agathe du sol pour l’empêcher d’utiliser son pouvoir. Jacob la rattrapa au dernier moment et força pour la ramener sur le sol. Un coup de fouet chercha à l’atteindre pour le faire tomber, mais Noah s’interposa et laissa l’arme s’enrouler sur son poignet.

Ben repoussa l’attaque de son côté en soufflant un nuage aveuglant et en y laissant tomber des cendre brulantes. Jacob parvint à envoyer un bras invisible dans la mâchoire du contrôleur de sang et Camille se jeta sur le barophobe munie de son rouge avec la ferme intention de lui infliger une grande douleur. Il esquiva d’un mouvement fluide. Le porteur du bouclier permit au contrôleur des vibrations de passer en le protégeant de la pluie brulante et celui-ci envoya un coup de pied puissant dans le ventre de Ben qui recula à son tour. Noah attrapa le fouet et tira à pleine main pour forcer l’autre à le lâcher. Le combat commença alors à devenir des plus confus pendant quelques instants, mais tournait déjà sans discussions possible à la faveur des voyageurs en cravate.

Jacob parvint bientôt à maintenir Agathe au sol, mais les trois autres en étaient déjà à encaisser les coups plutôt qu’à les donner et lorsque les distances commencèrent à se distordre de nouveau, Camille avait déjà un hématome sur la pommette, Ben se tenait le ventre douloureusement et Noah s’était brûlé les mains à essayer de retenir un artefact magique un peu trop longtemps. Cette fois, les autres revinrent à la charge avec une stratégie et démontrèrent une fois de plus leur incroyable supériorité. Ils avaient compris que Noah n’utiliserait pas son pouvoir pour les attaquer, ou peut-être étaient simplement inconscients et cherchaient-ils justement à le pousser à agir. Ils laissèrent le barophobe en arrière, pour qu’il conserve sa concentration pendant que les quatre autres se battaient. Ils avaient clairement compris que le pouvoir d’Agathe représentait le plus grand danger de leur groupe et qu’elle devait conserver les pieds sur le sol pour l’utiliser. En imposant une gravité inversée sur sa personne, Jacob était contraint de la maintenir au sol – il était le seul à pouvoir lutter avec autant de force contre la gravité. Ils écartaient ainsi deux combattants de l’équation, dont le plus doué des cinq. Ainsi, ils n’avaient qu’à mener le corps à corps à quatre contre trois et étaient déjà sûrs de l’emporter. Ben était le seul à pouvoir répliquer efficacement et ses coups étaient limités à un nombre de cigarette prédéterminé.

Heureusement, bien qu’incapable de combattre avec eux, Agathe usait de son pouvoir pour écarter les coups autant qu’elle le pouvait et pour les aider à en placer de meilleure. Noah, conforme à son serment, se contentait de faire rempart de son corps pour les deux autres et ne répliquait jamais. Il encaissait avec un stoïcisme magistral, mais n’aidait hélas pas beaucoup. Jacob encaissait pour l’agoraphobe les quelques attaques qui parvenaient jusqu’à eux, sans que cela n’atténue sa volonté. Malgré toute la volonté que Camille mettait dans ses coups, elle ne touchait pour ainsi dire jamais. Les cendres de Ben se heurtaient systématiquement au bouclier de métal et ses fumées manquaient d’intérêt dans une situation telle que celle-ci. Les quatre assaillants menaient la danse avec une patience cruelle. Même si leurs coups étaient le plus souvent écartés par le pouvoir de l’agoraphobe, ils usaient avec toujours plus d’efficacité leur nombre, la forçant à agir sur un front pendant que l’autre attaquait, coordonnant leurs mouvements à la perfection.

Camille, Noah, Ben, Agathe et Jacob résistaient tant bien que mal face à l’incroyable talent de leurs adversaires. Mais ils ne se faisaient déjà plus d’illusion sur l’issue du combat. Même à cinq, ils n’avaient rien pu faire et avaient été mis au pied du mur en à peine une minute. Les autres n’avaient même pas subi la moindre éraflure et leurs costumes restaient impeccables. La jeune fille aux converses noires se demandait vraiment comment ils étaient devenus si forts. Même si elle avait eu un pouvoir dangereux, elle avait la sensation qu’elle n’aurait jamais pu faire le poids face à eux. Cette équipe savait se battre mieux que personne et ils n’avaient définitivement aucune chance. Heureusement, ils n’avaient jamais vraiment eut l’intention de l’emporter. Ce n’était pas le plan.

Un coup de pied faillit la toucher, mais frappa le vide, alors qu’à côté d’elle, Noah pliait le genou sous une balayette. Elle avait l’impression qu’Agathe la ménageait et cela l’agaçait un peu. Elle était prête à subir sa part de coups. Elle s’y était préparée. Mais au moins, elle vit une opportunité de frapper le flanc de son adversaire. D’un geste élégant il bloqua son coup de poing envoya le sien dans son abdomen. Cette fois, la femme le reçut et le sentit passer. Elle voulut happer de l’air, sans succès et tomba à genoux. Une chaussure noire cirée allait lui rentrer dans le visage, mais manqua d’un bon mètre. Elle s’attendit à une nouvelle attaque, mais celle-ci ne vint pas. Son adversaire s’était arrêté et regardait dans une autre direction. Ben à côté d’elle semblait lui aussi libéré des deux assaillants qui l’avaient occupé pendant plusieurs minutes et même Noah, de n’autre côté, paru souffler un peu. Une voix emplit la salle la seconde d’après.


« Arrêtez-tous ! » ordonna Miraz avec une autorité à faire peur. « Arrêtez ce combat où j’ordonne à mes hommes d’ouvrir le feu. »

Mais le combat s’était déjà arrêté et les dix voyageurs concernés observaient à présent ceux qui leur faisaient face. Il devait y avoir entre une cinquantaine et une centaine d’officiers de police présent dans toute la salle. Tous disposaient de fusils ou d’armes de poings et les braquaient sur les combattants, cachant leurs visages derrière leurs viseurs, devenant ainsi une horde de soldats anonymes. Ils s’étaient placés en ligne au niveau de l’entrée et se tenaient à la manière d’un peloton d’exécution. Ils les avaient en joue et l’expression de leur capitaine laissait suggérer qu’il avait l’intention de mettre sa menace à exécution. Un lourd moment de tension s’installa et Camille sentit son cœur s’arrêter. A la moindre erreur, ils seraient tous morts, il fallait faire très attention.

Les voyageurs en costume commencèrent doucement à s’écarter de leurs victimes et à se rassembler de leur côté, comme pour montrer qu’ils acceptaient de baisser les armes. Agathe retrouva une gravité normale et tendit une main vers son amie qui la prit en souriant nerveusement. Camille tendit doucement son bras vers Ben qui lui attrapa le bras à son tour. De son côté, Jacob n’avait pas lâché son amie et tendait sa propre main à Noah, qui la prit aussi.

Miraz observa leurs deux réactions et se méfia immédiatement. Le porteur du bouclier de métal se plaça innocemment devant ses camarades, montrant qu’ils n’avaient pas tout à fait l’intention de coopérer.


« Arrêtez votre manège maintenant. » ordonna-t-il à nouveau. « Vous êtes tous en état d’arrestation pour troubles à l’ordre public et si vous ne me suivez pas immédiatement au poste sans résister, je serai obligé de… »

« Maintenant. » déclara Agathe et tout le groupe assura sa prise sur les mains des autres.

Elle fit un pas en avant et le décor changea du tout au tout. La dernière chose que Camille vit avant de disparaître fut l’expression déconfite du capitaine de police. Elle se sentit tirée avec force, mais contracta ses muscles et apparut comme les autres sur le parking de l’hôtel du Voyageur. Il lui fallut à peine une demi-seconde pour réaliser qu’ils avaient réussi. Elle poussa immédiatement un cri de victoire et tous les autres autour d’elle se mirent aussitôt à rire et à crier avec elle. Elle se redressa complètement et serra immédiatement Agathe dans ses bras en la remerciant pour cette dernière intervention.


« Ahah ! » s’emporta-t-elle un peu. « Tu es la meilleure ! La meilleure ! On a réussi ! On a piégé ces cons ! »

Elle se sentait à ce point heureuse qu’elle lança même un regard victorieux à Ben, qui sourit en retour avec plaisir. Les deux filles commencèrent immédiatement à se raconter à nouveau la bataille et les trois hommes se félicitèrent par de franches poignées de main et de grands sourires. Le plan avait effectivement fonctionné.

Ils l’avaient conçu dès que les hommes de Miraz les avaient informés des intentions du capitaine à leur égard et du fait qu’il les surveillait. Exposer leurs adversaires était simple, mais la dernière fois, la police s’était contenté de les laisser faire sans intervenir et de récupérer Jacob une fois le combat terminé. Néanmoins, en attaquant dans le hall d’entrée du plus grand hôtel de la ville et avec la colère du chef des forces de l’ordre à son summum, ils avaient su qu’il viendrait en force cette fois-ci. Tout le plan avait consisté à rester grouper jusqu’à leur arrivée, pour qu’Agathe puisse les téléporter comme elle venait de le faire. La seule chose dont ils n’étaient pas certains, était la réaction de l’autre groupe et la façon dont Miraz chercherait à les interpeler. Attendrait-il la fin du combat ou non ? En fuyant ainsi et en laissant la police seule face aux cinq agresseurs, le capitaine n’aurait eu d’autre choix que de les arrêter. Le Granica l’aurait sans aucun doute réclamé. Et si le groupe tentait de se défendre ? Mieux valait ne pas être là au moment où la bataille éclaterait.

Mais Miraz avait ordonné au combat d’arrêter et avait menacé les deux groupes en même temps. Dès que les autres avaient commencés à montrer des signes qu’ils ne se laisseraient pas prendre si simplement, Agathe les avait téléportés. Mais concrètement, Camille et les siens avaient bien l’intention de se rendre d’eux-mêmes aux autorités : ils étaient soutenus par trop de patrons pour que Miraz puisse les garder enfermés longtemps ou espérer les chasser de la ville.

Ils s’esclaffèrent encore une minute et les trois propriétaires de l’endroit les rejoignirent avec des boissons offertes par la maison. Au moment où Camille commença à raconter aux trois voleurs repentis comment ils étaient entrés dans l’hôtel, une sorte d’énorme détonation assourdie par la distance retentit. Tous cessèrent de parler et se tournèrent vers la cité illuminée qui s’étendait sous leurs yeux.

Un puissant grincement métallique suivit.

On entendit comme du cristal éclater.

Les lettres du flamboyantes du Granica s’éteignirent les unes après les autres.

Puis, la tour s’écroula sur elle-même dans un grondement terrible, soulevant un nuage de poussière sans précédent qui se répandit sur tout le boulevard central.


---

Bientôt, la poussière soulevée par le bâtiment commença à être dispersée par le vent. Dans la rue, les gens hurlaient au loin, mais les cinq voyageurs les ignoraient. Ils étaient tous debout, sur une grande plateforme de métal qui s’élevait à quelques mètres au-dessus des décombres. Leurs expressions étaient parfaitement neutres alors qu’ils observaient le résultat dramatique de leur dernière technique. Aucun d’eux n’avait subi le moindre dommage et ils étaient parvenus à conserver leurs costumes intacts. Sous leurs pieds, il ne restait presque plus rien du Granica, que des ruines. Même pas un pilier qui aurait résisté à l’attaque. La rue était encombrée et les deux hôtels voisins étaient à moitiés ensevelis, sans aucun doute fragilisés. Quelques cadavres apparaissaient çà et là, mais l’essentiel devait se trouver sous les décombres.

« C’était plus simple que je ne le croyais. »
« Oui, la situation était tout de même plus tendue. »
« Je crois que nous sommes prêts à passer à la zone 3. »
« Oui, je suis d’accord. »
« La zone 2 ne peut plus rien nous apporter maintenant. »
« Alors allons-y, nous n’avons plus rien à faire ici. »


Ils acquiescèrent tous. La plaque de métal se posa délicatement et ils rejoignirent le boulevard central. De là, ils se tournèrent vers la sortie de la ville. C’est à pied qu’ils quittèrent la Resting City pour ne jamais revenir.

---

Environ une heure plus tard, alors que les quelques officiers de polices survivants étaient tous occupés à tenter de tirer un maximum de leurs camarades des décombres en compagnie d’un très grands nombre de volontaires, une voix s’éleva à travers tous les haut-parleurs de la cité. Une voix sinistre qui vint définitivement achever les habitants de la ville.

« Chers habitants de Resting City, bonsoir ! » déclara Lucien Sandman en jubilant à moitié. « Cette nuit, vous venez de perdre le fleuron de votre ville. Le Granica a été détruit et l’essentiel des forces chargées de votre protection est partie avec lui. Oui, c’est vrai, vous l’avez compris, par cette perte tragique, vous vous retrouvez sans défense face à l’adversité et c’est donc avec un grand plaisir que je déclare cette ville ouverte ! Ouverte à tous les criminels de Dreamland ! Ouverte aux pires infamies ! Ouverte aux pillages, aux meurtres et aux émeutes ! Laissez-vous tenter par un grain de folie ! A partir de maintenant, vous pourrez faire tout ce qu’il vous plaira, personne ne vous arrêtera ! Je viens de libérer les criminels que votre cher capitaine avait enfermés dans ses locaux. Et demain, nous reviendront ! Oui, mes chers gentils petits citadins, nous reviendront, avec beaucoup d’autres, tout aussi fou que nous, et nous mettrons cette ville à sac. Aussi longtemps qu’il nous plaira ! »

Et il éclata d’un rire sinistre. Jamais plus Resting City ne serait la même.



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A-TEAM

Personnage

Roses et Rouges - Page 2 433032TheATeam


    Age : Entre 22 et 24 ans.
    Ville : Angers, Oxford, Zurich, Milan et Amsterdam.
    Activité : Divers.
    Dreamland : Equipe de combattant plus ou moins invincible et impitoyable. S’il y avait une ligue qui classait les voyageurs par équipe, ils seraient en tête ou en phase de le devenir.
    Objet magique : Un fouet onirique.
    Aime : Se battre, gagner, les défis, explorer leurs limites, trouver de nouvelles techniques, améliorer leurs combinaisons… etc.
    Déteste : Rien de spécial.
    Surnom : La A-Team.

    Le saviez-vous ?
    Leurs performances sont… collectives.


Fin de la quatrième partie.
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AuteurMessage
Jacob Hume
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Date d'inscription : 29/05/2010

Arpenteur des cauchemars
Jacob Hume
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MessageSujet: Re: Roses et Rouges Roses et Rouges - Page 2 EmptyMar 25 Nov 2014 - 13:49
CINQUIEME PARTIE :
LA NUIT DES VEILLEURS

1/ La veille.

Il aurait tout aussi bien pu être absent, cela n’aurait rien changé, son esprit était ailleurs et il avait du mal à se concentrer. Il était entré dans la salle à peine trois minutes plus tôt et déjà ses élèves se montraient indisciplinés. Il n’avait pas cherché à les réprimander non plus, ni même à commencer le cours. Ils s’étaient installés en bavardant, comme d’habitude, déterminés à continuer jusqu’à ce qu’il leur fasse signe d’arrêter pour disposer de leur attention. La classe n’était même pas particulièrement difficile et il avait généralement de l’autorité sur eux. Il pensait juste à autre chose. C’était la première heure de la journée et son esprit n’était pas encore occupé par les problèmes quotidiens et continuait de rêvasser. Depuis qu’il s’était réveillé, Dreamland laissait sur lui une emprunte indélébile et le poussait à ne pas se préoccuper de ce qui l’entourait. Ce n’était que mécaniquement qu’il s’était préparé, qu’il avait mangé ou qu’il avait conduit sa voiture jusqu’ici. Patrick avait beaucoup de mal à se défaire des événements qui avaient rythmé sa nuit.

Voilà quelques nuits qu’il était piégé dans une cellule onirique, placé là par les soins de deux voyageurs quelque peu zélés. Les policiers qui le surveillaient montraient un tel mépris pour lui qu’il avait eu peur qu’on ne se contente pas de son emprisonnement et qu’on lui fasse subir des sévices atroces pour le punir de ses crimes. Il avait entendu parler du sort réservé aux violeurs incarcérés et redoutait qu’on le lui fasse subir. Cependant, Miraz tenait mieux ses troupes qu’on pouvait le penser. Il l’avait fait mettre dans une cellule plus isolée que les autres, pour que personne n’essaie de s’en prendre à lui. Néanmoins, pendant près d’une semaine, Patrick n’avait fait qu’attendre. Attendre quoi, il ne savait même pas. Un châtiment plus sévère encore ? Une condamnation officielle ? Un procès ? Un transfert ? Comment se passaient les choses à Dreamland ? Cela dépendait sûrement du royaume. Il avait immédiatement détesté ces quelques nuits. Pire, il se rendait compte que le seul moyen qu’il connaissait pour décompresser, agresser des femmes dans leurs rêves, lui était maintenant interdit. Il avait maudit cette cellule, il avait maudit ces deux voyageurs qui l’avaient arrêtés : Jacob Hume et Noah Suliaman, l’intouchable et le Pacificateur.

Et voilà que la nuit dernière, son ange gardien était arrivé. Même lui savait que ce n’était pas exactement vrai et que le fou se fichait totalement de savoir qui il était ou ce qu’il avait fait. Néanmoins, son intervention l’avait sauvé, l’avait libéré de sa prison. Il y avait eu comme une explosion, suivie d’un tremblement de terre. Quelques temps plus tard, Lucien Sandman était venu et avait forcé la prison. Il les avait tous délivrés, tous les criminels qui se trouvaient alors enfermés derrière les barreaux de Miraz. Comme ça, simplement parce qu’il en avait envie et qu’il le pouvait. On leur avait enlevés leurs tatouages lorsqu’ils en avaient, on leur avait dit qu’ils étaient libres à présent et qu’ils pouvaient aller vaquer à leurs occupations. Enfin, Patrick pouvait fuir, se cacher quelque part et peut-être retrouver sa vie ordinaire à Dreamland.

Mais c’était le discours qui avait suivi qui l’avait le plus troublé. Resting City n’était plus protégée, les forces de l’ordre y avaient été éliminées. Il avait la possibilité de reprendre ses activités ici-même sans qu’on ne cherche à l’arrêter. Il avait une chance de se venger de ceux qui l’avaient enfermé en participant à la grande mascarade que proposait Lucien Sandman. Ils allaient réduire cette ville à néant, allaient la transformer en champ de bataille permanent. Au moins jusqu’à ce que les forces de l’ordre parviennent à se regrouper, si jamais elles y arrivaient. Ce royaume allait probablement changer du tout au tout et l’idée de participer à cette bataille lui plaisait. Il avait besoin d’extérioriser sa frustration d’une façon ou d’une autre. N’était-ce pas un bon moyen de punir ceux qui l’avaient arrêté ? Qui s’étaient aussi battus pour sauver la cité ? Plus ses pensées se laissaient aller à imaginer la scène plus il avait envie d’y être. Et dans le même temps, il ne savait pas exactement comment il pourrait être utile aux monstres qui allaient participer à l’événement. Ses capacités étaient bien maigres comparées à celle d’un Lucien Sandman.

Se rendant compte qu’il était resté silencieux un bon moment, il se força à réagir. Ses élèves ne s’inquiétaient pas vraiment de son manque de concentration. On approchait de la fin de l’année et si le conseil de classe de ceux-ci n’avait pas eu lieu à la fin de la semaine, la salle aurait déjà été dépeuplée. Il s’agissait de secondes et il s’occupait d’eux depuis maintenant un mois et demi, remplaçant une collègue partie en congé maternité. S’ils avaient été en première, la menace grandissante du Bac de français les aurait maintenus dans son cours jusqu’au bout, mais avec eux, il ne se faisait pas d’illusions. Surtout que cette classe avait pris l’option physique-chimie et qu’il était peu probable qu’on trouve ici des candidats pour poursuivre en première L. Il n’en restait pas moins qu’il avait un cours à donner et notamment un commentaire de texte à rendre. Les résultats étaient plutôt moyens, mais corrects dans l’ensemble et il avait déjà préparé une série de remarques à faire pour les aider à progresser, s’ils daignaient en faire usage du moins. Il sortit le tas de copies de sa sacoche et le posa devant lui. Aux premiers rangs, une forme de silence intéressé commença.


« Bien ! » lança-t-il d’une voix assez forte pour que tout le monde l’entende, sans chercher à couvrir le vacarme non plus. « S’il vous plait, un peu de silence, on va commencer ! »

Rapidement la classe se calma et tout le monde se tut. Il dut jeter un regard appuyé à un jeune homme qui finissait de raconter la dernière vidéo d’un youtubeur célèbre à son voisin, afin qu’il comprenne que la salle était silencieuse et qu’on entendait plus que lui. L’élève se rendit alors compte du problème et envoya un grand sourire au professeur, essayant de le faire rire en se prétendant parfaitement innocent. Patrick secoua la tête, désabusé et quelques rires fusèrent pour commenter l’échange.

« Bien, puisque Théo nous permet de commencer, commençons. » fit Patrick en se levant et en prenant le paquet de copies. « J’ai corrigé vos commentaires sur Stendhal. Ils sont plutôt bons dans l’ensemble, même si j’ai plusieurs remarques à faire. Je sais que c’est bientôt de la fin de l’année et que ce sera votre dernière note, mais je vous demande de bien faire attention à la correction, ce sera utile pour le Bac. »

Il les toisa, l’air de dire qu’il les avait prévenus. Naturellement, leurs regards lui rendaient bien l’absence totale d’intérêt pour la question. Autant passer à autre chose.

« Bien, Amandine ? » fit-il en regardant le nom sur la première copie.

Une jeune femme leva la main et il alla lui rendre un neuf sur vingt à peine mérité, avant de poursuivre. Il ne faisait pas de commentaires personnels en rendant les copies. C’était humiliant la plupart du temps et il suffisait de lire ses annotations pour comprendre la raison de ses notes.


« Martin ? Kilian ? Emma ? Hector ? Benoit ? Théo. »

Les copies n’étaient pas triées. Il ne prenait jamais la peine de le faire. Il avait toujours détesté cela étant à l’école et ne comprenait pas l’intérêt que certains de ses collègues avaient. Certains classaient en fonction des notes, d’autres classaient par le nom des élèves. Lui ne faisait rien de tout cela, cela prenait du temps et avait tendance à favoriser certains élèves simplement parce qu’ils s’appelaient Agnate et pas Zemar, ou à montrer à tous qui avait foiré son contrôle et qui l’avait réussi. Il donna sa copie à Théo avec un petit regard pour lui rappeler que ses notes ne rattraperaient pas toujours son indiscipline. A nouveau, l’intéressé lui sourit avec insolence en recevant son dix-sept. Intelligent, doué et conscient de l’être, les pires élèves au monde, qu’on ne pouvait cependant pas s’empêcher d’apprécier plus que les bons qui n’avaient aucune confiance en eux.

« Nathalie ? »

« Ici monsieur ! » répondit une voix de l’autre côté de la salle.

Il dut faire le tour par son bureau pour atteindre l’intéressée. En marchant jusqu’à elle, il voulut vérifier quelle note il lui avait mise et tomba sur une autre information, parfaitement inattendue. Son nom de famille était Hume. Nathalie Hume. Il s’arrêta un instant. Cela faisait plus d’une semaine qu’il avait corrigé la copie, l’une des premières du tas désorganisé. Plus encore, il avait l’habitude d’appeler ses élèves par leurs prénoms, afin de paraître un peu plus sympathique. Il avait tendance à ignorer ou à oublier leurs noms de famille assez rapidement, reconnaissant de toute manière assez vite leur écriture et leur personnalité. Mais maintenant qu’il l’avait sous les yeux, ce patronyme ne pouvait que lui sauter aux yeux. Etait-il possible que ce soit plus qu’une simple coïncidence.


« Nathalie Hume… » mumura-t-il en s’arrêtant devant la jeune femme.

Elle le regarda avec appréhension, croyant sûrement qu’il y avait un problème avec sa copie. Il la regarda en retenant le commentaire en otage.


« Tu n’aurais pas un frère qui s’appelle Jacob ? » demanda-t-il à tout hasard, en essayant de prendre un ton détaché.

Le visage de l’élève sembla soulagé quelque part et étonné à la fois.


« Euh, si. » répondit-elle en souriant. « Vous le connaissez ? »

« Je crois bien l’avoir eu comme élève. » répondit Patrick du tac au tac, alors qu’il savait pertinemment que c’était faux. « Assez bon devoir, continue comme ça. »

Il lui rendit un treize et poursuivit mécaniquement la distribution de copies. Son cœur battait déjà la chamade. Etait-ce seulement possible ? Quelle coïncidence étrange ? La petite sœur de celui-là  même qui l’avait tabassé et emprisonné à Dreamland se trouvait dans sa classe à cet instant. S’il avait voulu se venger de lui, il l’aurait attaquée, là maintenant, sans même craindre de voir son frère débarquer pour lui mettre une raclée. Néanmoins, il était évident qu’une telle attitude n’aurait pas plu aux autres élèves, ni même au rectorat. De toute manière, il ne trouvait pas cela suffisant. Il pouvait faire mieux, beaucoup mieux.

Il jeta un autre regard dans la direction de la jeune femme. Elle était certes jeunes, mais comme un certain nombre de filles de son âge – elle devait avoir autour de seize ans maintenant – elle était déjà développée. Les cheveux clairs, plutôt mince, avec un visage un peu allongé. Elle ressemblait assez peu à Jacob, mais il parvenait à voir l’air de famille. Elle n’était pas la plus jolie dans la salle, mais demeurait plutôt mignonne et savait s’habiller pour se mettre en valeur, malgré son style un peu grunge. Oui, il pouvait faire beaucoup mieux pour se venger de l’intouchable.

Il lui suffisait de lui demander de venir la voir à la pause, de la suivre à l’heure du déjeuner, de… Non. Elle était vulnérable ici, mais il n’était pas fou. Il sortait de prison dans le monde des rêves, il n’avait pas la moindre envie de comparer avec le monde réel. Mieux valait être prudent, à Dreamland, il ne risquait rien de tel. Il savait être prudent là-bas, agresser des rêveuses sans attirer l’attention. Oui, cette nuit. Ce serait parfait. Il pourrait enfin rire au nez de l’intouchable. L’excitation commençait à le submerger.

Il donna la dernière copie qu’il avait en main et revint enthousiaste jusqu’au tableau pour commencer la correction.


---

Le site internet sur lequel se rendait l’essentiel de la communauté voyageur comptait de nombreuses rubriques et des milliers d’articles en tout genre. L’équipe internationale qui gérait le projet s’assurait que l’activité y soit toujours dense. Outre les discussions instantanées possibles, les membres avaient notamment accès à un nombre incalculable d’informations, sur Dreamland et sur les voyageurs en général. Il y avait de nombreuses notices, des conseils laissés par les utilisateurs et des parties réservées à certains groupes auxquels les autres ne pouvaient pas accéder. Le site internet se chargeait aussi de tenir un journal presque permanent sur les dernières nouvelles oniriques et réelles, avec la participation des internautes eux-mêmes. Tous les membres du site pouvaient envoyer des alertes d’information qu’une petite équipe épluchait et triait, vérifiait avant de relayer au reste de la communauté sous formes d’articles en tout genre, abordant les choses de la manière la plus neutre possible.

Dès le matin, des dizaines de messages étaient arrivés à la rédaction, narrant les événements qui avaient eu lieu à Resting City. De fait, la ville était peut-être plus petite que sa voisine, Kazinopolis, et moins connue que beaucoup d’autres royaumes, elle comptait néanmoins l’une des communautés de voyageurs les plus importantes de tout Dreamland et le nombre d’intéressés ou de témoins était donc assez grand. Aux alentours de neuf heure et demie, on avait reçu assez d’informations pour faire un premier article, assez succins, mais résumant suffisamment bien les événements pour que tout le monde comprenne la situation. Il ne fit jamais la une du site, car au même moment, d’autres événements majeurs marquaient la politique du monde onirique avec beaucoup plus de force, néanmoins, il devint rapidement l’un des liens les plus consultés de la journée. Posté à la fois dans le journal et sur la page consacrée au royaume lui-même – où les membres pouvaient répondre – il présentait les choses ainsi :


« Cette nuit, à Resting City, suite à une altercation avec les forces de l’ordre de la ville, la A-Team (un lien était alors proposé pour se rendre sur un autre article décrivant l’équipe) a détruit le principal bâtiment de la ville, l’hôtel Granica, tuant dans le même temps, l’essentiel des forces de police et blessant le capitaine de celles-ci, une créature des rêves nommée Miraz, avant de quitter les lieux sans être poursuivis.

« Un peu plus tard dans la soirée, une autre attaque a eu lieu. Lucien Sandman
(un autre lien menait vers un article le concernant) a forcé les portes de l’hôtel de police et a libéré l’ensemble des prisonniers qui s’y trouvaient. Puis, il a fait une déclaration à toute la ville, indiquant qu’à présent, il n’existait plus d’autorité policière dans le royaume et que la ville était « ouverte aux criminels ». Il a lui-même appelé d’autres criminels à se manifester dès la nuit suivante pour venir semer le chaos en ville, tout en assurant qu’il participerait lui-même au carnage. »

Une petite note à la fin de l’article mentionnait que l’affaire était à suivre qu’il y aurait sûrement plus à raconter dans les heures à suivre.

Les commentaires étaient nombreux, comme on pouvait se l’imaginer. La plupart portaient sur le choc qu’un tel événement représentait, sur l’impact dramatique d’une telle destruction. On parla beaucoup de l’irresponsabilité de la A-Team, dont l’exploit laissait un goût particulièrement amer. Ceux qui travaillaient dans la ville ajoutèrent leurs propres témoignages ou se plaignirent de la situation. Un certain nombre d’entre eux indiqua qu’ils ne chercheraient pas à y revenir, que l’endroit était devenu beaucoup trop dangereux et on recommanda rapidement aux clients potentiels de faire de même. Les lamentations allèrent bon train et l’on crut la ville définitivement perdue lorsqu’une nouvelle série de commentaire commença à apparaître.

Plusieurs voyageurs de moindre envergure saluèrent l’exploit des cinq membres de la A-Team, comme s’ils avaient encouragé leur équipe de football favorite. On eut beau chercher à leur dire que leur attitude était détestable, un certain nombre d’autres, qui n’avaient parfois jamais entendu parler de Resting City avant ce jour, ajoutèrent que l’appel de Lucien Sandman les intéressait. Un petit élan de participation au chaos commença à se dessiner sur la toile et bientôt, aucun internaute n’essaya même de protester. Le royaume était au bord du gouffre et une bande de brutes se proposait d’enfoncer le clou.

Jusqu’à ce qu’une dernière intervention finisse par réveiller les consciences. Ce fut le dernier commentaire que l’article reçu ce jour-là et il reçut un nombre incroyable de soutiens. Il fut posté par LipstickCamilleS vers le milieu de l’après-midi.


« A tous les petits cons qui veulent s’amuser à RC ce soir, c’est à vos risques et périls. Ce soir, j’appelle tous les volontaires à me rejoindre à l’hôtel de police pour qu’on organise la défense de la ville. Je ne laisserai pas un fou furieux détruire un royaume sans rien faire. Si vous ne comptez pas rester les bras croisés, rejoignez-moi. Et sachez d’ors et déjà que le Pacificateur sera là pour m’aider, alors évitez de faire les malins ici, on verra ce que vous valez vraiment cette nuit. »

---

Agathe était assise sur son lit, les jambes repliées sur sa poitrine et le dos calé contre le mur du fond. Son écran d’ordinateur était encore allumé sur la page du site des voyageurs, celle qui parlait de Resting City, à la vue de tous ceux qui voudraient entrer. D’ordinaire, elle faisait plus attention que cela et s’assurait toujours que ses parents ne puissent pas découvrir son secret en fermant les pages et en les supprimant de son historique. Mais cette fois-ci, elle n’était pas dans son état d’esprit ordinaire. En réalité, elle priait presque pour que sa mère entre et surprenne la page. Elle ressentait le besoin de lui parler, de parler à quelqu’un qui pourrait la rassurer sur ce qui allait suivre.

Toutes ses convictions sur Dreamland s’étaient écroulées avec le Granica. Voir le bâtiment s’écrouler sous ses yeux, en partie à cause d’elle, l’avait ébranlée plus que tout le reste de ses aventures oniriques ne l’avait jamais fait. Lorsqu’ils avaient conçu ce plan, elle l’avait trouvé si brillant et s’était montrée si enthousiaste. Provoquer cette équipe de voyageurs pour forcer Miraz à tous les arrêter paraissait la meilleure façon de les vaincre. Elle ne s’était pas attendu une seule seconde que cela puisse se retourner contre eux aussi brutalement. Ils avaient clairement sous-estimé le groupe qu’ils affrontaient, elle s’en rendait compte à présent. Mais que bénéfice pouvait-elle tiré de cette information ? Qu’est-ce que pouvait lui apporter le fait de savoir où était leur erreur ? Ils s’étaient trompés et les conséquences étaient dévastatrices.

Le nombre de morts qu’avait provoqué l’incident la choquait. Elle n’avait jamais voulu cela et pourtant, c’était arrivé par sa faute. Le fait que Miraz s’en soit sorti, comme l’article l’indiquait, ne la consolait qu’à peine. Tout le mépris qu’elle avait éprouvé pour le personnage avait disparu et s’était transformé en un profond respect. Il avait eu raison depuis le début. Depuis cette nuit où il les avait arrêtés pour la première fois et leur avait fait comprendre que les voyageurs qui se prenaient pour des héros finissaient tous par créer plus d’ennuis qu’ils en résolvaient. Elle ne l’avait pas écouté, elle n’avait pas cru à son discours teinté de racisme et faisait à présent face à une réalité bien plus violente que ce à quoi on aurait pu s’attendre. A cause d’elle, Resting City allait sombrer dans la folie, la misère, le crime, dans le chaos le plus total.

Elle s’en voulait, mais savait aussi qu’elle n’était pas seule responsable, qu’elle n’avait jamais cherché à ce qu’un tel résultat survienne. C’était la A-Team qui avait détruit ce bâtiment, la A-Team qui avait permis à Lucien d’intervenir et de porter le coup fatal. Mais le fait de lutter contre sa culpabilité ne changeait rien à la situation. Lucien Sandman avait finalement réussi à mettre en place son projet fou, il était parvenu à transformer un royaume des rêves en cauchemar. Savoir que Resing City allait être complètement détruite et changée par ces événements pour devenir une antre du crime écrasait sa volonté plus que tout le reste. Ils avaient perdus la partie et des milliers de personnes allaient en souffrir.

Le message de Camille sur l’article ne lui donnait pas davantage d’espoir de sauver les meubles, contrairement à ce qu’elle aurait cru. Son amie voulait encore se battre, ne s’avouait pas vaincue par ces criminels. Elle croyait encore qu’ils pouvaient empêcher le pire. Mais Agathe était intimement convaincue que le pire était déjà arrivé et qu’ils ne pourraient jamais que ralentir le cours irréversible des événements. Que pouvaient-ils faire ? Entre les malfrats que Lucien avait libérés, Lucien lui-même et tous ceux qui promettaient de les aider, il y aurait trop à faire. A cinq, ils seraient submergés trop rapidement. Il avait déjà été si difficile de régler les différents problèmes un à un, les affronter tous en même temps était bien au-dessus de leurs moyens. Et à chaque nuit qui passerait, d’autres criminels viendraient s’ajouter aux premiers. Ils n’avaient aucune chance.

Et au final, c’était cela qui l’effrayait et la tétanisait. C’était fini, ils ne pouvaient rien faire. Peut-être était-ce même sa faute. Ce royaume qu’elle appréciait allait bientôt disparaître et des centaines de personnes allaient probablement souffrir ou mourir. Un rêve allait s’effondrer et elle ne pourrait pas l’en empêcher. Elle n’avait pas bougé de la journée, incapable de penser à autre chose et incapable de s’en remettre. Elle n’avait qu’une seule envie, que quelqu’un prenne le temps de lui expliquer que ce n’était pas grave, qu’elle n’avait pas à s’inquiéter, que des choses comme ça arrivaient ou qu’on vienne lui dire qu’il existait un moyen miraculeux de sauver la ville malgré les apparences. Mais aucune de ses connaissances n’était voyageur, elle n’avait pas le numéro de Camille ou de Noah et elle n’avait pas vraiment envie de partager ses craintes avec Ann, sa patronne. Ne restait donc que ses collègues et elle ne s’entendait vraiment bien qu’avec d’eux d’entre eux, Nathan et Jacob. Mais elle n’en était pas proche au point de pouvoir les appeler ainsi. Ils étaient tous deux adultes et avaient leurs propres préoccupations pendant la journée. Elle avait l’impression qu’elle les dérangerait.


« Agathe, ça va ? » s’inquiéta la voix de sa mère de l’autre côté de la porte.

La jeune femme ne l’avait même pas entendue rentrer.


« Tu es sortie de ta chambre aujourd’hui ? » continua sa parente en prenant un ton de reproche.

Face à la réprimande muette de sa mère, qui devait encore s’inquiéter de savoir si elle passait ses journées à ne rien faire ou à tenter de trouver un emploi, Agathe ne supporta pas l’idée même de subir un nouveau discours sur son inactivité. Elle en avait bien trop marre de perdre ses vacances autour de cette question et ajouter cela au reste l’aurait fait craquer complètement.


« C’est bon maman ! » répondit-elle sans essayer de cacher sa colère. « Laisse-moi tranquille ! »

Sa mère ne l’avait jamais entendue lui répondre ainsi. Elle aurait pu s’énerver et s’indigner qu’on lui parle sur ce ton, elle aurait pu entrer pour demander ce qui n’allait pas. Au lieu de ça, trop surprise par cette réaction, elle resta interdite pendant un moment. Elle avait senti dans le ton de la voix de sa fille que quelque chose de grave venait de survenir. Elle préféra ne pas la déranger pour l’instant, attendre le dîner ou peut-être le lendemain, lorsqu’elle irait mieux, pour lui parler.

« Allô ? » fit la voix de sa fille de l’autre côté de la porte. « Jacob ? »

Bien qu’assourdie par le mur, on sentait que sa voix était plus aigüe que d’habitude.

---

« Agathe ? Ça va ? »

Jacob venait de décrocher et il avait l’impression que la voix de sa collègue n’était pas la même que d’habitude. En même temps, il ne l’avait jamais appelée directement auparavant et n’avait aucun moyen de savoir si le téléphone ou le micro qu’elle utilisait à Dreamland déformaient sa véritable voix. Il lui avait semblé, cependant, qu’elle était au bord des larmes. Et, au vu de la situation, il ne pouvait que trouver cela normal.

Lui-même n’était pas emprunt à un enthousiasme grandissant.


« Je sais pas. » répondit-elle avec une honnêteté fragile.

« Tu tiens le coup ? » s’inquiéta-t-il un peu.

« Je sais pas non plus. » avoua la jeune femme.

Jacob ne répondit rien. C’était elle qui l’avait appelé, à elle de commencer à parler. Il se leva doucement du lit où il s’était mis à lire une heure plus tôt et alla à la fenêtre. Il faisait plutôt beau ce jour-là, mais le soleil déclinait lentement. Au bas de l’immeuble, aucune agitation particulière ne venait perturber leur conversation.


« Tu as vu le message de Camille ? » demanda-t-elle au bout d’un moment.

« Quel message ? »

« Sur le site, sur la page de Resting City. »

« Ah. » fit-il, un peu désolé de ne pas pouvoir l’aider. « Désolé, je vais pas trop sur le site. »

Elle rit un peu, malgré les larmes qui lui montaient.

« Sort un peu de ta caverne Cro-Magnon. » se moqua-t-elle. « Tu sais ce que c’est Internet ? »

Ravi qu’elle ait encore le sens de l’humour, il enchaîna immédiatement, sur un ton plus joyeux : « Qu’est-ce qu’il disait ce message ? »


« Elle demande à tous les volontaires de venir l’aider. » résuma Agathe. « Elle dit qu’elle veut défendre la ville contre Sandman et les autres. »

« C’est très bien. » ajouta Jacob, sincèrement.

« Vraiment ? » s’étonna un peu Agathe. « C’est ce que tu penses ? Tu ne trouves pas ça un peu… je sais pas… »

« Un peu inutile maintenant ? » acheva-t-il voyant très bien où elle voulait en venir et ce qui l’inquiétait. « Oui, peut-être. »

« Et tu veux quand même y aller ? » insista-t-elle.

« Pas toi ? »

Elle ne pouvait le voir, mais il souriait. Il souriait comme un père aurait souri à son enfant alors que celui-ci subissait ses premiers véritables revers dans la vie, à la fois attendri et fort d’une expérience plus grande. Elle était jeune, même en tant que voyageuse. Elle avait encore beaucoup à apprendre et ce premier coup dur lui ferait peut-être plus de bien qu’elle ne pouvait l’imaginer. Comme elle ne répondait pas vraiment, il continua.

« Agathe, je vais te dire, ça n’a pas d’importance. » lâcha-t-il. « Au final, qu’on réussisse ou non ça ne changera pas grand-chose. Le truc, c’est juste d’essayer. Des fois, ça marche, des fois, non. »

Il inspira à fond, elle l’écoutait à présent, elle avait besoin qu’il lui redonne espoir, qu’il lui redonne la foi. Et étrangement, le vide que la destruction du Granica avait instauré en lui l’aidait à y voir plus clair.

« Regarde-moi, depuis que je suis voyageur, je passe mes nuits dans une bulle qui me protège, mais me rends aussi sourd, muet et me fait souffrir, systématiquement. » raconta-t-il. « C’est une torture permanente et je déteste ça. J’en ai été déprimé pendant des mois, des années mêmes. Maintenant, je m’y suis fait. Je cherche toujours un moyen que ça s’arrête, mais c’est devenu secondaire. J’ai un royaume à gérer, un bon travail grâce à cette bulle, des amis, une belle vie dès que je suis levé. N’empêche, j’aime toujours pas dormir. Tout ça m’aide à relativiser un peu, c’est vrai, mais je pourrais avoir une belle vie autrement. Et puis, je ne sais pas pour toi, mais des fois, être voyageur c’est vraiment lourd. Avoir tous ces problèmes dont je ne peux même pas parler avec la femme que j’aime, ne pas pouvoir partager tout ça avec elle, devoir lui mentir… ça me pèse. Alors, j’essaie toujours de percer ma bulle de temps à autre. Au bout de mille essais, j’aurais peut-être dû abandonner, c’est un peu inutile, pas vrai ? N’empêche, j’essaie toujours, il y a bien un moment où ça finira par marcher, non ? »

Il eut un autre sourire. Il l’entendait encore respirer.

« Agathe, je ne vais pas te mentir, on a foiré. » dit-il sur un ton un peu plus sérieux. « On a sacrément foiré même. Et maintenant, on a un royaume sans protection et malade mental qui veut y mettre le bordel. C’est extrêmement difficile, c’est tragique. N’empêche, des choses comme ça arrivent tous les jours. Peut-être pas exactement comme ça, mais tu vois ce que je veux dire. C’est très triste, mais il y a toujours des assassinats, des viols, des vols, des agressions, des catastrophes, des génocides, des maladies… toujours. Cette nuit, une tour s’est écroulée et avec elle presque toute la police de la ville. C’est une vraie tragédie, mais c’est pas la première et c’est pas la dernière.

« Et à Dreamland, c’est toujours pire, il y a toujours plus de chances que ça se produise. Pourquoi ? Parce qu’à Dreamland, il y a des rêves, tout simplement. A Dreamland, une bonne moitié des créatures sont conçues pour être dangereuses et méchantes. Il y a des seigneurs cauchemars qui ne vivent que pour inciter la peur chez leurs victimes. Pire, ceux qui ne rêvent pas là-bas ont des pouvoirs monstrueux qui leur donnent la capacité de détruire des bâtiments entiers pour leur plaisir. Alors forcément, ça exacerbe les choses. Mais, crois-moi, le monde ne va pas s’écrouler à cause d’un seul royaume attaqué par une bande d’abrutis.

« J’ai fait pas mal de choses en tant que voyageur. J’ai été dans plein d’endroits différents et j’ai vu de sacrées horreurs. Mais voilà, ça existe, c’est tout, il faut le savoir. Cette nuit, c’est Lucien Sandman et sa troupe de dégénérés qui viennent menacer la tranquillité de Resting City, peut-être à jamais. Et si c’était pas lui, ce serait quelqu’un d’autre. Pourquoi pas un Dorian Gray, un Von Jackson ou un Rocco, hein ? Il y a toujours un ennemi, un méchant à abattre, un mal à combattre quelque part. Chaque fois qu’on élimine un problème, un autre se créée ailleurs. Parfois, c’est eux qui l’emportent. Jusqu’à ce qu’un jour un autre héros arrive et finisse par les chasser. Alors oui, tout cela est bien inutile. Même si on réussit ce soir, ce sera autre chose demain. Et si on échoue, quelqu’un d’autre viendra un jour faire le travail à notre place. Pourquoi y aller alors ? »


Il laissa un instant la question en suspend.

« Parce que, Agathe, si personne ne fait rien, ce sont eux qui gagneront à tous les coups. Pour cette fois, c’est nous qui sommes là. Alors on va tenter quelque chose. Si ça marche pas, tant pis. Si ça marche, on sera des héros. Mais dans les deux cas, on pourra être fier d’avoir participé à la lutte. C’est comme ça que ça marche. »

Il inspira un peu.

« Tu as le droit de ne pas y aller si tu ne le sens pas. » expliqua-t-il. « Moi, de mon côté, j’y vais. J’y serai allé, même si Camille n’avait pas mis de message sur le site. »

Un silence suivit son petit discours. En bas, dans la cour de l’immeuble, une mère de famille rentrait chez elle avec ses deux enfants. Jacob l’observa un moment, se prenant à espérer qu’un jour, ce serait Cartel qu’il verrait dans cette position et que les enfants seraient les siens. Ce genre de discussion et d’événement avait tendance à le recentrer sur ce qui lui importait vraiment. Il avait envie de fonder une famille. Et s’il ne se battait pas maintenant contre d’adversité, avec tous ses pouvoirs oniriques pour l’épauler, comment pourrait-il affronter la perspective d’être père ?

« Je vais venir. » finit par dire son amie. « Tu as raison. Il faut qu’on fasse quelque chose. »

« Très bien. » sourit Jacob. « Alors à ce soir, Agathe. Tu vas voir, ça va être facile. »

Elle eut un autre petit rire. « Merci Jacob. A ce soir. »

Et elle raccrocha. Il resta un moment, immobile, à regarder le soir tomber sur Montpellier. Il avait envie d’en découdre. C’était dans ses moments là que Cartel lui manquait. Sans attendre davantage, pris d’une impulsion soudaine, il l’appela. Il avait simplement envie de lui parler, pour tromper le temps et l’appréhension avant que tout ne commence.



FREE
CARTEL

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Roses et Rouges - Page 2 552691Cartel

    Age : 22 ans.
    Ville : Paris (France).
    Activité : Etudiante à Science Po, major de promo, surdouée toute catégorie.
    Dreamland : Rêveuse.
    Objet magique : Aucun.
    Aime : La famille, Jacob Hume, les responsabilités, avoir raison, les chats.
    Déteste : Ceux qu’elle snobe, ceux qui s’en prennent à ses proches.
    Surnom : Aucun.

    Le saviez-vous ?
    Ed Free, lui, ne le sait toujours pas.


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Jacob Hume
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MessageSujet: Re: Roses et Rouges Roses et Rouges - Page 2 EmptyMer 26 Nov 2014 - 1:40
2/ L’éveil onirique.

L’infirmerie de l’hôtel de police de Resting City ne comptait qu’une dizaine de lits. La plupart du temps, ceux-ci n’étaient jamais occupés. Si bien qu’on s’était passé de médecin officiel pendant des années. Il s’agissait en réalité plus de larges brancards que de réels lits, mais ils demeuraient confortables. Dans une ville consacrée à l’art de l’hôtellerie, il aurait été choquant qu’ils ne le soient pas. La salle elle-même était carrelée et disposait de murs blancs sans âme, ainsi qu’une demi-douzaine de néons presque neufs pour éclairer les lieux. De simples rideaux séparaient les lits des patients les uns des autres et l’on ressentait le silence qui y régnait chaque fois que l’on faisait un pas devant l’autre et qu’il résonnait atrocement.

Cette nuit-là cependant, douze officiers blessés se partageaient cet espace et le premier médecin compétent qu’on avait trouvé était à leur chevet. Cinq d’entre eux étaient entre la vie et la mort, à attendre de savoir si leur état s’améliorait ou empirait au fil des heures. Deux autres étaient paralysés par leurs blessures et le resteraient probablement très longtemps. Même si les créatures des rêves finissaient toujours pas se soigner grâce aux rêves de ceux qui les imaginaient, il arrivait parfois qu’on les songe comme diminués pendant de longues périodes, si ce n’était jusqu’à la fin de leurs jours. Quant aux derniers, ils avaient tous au moins perdu l’usage temporaire d’un membre dans l’éboulement et avaient plusieurs plaies ouvertes çà et là.

Et pourtant, le silence régnait encore, à cause de l’ambiance cette fois. Il ne restait que neuf autre officiers pour défendre ceux-là, neuf sur les cent quatorze que comptait normalement le service de police de Resting City. Pire, un voyageur lunatique s’était mis en tête de détruire la ville en leur absence. Le Granica avait été détruit. Peu importait ce qu’ils se diraient, cela ne changerait rien à la situation. Resting City était perdue, ils avaient failli à leur devoir.

Autour des blessés, le médecin réquisitionné, une créature des rêves, une femme assez belle à qui l’on avait récemment retiré une marque de servitude, passait régulièrement pour vérifier l’état de tout le monde. Plusieurs autres personnages se trouvaient aussi là. Il y avait Lucar, qui s’était assis sur une chaise et paraissait complètement perdu tandis que son capitaine déprimait sur sa couchette. Noah était là aussi, adossé à un mur, patientant le temps que les autres arrivent. Ben et Jacob l’avaient déjà rejoint, mais ils étaient restés silencieux. Jacob s’était lui aussi assis près de la porte et pianotait nerveusement sur le rebord d’une fenêtre. Ben en avait ouvert une autre et fumait doucement une cigarette magique, pour évacuer un peu.

Agathe entra à son tour. Miraz leva un instant les yeux dans sa direction et eut une moue méprisante avant de se remettre à contempler obstinément le plafond. Jacob lui sourit amicalement, sans toutefois pouvoir prononcer un seul mot pour la féliciter d’avoir franchi le pas. Ben la regarda, hocha la tête, puis revint à sa contemplation de la nuit étoilée, où l’absence des lettres lumineuses du Granica s’imposait comme une évidence. Noah lui sourit aussi, confiant. Il ne parla cependant pas, comprenant qu’elle avait quelques questions à poser à Lucar. Elle se dirigea vers le second de Miraz qui releva la tête pitoyablement.


« Comment va-t-il ? » demanda-t-elle de but en blanc en désignant le lit du capitaine.

« Plutôt bien. » informa Lucar, toujours déboussolé. « Au vu des circonstances du moins. Il va s’en sortir… »

« Ses blessures ne sont pas trop graves ? »

Miraz poussa un soupir, visiblement agacé qu’on parle de lui alors même qu’il se trouvait ici. Ils l’ignorèrent.


« Non, il a eu un bras et une jambe cassés, trois plaies ouvertes qu’il a fallu recoudre, mais il s’en remettra. »

Elle hocha la tête et lança un regard vers le reste des blessés, un bien triste spectacle.

« C’est tout ce qu’il reste ? » demanda-t-elle d’une voix qui trahissait sa déception.

« Oui. » avoua Lucar en replongeant son regard vers le sol.

« Qu’est-ce qu’il s’est passé ? »

« Il m’avait demandé de surveiller le poste pendant qu’il partait vous arrêter. » raconta la créature des rêves. « Il voulait faire impression. Il a pris presque tout le monde avec lui. Vous avez disparu et les autres ont opposé une résistance plus forte qu’il ne s’y était attendu. Puis… Ils ont détruit la tour. Je suis venu aussi vite que j’ai pu, mais c’était déjà trop tard… Et pendant qu’on cherchait des survivants, cet autre voyageur, Lucien Sandman… Il a attaqué le poste. »

Agathe connaissait déjà plus ou moins tout cela, elle avait espéré qu’il lui donne davantage de détails.

« Comment ont-ils détruits la tour ? » interrogea-t-elle, plutôt à l’ensemble du groupe qu’à cet officier traumatisé par la perte de ses camarades.

« Ils ont fragilisé les fondations. » répondit Noah. « Puis, ils ont fait vibrer l’ensemble jusqu’à ce que ça cède. »

Aussi simple que ça. Juste pour se débarrasser des forces de police plutôt que de les fuir. Elle en fut un peu écœurée, cette attitude était inadmissible et irresponsable. Jusqu’à présent, ce groupe de voyageurs n’avait tué personne, s’était contenté d’emporter des victoires comme pour remplir un tableau de chasse, rien de plus. Peut-être avaient-ils juste vu un exploit de plus à réaliser. Elle les chassa de ses pensées, il était trop tard pour leur trouver des excuses ou essayer de se déresponsabiliser. Elle revint à Miraz.

« Et lui, comment s’en est-il sorti ? »

Lucar allait répondre, mais le capitaine décida de répondre lui-même.

« Un rêveur m’a poussé à l’extérieur au moment où tout a commencé à trembler. » déclara-t-il sur un ton qui l’accusait clairement d’avoir déclenché elle-même la chute de la tour.

« Un rêveur, vraiment ? » s’étonna-t-elle.

Un autre officier blessé confirma en hochant douloureusement la tête. Elle allait demander plus de précision lorsque la porte s’ouvrit brusquement.

Camille était arrivée et elle attira immédiatement l’attention de tout le monde. Jamais Agathe ne l’avait vue avec un tel regard et elle se sentit toute petite à côté de la jeune femme. Camille était plus que déterminée, elle irradiait d’une volonté impitoyable. Ce soir, aucun obstacle ne pourrait l’arrêter, elle était déchaînée. Elle portait toujours ses converses noires, ainsi qu’un jean bleu foncé en coupe droite et un polo blanc à manche courte, d’une simplicité extraordinaire. Ses cheveux étaient laissés libres, coiffés pour ne pas être emmêlés, mais sans la moindre attache pour les retenir. Elle donnait cependant l’impression d’avoir marché contre le vent car ils restaient en arrière, naturellement calés derrière ses oreilles. Le rouge de ses lèvres devait être le seul maquillage qu’elle portait et il ne faisait qu’accentuer l’effet général de son expression concentrée.

Elle était magnifique, sublime, d’une beauté qui les submergea tous à l’instant où elle entra. Noah se redressa en la détaillant sans détour. Jacob écarquilla les yeux en arrêtant de pianoter. Ben laissa sa cigarette se consumer dans sa main et entrouvrit la bouche sans s’en rendre compte. Tous les officiers encore conscients se tournèrent vers elle et l’observèrent comme si un ange venait soudain les chercher. Même Agathe déglutit face à l’apparition. Le plus surprenant était de comprendre que c’était dans son apparat le plus simple, ce haut blanc qui n’avait que trois chastes boutons à défaire, qu’elle rayonnait le plus. En cet instant, elle était le personnage le plus charismatique qu’ils avaient jamais connu et elle ne paraissait même pas y faire attention.

Elle marcha d’un pas assuré jusqu’à Miraz en prenant au passage une chaise libre. Elle s’assit à califourchon sur celle-ci et s’appuya sur le dossier en croisant les bras.


« Bien, il est temps qu’on discute un peu capitaine. » fit-elle sans lui laisser une once de choix. « Comme vous le savez, la situation ne se prête pas vraiment aux longues discussions, alors on va se faciliter un peu la vie. Je suis désolée. On est tous désolés. Vous nous aviez prévenus depuis le début et on ne vous a pas écouté. Vous nous aviez dit que Lucien Sandman n’était pas responsable de tous ces crimes et vous aviez raison. Vous nous aviez assuré que Vigorio Ellis n’était pas l’instigateur de la crise et vous aviez raison. Vous nous aviez prévenus qu’on y connaissait rien et qu’on aurait dû vous laisser faire votre travail, et vous aviez plus que raison, une fois de plus. On s’est cru plus malin que ça et on a eu tort. A cause de nous, vous êtes ici, vos hommes sont morts et un hors-la-loi a juré de détruire la ville. Pour ça, on s’excuse, amèrement. »

Miraz ne dit rien, il la regardait plus surpris que tous les autres pouvaient l’être en entendant la jeune fille parler. Elle chantait des excuses qui sonnaient sincères, mais ce n’était pas ce dont elle était venue parler.

« Mais maintenant, vous allez m’écouter, moi. » poursuivit-elle en se faisant plus grave et en prenant un ton plus agressif. « Vous avez beau penser que les voyageurs sont des plaies et qu’ils détruisent votre ville, je m’en fous. Ce soir, vous n’avez plus assez d’hommes pour faire votre travail et il y a urgence. Alors, avant de venir ici, j’ai fait un petit tour et j’ai demandé aux volontaires de nous rejoindre ici, j’ai appelé autant de bonnes âmes que j’ai pu pour donner un coup de main. Et il se trouve que les seuls qui ont répondu, ou presque, ce sont des voyageurs. Alors je vais vous dire un mot sur la façon dont vous les traitez : vous pouvez vous la foutre au cul. Ce soir, ils sont là pour vous et ils vont faire de leur mieux pour arrêter ce massacre. Il y a peut-être pas mal de voyageurs cons, n’empêche que la plupart valent le coup. De toute manière, ce soir, c’est tout ce que vous avez à vous mettre sous la dent, que ça vous plaise ou non. Alors je ne veux pas entendre la moindre remarque désobligeante ou c’est moi qui vous achève. Compris ? »

Une fois encore, Miraz resta silencieux, à la regarder sans trop savoir quoi dire. En cet instant, elle avait tant d’autorité sur lui qu’il préférait ne pas l’interrompre. Même pour acquiescer.

« Bien. » envoya-t-elle, prenant cette absence de réaction pour un oui. « Cette nuit on vous aide et les suivantes si vous le jugez nécessaire. Une fois que cette histoire sera terminée, on se rendra et vous pourrez nous condamner de la façon dont il vous plaira pour nos conneries. Mais seulement quand on aura remis de l’ordre dans votre cité. Maintenant que tout est clair entre nous, on va pouvoir passer aux choses sérieuses. J’ai une petite cinquantaine de volontaires avec moi et d’autres vont sûrement arriver dans les heures qui viennent. Je ne vous garantis rien, ça va être très serré, mais je suis sûre qu’on peut faire quelque chose. Pour savoir comment procéder, j’aimerai déjà savoir qui a été libéré par ce connard de Sandman. Le meurtrier, je présume ? »

Miraz fit signe de la tête que non. Il était plus sérieux qu’impressionné à présent, mais ne semblait pas avoir retrouvé de folle volonté pour autant.

« Non, en se renseignant, on a découvert qu’en réalité, il s’était évadé d’une prison onirique. » expliqua le capitaine. « Il avait été arrêté pour tentative de meurtre à l’époque. On l’a remis hier à ses geôliers. »

« Parfait. » commenta Camille. « Qui d’autre il y avait ? »

« Personne de vraiment important, des petits délinquants surtout. » informa-t-il d’une voix gênée. « Mais quelqu’un a pris l’artefact de la propriétaire du Nuit Douillette. Et le violeur s’est échappé. »

Camille lança un regard si noir à Noah que le géant s’écrasa lamentablement face à son autorité. Elle revint au capitaine.

« Très bien, vous savez qui d’autre est venu participer à la fête ? »

Lucar intervint, visiblement détenteur d’un rapport que les autres n’avaient pas.

« Euh, pour l’instant pas grand monde. » admit-il. « Nous avons cependant déjà repéré plusieurs voyageurs violents aux abords de la ville. Et il y a les marins bagarreurs. Ils ont l’air d’être revenus. »

Camille eut une moue haineuse, la patience qu’elle pouvait avoir envers le capitaine sans bateau venait d’atteindre ses limites et de les dépasser. Si elle le retrouvait, il allait payer.

« C’est tout ? »

« Sandman. » intervint Agathe, tout le monde se tourna vers elle. « Il faut l’arrêter, à tout prix. Ou il ramènera plus de monde encore. »

« Je suis parfaitement d’accord. » affirma Camille avant de jeter un œil à l’intouchable à côté d’elle. « Jacob, je ne veux prendre aucun risque. Tu te sens de le capturer ? »

L’homme hocha la tête avec un sourire. Elle sacrifiait son meilleur combattant pour cette seule mission, mais le symbole était fort. Elle se tourna ensuite vers le chef de la sécurité de l’Ellis.

« Ben, j’aurais aussi besoin du chasseur de prime. »

Le voyageur fronça les sourcils un instant, puis il tira un talkie-walkie de sa poche et le porta devant sa bouche. De son côté, Miraz semblait clairement reprocher au groupe de lui avoir caché quelque chose de fondamental.

« Maxime ? » appela-t-il.

« Oui, chef ? » répondit une voix lointaine.

« Ramène le prisonnier à l’hôtel de police, tout de suite. » ordonna Ben d’une voix neutre, sans quitter Camille des yeux une seule seconde, ce qu’elle lui rendit bien.

« Mais, chef… » se plaignit la voix. « Phil est pas encore là, je peux pas laisser l’hôtel sans surveillance, surtout ce soir. »

« On s’en fout Maxime. » insista Ben avait beaucoup plus d’énergie cette fois. « Tu rappliques avec lui, point barre. »

Il raccrocha et l’autre ne protesta pas davantage. Le capitaine de police commença à s’agiter pour montrer son désaccord, mais Camille le renvoya dans ses filets d’un seul regard. Il était privé de commentaires désobligeants et il s’y tint, malgré la désapprobation que son visage affichait.

« Alors c’est parti, que tous les valides me suivent. » ordonna finalement la jeune femme en se levant. « Désolé capitaine, mais vous avez besoin de repos ce soir. »

Contre toute attente, il eut un petit sourire amusé et reposa sa tête sur son oreiller, acceptant sans problème de lui laisser les rennes. Peut-être s’attendait-il à la voir revenir en suppliant, peut-être eut-il vraiment confiance en ses capacités ou peut-être estimait-il qu’au point où ils en étaient rendus, tout cela n’avait plus d’importance. Quoi qu’il en soit, Camille sortit la première de l’infirmerie et revint dans la salle principale, suivie de près par Jacob, Noah, Ben, Agathe et Lucar.

Une petite foule disparate et anxieuse s’était regroupée à l’intérieur, en attendant d’autres instructions. Ils étaient plus nombreux qu’elle ne l’avait imaginé. Beaucoup avaient répondu à son appel sans hésiter et elle pouvait en être fière. Elle voyait les trois propriétaires de l’hôtel du Voyageur croiser les bras autour d’un bureau. Il y avait Gabriel et ses deux acolytes, Anabert et Anaklor, qui occupaient un autre coin. Les trois voyageurs du Motel Monument étaient là aussi, inséparables. Le seul survivant de la sécurité du Granica se tenait au centre de la pièce, déterminé à venger les siens en portant fièrement l’uniforme de l’hôtel. Elle voyait le vieil homme du Dream’s Palace, celui qui les avait reçu, lui lancer un petit sourire entendu. Il avait apporté deux braves avec lui et semblait prêt à faire payer la mort de Fabricio à quelqu’un. Celui qui surveillait les entrées au Mille et Une Nuits avait lui aussi abandonné son poste pour les rejoindre. Elle reconnut la spécialiste des graffitis qu’elle avait interrogé bien des nuits plus tôt. Il y avait aussi Olivia dans cette petite foule, accompagnée par une dizaine d’anciennes prostituées venues payer leur dette envers leurs libérateurs, certaines n’étaient même pas des voyageuses, mais ce n’était pas important. Et il y en avait encore d’autres, des visages qu’elle connaissait pour les avoir croisé au fil de ses enquêtes, mais aussi certains qui n’avaient jamais mis les pieds en ville et qui voulaient simplement empêcher quelque chose d’horrible d’arriver. Et bien sûr, il y avait le rêveur, son admirateur inconscient.

Ils la regardaient tous comme le messie. Elle les avait rassemblés ici, c’était donc à elle de leur dire ce qu’ils devraient faire pour empêcher le crime de s’installer. Elle eut un grand sourire, plus que satisfaite. C’était peut-être deux fois moins que l’effectif normal de la police de Resting City et l’essentiel de la troupe ici présente dégarnissait de fait le service normal de sécurité des hôtels de toute la ville. Ce n’était d’ailleurs que des voyageurs de petite envergure. Mais qu’importait, ils étaient là et ils étaient volontaires. Ils pouvaient le faire, ils pouvaient arrêter ces criminels avant que le chaos ne naisse vraiment. Ils pouvaient signifier à tout Dreamland que malgré les dire de Lucien Sandman, la ville était toujours protégée et se relèverait de ce mauvais pas. Elle se tourna vers Lucar.


« Vous avez des uniformes pour tout ce monde ? » interrogea-t-elle.

« Euh… » fit-il en réfléchissant rapidement. « Non, ils ne correspondraient pas. Nous avons des brassards. »

« Allez les chercher. »

Il acquiesça et partit en toute hâte vers un placard du fond de la salle. Camille avisa alors le bureau le plus proche et suivant une impulsion, elle grimpa sur la chaise, puis sur le meuble. Tous ceux qui n’étaient pas encore parfaitement attentifs firent silence. Elle domina leurs visages à tous pendant une seconde, puis inspira et prit l’air le plus sérieux possible. Il était temps de commencer cette nuit.

« Ecoutez-moi tous ! » lança-t-elle à l’assemblée qui se pendit immédiatement à ses lèvres. « Je ne vais pas vous mentir, nous savons tous que la situation est grave, peut-être même désespérée. C’est pour cette raison que nous sommes là. Hier soir, une équipe de voyageurs sans foi ni loi a détruit le plus grand hôtel de la ville, emportant du même coup l’essentiel des forces de police. Dans la foulée, un abruti a cru bon d’attaquer cet endroit, autant pour libérer les criminels qui étaient enfermés ici que pour affaiblir encore davantage les défenses de la cité. Et pour couronner le tout, il a lancé un appel à tous les fous à lier de la région pour qu’ils viennent profiter de l’absence des forces de l’ordre. Ce soir, des hordes d’idiots et de connards vont débarquer pour piller, saccager et détruire cette ville, pour en terroriser les habitants, pour se battre avec ceux qu’ils croiseront, pour se défouler sur des innocents. Pourquoi ? Simplement parce qu’un crétin leur en a donné l’idée, parce que d’autres ont rendu la chose possible, parce qu’ils sont incapables de voir le mal qu’ils font. En fait, leurs raisons n’ont aucune importance. Ces gens-là ne méritent pas notre respect. »

Une vague de murmures et de hochements de tête approuva sa dernière déclaration et la poussa à continuer sur sa lancée.

« Ce ne sont que de vulgaires profiteurs, des opportunistes sans états d’âme, des idiots qui se croient plus fort que les autres alors même qu’ils n’ont pas le courage d’agir lorsque la police veille au grain. » s’emporta-t-elle un peu avec une moue de dégoût. « Ils auront beau être nombreux, ils auront beau être violents, ce ne sont rien de plus que des criminels et leur place est derrière des barreaux. Qu’ils viennent piller, détruire, agresser, tuer ou je ne sais quoi, leurs actes sont d’autant plus odieux qu’ils croient être hors de danger. Comme si l’absence de forces de police était une excuse pour commettre des atrocités. Ces gens-là ont fait leur choix. Ils ont choisi de venir ici, sous prétexte que personne ne les arrêtera, et ont décidé d’y causer autant de tort qu’ils le pourront. Ils voleront, ils tueront, ils frapperont sans merci et c’est inadmissible. Je me fiche de savoir si leurs victimes le méritent ou pas, je me fiche de savoir s’il s’agit de créatures des rêves, de voyageurs ou de rêveurs que l’on agresse. Tous ceux qui se trouvent, qu’ils soient résidents ou de passage, méritent d’être protégés de cette bande de salopards. Tous ces gens qui n’ont rien demandé à personne méritent d’être laissés en paix. »

Une nouvelle rumeur s’éleva pour montrer l’assentiment général face à ses propos, elle la laissa évoluer un temps avant de reprendre.

« Il existe ici un rêve, un rêve merveilleux, un rêve fait de couleurs, de lettres lumineuses, de lits confortables, d’ambiances exotiques, de luxe et de vacances éternelles. Un rêve qui mérite d’être rêvé, encore et encore. Un rêve qui permet à des millions de gens, chaque nuit, de s’évader, de se reposer, de décomplexer, de se détendre et que sais-je encore ! Un rêve qui nourrit, habille et loge des milliers et des milliers de créatures oniriques, qui leur donne à tous une raison de vivre, d’exister, l’opportunité de s’exprimer, de suivre leurs envies, de réaliser leurs ambitions ! Un rêve qui permet à des dizaines de voyageurs de s’amuser, de trouver une place dans Dreamland, de s’installer, de se faire des amis ou que sais-je encore ! Ce rêve s’appelle Resting City et ce soir, une troupe de débiles mentaux a décidé de le souiller, de le détruire, de le transformer en cauchemar. Et ça, c’est un crime que je n’accepterai pas. Moi vivante, je ne les laisserai pas faire ! »

Plusieurs voix s’élevèrent pour l’encourager et pour affirmer qu’elle avait raison. Le regard de Camille s’était plus dur, plus déterminé, plus remonté contre ceux dont elle parlait. Elle était parvenue à communiquer à cette assemblée la même volonté qui l’habitait et le même sentiment d’injustice qu’elle ressentait lorsqu’elle imaginait ce que la ville pourrait devenir si personne n’agissait.

« Et je vais vous dire, tous ces salauds de petits profiteurs minables qui viennent tout foutre en l’air ce soir se trompent royalement ! » poursuivit-elle avec beaucoup plus d’intensité dans la voix à présent. « Ils croient que la ville est ouverte parce que cet abruti de Sandman le leur a dit, mais en réalité, cette ville est fermée au crime. Ce soir, je serai là pour les arrêter. Et avec moi, il y a le Pacificateur, il y a l’intouchable, et il y a vous tous ! Tous autant que nous sommes, nous sommes là pour les arrêter, pour les empêcher de mettre le bordel dans ce rêve et pour les envoyer là où ils devraient d’être depuis longtemps : derrière des putains de barreaux ! Pas vrai ? »

Cette fois, on s’exprima avec véhémence, on affirma qu’on était là pour ça et que tous les salauds n’avaient qu’à bien se tenir. La cinquantaine de volontaires offrit en cet instant précis un front uni contre le crime. Ils étaient prêts à la suivre dans sa croisade pour sauver Resting City, il ne restait plus qu’à leur dire de quelle manière ils allaient s’y prendre.

« Ce soir, on sera là et on s’assurera que Resting City reste un rêve pour tout le monde. Ce soir, on va aller dans ces rues et on va coffrer tous ceux qui essaient de foutre le bordel. Ce soir, on va répondre à tous les appels d’urgence, à toutes les plaintes, quelles qu’elles soient, et on va s’assurer que personne, je dis bien personne, n’échappe à la justice. On ne va reculer devant rien pour faire comprendre à tous ces cons qu’ils n’ont pas leur place ici, que cette ville ne veut pas d’eux et que tous ceux qui veulent y mettre le boxon gagnent un ticket gratuit pour Lost Shadows ! Et surtout, on va retrouver cet enculé de Sandman et on va lui faire comprendre ce qu’on pense des crétins dans son genre, qui se croient tout permis. On va le retrouver, on va l’arrêter et on va lui mettre la raclée du siècle. Comme ça, tout le monde pourra voir qu’ici, on ne rigole pas avec les forces de l’ordre ! »

Pas une personne ici n’éprouvait pas au moins un peu de haine envers Lucien Sandman et l’acte irréparable qu’il avait commis la veille. Pour tout le monde, il était responsable de cette grande panique et sa capture était l’un de leurs objectifs majeurs à tous. La promesse de le mettre derrière des barreaux d’ici avant la fin de la nuit était une chose qu’ils attendaient et la déclaration de Camille fit place à une telle ovation qu’on crut qu’elle avait fini. Pourtant, il lui restait bien une chose à dire. Un dernier élément auquel elle avait réfléchi toute la journée et qui lui tenait plus à cœur que tout le reste. Ils étaient déjà plus que convaincus d’agir ce soir, mais elle avait le sentiment qu’il fallait aller plus loin et que cette attitude qui étaient la leur se rapportait à quelque chose de plus grand encore. Lorsqu’elle reprit la parole, on l’écouta comme on aurait écouté un prophète.

« Nous sommes des voyageurs. Nous avons la chance de pouvoir vivre deux vies, dans deux mondes différents. Mais si nous n’avons pas le même respect pour chacune de ces vies, si nous considérons que l’une ou l’autre de ces vies ne vaut pas la peine parce qu’elle est rêvée ou je ne sais quoi, alors nous ouvrons la porte aux criminels et autres salauds. Nous devons nous battre pour Resting City comme nous nous battrions pour nos proches dans le monde éveillé. Ce soir, ce sont mes amis, mes proches, ma famille que je vais protéger ! Voilà ce que je suis venue faire, je suis venue faire en sorte que cette vie onirique, que j’aime et que je veux continuer à vivre, ne se transforme pas en cauchemar permanent ! Et c’est justement parce que moi, j’ai deux vies, que je dois m’assurer que personne, dans un monde comme dans l’autre, ne vienne tout foutre en l’air ! C’est mon devoir de voyageur de veiller au grain et je suis prêt à le faire jusqu’au bout ! Je vais m’assurer que personne – PERSONNE – ne puisse commettre un crime et s’en sortir ! Alors ? Qui est prêt à veiller sur ces gens avec moi ?! »

« Moi, je suis prêt ! » s’exclama immédiatement Gabriel, le jeune idéaliste.

« Moi aussi ! » lança Ben l’instant suivant en lui lançant un sourire emballé.

« Et moi ! » poursuivit Carlos avec un sérieux inhabituel, accompagné de Roberto et Anabert.

Ensuite, ce ne fut plus qu’un concert de voix pour la soutenir et aller au-devant du danger pour sauver la ville et ses habitants. Plusieurs phrases fusèrent sur ce qu’on allait faire à ceux qui comptaient s’opposer à eux dans leur devoir de voyageurs. Camille sourit avec plus d’enthousiasme qu’elle n’en avait jamais eu dans toute sa vie. Ils étaient prêts à y aller.


« Alors très bien ! » cria-t-elle pour couvrir l’énergie grandissante des autres. « Ce soir, nous serons la police de Resting City. Lucar ! Distribuez les brassards à tout le monde ! »

Il y eut une grande exclamation et tous se dirigèrent vers l’officier pour recevoir leur insigne de fortune. Plusieurs personnes vinrent directement féliciter Camille lorsqu’elle descendit de son piédestal, lui assurant qu’ils la suivraient partout si elle le leur demandait. L’un deux, qu’elle ne connaissait pas, lui dit même que tous les voyageurs du monde auraient dû être là pour l’écouter parler. Elle lui sourit gentiment et descendit de son promontoire. Elle traversa la foule en faisant signe à Agathe de la suivre. Maxime était arrivé quelques instants plus tôt avec Emet. Ce dernier la regardait avec un petit sourire en coin à mesure qu’elle s’approchait.

« Très touchant ce discours… » commenta-t-il avec ironie. « J’imagine qu’il était improvisé… Sympathique rouge à lèv… »

« J’ai une proposition à vous faire. » l’interrompit-elle immédiatement.

Il resta silencieux une seconde, l’air de dire qu’elle abusait un peu de sa chance.


« J’écoute… » dit-il finalement en croisant les bras.

« On vous libère ce soir, si vous nous aidez à remettre de l’ordre dans la ville. »

Il pouffa. « Et qu’est-ce que vous voulez que ça… »

« J’ai pas fini. » coupa-t-elle. « Nous allons attraper Lucien Sandman ce soir. Si vous nous aidez ce soir, on vous le laisse pour que vous alliez récupérer la prime. »

Il ne dit rien, réfléchissant à l’offre. C’était toujours mieux que rien, mais il y avait mieux à prendre dans cette ville.

« A prendre ou à retourner dans une cellule. » insista-t-elle, voyant qu’il cherchait à trouver une faille ou un moyen d’obtenir plus.

« Très bien, très bien, vous avez gagné, pour ce soir au moins. » accorda-t-il. « Dites-moi ce que je dois faire. »

« Allez voir Lucar quand il aura fini de distribuer les brassards, qu’il vous donne de l’équipement, on vous dira ensuite. »

Il acquiesça et elle s’écarta immédiatement de lui tandis que Maxime repartait en courant vers l’hôtel Ellis. Phil n’était pas seulement en retard, il s’était complètement dégonflé. Camille prit Agathe à part.

« Ecoute, je vais avoir besoin de toi ici. » expliqua-t-elle à son amie qui fronça les sourcils, elle aussi avait envie d’en découdre. « Il faut que tu restes là pour coordonner tout le monde avec Lucar. Ce sera beaucoup plus simple, surtout avec ton micro. Il faut que quelqu’un reste pour tout gérer à distance. »

« Mais… » commença l’agoraphobe.

« Pas de mais. » trancha Camille. « Je sais que tu peux te battre et que tu as envie, mais il faut que quelqu’un le fasse. Et tu devras protéger le poste aussi, donc ce ne sera pas si facile que ça. Tu es la seule à pouvoir transmettre des informations à Jacob. Il faut que tu le préviennes de la position de Sandman à l’instant même où on l’aura repéré, tu comprends ? »

Agathe acquiesça, un peu déçue certes, mais consciente de l’importance de son rôle.

« Allez, organise un peu tout ce monde comme tu l’entends, sauve cette ville. » lui ordonna alors son amie, avec un petit sourire.

C’est à cet instant que l’employée de la SDC se rendit compte que Camille n’avait jamais eu que la volonté d’agir. Elle n’avait pas ne serait-ce qu’élaboré le moindre plan de bataille, la moindre stratégie. Pire, elle lui déléguait totalement cette responsabilité. Agathe ne savait exactement pourquoi, mais elle le devina sitôt qu’elle se posa la question. Elle était la plus à même de le faire. Jacob était muet. Ben et Noah seraient plus utiles sur le terrain. Quant aux autres voyageurs, ils venaient de prouver qu’ils manquaient d’initiative, au moins sur le moment. Et Lucar était une créature des rêves, il aurait du mal à se faire respecter par un groupe de voyageurs. Cependant, il serait là pour l’aider aussi, elle ne serait donc pas totalement seule.

Elle hocha la tête pour donner son accord et se retourna vers le reste de l’assemblée en inspirant un grand coup. Ils étaient prêts à sauver cette ville.

Dans l’encablure de la porte qui menait à l’infirmerie, Miraz s’était levé et souriait de contentement. Il se surprit à admirer cette jeune femme et son caractère impossible. Elle avait peut-être une chance de réussir après tout.




PAOLIÑO-CARON
ALBAN

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Roses et Rouges - Page 2 216557Alban

    Age : 45 ans.
    Ville : Bilbao (Espagne).
    Activité : Manager d'une grande surface.
    Dreamland : Manieur du Flash Reflex, gérant de l'hôtel du voyageur, gentleman cambrioleur.
    Objet magique : Flash Reflex : appareil photo onirique capable de figer son environnement quelques secondes et de prendre des photographies aussi, à l'occasion.
    Aime : L'art pictural, prendre soin de son équipe de collègues, son hôtel, ses deux neveux, Roberto et Carlos, Dreamland, rencontrer des célébrités, les défis à relever.
    Déteste : Etre seul, les moteurs qui font trop de bruit, les insectes, les ascenseurs, le manque d'exercice.
    Surnom : Aucun.

    Le saviez-vous ?
    C'est Alban qui a eu l'idée d'acheter l'hôtel du Voyageur, il était persuadé que son emplacement particulier attirerait les foules.


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Jacob Hume
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MessageSujet: Re: Roses et Rouges Roses et Rouges - Page 2 EmptyMer 26 Nov 2014 - 2:29

Les quelques lumières qui éclairaient le parking de l’hôtel du Voyageur ne pénétraient pas assez la nuit pour rendre hommage à la route qui menait jusqu’à l’établissement et qui se poursuivait à l’infini vers le royaume de la route 66. Néanmoins, l’endroit sonnait comme un phare dans la nuit éternelle qui entourait cette partie de Resting City. C’était comme un appel lancé à tous ceux qui entraient dans la ville par cette voie. On ne pouvait pas le manquer et s’il n’y avait pas eu une entière cité de lumière à moins d’un kilomètre de là, on s’y serait sûrement arrêté plus souvent. Hélas, ce soir-là, une demi-douzaine de silhouettes pénétra sur le parking, poussant des rires et des cris de joie, proposant quelques sévices que l’on aurait pu faire subir au bâtiment.

Il s’agissait de voyageurs. La plupart ne devaient pas avoir vingt ans et aucun ne semblait se démarquer des autres d’une manière particulière. Il n’y avait parmi eux aucune personnalité célèbre et on aurait douté trouver un seul véritable combattant dans cette petite assemblée. Avant cette nuit, ils ne s’étaient jamais croisés, ne s’étaient jamais parlé. Ils étaient européens ou africains pour l’essentiel, mais l’un d’eux était américain qui s’était couché à une heure indue et qui s’était laissé entraîner par les autres dans cette aventure. Aucun d’eux n’était jamais venu à Resting City, mais tous avaient entendu parler de Lucien Sandman et de son appel aux armes. Il n’y avait plus aucune autorité dans cette ville et, paraissait-il, on pouvait y faire ce que l’on voulait sans craindre les représailles.

Aucun d’eux n’était spécialement versé dans les actes criminels, quels qu’ils soient. Certains avaient bien enfreint la loi une ou deux fois et tous s’étaient déjà battus contre d’autres voyageurs au cours de leurs aventures, mais on pouvait affirmer qu’aucun n’avait jamais été jusqu’à prendre la vie d’un autre. Pour lors, ils ressemblaient davantage à quelques jeunes en quête d’une soirée un peu délirante à qui l’on avait conseillé une boîte plus dansante que les autres. Ils n’avaient pas vraiment en tête de déclencher des émeutes ou de détruire quoi que ce soit, mais ils trouvaient tous assez drôle de pouvoir voler quelques trucs ici et là, ou peut-être même de participer à une bagarre ou deux, et pourquoi pas, de s’emparer de voitures pour organiser une course poursuite à travers la ville, comme venait de le suggérer l’un d’eux, ce qui avait immédiatement reçu l’approbation des autres.

Néanmoins, alors qu’ils marchaient vers le cœur de la ville, ou d’autres comme eux étaient déjà arrivés pour accomplir tous les péchés possibles, ils étaient tombés sur ce petit motel, mis en exergue par sa situation géographique et les néons de son enseigne. Plus qu’un phare, pour eux, c’était une aubaine. Ils s’étaient d’abord mis en tête d’enfoncer les portes des chambres une à une en espérant surprendre quelques clients dans leur intimité, mais il ne leur fallut pas plus d’une minute pour réaliser que l’endroit était vide. Ni les patrons, ni les employés, ni les visiteurs n’étaient présents. Ils étaient les seuls dans les parages. Un instant, ils furent déçus de n’avoir dérangé personne. Puis, un sourire s’étala lentement sur le visage de celui qui avait proposé une course poursuite dans la cité.


« Hey ! » s’exclama-t-il. « Il y a peut-être de l’alcool là-dedans. Ça vous dit ? »

« Carrément ! » répondit une jeune femme en retrouvant à son tour le sourire.

Sans attendre plus longtemps, ils brisèrent la vitre qui menait au bar et ouvrirent la porte. Ils s’arrêtèrent un court instant pour approuver la décoration des lieux, puis ils se mirent en quête d’alcool à prendre. Rapidement, chacun se retrouva avec une boisson en main. L’un d’eux s’était installé dans l’un des fauteuils profond de l’endroit, avait mis ses pieds sur la table en sirotant une bière. Il remarqua une pile de magazines à côté de lui et en pris un au hasard. Un autre, derrière le comptoir, essayait de faire un cocktail monstrueux avec un peu de tout ce qu’il pouvait trouver. Deux filles avaient découvert une stéréo et dansaient en maintenant leurs propres verres en l’air. Un couple se forma immédiatement entre l’américain et la plus avenante des jeunes femmes du groupe. Il ne leur fallut pas très longtemps pour se décider à aller profiter des chambres gratuites qu’ils avaient ouvertes un peu plus tôt, se volant des baisers excités au passage.

Ils sortirent sur le parking pour atteindre la première porte à leur disposition et s’arrêtèrent net. Juste devant eux, sortant de la nuit comme une armée de fantôme, apparaissaient des dizaines et des dizaines d’autres silhouettes. Ils ne cherchèrent même pas à les compter, elles étaient beaucoup trop nombreuses et on en devinait toujours qui avançaient dans l’obscurité. Ils restèrent interdit un moment, à se demander s’il fallait s’inquiéter ou non.


« Euh… les gars ? » appela l’américain, qui s’inquiétait un peu. « Les gars, venez-voir ! »

« Pourquoi, qu’est-ce t’as, tu sais pas comment on fait ? » répliqua une voix, immédiatement suivie de rires désobligeants.

« Putain, venez-voir bande cons ! » vociféra alors la jeune femme sur un ton qui ne laissait pas de place à la blague.

En une seconde ou presque, ils étaient tous dehors et observaient la masse qui s’était arrêtée à une dizaine de mètres d’eux. Il y avait dans cette foule de nombreuses créatures qui se ressemblaient beaucoup, comme des marins ou quelque chose comme ça. Mais pas seulement, il y avait aussi pas mal de voyageurs parmi ces marcheurs nocturnes et beaucoup semblaient déjà beaucoup plus dangereux que ceux qui venaient de piller inutilement des boissons et des chambres qu’on leur aurait offert de toute manière. Un homme se détacha de la troupe et s’avança vers les jeunes fêtards. C’était un personnage barbu, avec un beau manteau bleu marine et une casquette de capitaine, il avait une pipe entre les dents. Il s’arrêta une fois assez proche pour être parfaitement éclairé par les néons.


« Bonsoirs, jeune gens. » lança-t-il. « On ne vous dérange pas trop ? »

« Non, monsieur. » fit le membre du groupe qui tenait encore le magazine dans les mains.

« Dites-moi, qu’est-ce que vous faites par ici ? » interrogea le capitaine Kerouan.

Ils se regardèrent tous les uns les autres, se demandant s’ils devaient mentir ou non. Encore une fois, le type au magazine pris à nouveau la parole.


« Rien de spécial, on s’amusait, c’est tout. »

« Ah, c’est intéressant ! » fit le chef de la horde. « Vous êtes venu profiter un peu de la fête ? Venir voir comment c’est quand il n’y a pas de police dans les parages ? »

Ils déglutirent. Etait-il là pour les réprimander ?

« Ne vous inquiétez pas, nous aussi, on est là pour ça. » expliqua-t-il alors, en se montrant un peu plus chaleureux. « D’ailleurs, pourquoi vous ne nous rejoindriez pas, hein jeune gens ? On a toujours besoins de bras pour… faire la fête. Ça ne vous dirait pas d’aller piller un bâtiment un peu plus gros que celui-ci ? »

En réalité, aucun d’eux n’avait envie d’aller plus loin. Etrangement, ils avaient trouvé immédiatement ce qu’ils cherchaient dans ce petit motel : un endroit ou faire la fête en toute impunité, un endroit où ils pourraient boire et s’amuser à faire un peu n’importe quoi, et peut-être même un endroit où coucher avec des inconnus. Mais lorsque l’on se trouvait face à un homme tel que Kerouan, surtout lorsqu’il était secondé par une armée entière de créatures des rêves et de voyageurs, il était difficile de dire non. Ils se lancèrent des regards en hochant la tête de haut en bas pour signifier qu’ils étaient partants. Après tout, peut-être s’amuseraient-ils quand même. S’il le demandait, peut-être qu’on leur permettrait de faire cette course poursuite après tout. Leur moment était mort, mais la nuit n’était pas nécessairement gâchée, du moins, pas encore.

« Parfait ! » s’esclaffa le capitaine. « Alors rejoignez les rangs moussaillons, bienvenus à bord. Vous allez voir, ce soir, on va beaucoup s’amuser. »

Puis, il fit signe à sa troupe de reprendre la marche vers la ville et aux jeunes gens de les suivre, ce qu’ils firent. Une dizaine de personnes s’approchèrent de Kerouan qui resta planté sur le parking à observer le motel avec une moue glaciale. Ils restèrent silencieux un moment. Finalement, l’homme décida qu’il avait une revanche à prendre. Il savait pertinemment que c’était là que Camille avait logé ces dernières nuits et pour cette seule raison, l’endroit l’insupportait.

« Que quelqu’un me brûle ça. » ordonna-t-il sèchement avant de reprendre la route.

Derrière lui, trois marins et un voyageur se mirent à l’œuvre avec une efficacité cruelle.


« Brad ? Pitt ? » appela-t-il.

Les deux concernés se précipitèrent pour se mettre à son niveau.


« Trouvez-la moi. » déclara-t-il en laissant s’exprimer sa colère. « Trouvez-la, ramenez-la. Ensuite, on lui fera comprendre comment les vrais hommes traitent les vilaines filles. »

« Oui, capitaine. » fit Brad avec plaisir.

« C’est comme si c’était fait, chef ! » s’exclama Pitt.
Derrière eux, un brasier terrible commença à s’emparer de l’hôtel du Voyageur.


---

Le Nuit Douillette était un bâtiment assez simple vu de l’extérieur. Calé entre deux autres d’un acabit similaire, il ressemblait à un rectangle plus haut que large, avec six étages en plus du rez-de-chaussée. Il y avait quelque chose d’Haussmannien dans l’allure de sa façade, mais avec plus de modernité. De l’extérieur, on pouvait voir les doux rideaux et les ambiances tapissées des chambres. L’enseigne elle-même, tout en néons roses, ressemblait à une signature en italique écrite par une femme délicieuse. Au sommet de celui-ci, le toit avait été laissé plat et l’on pouvait y grimper à loisir, si toutefois on désirait s’en donner la peine. Là existait une petite terrasse sur laquelle quelques employés venaient parfois discuter ou partager une cigarette lors d’une pause.

De là-haut, on voyait parfaitement toute la rue en contrebas, les tours quelque peu lointaines du centre-ville – où un vidé béant s’était d’ailleurs installé là où le Granica aurait dû être – ainsi que la plupart des toits avoisinants. En effet, le Nuit Douillette comptait un étage de plus que ses voisins les plus modestes, faisant ainsi partie d’une caste particulière dans le quartier : les hôtels qui faisaient plus de profits que les autres. L’Ellis, le Majestic, le Vingt-troisième et quelques autres en faisaient aussi partie. Tous sortaient du lot par cette petite supériorité de taille qui était d’autant plus évidente lorsque l’on était sur le toit.

Alicia, assise sur le rebord de la terrasse, les jambes pendant dans le vide, fixait avec méchanceté l’hôtel Ellis, à quelques rues de là. Nerveusement, elle agitait le tatoueur de sa maîtresse entre ses mains, hésitant encore à passer à l’acte. La propriétaire des lieux n’étaient pas revenue et l’on pouvait imaginer sans mal qu’elle était partie de cette ville pour de bon. Et cela créait un vide plus fort et plus grand que tout dans le cœur de la voyageuse. A présent, sa vie onirique ne serait plus jamais la même.

Elle avait été la première, la toute première. Celle que la maquerelle avait choisi en premier pour commencer sa collection d’esclaves prostituées. A l’époque, Alicia découvrait à peine ce monde farfelu qu’était Dreamland. Elle n’avait pas su se méfier, elle n’avait pas su s’inquiéter de l’invitation qu’on lui avait faite. Peut-être, si elle avait eu un peu plus d’expérience, n’aurait-elle pas suivi cette femme dans sa chambre. Le mal avait été fait et elle s’était retrouvée avec une marque sur l’épaule, l’obligeant à obéir au moindre des ordres de sa nouvelle maîtresse. Et elle l’avait fait, elle l’avait fait pendant plus d’un an.

Alicia n’avait pas vraiment commencé par du racolage. Sa toute première mission avait été s’emparer de filles pour compléter la collection de sa maîtresse. C’étaient alors les filles elles-mêmes qui s’étaient occupées de jouer les prostituées. Elle-même n’avait jamais vraiment été utilisée à de telles fins. En revanche, elle avait été le jouet préféré de la créature des rêves qui la contrôlait. Cent fois, elle l’avait rejointe dans son lit pour assouvir ses appétits sexuels. En quelques rares occasions, elle avait effectivement satisfait quelques clients. Néanmoins, son rôle avait toujours été proche de sa maîtresse. Elle s’était occupée de trouver les filles, elle s’était occupée de les protéger une ou deux fois. Elle s’était occupée de transmettre les messages de sa maîtresse, elle s’était occupée de recevoir ses profits lorsqu’elle-même était prise ailleurs. De plus en plus, Sonyhia, sa belle Sonyhia, en était venue à se reposer sur elle et sur son aide pour mener son opération. Alicia n’était alors pas devenue qu’une simple fille parmi toutes les autres, elle était devenue LA fille, l’un des piliers de l’organisation. Sa maîtresse lui faisait confiance et elle-même l’avait aimée en retour, infiniment.

Elle ne se l’expliquait pas vraiment. Peut-être n’était-ce pas de l’amour, peut-être était-ce un phénomène d’attachement à ses kidnappeurs que certains psychologues auraient su expliquer avec des mots savants. Ou peut-être était-ce simplement parce qu’à Dreamland, elle n’avait rien connu d’autre. Quoi qu’il en soit, à présent que l’organisation était tombée, que sa maîtresse était partie et que toutes les filles avaient été libérées, Alicia ressentait un manque terrible. Elle avait haït ces hommes qui s’étaient opposés à Sonyhia. Ils l’avaient libérée, du moins c’était ce qu’ils avaient dit. Pourtant, lorsqu’elle se demandait ce qu’elle pouvait faire de sa liberté, la seule idée qui lui venait était de retrouver sa maîtresse, de reprendre avec elle ce qu’on lui avait pris. C’était ce qu’elle voulait, c’était ce qu’elle désirait. Redevenir quelqu’un, redevenir le centre de ce réseau qui avait été en partie le sien et qu’elle avait eu tant de mal à construire.

Elle ne savait pas ce qui lui importait le plus, entre retrouver sa vie nocturne d’avant et se venger de ceux qui l’avaient détruite. Elle désirait l’un et l’autre grandement. Et entre ses mains, elle tenait l’artefact qui lui permettrait d’accomplir l’un ou l’autre, peut-être même les deux. Si elle recréait le réseau de prostitution, peut-être pourrait-elle faire revenir sa maîtresse et retrouver sa compagnie ? Il fallait aussi qu’elle accomplisse le dernier ordre que Sonyhia lui avait donné : faire entrer Vigorio Ellis, ses trois protecteurs et cette jeune femme aux lèvres rouges, qui leur avait causé tant de soucis, dans la collection. Alors oui, sa maîtresse reviendrait. Alicia pouvait même lui offrir la ville entière sur un plateau si elle le désirait. Tout pour qu’elle revienne.

Connaissant la valeur de l’artefact pour recréer l’organisation, elle s’était précipitée au poste de police pour le récupérer sitôt qu’elle avait entendu le discours de Lucien Sandman. Elle l’avait retrouvé et savait que ce soir serait pour elle la meilleure occasion de recommencer. Les forces de police avaient été détruites et beaucoup avaient promis de mettre le chaos dans la cité. Personne ne l’empêcherait de faire son œuvre. Elle n’aurait qu’à trouver des filles suffisamment belles et les attirer une à une sous sa coupe. Elles pourraient ensuite accomplir pour elle les missions vengeresses.

Elle reprit plus fermement l’artefact et se releva. Ce soir, elle sèmerait les graines de son propre réseau. Elle se mit à courir sur le rebord, plus déterminée que jamais, et sauta sur le toit voisin, fonçant vers le centre-ville. C’était là-bas qu’il y avait le plus de monde, c’était là-bas qu’elle avait le plus de chance de trouver des candidates.


---

La chambre était assez spacieuse. On avait largement la place d’aller et venir entre les meubles et même de s’étaler sur le sol pour faire quelques exercice. Il y avait, en plus du large lit deux places, une petite table, deux fauteuils, une commode, des placards et un petit buffet dans lequel tenait un petit frigidaire. Une porte menait à une salle de bain plutôt luxueuse et un petit balcon permettait d’admirer la fraîcheur de la nuit. Dans l’ensemble, cette chambre était plutôt banale, si l’on exceptait bien sûr les décorations murales, entièrement revisitées pour ressembler à une chambre d’adolescent fan de musique underground.

Stéphanie était allongée sur le ventre sur la couette du lit à peine défait, avec les pieds au niveau de la tête de lit et la tête au niveau des pieds. Elle portait une petite robe de soirée blanche, fendue jusqu’en haut de la cuisse et avec un décolleté en V tout juste chaste. Ses épaules étaient nues et elle avait coiffé ses cheveux blonds vénitiens en une petite queue de cheval qu’elle faisait tenir sur le côté. Bien que ses pieds soient nus aussi à cet instant, une paire de sandales brillantes à talons aiguilles avait été soigneusement disposée sur la moquette. Elle n’était peut-être pas exceptionnellement belle avec son air désabusé, son nez un peu trop gros et ses lèvres plus étalées qu’étirées, mais la tenue l’avait néanmoins transformée en femme élégante et cela lui suffisait.

Elle feuilletait un prospectus sur les choses que l’on pouvait visiter dans la ville et ses environs, comme on en trouvait souvent dans le hall des hôtels de Resting City. Elle s’arrêtait sur les petits articles consacrés à la description des établissements concurrents, notamment les plus grands bâtiments de la ville, ceux qui en faisaient la fierté. Celui sur le Granica n’avait pas été mis à jour et on y invitait toujours les lecteurs à s’y rendre pour compter le nombre de ses étages et pour goûter aux meilleures vues possibles. Naturellement, chaque article finissait plus ou moins par admettre que rien ne valait l’hôtel dans lequel ils se trouvaient actuellement, mais on pouvait effectivement trouver quelques informations utiles en lisant entre les lignes.


« Qu’est-ce que tu en penses ? » fit la voix de Lucien qui venait de sortir de la salle de bain.

Elle leva les yeux et vit son camarade dans une pose ridicule lui sourire pour recevoir son approbation. Le voyageur s’était lui-même habillé avec une élégance particulière. Il portait un smoking noir brillant avec une chemise blanche immaculée qu’il avait ouverte de quelques boutons. Un nœud de papillon pendait, défait, le long de ses épaules. En réalité, cela ne lui allait pas très bien. Il était trop petit et trop frêle pour ce genre de tenues et elle avait l’impression qu’il nageait un peu dedans. Ses pieds, de plus, étaient engoncés dans deux baskets rouges aux lacets verts ce qui jurait un peu avec l’ensemble. Néanmoins, elle devait le reconnaître, il avait une certaine allure ainsi habillé. Elle préférait largement le voir dans ses accoutrements ridicules, mais il avait insisté pour se changer ce soir-là, une lubie comme il en avait tant.


« C’est plutôt pas mal. » lança-t-elle sans chercher à cacher sa déception.

« Alors ça ira. » conclut-il, bien conscient qu’il ne pouvait pas faire beaucoup mieux de toute manière. « J’aurais au moins un peu l’air de James Bond quelque part. »

En même temps, si le costume ne lui allait pas, c’était précisément parce que ce n’était pas le sien et il ne se faisait pas d’illusions sur la question. Naturellement, il avait été incapable d’apparaître à Dreamland, comme Stéphanie l’avait fait, déjà habillé pour l’occasion. Il était venu dans l’une de ses tenues farfelues et avait décidé que cela ne convenait pas du tout à l’importance du rendez-vous qu’ils avaient. Il s’était mis en tête de trouver un costume pour paraître élégant et elle lui avait donc volé la valise d’un rêveur qui faisait à peu près sa taille. Rien de plus simple, il avait suffi de se faire passer pour une employée de l’hôtel. Ils avaient été chanceux de trouver un costume à l’intérieur. Personnellement, Stéphanie trouvait l’idée futile, voire même plus encombrante qu’autre chose. Elle s’était d’ailleurs plaint qu’elle n’arriverait pas à se battre aussi bien dans cette robe. Mais il avait rétorqué qu’elle pourrait la déchirer le moment venu. C’était juste pour leur entrée en scène qu’ils en avaient besoin, le reste n’avait pas d’importance.

Depuis la veille, Lucien était excité comme une puce. La chute du Granica avait provoqué en lui un grand émoi, une grande joie. C’était l’occasion qu’il avait tant attendue, l’erreur que ses ennemis avaient commis, comme il l’avait espéré. Il jubilait à l’idée d’avoir réussi à instaurer le chaos dans cette ville. Bien sûr, ce n’était pas encore tout à fait réussi, mais c’était tout comme. Ils savaient tous les deux que certains voyageurs s’étaient mis en tête de venir en aide aux habitants, mais le mouvement qu’ils avaient provoqué était trop important, ceux d’en face n’avaient aucune chance de réussir.


« On peut y aller, alors ? » demanda Stéphanie, qui en avait un peu marre d’attendre dans cette chambre d’hôtel allongée sur un lit sans rien faire.

« Oui, il est temps. » confirma Lucien avec un grand sourire.

Puis, il tira de sa poche de pantalon un tout petit marteau, le fit tourner entre ses doigts comme une arme à feu et l’agrandit au dernier moment pour le poser sur son épaule. Un petit geste de frime qui la fit sourire par son inutilité.


« On y va ? » fit-il.

Et elle se releva pour mettre ses chaussures. Cette soirée promettait d’être amusante.


---

Patrick ouvrit les yeux avec appréhension. Il s’était couché le plus tard possible, pour être sûr de ne pas la rater. Il connaissait les habitudes des jeunes avec lesquels il travaillait et savait que d’ordinaire, ils faisaient tout pour traîner hors du sommeil aussi longtemps qu’ils le pouvaient, quitte à ne pas être aussi en forme que possible le lendemain. Il n’était cependant pas lui-même à toute épreuve, sa jeunesse commençait à n’être qu’un souvenir et il n’avait plus l’habitude ou l’énergie de trop veiller. Il ne connaissait pas exactement la façon dont sa victime passait ses soirées, mais il espérait avoir tenu assez longtemps pour s’être endormi après elle.

Sa première réaction fut de s’inquiéter. Il se trouvait dans une rue passante, au milieu de grands immeubles et sous un ciel magnifiquement étoilé. Il ne mit pas longtemps à reconnaître les enseignes, les lumières et l’agitation propre à Resting City. Il n’était pas dans le quartier auquel il était habitué et les lettres du Granica, ce point de repère universel, n’existaient évidemment plus. Cependant, il ne pouvait se tromper. Tous les commerces qui l’entouraient vantaient les mérites de leurs chambres et de leurs ambiances exotiques. S’il n’était pas dans la ville où il avait passé ses derniers mois de voyageurs, alors il se trouvait dans une cité jumelle inconnue de tous.

Ce n’était pas bon signe. Il semblait qu’il était simplement réapparu à l’endroit qu’il avait abandonné la veille, faute de pouvoir rejoindre l’adolescente dans le monde des rêves, car elle ne s’y trouvait pas encore. Cela lui était déjà arrivé une fois ou deux par le passé et il crut bien avoir échoué dans sa tentative. Bien sûr, il restait toutes les autres nuits du monde pour accomplir sa vengeance, hélas, c’était ce soir qu’il en avait envie et sa frustration commença à grandir.

Jusqu’à ce qu’un bus arrive devant lui et s’aligne le long du trottoir où il se tenait. L’engin marqua l’arrêt et ses portes s’ouvrirent. Une dizaine de rêveurs et de rêveuses en descendirent en parlant de tout et de rien, surtout de rien. Le chauffeur descendit à son tour et ouvrit l’un des compartiments qui servait de soute à son véhicule. Il en tira des valises qu’il parut distribuer au hasard entre les nouveaux arrivants. Patrick observa l’événement comme s’il s’agissait d’un petit spectacle de rue. Jusqu’à ce que l’une des valises soit attrapée par une jeune femme aux cheveux clairs qui lui était familière.

Il sourit avec soulagement et une envie malsaine.


« Bonsoir, Nathalie Hume. » siffla-t-il pour lui-même.

L’adolescente était là, maintenant munie d’une petite valise à roulette rouge que l’on pouvait traîner derrière soi. Elle portait une robe d’été assez simple et plusieurs bijoux qu’elle avait à l’école. Comme le reste du groupe, elle se dirigeait vers l’enseigne la plus proche en souriant, heureuse d’être arrivée au bout d’un voyage qui n’avait jamais eu lieu.

C’était trop beau pour être vrai. Elle était là, juste là, devant lui, dans ce royaume précis. Quelles étaient les chances que cela arrive ? Naturellement, c’était la meilleure chose qui aurait pu lui arriver. Il connaissait les lieux et savait exactement comment procéder sans attirer l’attention. Plus encore, grâce à Lucien Sandman et à ses idées loufoques, personne ne pourrait venir au secours de la demoiselle. Il aurait sa vengeance ce soir, il s’emparerait d’elle avec plus de plaisir qu’il ne l’avait jamais fait.

Il éclata de rire en réalisant avec quelle facilité le destin lui avait servi la sœur de son ennemi sur un plateau.




GRIDEN
ALICIA

Personnage

Roses et Rouges - Page 2 730789Alicia

    Age : 29 ans.
    Ville : Namur (Belgique).
    Activité : Serveuse dans un bar.
    Dreamland : Seconde de Sonyhia, manieuse des menottes cachotières, esclave dévouée.
    Objet magique : Menottes Cachotières. Peuvent menotter n’importe quoi de façon efficace et n’importe où. Le velours a été rajouté après
    Aime : Etre reconnue, avoir un rôle, se sentir aimée, les tatouages discrets et les porte-jarretelles.
    Déteste : Ne pas savoir quoi faire, l’absence de directives, l’inconnu, le sport et les voitures trop grandes.
    Surnom : Aucun.

    Le saviez-vous ?
    Alicia a un besoin compulsif d’avoir une figure d’autorité pour la commander, sans quoi elle panique.


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Roses et Rouges

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